Cass. crim., 2 mars 2010, n° 09-88.453
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Guérin
Avocat général :
Mme Magliano
Avocat :
SCP Tiffreau et Corlay
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Samuel,
contre l'arrêt n° 931 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de BORDEAUX, en date du 5 novembre 2009, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de contrefaçon en bande organisée, escroquerie en bande organisée, recel et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 4 janvier 2010, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, 173 et 174, 591 et 593 du code de procédure pénale,
" en ce que la chambre de l'instruction a rejeté la requête en nullité, constaté que la procédure était régulière, et dit qu'il en serait fait retour au magistrat instructeur aux fins qu'il poursuive et mène à son terme l'information ;
" aux motifs qu' (...) il est soutenu dans la requête que les faits dénoncés par Me Y seraient constitutifs d'une violation du secret professionnel ; qu'il convient, en conséquence, en premier lieu, de procéder à l'analyse des éléments communiqués par l'intéressée afin de déterminer s'ils relevaient dudit secret professionnel qui lie l'avocat à son client ; qu'il résulte des pièces de la procédure que le 9 juillet 2008, Me Y a adressé au bâtonnier une note manuscrite ainsi rédigée (D4) : Je soussignée, Frédérique Y avocat, atteste les faits suivants: J'ai été victime de menaces de mort de la part de Me Z. Je fréquente quotidiennement Mme Z depuis le mois de janvier 2003, date à laquelle elle m'a recrutée en qualité de collaboratrice. Des liens d'amitié se sont progressivement liés et j'ai ainsi rencontré les membres de sa famille. Son père faisait fabriquer par des ouvriers ukrainiens de fausses oeuvres d'art : Charlotte A, Alexandre B. Ce sont des designers des années 50 dont les oeuvres sont très cotées.A la suite du décès de M. X, Géraldine a repris le flambeau avec sa mère et son frère car il s'agit d'une activité très lucrative. Les objets étaient fabriqués dans un atelier au domicile de la mère de Géraldine X à Château Cazelles, Prignac et Marcants.Je sais que des objets ont été vendus aux Etats-Unis et que Samuel X était en relation avec Odile B, l'héritière d'Alexandre B. De nombreuses transactions ont été effectuées. Les fonds ont été déposés sur le compte bancaire de Samuel X qui reversait des espèces à Géraldine X et à sa mère.Depuis quelques mois, ils ont cessé cette activité car une instruction est en cours. La cote de ces objets d'art a baissé car trop de faux circulent.Des faux se trouvent actuellement au domicile de Géraldine X et de son frère. Fait à Bordeaux, le 9 juillet 2008; que le bâtonnier a adressé cette note au procureur général de la cour d'appel qui l'a transmise, le 15 juillet 2008, au procureur de la République de Bordeaux pour enquête ; qu'une enquête préliminaire a effectivement été diligentée au cours de laquelle, le 24 juillet 2008, Me Y a été entendue aux fins d'apporter des précisions ; qu'au cours de son audition par les services de police (D 12), elle décrivait d'abord le fonctionnement du cabinet ; qu'elle expliquait, en substance, avoir été employée par Me Géraldine Z en tant que collaboratrice puis qu'en raison de la carence de Me Z, très dépressive et quasiment toujours absente, elle avait fini par assumer seule la gestion du cabinet ; qu'une convention d'association avait été conclue prévoyant une répartition des bénéfices ; qu'en raison de procédures notamment de saisies bancaires dont elle faisait l'objet, Me Z lui avait demandé de déposer les sommes lui revenant sur son compte professionnel ; qu'à partir de début 2007, Me Z avait décidé de ne plus respecter la convention précitée en évinçant progressivement son associée du cabinet jusqu'à la rupture complète intervenue en juillet suivant; que, dès lors, Me Y subissait un véritable harcèlement jusqu'en juillet 2008, époque à laquelle elle avait décidé de ne plus travailler pour la clientèle de Me Z ; que leurs relations dégénérant, Me Y avait décidé d'alerter le Bâtonnier qui avait délégué un représentant du conseil de l'ordre pour l'accompagner au cabinet, afin qu'elle reprenne ses affaires personnelles et son ordinateur ; qu'ensuite, Me Y exposait qu'en 2003, elle avait fait connaissance de toute la famille et avait entretenu des relations d'amitié pendant quatre ans avec Géraldine Z qui ne masquait pas ses revenus frauduleux ; qu'elle soulignait que ni le père Gérard X, de son vivant, ni les autres membres de la famille ne faisaient mystère de leur fabrication de meubles qu'elle avait identifiés comme des reproductions de B et de Perriand ; qu'elle avait, comme les autres collaborateurs et employés du cabinet, vu passer durant ces années des meubles ou objets livrés au , qui est à la fois l'adresse du cabinet et celle du domicile de Géraldine Z ; qu'elle soulignait que les membres de la famille X ne prenaient aucune précaution pour dissimuler la nature de leur activité, que ce soit au cabinet ou dans leur propriété du château Cazelles ; que certains des meubles qui se trouvaient aux domiciles de Géraldine et de Samuel X figuraient sur un catalogue d'un commissaire-priseur ; qu'en tant que proche en raison des liens d'amitié qui s'étaient tissés, elle avait été le témoin de conversations entre les uns et les autres relatifs aux faux, comme par exemple sur l'existence de deux ateliers de fabrication, sur le circuit de revente, sur les mouvements de fonds qui en découlaient ; que d'autres proches étaient aussi parfaitement informés de la nature des travaux effectués par l'ouvrier ukrainien ; qu'elle ajoutait que le manque de discrétion de Géraldine X relevait peut-être aussi, disait- elle de l'exercice de notre profession où les avocats ne parlent que très rarement des facéties de leurs collègues; que l'analyse de la note manuscrite transmise le 9 juillet 2008 au bâtonnier, complétée par le contenu de son audition par les services de police, en date du 24 juillet 2008, démontre que Me Frédérique Y a, d'une part, décrit le conflit professionnel l'opposant à son associée Me Géraldine X, dans la gestion du cabinet et évoqué des menaces de mort dont elle aurait été victime, d'autre part, fait des révélations sur un trafic d'oeuvres d'art auquel se seraient livrés sa consoeur et certains membres de sa famille ; que, s'il est justifié que Me Y a pu assister, en qualité d'avocat, Géraldine Z en 2005 et 2006 devant des juridictions civiles relativement à des procédures engagées contre cette dernière pour des impayés ainsi que la substituer en 2007 dans le cadre d'un litige prud'homal opposant Samuel X à l'occasion d'un licenciement, litiges complètement étrangers aux faits à présent dénoncés, il convient de s'interroger sur l'existence, à la charge de Me Y à l'égard de Géraldine Z ou de Samuel X d'une obligation au secret professionnel qui lui aurait interdit de dénoncer le trafic d'oeuvres d'art dans lequel ces derniers seraient impliqués ; que la violation du secret professionnel suppose la divulgation d'informations reçues, portées à la connaissance du dépositaire ou découvertes à l'occasion de l'exercice et en raison même de l'activité couverte par le secret ;qu'en l'espèce, pour expliquer sa connaissance des éléments qu'elle relate, Frédérique Y, évoque, dans ses déclarations écrites et verbales, le fait de partager physiquement le même cabinet que son associée Me Z, situé au domicile de cette dernière ; qu'elle expose les liens d'amitié, au-delà d'une simple relation professionnelle entre associés, qui s'étaient noués avec Géraldine X et à la faveur desquels elle avait été admise dans l'intimité du cercle familial en qualité d'amie ; que les informations telles qu'elle les rapporte apparaissent exclusivement le fruit d'observations, de constatations d'autant plus aisées que les membres de la famille X ne faisaient preuve à son égard comme plus généralement vis à vis de leur entourage, d'aucune discrétion dans leurs activités ou leurs conversations ; qu'il résulte de l'analyse des pièces contestées que les faits rapportés ne peuvent être rattachés de quelle que manière que ce soit à l'exercice par Frédérique Y d'une mission d'avocat assurée pour Géraldine X, Samuel X ou Michelle C ; qu'en effet, aucun élément ne permet d'établir ni même de faire présumer que ces renseignements eussent été recueillis dans le cadre ou à l'occasion d'une mission de conseil, d'assistance ou de défense qui aurait lié Frédérique Y aux susnommés; qu'il ne saurait être tiré argument de sa seule profession d'avocat ni même des quelques litiges civils, sans aucun rapport avec les faits dénoncés, à l'occasion desquels Géraldine X ou son frère ont pu ponctuellement, dans le passé, lui confier la charge de leurs intérêts, pour en déduire qu'il lui serait définitivement interdit de divulguer les conflits professionnels l'opposant à son associée dans la gestion du cabinet ou les activités illicites auxquelles cette dernière est supposée s'être livrée avec des membres de sa famille, alors même que sa proximité d'ordre amical et purement privé avec eux l'exposait à ce que sa responsabilité pénale puisse être recherchée, notamment au titre de la complicité ; que, dès lors, l'argumentation du requérant à l'annulation selon laquelle l'ensemble de l'enquête et des actes de l'information procéderait d'une violation du secret professionnel pénalement réprimée ne peut qu'être écartée ; qu'en conséquence, en l'absence de violation des dispositions conventionnelles ou légales invoquées, il n'y a pas lieu de faire droit à la requête (...);
" alors que le secret professionnel de l'avocat couvre toutes les confidences que l'avocat a pu recevoir à raison de son état ou de sa profession ; qu'il est constant et ressort de l'arrêt attaqué (pages 5, 20 et 21, notamment), que Me Y avait rapporté des conversations auxquelles elle aurait assisté au sein d'un cabinet d'avocat, alors qu'elle était présente dans ce cabinet en qualité d'avocate-collaboratrice ; que Me Y avait personnellement assisté Samuel X, en qualité d'avocate (arrêt attaqué, p. 22) ; qu'il devait nécessairement se déduire de telles constatations, que Me Y assistait aux conversations qui étaient tenues dans le cabinet où elle exerçait, en sa qualité d'avocate-collaboratrice tenue au secret professionnel ; qu'en jugeant au contraire que les conversations tenues dans le cabinet d'avocat où Me Y exerçait en qualité d'avocate-collaboratrice, n'auraient pas été couvertes par le secret professionnel, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Me Frédérique Y, avocat au barreau de Bordeaux, a porté à la connaissance du bâtonnier de l'ordre, lequel en a informé le ministère public, l'existence d'un trafic d'oeuvres d'art contrefaites auquel, selon elle, participaient Me Géraldine Z, son associée, le frère de celle-ci, Samuel X et Michèle C, leur mère ; qu'une information a été ouverte pour contrefaçon et escroquerie en bande organisée, recel et association de malfaiteurs ; que Samuel X, mis en examen, a présenté une requête en nullité de la procédure en faisant valoir que celle-ci avait pour seul fondement la dénonciation faite en violation du secret professionnel s'imposant à tout avocat ;
Attendu que, pour rejeter cette requête en nullité, l'arrêt énonce que Frédérique Y a eu connaissance des éléments qu'elle relate à la faveur des liens d'amitié qui s'étaient noués avec Géraldine X, que les faits rapportés ne peuvent être rattachés à l'exercice par celle-ci de sa profession d'avocat ; que les juges ajoutent que le fait qu'elle ait été, dans le passé, avocat de son associée et de son frère à l'occasion de litiges civils sans aucun rapport avec les faits dénoncés ne lui interdisait pas de divulguer les activités illicites auxquelles cette dernière est supposée s'être livrée avec des membres de sa famille ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, desquelles il ressort que l'avocat n'était pas dépositaire, par son état ou sa profession, des informations divulguées, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi.