CA Dijon, 2e ch. civ., 21 avril 2022, n° 20/01018
DIJON
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vautrain
Conseillers :
M. Wachter, Mme Brugère
Avocats :
Me Gerbay, Me Duverne-Hanachowicz, Me Prost, Me Renevey-Laissus, Me Robin
En 2006, M. [N] [M] [E] a acquis la SASU [Adresse 3], qui exploite une filature et fabrique de laine sous le nom Filature Fonty, laquelle faisait alors l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire. Le capital social était alors notamment détenu à 5 % par M. [E] et à 49 % par la société Holding [Adresse 6], propriété de Mme [K] [U], épouse de M. [E].
Le 2 janvier 2009, la société [Adresse 3] a consenti à la SAS [E] [U], dont la dirigeante était Mme [K] [U], et dont le capital était entièrement détenu par la société Holding [Adresse 6], un contrat intitulé « contrat d'agent commercial » exclusif sur le territoire français, à l'exception des départements 75, 77, 78, 91,92, 93, 94, 95 et 60, sur la Belgique wallonne et sur le Luxembourg. La société [E] [U] exerçait déjà une activité de négoce de fils et d'articles à base de matières synthétiques, essentiellement fabriqués à l'étranger. Ses commissions étaient fixées à 10 % des produits facturés.
A compter du 8 octobre 2010, Mme [X] [H] est devenue dirigeante de la société [Adresse 3].
Le 30 avril 2014, un avenant a été régularisé entre la société [Adresse 3] et la société [E] [U]. Cet avenant portait augmentation progressive de la commission d'agent commercial jusqu'à un taux de 15 %. Il était convenu en outre de la mise en place par la société [E] [U] d'un responsable export pouvant développer les produits de la société [Adresse 3] dans le monde entier, avec une commission de 5 % sur les ventes apportées.
En novembre 2014, la direction de la société [Adresse 3] a été confiée à M. [N] [M] [E].
En décembre 2016, la société [E] [U] a été acquise par M. [C].
En mai 2017, la société [Adresse 3] a été acquise par M. [W].
Par LRAR du 24 novembre 2017, la société [Adresse 3] a résilié le contrat d'agent commercial la liant à la société [E] [U] à effet du 31 août 2018, sans indication de motif.
Par LRAR du 5 juin 2018, la société [Adresse 3] a mis fin de manière immédiate et anticipée au contrat, en invoquant des pratiques déloyales et des manquements de la société [E] [U].
Par courrier recommandé du 30 juillet 2018, la société [Adresse 3] a informé la société [E] [U] de son refus de régler la moindre indemnité.
Par exploit du 7 novembre 2018, la société [E] [U] a fait assigner la société [Adresse 3] devant le tribunal de commerce de Mâcon en paiement de la somme de 103 478 euros à titre d'indemnité de rupture du contrat, et de celle de 12 936 euros à titre d'indemnité de préavis. La demanderesse a fait valoir :
- qu'elle avait bien la qualité d'agent commercial ; que le courrier de rupture du contrat n'invoquait aucune faute de sa part ; que des reproches avaient été formulés ultérieurement par la société [Adresse 3] pour les seuls besoins de la cause, à savoir faire échec à la légitime demande en paiement d'une indemnité de rupture ; que les griefs étaient au demeurant sans fondement, la baisse du chiffre d'affaires réalisé par la société [E] [U] résultant, non pas d'une mauvaise exécution de ses obligations, mais d'un recul sur l'ensemble du secteur de la vente de la laine ; qu'elle était dès lors fondée à obtenir une indemnité de rupture correspondant à deux années de commissions, soit 103 478 euros, et une indemnité de préavis pour les 3 mois non effectués, équivalente à 3 mois de commissions, soit 12 936 euros ;
- que la société [Adresse 3] ne pouvait en aucun cas prétendre à la restitution de commissions qu'elle avait elle-mêmes calculées et versées de 2013 à 2018 ; qu'en tout état de cause, les demandes portant sur les années antérieures à 2015 étaient prescrites ;
- qu'il n'existait pas de déséquilibre significatif, la défenderesse ne démontrant pas que le taux de commissionnement de 15 % était le plus élevé du secteur, et l'avenant du 30 avril 2014 ne faisant que rétablir un taux de commission normal, puisqu'il précisait que le taux de 10 % appliqué jusqu'alors était un taux préférentiel accordé à la société [Adresse 3] pour favoriser son redressement et son développement.
La société [Adresse 3] a sollicité le rejet des demandes formées à son encontre, et la condamnation reconventionnelle de la société [E] [U] à lui payer les sommes de :
- 82 804 euros au titre des commissions trop-perçues ;
- 47 694 euros en réparation du préjudice né du déséquilibre significatif ;
- 15 122 euros à titre de dommages et intérêts au titre des fautes commises pendant la période du préavis.
A titre subsidiaire, elle a conclu à la réduction de l'indemnité de rupture à de plus justes proportions.
La société [Adresse 3] a exposé à l'appui de sa position :
- que la demanderesse ne pouvait prétendre à l'indemnité de rupture d'agent commercial, car elle n'avait pas le statut d'agent commercial, en l'absence de pouvoir de négociation et de modification des tarifs et des conditions générales de vente ; que son rôle se limitait à présenter les produits à la clientèle, les ventes étant conclues directement par la société [Adresse 3] ; que la qualification d'agent commercial ne dépendait pas de la volonté des parties, mais de la réalité de l'activité exercée, dont il appartenait à la société [E] [U] de rapporter la preuve ;
- que, dans ces conditions, les circonstances de la rupture étaient indifférentes, la société [Adresse 3] étant libre de mettre fin au contrat à durée indéterminée comme bon lui semblait, sous la seule réserve de respecter le délai contractuel de préavis, ce qui avait été fait ;
- qu'aucune commission n'était cependant due pendant la période de préavis, au cours de laquelle la société [E] [U] avait commis des fautes graves justifiant que le préavis n'ait pas été achevé ; qu'en effet, cette dernière avait fait preuve de déloyauté en distribuant des produits concurrents de la société Lamana, et en prenant contact avec la société Filature du Valgaudemar, à laquelle elle avait demandé de contretyper des fils de la marque Fonty ; qu'en outre la demanderesse ne s'était pas informée des nouvelles conditions tarifaires et des nouveaux produits, n'avait pas procédé au remplacement des membres de son équipe commerciale, notamment le responsable export parti à la retraite, et avait cessé de visiter sa clientèle ;
- que, pendant la durée du contrat, la société [Adresse 3] avait payé à la société [E] [U] des commissions sur les ventes d'aiguilles à tricoter, de livres, de patrons ou de fils en marque blanche non revêtus de la marque Fonty, soit des produits qui ne faisaient pas partie de la base de calcul du contrat ; qu'elle avait par ailleurs payé des commissions sur des ventes effectuées au profit de grossistes, magasins de vente en ligne, artisans, industriels ou particuliers, qui ne relevaient pas de la clientèle confiée à la société [E] [U] ; que le total des commissions indûment versées s'établissait à 82 804 euros ;
- que la commission de 15 % fixée par l'avenant de 2014 était la plus élevée du secteur, et que sa stipulation créait un déséquilibre significatif au détriment de la société [Adresse 3], puisqu'elle n'était pas proportionnée à la valeur du service rendu en contrepartie ; qu'il convenait de réparer le préjudice qui en était résulté par l'allocation d'une indemnité correspondant à la différence entre les commissions versées au taux de 15 % et celles qui auraient été dus par application d'un taux de 10 %, soit une somme de 47 694 euros ;
- que, par ailleurs, les manquements de la société [E] [U] durant la période de préavis justifiaient l'allocation d'une indemnisation correspondant à l'ensemble des commissions qu'elle avait perçues au titre de l'année 2018, soit 15 122 euros ;
- subsidiairement, si la qualité d'agent commercial était reconnue à la société [E] [U], que l'indemnité de rupture devait être réduite en considération des manquements commis, et du fait que la demanderesse n'avait en réalité subi aucun préjudice du fait de cette rupture, puisqu'elle avait trouvé de nouveaux partenaires ; que l'indemnité ne pouvait dans ces conditions excéder 3 mois de commissions, calculées sur une base diminuée des commissions indues.
Par jugement rendu le 15 mai 2020, le tribunal de commerce a :
Vu l'article 1134 du code civil, Vu les articles L 134-1 et suivants du code de commerce, Vu l'article 700 du code de procédure civile, Vu la jurisprudence citée, Vu les pièces versées aux débats,
- jugé que le contrat liant les sociétés [Adresse 3] et [E]-[U] est un contrat d'agent commercial, rupture aux torts exclusifs de la société [Adresse 3], permettant à la société [E]-[U] de revendiquer l'indemnité sollicitée d'un montant de 103 478 euros est ramenée à la somme de 86 917 euros après ajustement de la base de calcul compte tenu des commissions indûment reçues (sic) ;
- jugé que la société [E]-[U] a commis des actes de déloyauté et fautes graves pendant la période du préavis, et rejeté la demande de règlement des commissions pour réduction du préavis sollicité par la société [E]-[U] d`un montant de 12 936 euros ;
- jugé que la société [E]-[U] a perçu des commissions sur des ventes sur des ventes (sic) réalisées de 2014 à 201 8, qui n'entrent pas dans le champ d'application du contrat et que le montant de 82 804 euros que la société [E]-[U] doit rembourser à la société [Adresse 3] (sic) ;
- rejeté la demande de la société [Adresse 3] de dommages et intérêts de 47 694 euros correspondant au trop-perçu des commissions versées depuis le 1er mai 2014, versées par la société [Adresse 3] à la société [E]-[U] (sic) ;
- jugé que le contrat liant la société [Adresse 3] à la société [E]-[U] n'a pas créé de déséquilibre ;
- jugé que la société [E]-[U] a commis des fautes graves pendant la période de préavis, à l'encontre de la société [Adresse 3] et lui accorde une indemnité forfaitaire de 15 000 euros de dommages et intérêts (sic) ;
- au final des condamnations, la société [E]-[U] est redevable de 10 887 euros à la société [Adresse 3], sommes qui pourront, suivant l'article 1244-4 du code civil, être réglées sur une période de 24 mois qui porteront intérêts au taux légal en vigueur et que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital, au cas où une seule échéance ne serait pas réglée, l'intégralité de la somme deviendra exigible (sic) ;
- dit que les dépens seront partagés à parts égales entre les parties dont frais de greffe liquidés à la somme de 63,36 euros.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :
- que la mission confiée dans le contrat du 2 janvier 2009 s'apparentait plus à de la représentation avec rétrocession de commissions ; que, néanmoins, le contrat était qualifié à cette époque de contrat d'agent commercial, termes repris par la société [Adresse 3] dans son courrier de rupture ; que la qualification de contrat d'agent commercial devait donc être validée ;
- qu'avant la rupture et pendant la durée de la relation contractuelle, la société [Adresse 3] n'avait jamais fait état du moindre reproche à la société [E] [U] qui, en vertru de l'article L 134-12 du code de commerce, avait, comme tout agent commercial, droit à une indemnité compensatrice de cessation du contrat correspondant à deux années de commissions conformément à la jurisprudence, que le tribunal se réservait le droit de moduler après étude des demandes reconventionnelles et subsidiaires ;
- que la rupture avait été notifiée le 24 novembre 2017 pour le 31 août 2018, soit avec un préavis de 9 mois supérieur à celui de 6 mois prévu au contrat, ce qui laissait amplement à la société [E] [U] le temps d'avoir de nouveaux projets économiques ; que, pour obtenir le paiement des trois mois de préavis non effectués, la société [E] [U] aurait dû exécuter le contrat jusqu'à son terme avec sérieux et loyauté ; que tel n'avait pas été le cas, car il y avait eu recherche de contretypage des produits de la défenderesse dès fin 2017 et une tentative de mise en place d'une gamme similaire ; que, par ailleurs, en février 2018, la société [Adresse 3] n'avait pas été invitée à présenter ses nouveaux produits et ses tarifs, que la société [E] [U] avait cessé la promotion et la distribution des produits Fonty auprès de sa clientèle, et son gérant n'avait pas salué le dirigeant de la société [Adresse 3] lors du salon 'Aiguille en Fête', mais s'était rendu sur des stands concurrents pour prendre de nouveaux produits ; que ces pratiques caractérisées de déloyauté, concurrence et fautes, suivis de dénigrements, justifiaient ne rejet de la demande d'indemnité de préavis ;
- que la défenderesse démontrait que la demanderesse avait perçu des commissions sur des ventes n'entrant pas dans le champ du contrat initial, ainsi que des rémunérations sur des ventes réalisés dans les 6 départements exclus du contrat ; que la société [E] [U] devait donc restituer les sommes correspondantes, soit 82 804 euros ;
- qu'il n'avait précédemment jamais été évoqué de problème de déséquilibre ; que le contrat, qui existait depuis 10 ans, était progressif pour permettre à la société [Adresse 3] de se redresser ; que celle-ci n'avait pas demandé d'avenant pour demander plus de prestations de la part de la société [E] [U], et que l'exclusivité territoriale importante n'était pour autant pas mondiale, puisqu'excluant certains territoires et certains circuits de vente ; que le tribunal ne retenait donc pas le déséquilibre significatif, de sorte que la demande de dommages et intérêts afférente devait être rejetée ;
- que les commissions perçues entre le 1er janvier 2018 et le 4 juin 2018, soit 15 122 euros, démontraient une baisse de chiffre due aux fautes et déloyautés de la demanderesse, alors que le commerce de laine Fonty avait bien fonctionné pendant la même période en Ile de France, secteur conservé par le fabricant ; qu'il était alloué à ce titre une réparation forfaitaire de 15 000 euros ;
- qu'il y avait lieu de recalculer à la baisse l'indemnité de rupture sollicitée par la société [E] [U], pour tenir compte de la perception indue de commissions hors contrat ; qu'il devait être déduit du montant réclamé une somme de 16 561 euros, soit 82 804 euros / 5 ans x 2 ans, de sorte que l'indemnité devait être fixée à 103 478 euros ; que le préjudice de la demanderesse était établi, puisqu'elle perdait la commercialisation des laines Fonty, source importante de commissions.
La société [U] a relevé appel de cette décision le 1er septembre 2020, sauf en sa disposition relative à l'absence de déséquilibre.
Par conclusions notifiées le 19 mai 2021, l'appelante demande à la cour :
Vu les articles L 134-1, L 134-3, L 134-4, L 134-12, L 134-13 du code de commerce, Vu l'article 700 du code de procédure civile ;
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il :
constate que le contrat liant les sociétés [Adresse 3] et [E] [U] est un contrat d'agent commercial ;
constate que la rupture de ce contrat est due aux torts exclusifs de la société [Adresse 3] ;
constate le bien-fondé de la demande d'indemnité de rupture sollicitée par la société [E] [U] ;
déboute la société [Adresse 3] de sa demande de dommages et intérêts au titre d'un déséquilibre ;
- de réformer le jugement déféré pour le surplus ;
- de rejeter toute demande formée par la société [Adresse 3] ;
Et, statuant à nouveau,
- de condamner la société [Adresse 3] au paiement d'une indemnité de rupture d'un montant de 103 478 euros ;
- de condamner la société [Adresse 3] au paiement des commissions pour réduction du préavis d'un montant de 12 936 euros ;
- de condamner la société [Adresse 3] à payer la somme de 15 000 euros à la société [E] [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner la société [Adresse 3] aux entiers dépens de l'instance.
Par conclusions notifiées le 17 décembre 2021, la société [Adresse 3] demande à la cour :
Vu les articles 1134 et 1147 dans leur version antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, Vu les articles L 134-1 alinéa 1 et suivants, L 442-6, I, 2°, L 442-6, I, 1° du code de commerce (version applicable à la date des faits), Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Sur les demandes aux fins de condamnation de la société [Adresse 3] :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu les fautes commises par la société [E]-[U] justifiant le rejet de sa demande de condamnation au paiement de 12 936 euros de commission au titre des trois mois de préavis non exécutés ;
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a reconnu que le contrat liant les parties est un contrat d'agent commercial et a condamné la société [Adresse 3] au paiement d'une indemnité de rupture ;
En conséquence, statuant de nouveau,
- de débouter la société [E]-[U] de l'intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour retiendrait la qualité d'agent commercial de la société [E]-[U],
Statuant de nouveau,
- de rejeter la demande d'indemnité de rupture, faute pour la société [E]-[U] d'apporter la preuve d'un préjudice ;
A titre encore plus subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour retiendrait la qualité d'agent commercial de la société [E]-[U],
Statuant de nouveau,
- de juger que la base de calcul de l'indemnité de rupture doit être diminuée du montant des commissions indument reçues par la société [E]-[U] ;
Sur les demandes aux fins de condamnation de la société [E]-[U] :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu que celle-ci a perçu des commissions sur les ventes qui n'entrent pas dans le champ d'application du contrat du 2 janvier 2009 et l'a condamnée à ce titre à rembourser 82 804 euros ;
- de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu que celle-ci a commis des fautes graves à l'égard de la société [Adresse 3] dont elle lui doit réparation et l'a condamnée au paiement de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté le déséquilibre significatif ;
En conséquence, statuant de nouveau,
- de condamner la société [E]-[U] à payer à la société [Adresse 3] la somme indemnitaire de 47 694 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au trop-perçu des commissions versées depuis le 1er mai 2014 ;
En tout état de cause,
- de condamner la société [E]-[U] à payer à la société [Adresse 3] la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel ;
- de condamner la société [E]-[U] aux entiers dépens de première instance et d'appel, recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile dont distraction au profit de Me Cécile Renevey.
La clôture de la procédure a été prononcée le 25 janvier 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
Sur la nature du contrat
La société [Adresse 3] poursuit l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a retenu que le contrat ayant lié les parties s'analysait en un contrat d'agent commercial.
L'article L. 134-1 du code de commerce dispose que « l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale. »
Il doit être relevé en premier lieu que le contrat est expressément intitulé « contrat d'agent commercial », et que, dans son courrier RAR de résiliation du 24 novembre 2017, la société [Adresse 3] indiquait elle-même qu'elle mettait fin au « contrat d'agent commercial ». Ce n'est qu'à la suite de la réclamation, par l'appelante, du versement de l'indemnité de fin de contrat prévue par la législation régissant les agents commerciaux que l'intimée a, pour la première fois, remis cette qualification en cause.
Ensuite, et en tout état de cause, l'activité développée par la société [U] dans le cadre du contrat litigieux répond en tous points à la définition de l'article L 134-1 précité, étant relevé que la négociation évoquée par ce texte n'impose pas un pouvoir de l'agent commercial de négocier avec le client final les prix du producteur, et que le caractère laconique du contrat s'agissant de l'énonciation des obligations respectives des parties est dépourvu d'emport sur sa qualification, dès lors qu'il est constant que les parties ont exécuté ce contrat, pendant tout le cours de sa vie, comme un contrat d'agent commercial, sans qu'à aucun moment il n'ait été fait grief à la société [U] d'un quelconque manquement aux obligations lui incombant en cette qualité. Par ailleurs, dès lors que la mise en relation est intervenue par l'intermédiaire de l'agent commercial, il importe peu que les ventes se soient ensuite majoritairement conclues directement entre le client et la société [Adresse 3].
Les premiers juges seront donc approuvés s'agissant de la qualification de la convention litigieuse.
Sur les commissions indues
La société [U] critique le jugement entrepris en ce qu'il a considéré qu'elle avait perçu des commissions indues au cours de l'exécution du contrat, qu'elle était tenue de restituer.
Il est constant qu'alors que l'annexe 1 du contrat d'agent commercial limite la liste des produits dont la promotion et la commercialisation sont confiés à l'agent commercial à « l'ensemble des fils à tricoter vendus sous la marque Fonty », la société [U] a perçu des commissions sur les ventes d'autres produits commercialisés par la société [Adresse 3], notamment des aiguilles à tricoter, des patrons ou des livres de modèles. De même, certains types de clientèle démarchés par l'appelante ne faisaient pas partie du périmètre initial du contrat, mais ont néanmoins donné lieu à commissionnement.
Toutefois, le versement de ces commissions s'est à l'évidence fait en toute connaissance de cause de la part de l'intimée, qui ne peut sérieusement arguer d'une erreur, alors qu'elle procédait, préalablement à leur versement, à la vérification du montant et de l'assiette des commissions, et que les règlements contestés ont été effectués des années durant, ce qui exclut l'éventualité d'une méprise ponctuelle.
En tout état de cause, la société [U] rappelle à bon escient que le mandat confié à l'agent commercial est un mandat d'intérêt commun, ce qui justifie que son objet soit adapté à l'évolution de l'offre de la société [Adresse 3], qui s'est diversifiée au cours des années pour ne plus se limiter à la vente de fils à tricoter, et s'étendre à celle d'accessoires divers, de même que la clientèle de revendeurs a évolué, pour prendre en compte notamment l'essor grandissant de la vente en ligne.
En dépit de l'absence d'écrit matérialisant cette évolution, l'intervention de la société [U] sur des produits et des clientèles non initialement prévus s'est faite dans l'intérêt bien compris de la société [Adresse 3] elle-même, qui a directement et sciemment bénéficié de cette activité, étant observé qu'il n'est même pas contesté que les catalogues et tarifs transmis annuellement à l'agent commercial pour l'exercice de sa mission incluaient bien l'ensemble des accessoires litigieux, ce qui confirme en tant que de besoin la volonté de l'intimée de lui en confier la promotion et la commercialisation. C'est vainement que la société [Adresse 3] prétend rechercher une incompatibilité entre ce commissionnement et le fait que certains des accessoires, notamment des aiguilles à tricoter, auraient été acquises auprès de la société [U] elle-même, alors qu'il n'est pas contesté qu'elles étaient néanmoins revendues par la société intimée.
La décision querellée sera donc infirmée en ce qu'elle a condamné la société [U] à restituer une somme de 82 804 euros au titre des commissions indues, la demande correspondante de la société [Adresse 3] devant être rejetée.
Sur l'indemnité de fin de contrat
L'article L 134-12 du code de commerce énonce : « En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. »
C'est d'abord de manière vaine que l'intimée conclut au rejet de la demande au motif de l'absence de préjudice, alors que la rupture du contrat d'agent commercial, qui a eu pour effet de priver la société [U] des commissions qui constituaient une grande partie des ressources de son activité, est, de ce fait, à l'origine d'un préjudice indiscutable.
C'est ensuite de manière tout aussi mal fondée que la société [Adresse 3] argumente sur la commission par son cocontractant de fautes ayant justifié la résiliation du contrat, alors que tous les manquements dont elle fait grief à la société [U] sont en réalité relatifs à des faits survenus durant la période de préavis, c'est-à-dire postérieurement à la résiliation du contrat. Cela est d'autant moins contestable que le courrier de résiliation ne fait pas la moindre référence à une quelconque faute de l'agent commercial, et que l'intimée a en outre accordé à ce dernier un délai de préavis de 9 mois, soit une durée supérieure de 3 mois à celle contractuellement convenue, ce qui est totalement incohérent avec une rupture fondée sur la faute de l'agent commercial.
La société [Adresse 3] n'établissant ainsi aucune circonstance de nature à exclure l'indemnisation due à la société [U] en application de l'article L 134-12, elle sera condamnée à lui verser à ce titre une indemnité qui devra être fixée à l'équivalent de deux années de commissions, soit la somme de 103 478 euros, étant rappelé qu'en application de ce qui précède, la base de calcul n'a pas à être amputée de commissions indues.
Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.
Sur le préavis
L'appelante sollicite le paiement d'un complément pour les trois derniers mois du préavis, alors que l'intimée réclame la confirmation du jugement qui lui a alloué une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des fautes commises par la société [U] durant l'exécution du préavis.
La société [Adresse 3] invoque plusieurs manquements au soutien de sa position.
Elle fait valoir en premier lieu qu'à compter du mois d'avril 2018, la société [U] a diffusé aux abonnés de sa newsletter l'information selon laquelle elle allait distribuer les laines produites par la société Lamana, lesquelles concurrençaient directement les laines qu'elle-même produisait, s'agissant pour chacun des produits de fils naturels. Toutefois, il sera observé que cette annonce intervient au cinquième mois de l'exécution du préavis, et en prévision de l'issue de celui-ci, étant rappelé que le préavis a pour objet de permettre à la société dont le contrat a été résilié de bénéficier d'une période de transition lui permettant d'organiser la poursuite de son activité, ce qui implique notamment la recherche de nouveaux partenaires dans son domaine d'activité pour pallier la perte de son ancien donneur d'ordre. L'annonce de la commercialisation d'une autre marque de laine, au demeurant différemment positionnée sur le marché comme étant fabriquée à l'étranger et ne revendiquant donc pas l'identité locale mise en avant par les laines Fonty, ne saurait dans ces conditions s'analyser en un acte de concurrence déloyale.
L'intimée reproche ensuite à l'appelante d'avoir pris l'attache d'un concurrent, en la personne de la Filature de Valgaudemar, afin de faire contretyper ses fils de laine les plus vendus. Or, cette tentative de copie n'est aucunement démontrée par les pièces versées aux débats par la société [Adresse 3], et notamment par la sommation interpellative délivrée au dirigeant de la société concurrente, dont il résulte simplement qu'elle avait été approchée, au cours de la période de préavis, pour savoir si elle produisait des fils de même type que les laines Fonty, et quelles seraient ses conditions tarifaires dans le cas d'une collaboration. Il n'est aucunement fait état d'une demande tendant à la réalisation de copies des fils présentés, et le témoin indique en outre que les tarifs proposés n'avaient pas convenu à la société [U], qui n'avait finalement donné aucune suite à sa prise de contact. Il en résulte qu'il n'est pas démontré autre chose que la recherche, par l'agent commercial évincé, de nouveaux partenaires dans l'optique de son activité future, ce qui, pas plus que dans le cas précédent, ne caractérise un acte de concurrence déloyale.
C'est encore de manière mal fondée que la société [Adresse 3] impute à faute à la société [U] d'avoir avisé leur clientèle de la fin des relations commerciales entre les deux sociétés, s'agissant d'une information que la loyauté des affaires imposait à l'appelante de porter à la connaissance de ses interlocuteurs habituels, ne serait-ce que pour leur éviter d'être pris au dépourvu à l'échéance du préavis, et de leur permettre en conséquence de prendre leurs dispositions pour permettre la continuité de leurs approvisionnements en produits Fonty.
Enfin, le moyen tiré d'un abandon de toute activité au bénéfice de la société [U] pour le compte de l'intimée, et la chute de chiffre d'affaires qui en était résulté ne repose sur aucun élément de preuve indiscutable, étant rappelé que la baisse avérée du chiffre d'affaires ne suffit pas à caractériser une faute de la part de l'agent commercial, dans un contexte où la tendance générale baissière du secteur avait déjà été mise en exergue par la société [Adresse 3] elle-même antérieurement à la résiliation du contrat, ainsi qu'il ressort de divers documents produits par l'appelante, et sans que cette tendance ne puisse être mise en relation avec des manquements de cette dernière.
En définitive, en l'absence de caractérisation d'une faute commise par la société [U] dans l'exécution du préavis, la société [Adresse 3] n'était pas fondée à mettre fin à celui-ci avant le terme qu'elle lui avait elle-même assigné.
L'intimée sera donc condamnée à payer à l'appelante la somme de 12 936 euros correspondant à trois mois de commissions, la demande de dommages et intérêts formée par la société [Adresse 3] devant quant à elle être corrélativement rejetée. Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.
Sur le déséquilibre significatif
La société [Adresse 3] forme appel incident de la disposition du jugement déféré ayant écarté sa demande au titre du déséquilibre significatif, et reprend à cet égard son argumentation consistant à soutenir que la société [U] l'avait soumise à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations réciproques.
Elle considère à cet égard que le taux de commissionnement, soit 15 %, est disproportionné avec les obligations de son cocontractant.
Pour autant, son allégation du caractère inhabituellement élevé d'un tel taux reste à l'état de pure pétition de principe, dès lors que l'intimée ne fournit aucun élément concret de nature à étayer sa position.
La société [U] démontre quant à elle qu'elle bénéficiait d'un taux de commission identique dans le cadre d'un contrat d'agent commercial souscrit le 15 novembre 2009 avec la société CBF International pour des prestations similaires.
De plus, il sera rappelé que le taux prévu au contrat initial n'était que de 10 %, et que c'est aux termes d'un avenant du 30 avril 2014 que ce taux a été progressivement augmenté pour atteindre 12 % à partir du 1er mai 2014, 13 % à partir du 1er mai 2015, 14 % à partir du 1er mai 2016 et 15 % à partir du 1er mai 2017. Le taux litigieux n'a donc été appliqué qu'à compter du 7ème mois précédant la résiliation du contrat. Surtout, cet avenant rappelle expressément que cette revalorisation progressive du taux est destinée à rétablir le commissionnement à un niveau considéré comme normal, le taux initial de 10 % étant qualifié de « préférentiel », comme ayant été fixé pour favoriser le redressement de la société [Adresse 3], en considération de la situation particulière qui était la sienne à l'époque, à savoir qu'elle avait fait l'objet d'un rachat dans le cadre d'une procédure collective.
En l'absence de caractérisation du déséquilibre significatif invoqué, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté ce chef de demande.
Sur les autres dispositions
Le jugement sera infirmé s'agissant des délais de paiement, qui n'étaient même pas sollicités, ainsi qu'en ce qui concerne les dépens.
La société [Adresse 3] sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à l'appelante la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu le 15 mai 2020 par le tribunal de commerce de Mâcon en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société [Adresse 3] au titre du déséquilibre significatif ;
Infirme le jugement déféré pour le surplus ;
Statuant à nouveau, et ajoutant :
Condamne la société [Adresse 3] à payer à la société [U] les sommes de :
- 103 478 euros au titre de l'indemnité compensatrice de fin de contrat :
- 12 936 euros au titre du préavis ;
Rejette la demande formée par la société [Adresse 3] au titre du remboursement de commissions indues ;
Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la société [Adresse 3] au titre des fautes commises durant le préavis ;
Condamne la société [Adresse 3] à payer à la société [U] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société [Adresse 3] aux entiers dépens de première instance et d'appel.