Cass. 3e civ., 24 novembre 2021, n° 20-15.814
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Andrich
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Boullez, SCP Boutet et Hourdeaux, SCP Gadiou et Chevallier
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 février 2020), la société Transaction et investissement, locataire principale de locaux situés en rez-de-chaussée et sous-sol d'un immeuble parisien appartenant à la société civile immobilière Alvernaise, a, depuis le 12 février 2011, sous- loué partiellement ces locaux, à la société Art Invest conseil devenue Art et indivisions contemporaines.
2. Des traces de salpêtre et des cloques d'humidité étant apparues sur les murs intérieurs, par lettre du 17 octobre 2012, la locataire a mis la bailleresse en demeure de remédier à l'insalubrité des locaux puis, le 5 juin 2014, elle lui a demandé de réaliser des travaux de remise en état des murs, et de réduire le montant du loyer depuis le mois d'octobre 2012, date à laquelle elle avait été avisée de la nécessité d'une intervention, et l'a assignée en réparation de son trouble de jouissance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, et sur le second moyen, pris en sa première branche, réunis
Enoncé des moyens
3. Par son premier moyen, la société Transaction et investissement fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en dommages et intérêts, en réalisation de travaux et en minoration de loyers, alors :
« 1°) qu'en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu, le bailleur ne peut s'exonérer par une clause du contrat de l'obligation de procéder à des travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble et de réparer les dommages en résultant pour le preneur ; qu'il résulte des constatations auxquelles le juge du second degré a procédé que l'immeuble s'est affaissé sous l'effet d'une résurgence accidentelle de la nappe phréatique, de sorte que la responsabilité du bailleur se trouvait engagée du fait des désordres affectant la structure de l'immeuble sans qu'il puisse se prévaloir d'une clause de non responsabilité ; qu'en affirmant le contraire « compte tenu de l'origine des désordres », la cour d'appel a violé les articles 1134, 1719 et 1720 du code civil, le premier dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
3°) que le manquement du bailleur à son obligation de délivrance engage sa responsabilité de plein droit, indépendamment de la preuve d'une faute ; qu'en relevant qu'aucune négligence ne peut être imputée au bailleur, la cour d'appel a violé les articles 1719 et 1720 du code civil. »
4. Par son second moyen, pris en sa première branche, cette société fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'article 1720 du code civil impose au bailleur de faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations autres que locatives qui peuvent devenir nécessaires, quelle que soit la cause de cette nécessité ; qu'en affirmant qu'aucun élément du dossier ne permet de déterminer l'origine de l'humidité, et par conséquent son imputabilité à un manquement du bailleur à son obligation d'assurer le clos et le couvert à la société locataire, la cour d'appel a déduit un motif inopérant, en violation de l'article 1720 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1719 et 1720 du code civil :
5. Selon ces textes, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, de délivrer au preneur la chose louée, en bon état de réparations de toute espèce, d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, d' y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives, et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
6. Il en résulte que, si le bailleur peut mettre à la charge du preneur, par une clause expresse du bail, certains travaux d'entretien ou de réparation, il ne peut, en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu de plein droit, s'exonérer, à l'occasion de conventions aménageant la répartition de la charge des réparations, de l'obligation de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble, et de réparer le trouble apporté à la jouissance paisible du locataire.
7. Pour rejeter les demandes de la locataire, l'arrêt, après avoir constaté que des écoulements d'eau provenant d'une résurgence accidentelle de nappe phréatique, apparus dans le deuxième sous-sol de l'immeuble en septembre 2012, ont entraîné un affouillement sous la fondation de celui-ci et un affaissement avec un risque d'effondrement, provoquant des fissures dans les parties communes et les parties privatives, et notamment dans le local commercial loué, retient, d'une part, que, compte tenu de l'origine des désordres qui n'étaient pas de nature à faire obstacle à l'exploitation du local, la bailleresse, à laquelle aucun défaut de diligence ne peut être reproché, est fondée à opposer à la locataire la clause de non responsabilité stipulée au bail, d'autre part, qu'aucun élément du dossier ne permet de déterminer l'origine, et en conséquence l'imputabilité, à un manquement du bailleur à son obligation d'assurer le clos et le couvert, de l'humidité, se manifestant par des cloquages avec traces de salpêtre et écaillement de peinture - sur deux des murs du WC, un mur du cagibi - et en plusieurs endroits de la salle de conférence, laquelle a été constatée uniquement dans le sous-sol intégralement donné en sous-location par la locataire, qui ne peut invoquer un trouble de jouissance personnel.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation :
9. Aucun des moyens soulevés contre l'arrêt attaqué ne formulant une critique contre ses motifs fondant la décision de déclarer irrecevable, d'une part, l'intervention volontaire de la société Art et indivisions contemporaines, d'autre part, l'intervention forcée du syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] et de la société Axa France IARD, la cassation ne peut s'étendre aux dispositions de l'arrêt qui ne sont pas dans un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable l'intervention volontaire de la société Art et indivisions contemporaines et irrecevable l'intervention forcée du syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2] et de la société Axa France IARD, l'arrêt rendu le 5 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet sur le surplus l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société civile immobilière Alvernaise aux dépens.