Cass. 3e civ., 15 décembre 2021, n° 20-14.423
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. David
Avocat général :
Mme Guilguet-Pauthe
Avocats :
SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Didier et Pinet
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-14.423 et 20-16.570 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 mars 2020), par acte des 16 et 23 mars 2010, la société civile immobilière du Bassin Nord (la SCI) a consenti à la société ADC, aux droits de laquelle se trouve la société AMC, un bail commercial sur un local situé au premier étage du centre commercial du Millénaire à Aubervilliers.
3. Le 3 juillet 2014, la société AMC a assigné la SCI en résiliation du bail et indemnisation de son préjudice résultant des manquements du bailleur à son obligation de délivrance et à ses engagements contractuels, en n'assurant pas une commercialité du centre permettant l'exploitation pérenne de son fonds.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° 20-14.423, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi n° 20-14.423, pris en sa septième branche
Enoncé du moyen
5. La société AMC fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail à ses torts, de condamner la SCI à lui verser la seule somme de 172 000 euros en réparation de la perte de chance par elle subie, de la condamner au paiement d'un arriéré locatif et de dire que le bailleur pourrait faire application de la clause 29 du bail pour le calcul des intérêts moratoires, alors « que même en l'absence de stipulation spéciale dans le bail, le bailleur d'un centre commercial est tenu, au titre de l'obligation de délivrance, de mettre en oeuvre les diligences raisonnables pour assurer un environnement commercial permettant au preneur d'exercer son activité dans des conditions normales ; qu'en retenant au contraire qu'à défaut de stipulations particulières du bail, le bailleur n'est pas tenu d'assurer la bonne commercialité du centre, la cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a exactement retenu que le bailleur d'un local situé dans un centre commercial dont il est propriétaire n'est, à défaut de stipulations particulières du bail, pas tenu d'assurer la bonne commercialité du centre.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi n° 20-16.570, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
8. La SCI fait grief à l'arrêt de dire que le bailleur a manqué à son engagement contractuel de délivrer un local dans un centre commercial haut de gamme présentant une décoration soignée et de la condamner à indemniser la société AMC d'une perte de chance, alors « qu'à défaut de stipulation particulière, le bailleur d'un local situé dans un centre commercial n'a aucune obligation légale quant à la nature ou aux caractéristiques du centre commercial, et notamment quant au respect d'un certain niveau qualitatif ; qu'en retenant dès lors que la SCI a manqué à son engagement contractuel de délivrer « un local dans un centre commercial de haut de gamme, avec des commerces d'une gamme élevée, avec une décoration soignée », cependant que le bail litigieux ne comportait aucune stipulation particulière à cet égard, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article 1719 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 1719 du même code :
9. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
10. Il résulte du second que le bailleur est obligé, par la nature même du contrat de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, sans être tenu, en l'absence de clause particulière, d'en assurer la commercialité.
11. Pour déduire l'existence à la charge du bailleur de l'obligation de délivrer à la société AMC un local dans un centre commercial de haut de gamme présentant une décoration soignée, l'arrêt retient qu'il résulte des articles 3 et 13 des conditions générales du bail, ainsi que de l'article 14 de ses conditions particulières, que les parties ont entendu tout mettre en oeuvre pour que le centre ait un positionnement différent des autres centres, non seulement en termes de qualité environnementale, mais également quant à l'architecture et à la décoration particulièrement soignée.
12. En statuant ainsi, après avoir relevé que les clauses précitées n'engendraient d'obligations qu'à la charge du preneur mais aucune obligation particulière à la charge du bailleur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la société civile immobilière du Bassin Nord a manqué à son engagement contractuel de délivrer un local dans un centre commercial haut de gamme présentant une décoration soignée, condamne la société civile immobilière du Bassin Nord à verser à la société AMC une somme de 172 000 euros en réparation de sa perte de chance, ordonne la compensation entre la créance de dommages-intérêts et la créance de loyers et charges à hauteur de la plus faible et condamne la société civile immobilière du Bassin Nord à payer à la société AMC la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 4 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société AMC aux dépens.