Cass. 3e civ., 12 janvier 2022, n° 21-11.169
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. David
Avocat général :
M. Sturlèse
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 novembre 2020), la société civile immobilière [Adresse 3], aux droits de laquelle se trouve la société Philippe Auguste a donné en location à la société Proxiserve des locaux à usage commercial.
2. Le contrat comporte une clause d'indexation annuelle du loyer stipulant que celle-ci ne s'appliquera qu'en cas de variation à la hausse de l'indice de référence.
3. La société Proxiserve a assigné la société Philippe Auguste en annulation de la clause d'indexation, restitution des sommes payées au titre de celle-ci et remboursement d'honoraires et de divers frais.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses troisième et cinquième branches, sur le second moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
5. La société Philippe Auguste fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Proxiserve la somme de 315 530,76 euros TTC au titre des sommes versées indûment selon indexation, avec intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2016, capitalisés, alors :
« 1°) que la stipulation, qui se borne à écarter l'application de la clause d'indexation en cas de baisse de l'indice sur lequel l'indexation est fondée, n'institue aucune prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision ; qu'en jugeant cependant, pour dire la clause d'indexation non écrite, qu'elle était contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 112-1 du code monétaire et financier, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé ;
2°) que la stipulation, qui se borne à écarter l'application de la clause d'indexation en cas de baisse de l'indice sur lequel l'indexation est fondée, ne fait pas échec aux dispositions de l'article L. 145-39 du code de commerce, lesquelles se bornent à prévoir une faculté de révision judiciaire du montant du loyer lorsque ce dernier se trouve, à raison du jeu de l'indexation, augmenté ou diminué de plus du quart ; qu'en jugeant cependant, pour dire la clause d'indexation non écrite, qu'elle contrevenait aux dispositions d'ordre public de l'article L. 145-39 du code de commerce puisqu'elle ne permet pas une diminution du loyer, quand il ne résulte pas de ce texte la prohibition des clauses écartant ou limitant le jeu de l'indexation en cas de baisse de l'indice, la cour d'appel a violé l'article L. 145-39 du code de commerce, ensemble et par fausse application, l'article L. 145-15 du même code. »
Réponse de la Cour
6. L'article L 145-15 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, qui a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L 145-37 à L 145-41 du code de commerce leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours lors de l'entrée en vigueur de cette loi.
7. Aux termes de l'article L 145-39 du code de commerce, dans sa rédaction applicable, par dérogation à l'article L 145-38, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire.
8. D'une part, le propre d'une clause d'échelle mobile est de faire varier à la hausse et à la baisse, de sorte que la clause figurant au bail et écartant toute réciprocité de variation, si elle ne crée pas la distorsion prohibée par l'article L 112-1 du code monétaire et financier, fausse le jeu normal de l'indexation.
9. D'autre part, la neutralisation des années de baisse de l'indice de référence a mathématiquement pour effet de modifier le délai d'atteinte du seuil de variation du quart, conditionnant la révision du loyer, tel qu'il résulterait de l'évolution réelle de l'indice.
10. Dès lors, la cour d'appel a exactement retenu que la clause d'indexation excluant toute réciprocité de la variation en prévoyant que l'indexation ne s'effectuerait que dans l'hypothèse d'une variation à la hausse contrevenait aux dispositions de l'article L 145-39 du code de commerce et devait être réputée non écrite par application de l'article L 145-15 du même code.
11.Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
12. La société Philippe Auguste fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que subsidiairement le caractère réputé non écrit de la clause d'indexation ayant déterminé le consentement du bailleur, et stipulant que celle-ci ne pourra entraîner une baisse du loyer, n'est pas encourue lorsqu'est possible la neutralisation de la seule stipulation illégale ; qu'en l'espèce, la clause d'indexation litigieuse précisait en son deuxième alinéa que le loyer ne pourrait pas varier à la baisse, tandis que le dernier alinéa précisait que la clause constituait une condition essentielle et déterminante dont la non application partielle ou totale pourrait autoriser le bailleur à demander la résiliation du bail ; qu'il en résultait que la stipulation interdisant la variation à la baisse pouvait être seule réputée non écrite, sans pour autant remettre en cause le principe de l'indexation du loyer, seule déterminante du consentement du bailleur à la conclusion du bail ; qu'en énonçant, pour dire non écrite la clause en son entier et par conséquent condamner le bailleur à restituer les sommes qu'il avait perçues au titre de l'indexation du loyer, que l'intention du bailleur était de faire de cette clause une condition essentielle de son consentement, conduisant à l'indivisibilité de ses termes et empêchant d'opérer un choix entre eux pour n'en conserver que certains, la cour d'appel a méconnu la volonté des parties, et violé l'article 1134, devenu 1103 du code civil, ensemble les articles L. 145-39 du code de commerce et L. 112-1 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
13. La société Proxiserve conteste la recevabilité du moyen, selon elle contraire à la position adoptée par la société Philippe Auguste devant les juges du fond.
14. Cependant dans ses écritures d'appel la société Philippe Auguste soutenait que la stipulation interdisant la variation à la baisse pouvait seule être réputée non écrite.
15. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L 145-39 du code de commerce :
16. En application de ce texte, est réputée non écrite toute clause d'indexation du loyer ne jouant qu'en cas de variation à la hausse de l'indice de référence.
17. Pour réputer la clause d'indexation non écrite en son entier, l'arrêt retient que l'intention du bailleur était d'en faire, sans distinction de ses différentes parties, une condition essentielle et déterminante de son consentement, toutes les stipulations de cette clause revêtant un caractère essentiel, conduisant à l'indivisibilité de celles-ci et empêchant d'opérer un choix entre elles pour n'en conserver que certaines.
18. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'indivisibilité, alors que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Philippe Auguste à payer à la société Proxiserve la somme de 262 942,30 euros HT, soit la somme de 315 530,76 euros TTC, au titre des sommes versées indûment selon indexation, avec intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2016 et ordonne la capitalisation des intérêts, l'arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Proxiserve aux dépens.