CA Rennes, 3e ch. com., 26 avril 2022, n° 21/03494
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Nicolas International (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet
Avocats :
Me Laudic-Baron, Me Tisseyre, Me Lahalle, Me Laugery
FAITS ET PROCÉDURE
La société Nicolas International et la société Joseph [F] sont toutes deux spécialisées dans le commerce des vins.
La première a son siège social dans l'Hérault, mais a ouvert un bureau permanent à Moscou en 2003.
La seconde est installée quant à elle dans le Maine-et-Loire.
Elles entretiennent de longue date des relations commerciales qui, toutefois, n'ont jamais donné lieu à aucun contrat écrit.
Jusqu'à la fin de l'année 2015, la société Joseph [F] a régulièrement versé à la société Nicolas International des commissions sur ses ventes réalisées en Russie, en particulier auprès d'un client important, la société Luding.
Par lettre du 9 octobre 2015, la société Joseph [F] a informé la société Nicolas International qu'en raison de difficultés rencontrées avec la société Luding, elle mettait fin à leur "collaboration" concernant ce client, proposant en revanche de la poursuivre concernant tous autres clients existants ou à venir.
Par lettre du 16 octobre 2015, la société Nicolas International a pris acte de cette rupture qui lui était imposée, se prévalant en conséquence d'un droit à indemnisation du préjudice qui allait en résulter pour elle, la société se prévalant en effet d'un contrat d'agent commercial.
La société Joseph [F] lui a alors répondu qu'elle contestait tout droit à indemnisation de la part de celle qu'elle ne considérait pas comme son agent commercial, mais tout au plus comme un apporteur d'affaires dépourvu de pouvoir de représentation et surtout de négociation.
En l'absence de règlement amiable, la société Nicolas International a finalement saisi le tribunal de commerce d'Angers d'une action indemnitaire.
Par jugement du 12 avril 2017, le tribunal, considérant que la société Nicolas International n'avait pas la qualité d'agent commercial de la société Joseph [F] :
- L'a déboutée de l'intégralité de ses demandes ;
- A également débouté la société Joseph [F] de sa demande d'indemnisation pour procédure abusive ;
- A condamné la société Nicolas International à payer à la société Joseph [F] une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- L'a enfin condamnée aux entiers dépens.
Sur saisine de la société Nicolas International, la cour d'appel d'Angers, par arrêt du 26 mars 2019 :
- A confirmé le jugement en toutes ses dispositions ;
- Y ajoutant, a condamné la société Nicolas International à payer à la société Joseph [F] une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- A condamné enfin la société Nicolas International aux dépens de la procédure d'appel, et dit qu'ils seraient recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Sur pourvoi de la société Nicolas International, la cour de cassation, statuant par arrêt du 12 mai 2021, a cassé et annulé l'arrêt du 26 mars 2019, et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Rennes.
La présente cour a été saisie par déclaration de la société Nicolas International reçue au greffe le 9 juin 2021.
L'appelante comme l'intimée ont notifié leurs dernières conclusions le 2 janvier 2022.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 3 janvier 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Nicolas International demande à la cour de :
Vu les articles L. 134-1 à L. 134-17 du code de commerce,
Vu les articles 202 et 287 du code de procédure civile,
Vu le contrat d'agence commerciale verbal,
- Recevoir la société Nicolas International en son appel, ainsi qu'en ses demandes, fins et conclusions ;
Y faisant droit,
- Réformer le jugement en ce qu'il a débouté la société Nicolas International de ses demandes ;
Statuant à nouveau,
- Juger que la relation contractuelle entre les parties constitue une relation d'agence commerciale réglementée par les articles L. 134-1 à L. 134-17 du code de commerce.
- Condamner la société Joseph [F] à payer à la société Nicolas International les sommes de :
* 17.900,82 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.
* 244.228,83 euros au titre de l'indemnité de rupture.
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Joseph [F] de sa demande en paiement d'une indemnité de 20.000 euros pour procédure abusive ;
- Condamner la société Joseph [F] à payer à la société Nicolas International la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens pour l'ensemble de la procédure, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au contraire, la société Joseph [F] demande à la cour de :
Vu les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce,
- Dire et juger la société Nicolas International irrecevable et en tout cas mal fondée en son appel et ses demandes, et au contraire la société Joseph [F] recevable et fondée en son appel incident ;
En conséquence,
A titre principal,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Nicolas International de l'intégralité de ses demandes, et en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens ;
- L'infirmer en ce qu'il a débouté la société Joseph [F] de sa demande indemnitaire ;
Statuant à nouveau sur ce point,
- Condamner la société Nicolas International à payer à la société Joseph [F] une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;
A titre subsidiaire, si la cour estimait devoir retenir l'existence d'un contrat d'agent commercial et retenir une rupture de ce contrat sans faute de l'agent ;
- Constater qu'il n'existe aucun préjudice, et débouter en conséquence la société Nicolas International de ses demandes ;
- Á supposer qu'il existe un préjudice, limiter l'indemnité susceptible de lui être allouée à la somme de 135.005,62 euros ;
En toute hypothèse,
- Condamner la société Nicolas International au paiement d'une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Nicolas International aux entiers dépens, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualification du contrat ayant présidé aux relations entre les deux sociétés :
L'existence de ces relations, anciennes et régulières, n'est pas contestée.
Au demeurant, elles sont établies depuis 2001 au moins (cf en ce sens un courrier du 12 mars 2008 par lequel le dirigeant de la société Joseph [F] a écrit à celui de la société Nicolas International : "Je souhaite que la confiance et la cordialité, qui ont présidé à nos relations commerciales depuis 2001, se poursuivent sous les mêmes auspices et pour le plus grand intérêt de chacun").
Par ailleurs, il est constant que ces relations se sont intensifiées depuis l'année 2003, époque à laquelle la société Nicolas International a ouvert un bureau permanent à Moscou.
A cet égard, il est indifférent, quant à la qualification revendiquée d'agent commercial, que ces relations n'aient jamais été formalisées par écrit, la preuve d'un tel contrat pouvant en effet être rapportée par tout moyen.
Aux termes de l'article L. 134-1 alinéa 1er du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.
Trois conditions sont donc nécessaires et suffisantes pour qu'une personne puisse revendiquer cette qualité :
- Elle doit avoir la qualité d'intermédiaire indépendant.
- Elle doit être liée de façon permanente à son commettant.
- Elle doit disposer du pouvoir de négocier la vente ou l'achat de marchandises ou de prestations de services pour le commettant, ou de négocier et conclure ces opérations au nom et pour le compte de celui-ci.
Interprétant l'article 1er paragraphe 2 de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986, la CJUE, dans son arrêt du 4 juin 2020 ("Trendsetteuse"), a dit pour droit que les tâches principales d'un agent commercial consistent à apporter de nouveaux clients au commettant et à développer les opérations avec les clients existants, et que l'accomplissement de ces tâches peut être assuré par l'agent commercial au moyen d'actions d'information et de conseil ainsi que de discussions, qui sont de nature à favoriser la conclusion de l'opération de vente des marchandises pour le compte du commettant, même si l'agent ne dispose pas de la faculté de modifier les prix desdites marchandises.
Il résulte de la généralité de ces termes qu'il n'est pas nécessaire de disposer de la faculté de modifier les conditions des contrats conclus par le commettant, notamment les conditions de prix, pour être agent commercial.
Ainsi les tâches principales d'un agent commercial consistent-elles à apporter de nouveaux clients à son commettant ainsi qu'à développer les opérations avec les clients existants, l'accomplissement de ces tâches pouvant être assuré par celui-ci au moyen d'actions d'information et de conseil ainsi que de discussions, toutes actions qui sont de nature à favoriser la conclusion d'opérations commerciales pour le compte du commettant, quand bien même l'agent ne disposerait pas de la faculté de modifier les prix des marchandises vendues.
Or, tel est bien le rôle qui a été dévolu à la société Nicolas International par la société Joseph [F], dès lors en effet :
- Qu'en dépit de ses affirmations, cette dernière ne produit aucune pièce tendant à établir que la société Luding, soit sa principale cliente pour le marché russe, était déjà la sienne avant que la société Nicolas International ne la lui présente au début des années 2000 ;
- Qu'au contraire, c'est à partir de l'ouverture du bureau moscovite de la société Nicolas International en 2003, que les ventes ont débuté entre la société Joseph [F] et la société Luding, ainsi qu'en témoignent les nombreux échanges électroniques entre les trois sociétés, dont le plus ancien versé aux débats date du 7 septembre 2004 ;
- Que depuis cette époque, la société Nicolas International n'a cessé de favoriser le développement de ces ventes pour le compte de sa commettante, la société Joseph [F], assurant notamment le renouvellement régulier des commandes de la société Luding de même que la renégociation des contrats auprès d'un client souvent prompt à discuter les prix, faire jouer la concurrence, différer ses commandes voire ses paiements, ou encore critiquer la qualité des produits vendus (cf en ce sens de nombreux échanges électroniques versés aux débats) ;
- Que c'est ainsi que pendant plus d'une dizaine d'années, soit une période qui témoigne de la permanence des relations ayant existé entre les deux entreprises, la société Joseph [F] a pu bénéficier des services d'un mandataire manifestement efficace puisqu'il l'a conservé, disposant d'une représentation permanente à Moscou ainsi que d'une relation très suivie avec ce client russe, qui a su se rendre indispensable pour le fidéliser et développer ses achats pour le grand bénéfice de sa commettante ;
- Qu'il en résulté une progression quasi-ininterrompue du chiffre d'affaires généré par les achats de la société Luding auprès de la société Joseph [F] par l'intermédiaire de la société International, au moins depuis 2005 jusqu'en 2014, ainsi qu'en témoigne la pièce n° 8 de l'intimée :
2,247 millions d'euros en 2005,
3,659 en 2006,
4,012 en 2007,
5,413 en 2008,
5,617 en 2009,
5,554 en 2010,
5,767 en 2011,
4,559 en 2012,
6,519 en 2013,
4,599 en 2014
et 0,793 en 2015, date à laquelle la société Joseph [F] a en effet décidé de ne plus commercer avec la société Luding ;
- Que si la société Joseph [F] a certes elle-même largement contribué à ces ventes, notamment en dépêchant régulièrement son dirigeant en Russie pour participer aux négociations, pour autant elle n'avait pas les moyens d'entretenir seule cette clientèle, ayant en effet besoin des services de la société Nicolas International pour la représenter, sinon quotidiennement, du moins très régulièrement auprès la société Luding ;
- Qu'il est d'ailleurs justifié de ce que, même en présence du dirigeant de la société Joseph [F], la société Nicolas International participait elle-même aux négociations, cette participation étant même indispensable voire déterminante de leur succès ; la société Joseph [F] l'a d'ailleurs reconnu, qui à l'occasion d'un message du 15 décembre 2007 adressé à ses deux partenaires à la suite de la renégociation des tarifs pour 2008, les a remerciées en ces termes : "Je te remercie du bon accueil que toute l'équipe de Luding, et toi-même en particulier, nous a réservé le 14 décembre. Je me félicite aussi de l'excellente atmosphère qui a régné dans nos discussions et cela malgré l'extrême importance que revêtaient ces négociations pour les sociétés Luding, [F] et Nicolas International. Nous sommes arrivés à un accord malgré l'exceptionnelle difficulté de la situation et je pense que toutes les parties ont fait preuve de sagesse et de sens de la responsabilité. Voici ce dont nous sommes convenus [etc]" (pièce n° 4 de l'intimée) ; de même, le 31 mars 2009, la société Joseph [F] a confirmé aux deux autres sociétés (Ludig et Nicolas International) 'les accords auxquels [elles avaient] abouti' ensemble (pièce n° 6), meilleure preuve de l'association de la société Nicolas International aux négociations ;
- Qu'il est encore justifié d'un véritable pouvoir de négociation parfois délégué à la société Nicolas International pour négocier au nom de la société Joseph [F] : il en va ainsi notamment de la pièce n° 16 de l'appelante qui consiste en un message adressé le 28 mars 2013 par la société Joseph [F] à la société Luding pour la remercier de l'entretien que celle-ci vient d'accorder au dirigeant de la société Nicolas International, à l'issue duquel les parties ont pu trouver « un accord définitif au sujet de la fourniture des vins J. [F] au titre de l'année 2013 » ;
- Que dans ces conditions, la société Nicolas International est fondée à se prévaloir de son rôle de négociateur pour le compte de sa mandante, la société Joseph [F], rôle parfois assumé seule, parfois "à deux voix", pour convenir des prix appliqués au client Luding ainsi que des volumes commandés par celui-ci ;
- Que c'est toujours dans l'exercice de ce pouvoir de représentation et de négociation, au sens de celui qui caractérise le contrat d'agent commercial, que la société Nicolas International a apporté de nouveaux clients à sa mandante, certes moins importants que le client principal Luding, en particulier les sociétés Ladoga, Nesco, Ring ou encore Matriza (cf les pièces n° 91, 92, 93 et 94 de l'appelante), de même qu'elle a régulièrement développé le volume des ventes réalisées avec le client historique et ce, en accomplissant toutes les actions d'information, de conseil et de discussion propres à favoriser la conclusion d'opérations commerciales pour le compte de sa mandante : discussions sur les modalités de paiement dans le contexte de l'effondrement du cours du rouble, service après-vente à la suite de plaintes de la société Luding sur la présence de dépôts indésirables dans une partie des bouteilles livrées etc.
Ainsi, il est établi que la mission dévolue à la société Nicolas International excédait la simple présentation des vins [F] sur le marché russe, ou encore celle d'apporteur d'affaires.
Au contraire, elle consistait en une véritable mission d'agent commercial au sens de celle définie à l'article L. 134-1 du code de commerce.
Toutes attestations contraires, émanant de personnes qui ont pu travailler avec ou pour le compte de la société Joseph [F], sont contredites par les éléments objectifs précités du dossier.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur la réalité de la résiliation du contrat d'agent commercial et sur l'imputabilité de celle-ci :
Il résulte de la lettre du 9 octobre 2015 adressée par la société Joseph [F] à la société Nicolas International que la mandante lui annonce avoir décidé de mettre fin à leur "collaboration" concernant le client Luding et ce, pour divers reproches adressés au client lui-même, notamment :
- Le défaut de retrait d'une partie des marchandises commandées.
- L'absence de paiements de certaines traites aux dates convenues.
- Le non-respect de certains de ses engagements (au demeurant, sans préciser lesquels).
- Le refus de l'assurance-crédit de la société Joseph [F] de garantir ce client.
- La fabrication par la société Luding de marchandises venant en concurrence avec les produits [F].
Aux termes de cette lettre, la société Joseph [F] informe toutefois la société Nicolas International qu'elle entend poursuivre leurs relations sur le marché russe concernant tous autres clients déjà existants ou à venir.
D'ailleurs, elle affirme aujourd'hui avoir continué à servir des commissions à la société Nicolas International, en particulier en mars et avril 2016, à hauteur d'une somme de 3.276 euros sur des ventes réalisées auprès d'un autre client, la société Ladoga.
Pour autant et à supposer même que ces relations se soient poursuivies pendant quelques mois encore, ne serait-ce que pendant les échanges précontentieux entre les parties, il n'en demeure pas moins que la société Joseph [F] ne conteste pas l'affirmation de la société Nicolas International selon laquelle les commissions versées sur les ventes Luding représentaient quelques 95 % du chiffre d'affaires de l'agent commercial.
Or, une réduction aussi drastique des commissions d'agence décidée unilatéralement par le mandant constitue une circonstance imputable à ce dernier, qui justifie que le mandataire puisse prendre acte de la rupture qui, de fait, lui est imposée.
A cet égard, il est indifférent que la cessation des ventes entre la société Joseph [F] et la société Luding ait été justifiée ou non.
La seule circonstance qu'elle ait une incidence, à tout le moins aussi déterminante qu'en l'espèce, sur le montant des commissions servies jusqu'alors à l'agent, justifie la prise d'acte d'une rupture, non pas aux torts de la société Joseph [F], mais néanmoins aux frais de celle-ci.
Par ailleurs, même si la société Joseph [F] laisse entendre, dans le dispositif de ses conclusions (cf "Si la cour estimait devoir retenir l'existence d'un contrat d'agent commercial et retenir une rupture de ce contrat sans faute de l'agent [etc]"), que la société Nicolas International aurait commis une faute à l'origine de la rupture, pour autant elle s'abstient de préciser laquelle.
C'est encore sans aucune preuve que la société Joseph [F] croit pouvoir dénoncer "l'attitude de la société Nicolas International" (page 33 de ses conclusions), ou encore "l'incurie" de celle-ci (page 34), dans laquelle elle prétend pouvoir « rechercher la baisse du volume du chiffre d'affaires, constante depuis 2010 à l'exception de l'année 2013 ».
Au demeurant, sa pièce n° 8, censée justifier de cette baisse, témoigne au contraire d'une croissance quasi-ininterrompue du CA, passé de 2,247 millions d'euros en 2005 à 6,519 millions en 2013, après un fléchissement à 4,559 millions en 2012 et avant une nouvelle baisse à 4,599 millions en 2014.
En toute hypothèse, l'effondrement du CA en 2015 (0,793 million d'euros) ne s'explique pas autrement que par la décision de la société Joseph [F] de ne plus commercer avec la société Luding.
Au demeurant et par application de l'article L. 134-13 du code de commerce, seule la faute "grave" de l'agent, en l'occurrence non démontrée, serait susceptible de le priver de son droit à indemnisation.
Or, force est de constater que jusqu'à la présente procédure, la société Joseph [F] n'a jamais adressé le moindre reproche à la société Nicolas International.
Dès lors, en l'absence de toute démonstration contraire de la part de la société Joseph [F], il convient de juger que la société Nicolas International a légitimement pris acte de la résiliation du contrat d'agent commercial qui lui était imposée par sa mandante et, par suite, qu'elle est fondée à réclamer l'indemnisation du préjudice qui en est résulté pour elle.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur l'indemnisation des préjudices subis par la société Nicolas International :
L'article L. 134-12 dispose en son premier alinéa qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L'indemnité de cessation de contrat a pour objet la réparation du préjudice qui résulte pour l'agent commercial de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune.
Pour réclamer le paiement d'une indemnité de 244.228,83 euros correspondant à deux années de commissions, la société Nicolas International se prévaut de celles qu'elle a perçues au cours des deux dernières années d'activité précédant la rupture, soit d'août 2013 à juillet 2015.
Au contraire, la société Joseph [F] prétend voir fixer le montant de l'indemnité de rupture sur la base des deux années civiles 2014 et 2015.
Il convient cependant d'observer que la période de référence préconisée par la société Joseph [F] n'est pas complètement représentative du préjudice subi par la société Nicolas International puisqu'elle est incomplète en ce qu'elle ne porte que sur 21 mois d'activité (la rupture ayant en effet été annoncée par lettre du 9 octobre 2015).
Il est donc plus logique, pour apprécier la réalité du préjudice subi par la société Nicolas International du fait de la résiliation de son contrat d'agence, de se référer à la période d'octobre 2013 à octobre 2015 au titre de laquelle l'agent justifie avoir perçu des commissions pour une somme totale hors taxes de 176.095,34 euros ainsi qu'il résulte de ses pièces n° 1, 86 et 87.
En conséquence et afin de réparer le préjudice subi par l'agent du fait de la perte pour l'avenir des commissions qu'il pouvait espérer de la poursuite de l'exploitation d'une clientèle commune qui avait déjà largement diminué ses commandes avant même la résiliation du contrat d'agence, il convient de lui allouer une indemnité d'un montant de 135.000 euros.
La société Nicolas International est également fondée à réclamer le paiement d'une indemnité de préavis conforme à celle prévue à l'article L. 134-11, en l'occurrence d'une durée de trois mois eu égard à l'ancienneté du contrat.
Ainsi et sur la même base de référence que pour l'indemnité de rupture, il convient d'accorder à la société Nicolas International une indemnité de préavis d'un montant de 16.875 euros (135.000 / 24 X 3).
Le jugement sera infirmé en ce sens, et la société Nicolas International déboutée du surplus de ses demandes.
Sur les autres demandes :
Les réclamations de la société Nicolas International ne présentant pas un caractère abusif, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Joseph [F] de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts.
Partie perdante, la société Joseph [F] sera condamnée à payer à la société Nicolas International une somme de 9.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Enfin, la société Joseph [F] supportera les entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
- Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Joseph [F] de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;
- L'infirmant pour le surplus de ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant:
* Juge que la société Joseph [F] et la société Nicolas International étaient liées par un contrat d'agence commerciale.
* Juge que la rupture de ce contrat est imputable à la seule société Joseph [F].
* Condamne en conséquence la société Joseph [F] à payer à la société Nicolas International une somme de 135.000 euros à titre d'indemnité de rupture et une somme de 16.875 euros à titre d'indemnité de préavis.
* Déboute la société Nicolas International du surplus de ses demandes indemnitaires.
* Condamne la société Joseph [F] à payer à la société Nicolas International une somme de 9.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
* Condamne la société Joseph [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.