CA Rouen, ch. civ. et com., 28 avril 2022, n° 20/03994
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Distribution Casino France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Foucher-Gros
Conseillers :
M. Manhes, M. Urbano
Avocats :
Me Gacouin , Me Mosquet , Me Semoun , Me Morel
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
Par ordonnance du 10 septembre 2013, le juge commissaire désigné dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Eudis, a autorisé Maître [P] en sa qualité de liquidateur, a céder à M. [K] et Mme [Y] le fonds de commerce situé [Adresse 3] dépendant de l'actif de la société Eudis moyennant un prix de 40.000 €, à raison de 30.000 € réglé comptant et le solde de 10.000 € réglable en 18 échéances.
L'acte de cession du fonds de commerce entre la société Eudis, représentée par son liquidateur, et la Sarl Euspar, en cours de formation prise en la personne de ses associés fondateurs, M. [K] et Mme [Y], a finalement été signé le 2 juin 2014.
Par acte du 5 juin 2014, la SCI Nadire propriétaire des murs du fonds de commerce et associé à hauteur de 10 % du capital social de la société Euspar, a renouvelé au profit de cette dernière le bail commercial relatif à ce fonds, moyennant un loyer annuel porté à 77.000 € HT.
Parallèlement, la Sci Nadire a consenti à la société Euspar, le 23 mai 2014, une avance en compte courant de 200.000 € pour une durée de 7 ans, remboursable par mensualités de 2.865,44 €.
Par actes distincts du 15 septembre 2014, M. [K] et Mme [Y] se sont chacun porté caution solidaire pour toutes sommes restant à devoir au titre de la convention de compte courant, dans la limite de 195.000 €.
M. [K] et Mme [Y] ayant précédemment exploité pendant plusieurs années des superettes aux enseignes du Groupe Casino, la société Euspar a postulé pour devenir franchisée de la société Distribution Casino France.
Cette dernière leur a remis le 31 juillet 2014, le projet de franchise pour l'enseigne Spar ainsi que le document d'informations précontractuelles prévu par les articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce.
Le 6 septembre 2014, la société Euspar et la société Distribution Casino France ont signé un contrat de franchise Spar pour une durée de 7 ans.
Par jugement du 8 juillet 2016, le tribunal de commerce de Dieppe a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Euspar.
Par courrier du 9 septembre 2016, la société Distribution Casino France a déclaré au passif de la société Euspar une créance de 211.322,84 €.
Par acte du 31 mai 2018, M. [K] et Mme [Y] ont assigné la société Distribution Casino France devant le tribunal de commerce de Dieppe pour obtenir sa condamnation à leur verser à chacun des dommages et intérêts tant pour leur préjudice matériel et financier que pour leur préjudice moral et pour la voir condamner à les garantir de toutes sommes résultant de la mise en œuvre de leur engagement de caution solidaire auprès de la Sci Nadire.
Par jugement du 9 octobre 2020, le tribunal de commerce de terre et de mer de Dieppe a :
- Débouté M. [K] et Mme [Y] de l'ensemble de leurs demandes et prétentions à l'encontre de la société Distribution Casino France.
- Débouté la société Distribution Casino France de sa demande faite au titre de la procédure abusive.
- Condamné in solidum M. [K] et Mme [Y] à payer à la société Distribution Casino France la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamné in solidum M. [K] et Mme [Y] aux entiers dépens de l'instance liquidés pour frais de greffe à la somme de 84,48 € dont TVA à 20 %.
- Condamné M. [K] et Mme [Y] à payer à la société Distribution Casino France en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, une indemnité équivalente au droit proportionnel mis à la charge du créancier par l'huissier instrumentaire au titre de l'article 10 du décret 2001-212 du 8 mars 2001.
M. [K] et Mme [Y] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 4 décembre 2020.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2022.
Lors de l'audience qui s'est tenue le 24 février 2022, la cour a demandé aux parties de lui transmettre en cours de délibéré une note sur la qualification juridique du préjudice invoqué.
Le conseil de M. [K] et Mme [Y] a transmis ses observations le 4 mars 2022 et le conseil de la société Distribution Casino France en a fait de même le 21 mars suivant.
EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES :
Vu les conclusions du 7 février 2022, de Mme [Y] et de M. [K] qui demandent à la cour de :
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Dieppe du 09 octobre 2020 en ce qu'il :
A débouté M. [K] et Mme [Y] de l'ensemble de leurs demandes et prétentions à l'encontre de la société Distribution Casino France, les a condamné in solidum à payer à la société Distribution Casino France une somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, ainsi qu'à lui payer en cas d'exécution forcée de la décision au paiement d'une indemnité équivalente au droit proportionnel.
Statuant à nouveau :
- Condamner la société Distribution Casino France à payer à Mme [Y] la somme de 52.500,72 € au titre de son préjudice matériel et financier résultant de la faute commise par la société Distribution Casino France en sa qualité de franchiseur dans le cadre du projet de contrat de franchise consenti à la société Euspar.
- Condamner la société Distribution Casino France à payer à M. [K] la somme de 54.046,33 € au titre de son préjudice matériel et financier résultant de la faute commise par la société Distribution Casino France en sa qualité de franchiseur dans le cadre du projet de contrat de franchise consenti à la société Euspar.
- Condamner la société Distribution Casino France à payer à M. [K] et à Mme [Y] 20.000 € chacun en réparation de leur préjudice moral résultant de la faute commise par la société Distribution Casino France en sa qualité de franchiseur dans le cadre du projet de contrat de franchise consenti à la société Euspar.
- Condamner la société Distribution Casino France à garantir Mme [Y] et M. [K] de toutes sommes résultant de la mise en œuvre de leur engagement de caution solidaire auprès de la SCI Nadire.
- Condamner la société Distribution Casino France à payer à Mme [Y] et à M. [K] la somme de 5.000 € soit 2.500 € chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner la société Distribution Casino France en tous les dépens de première instance et d'appel.
Vu les conclusions du 25 mai 2021, de la SAS Distribution Casino France qui demande à la cour de :
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Dieppe en date du 9 octobre 2020 en ce qu'il a :
- Débouté M.[K] et Mme [Y] de l'ensemble de leurs demandes et prétentions à l'encontre de la société Distribution Casino France.
Les a condamnés in solidum à payer à la société Distribution Casino France une somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, ainsi qu'à lui payer en cas d'exécution forcée de la décision au paiement d'une indemnité équivalente au droit proportionnel.
- Réformer ledit jugement en ce qu'il a débouté la société Distribution Casino France de sa demande pour procédure abusive.
- Et statuant à nouveau sur ce seul point, condamner M. [K] et Mme [Y] à payer à la société Distribution Casino France la somme de 10.000 € pour procédure abusive.
En tout état de cause,
- Constater que :
Durant toute la phase contractuelle, ni la société Euspar ni M. [K] ou Mme [Y] n'ont jamais "changé" (SIC) à émettre le moindre grief que ce soit à l'encontre de la société Distribution Casino France,pas plus que le liquidateur à l'occasion de la procédure collective ayant frappée cette société.
- Constater que se sont M. [K] et Mme [Y] qui sont à l'origine de l'implantation d'un magasin à l'enseigne SPAR du Groupe Casino à [Localité 4].
- Constater que se sont M. [K] et Mme [Y] qui ont sollicité la société Distribution Casino France pour participer à ce projet.
- Constater qu'il s'est déroulé un délai d'un an entre l'acquisition du fonds de commerce de la société Euspar le 10 septembre 2013 et la signature du contrat de franchise le 6 septembre 2014.
- Constater que M. [K] et Mme [Y] ne justifient jamais du montant exact des travaux « d'installation » / « aménagement » qu'ils affirment avoir été effectués par la société Euspar.
- Constater que la société Distribution Casino France a fourni une information loyale et sincère sur lesdits couts « d'installation » / « aménagement » à l'occasion de la remise du document d'information précontractuel.
- Constater la remise du document d'information précontractuel le 31 juillet 2014 était conformé aux prescriptions des articles L. 330-1 et R. 330-3 du code de commerce.
- Dire que le simple fait que la société Euspar n'ait pas atteint les chiffres mentionnés dans le compte d'exploitation prévisionnel est notoirement insuffisant à constituer une faute ou à matérialiser une faute de la société Distribution Casino France.
- Dire et juger que la société Distribution Casino France n'a commis aucune faute de nature délictuelle.
- Constater que les appelants dans leurs conclusions d'appel reconnaissent que le préjudice correspondant à leurs engagements de caution est « pour l'instant hypothétique ». Et qu'il s'agit là d'un aveu judiciaire au sens de l'article 1356 ancien du code civil, désormais 1382-3 du code civil, ni modifiable, ni rétractable.
En conséquence :
- Débouter M. [K] et Mme [Y] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions.
A titre reconventionnel :
- Condamner M. [K] et Mme [Y] à payer à la société Distribution Casino France la somme de 10.000 € pour procédure abusive.
En tout état de cause :
- Condamner M. [K] et Mme [Y] in solidum à payer à la société Distribution Casino France la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
- Condamner M. [K] et Mme [Y] à payer à la société Distribution Casino France, en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, au paiement d'une indemnité équivalente au droit proportionnel mis à la charge du créancier par l'Huissier instrumentaire au titre de l'article 10 du décret 2001-212 du 8 mars 2001.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément à la décision critiquée et aux dernières écritures des parties.
MOTIVATION DE LA DECISION :
Le litige soumis à la cour est celui de la responsabilité du franchiseur à l'égard des associés de la société franchisée.
Sur la faute reprochée au franchiseur :
Moyens des parties :
Les appelants soutiennent que :
* L'argumentation selon laquelle ils n'auraient pas formulés de griefs à l'encontre de la société Distribution Casino France pendant l'exécution du contrat ne peut prospérer dès lors qu'il se sont ouverts à de multiples reprises auprès du franchiseur des difficultés rencontrées dès le début de l'exploitation, et qu'espérant pouvoir sauver leur commerce, ils se sont attachés à solliciter toutes les aides possibles plutôt que d'entrer en conflit ouvert avec lui.
* La société Distribution Casino France a engagé sa responsabilité à leur égard :
- En manquant à son devoir d'information dans le document précontractuel :
1° Les frais d'installation, agencement, matériel et équipement ayant été évalués à 188.000 € alors que le montant des travaux s'est élevé à la somme de 354.264,19 €.
2° Le chiffre d'affaires prévisionnel de la première année ayant été évalué à la somme totalement irréaliste de 1.300.000 €, alors que le chiffre d'affaires effectivement réalisé s'est élevé à seulement 585.000 €.
- En manquant à son obligation d'assistance.
La société Distribution Casino France réplique que :
* Elle n'a jamais prétendu que l'action de M. [K] et Mme [Y] était prescrite mais a seulement souligné que le fait qu'ils n'aient jamais formulé le moindre grief pendant tout le temps de leurs relations contractuelles et que le liquidateur de la société Euspar, Maître [P], n'ait ni ne remis en cause le document d'information précontractuelle, ni engagé sa responsabilité, démontre que les griefs avancés dans le cadre de la présente procédure sont infondés.
* Elle n'a commis aucune faute génératrice de responsabilité dans la phase précontractuelle dès lors que :
- Dans le document précontractuel les travaux étaient évalués au total à 274.000 € et M. [K] et Mme [Y] ne justifient pas qu'ils leur ont en réalité coûté 354.264,19 €.
- Le compte d'exploitation prévisionnel remis à la société Euspar repose sur une méthodologie sérieuse, objective et non fantaisiste, l'existence d'un écart même important entre le document prévisionnel et le chiffre effectivement réalisé ne pouvant consacrer une faute de sa part.
Réponse de la cour :
L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La responsabilité délictuelle suppose la réunion de trois conditions, une faute, un dommage et un lien de causalité entre les deux.
En application des dispositions de l'article L. 330-3 du code de commerce, toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature du contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause. Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités. Ce document ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimums avant la signature du contrat.
L'article R. 330-1 du même code précise que ce document d'information précontractuel doit contenir notamment :
- La date de la création de l'entreprise avec un rappel des principales étapes de son évolution, y compris celle du réseau d'exploitants, ainsi que toutes indications permettant d'apprécier l'expérience professionnelle acquise par l'exploitant ou par les dirigeants, informations qui peuvent ne porter que sur les cinq dernières années précédant celle de la remise du document; celui-ci doit être complété par une présentation de l'état général et local du marché des produits devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; les comptes annuels des deux derniers exercices doivent être annexés.
- Une présentation du réseau d'exploitants comportant notamment :
a) La liste des entreprises qui en font partie avec l'indication pour chacune d'elles du mode d'exploitation convenu.
b) L'adresse des entreprises établies en France avec lesquelles la personne qui propose le contrat est liée par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, la date de conclusion ou de renouvellement de ces contrats étant précisée.
c) Le nombre d'entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du document, le document précisant si le contrat est venu à expiration ou s'il a été résilié ou annulé.
d) S'il y a lieu, la présence dans la zone d'activité de l'implantation prévue par le contrat proposé, de tout établissement dans lequel sont offerts, avec l'accord exprès de la personne qui propose le contrat, les produits ou services faisant l'objet de celui-ci.
- L'indication de la durée du contrat proposé, des conditions de renouvellement, de résiliation et de cession, ainsi que le champ des exclusivités.
- La nature et le montant des dépenses et investissement spécifiques à l'enseigne ou à la marque que la personne destinataire du projet de contrat engage avant de commencer l'exploitation.
Si le franchiseur a l'obligation de fournir au franchisé une présentation sincère et précise de l'état du marché général et local, il n'en demeure pas moins que la liste figurant à l'article L. 330-1 est d'interprétation stricte et qu'il n'appartient pas au franchiseur de se substituer au candidat pour l'appréciation du risque de l'entreprise en effectuant à sa place une étude de marché pour l'informer de la clientèle potentielle qui demeure propre à son fonds de commerce ou d'effectuer à sa place une étude de faisabilité.
En l'espèce, il incombe à M. [K] et Mme [Y] qui recherchent la responsabilité délictuelle de la société Distribution Casino France d'établir que cette dernière a commis une faute.
En premier lieu, la société Distribution Casino France ne soulevant pas la presciption de l'action, il ne peut être tiré aucune conséquence juridique du fait que M. [K] et Mme [Y] ont attendu la présente procédure pour lui reprocher d'avoir commis une faute engageant sa responsabilité à leur égard.
De même, aucune conséquence juridique ne peut être tirée du fait que le liquidateur de la société Euspar n'a pas engagé sa responsabilité contractuelle.
En deuxième lieu, la société Distribution Casino France a remis le 31 juillet 2014 à la société Euspar un document d'informations précontractuelles qui, au titre des charges, détaillent les dépenses et investissements à engager avant le commencement d'exploitation :
1. Montant des identifiants du concept SPAR : 86 000 €
2. Montant des frais d'installation, agencement, matériel et équipement : 188 000 €
3. Garanties :
Nantissement sur le fonds de commerce à hauteur de 132 000 €
Dépôt de garantie : Versement initial de 8 000 € et mensualités de 1 004 €
4. Redevances :
Redevance enseigne : 0,80 %
Redevance publicité : 0,40 %
5. Stock initial : (estimation du franchiseur, le franchisé étant seul responsable de la gestion de son commerce) 82 000 €
Les montants fluctuent en fonction des points de vente concernés.
Les appelants ne remettent pas en cause le montant des garanties, des redevances et du stock initial tel que prévu dans ce document précontractuel mais soutiennent que le montant total des travaux a été évalué à 188.000 €, la somme de 88.000 € au titre du concept Spar étant distincte et ne s'intégrant pas dans ce chiffrage.
Il sera, tout d'abord, observé qu'il est expressément précisé à l'acte que les montants peuvent fluctuer en fonction des points de vente.
En outre, si le montant des identifiants du concept Spar et le montant des frais d'installation, agencement, matériel et équipement font effectivement l'objet d'une évaluation distincte, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit de deux postes complémentaires qui s'additionnent puisqu'il s'agit dans les deux cas d'équipements de mise en conformité du point de vente avec le concept Spar.
Ainsi et nonobstant les dénégations de M. [K] et Mme [Y], le document d'informations précontractuelles vise donc un montant prévisionnel total de 274.000 € au titre des frais d'installation à engager avant le commencement d'exploitation.
Ce montant est d'ailleurs à rapprocher du projet prévisionnel comptable également remis à M. [K] et Mme [Y] par le franchiseur qui mentionne au titre des besoins de financement les sommes de 56.550 € pour les frais de 1er établissement et de 188.290 € pour les éléments corporels, soit un total de 244.840 €, tout en précisant que ce document non contractuel a été élaboré avec les éléments communiqués par l'exploitant.
Par ailleurs, M. [K] et Mme [Y], qui prétendent avoir effectué des travaux pour un total de 354.264,19 €, ne produisent pas l'intégralité des factures justificatives mais seulement les factures qui correspondent, selon eux, aux travaux qui n'avaient pas été prévus pour un montant total de 118.657,16 €. Ces seules factures ne permettent pas de justifier du montant total des travaux.
Il ressort du bilan de la société Euspar pour l'exercice 2015, que le montant des travaux réalisés est très inférieur à leurs allégations et correspond, tout au contraire, aux prévisions du document précontractuel puisqu'il est fait état d'immobilisations corporelles au 31 décembre 2014 pour un montant total de 272.094 € (hors achat du fonds pour 40.000 €), soit :
- 233.110 € au titre des constructions.
- 26.007 € au titre des installations techniques, matériels et outillage.
- 12.977 € au titre des autres immobilisations corporelles.
(Pièce 10, page 5, M. [K] et Mme [Y]).
L'attestation établie par Fiducial, expert-comptable de la société Euspar le 3 avril 2019, ne vient pas contredire ces chiffres, étant observé que Fiducial retient que le besoin de financement dans le document précontractuel était évalué à 298.540 € en y comptabilisant le prix d'achat du fonds et qu'elle relève qu'au 31 décembre 2014 les besoins ont été de 328.930 €, dans lesquels elle comptabilise des postes qui ne sont pas relatifs aux travaux, tels que le fonds commercial à hauteur de 24.425 € et des immobilisations financières pour 35.457 €.
La seconde attestation établie par Fiducial le 14 mai 2019 aux termes de laquelle elle atteste seulement que les dépenses de la société "ont été de 178.780,83 € avant même que la société n'ouvre le magasin" n'est pas plus probante, dès lors qu'il n'est pas indiqué que ce chiffre correspondrait à un dépassement au titre des travaux et que les annexes jointes ne détaillent pas les frais relatifs aux travaux.
M. [K] et Mme [Y] échouent donc à rapporter la preuve que la société Distribution Casino France a commis une faute dans son évaluation des travaux d'aménagement du fonds.
En troisième lieu, il convient de rappeler que le seul caractère trop optimise des comptes prévisionnels ne peut suffire à caractériser une faute du franchiseur, une activité commerciale étant par essence sujette à des aléas et son succès également fonction de celui qui l'exerce. La responsabilité du franchiseur ne peut donc être retenue que s'il est démontré que les comptes prévisionnels, transmis à titre purement indicatifs, sont grossièrement erronés ou manifestement irréalistes.
En l'espèce, la société Distribution Casino France a remis à la société Euspar le 31 juillet 2014 un compte d'exploitation prévisionnel qui comporte 17 pages dont chacune mentionne qu'il s'agit d'un document non contractuel élaboré avec les éléments communiqués par l'exploitant.
Il sera relevé que le montant du loyer communiqué par la société Euspar au franchiseur est nettement sous-évalué, le prévisionnel faisant état d'un loyer annuel hors taxe de 34.100 € alors que le contrat de bail commercial produit par les appelants vise un loyer annuel hors taxe de 77.000 €, soit de plus du double. Cette sous-évaluation, qui n'est pas imputable au franchiseur mais au seul franchisé, a nécessairement impacté le résultat d'exercice.
Il convient, en outre, de constater que le compte d'exploitation prévisionnel est très complet, puisqu'il détaille le mode d'exploitation, la situation locative, la situation contractuelle et financière, le montage du projet évalué poste par poste, le chiffre d'affaires prévisionnel, qui contient notamment un tableau des ristournes prévisionnelles accordées au franchisé sur les 3 années à venir, le détail de la marge prévisionnelle poste par poste sur les 3 années à venir, la liste des emprunts nouveaux, le plan de paiement du stock, le détail du financement du projet, l'évaluation du besoin en fonds de roulement, le calcul de l'encours et du risque du franchiseur, le pourcentage des achats et charges externes poste par poste, le détail des impôts, taxes et autres charges, le détail des frais de personnel, le détail des charges externes, et des frais financiers, le détail des locations et crédits bail de matériel mais également d'immobilier et charges locatives, le compte de résultat prévisionnel global, le plan de trésorerie et le rapprochement du plan de trésorerie et du compte de résultat prévisionnel.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, la comparaison de ce prévisionnel avec les éléments contenus dans le document précontractuel relatifs à l'état général du marché, confirme le sérieux de la méthode utilisée par le franchiseur.
Dans le document précontractuel, le franchiseur détaille en effet en reprenant les chiffres de l'INSEE, la zone de chalandise, la carte de la population sur la zone, les indicateurs sociodémographiques de la zone, ainsi que la liste détaillée des concurrents, ce qui lui permet de déterminer le nombre de ménages de la zone, d'évaluer les dépenses alimentaires de ces ménages ainsi que les dépenses susceptibles d'être réalisées dans le nouveau fonds de commerce. Ces chiffres ne sont, au demeurant, pas contestés par les appelants.
Il n'est pas plus contesté qu'il s'agit de la méthode d'étude d'emplacement d'une épicerie de proximité habituellement utilisée par le franchiseur, méthode qui a fait ses preuves, comme le démontre notamment le peu d'établissements ayant quittés la franchise en 2013, ainsi que les articles de la presse professionnelle qui soulignent que le groupe Casino est le champion de la proximité urbaine.
Il sera, au surplus, observé qu'il est bien précisé dans ce document précontractuel que cette présentation donne une vision globale de la distribution alimentaire et que le franchisé « reconnaît en avoir eu connaissance et avoir fait les démarches complémentaires nécessaires pour corroborer ces informations ou en obtenir des précisions sur les points qui le mériteraient, en faisant notamment appel à tout expert de son choix. » (Annexe 4)
Il sera, enfin, rappelé que M. [K] et Mme [Y] connaissent parfaitement ce secteur d'activité mais également le groupe Casino et ses enseignes puisqu'ils ont exploités pendant plusieurs années des supérettes aux enseignes du groupe. Au surplus, ils ont, eu largement le temps d'évaluer la pertinence de leur projet en se faisant accompagner des professionnels de leur choix, puisqu’ils ont acquis le fonds à la barre du tribunal de commerce le 10 septembre 2013, que le document précontractuel et le prévisionnel comptable leur ont été remis le 31 juillet 2014 et qu'ils n'ont finalement signé le contrat de franchise que le 6 septembre 2014.
M. [K] et Mme [Y] échouent donc à rapporter la preuve du caractère irréaliste du prévisionnel.
En quatrième lieu, si M. [K] et Mme [Y] reprochent au franchiseur d'avoir manqué à son obligation d'assistance en ne permettant pas à la société Euspar d'avoir un assortiment de marchandises en adéquation avec sa zone de chalandise et en l'enserrant dans un système de prise de commande trop rigide, ils ne produisent cependant aucun élément de nature à démontrer qu'ils auraient vainement sollicités le franchiseur pour obtenir de telles marchandises et qu'ils se seraient heurtés à un refus de sa part.
Le manquement à l'obligation d'assistance n'est donc pas non plus établi.
En considération de l'ensemble de ces éléments et à défaut pour M. [K] et Mme [Y] de rapporter la preuve que la société Distribution Casino France aurait commis une quelconque faute susceptible d'engager sa responsabilité à leur égard, la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle les a déboutés de leur demande d'indemnisation.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive :
Moyen des parties :
Le franchiseur reproche aux appelants d'avoir abusé de la procédure en cherchant à lui faire supporter l'échec de leur projet.
Réponse de la cour :
La SAS Distribution Casino France ne démontre pas que les consorts [Y]-[K] ont agi en justice avec une intention de lui nuire. Elle ne caractérise pas la faute ayant fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice de M. [K] et Mme [Y]. La décision entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande.
En application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile la cour ne statue pas sur les prétentions qui ne sont pas énoncées au dispositif des conclusions. La demande figurant dans les développements des conclusions de la société Distribution Casino France, tendant à la condamnation des consorts [Y]-[K] au paiement d'une amende civile n'étant pas reprise au dispositif de ses conclusions, il ne sera pas statué sur ce point.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement par arrêt rendu contradictoirement ;
Confirmes-en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 octobre 2020 par de tribunal de commerce de terre et de mer de Dieppe ;
Y ajoutant,
Condamne M. [K] et Mme [Y] aux dépens d'appel, sans que ceux-ci soient entendus être par avance la totalité des frais d'exécution ;
Condamne M. [K] et Mme [Y] à payer à la société Distribution Casino France une somme de 1.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.