CA Douai, 3e ch., 28 avril 2022, n° 19/03030
DOUAI
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Axa France Iard (SA), Ceram Concept France (SARL), Société Ceram Concept llc USA (Sté), Alliance (Selas)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Salomon
Conseillers :
Bertin, Mme Thébaud
EXPOSE DU LITIGE
M. [V] [P], assuré auprès de la Mutualité sociale agricole, a subi en octobre 2009 l'implantation par M. [R], exerçant au sein de l'institut Calot, aux droits duquel vient la Fondation Hopale, d'une prothèse totale de hanche droite pour traiter une coxarthrose.
L'importateur de cette prothèse, la Sarl Ceram concept, assurée auprès de la société Axa France Iard, a été judiciairement liquidée.
Le 2 juin 2010, la prothèse s'est rompue sur le lieu de travail de M. [P], de sorte que ce dernier a été à nouveau opéré pour implanter une nouvelle prothèse.
Dans son rapport d'expertise ordonnée par le juge des référés, M. [O] a conclu le 16 septembre 2013 que la rupture de la prothèse peut mettre en cause le fabricant et a procédé à une évaluation des préjudices corporels subis par M. [P].
Par jugement du 16 avril 2019, le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer a :
1 Débouté M. [P] de ses demandes tendant à la condamnation in solidum de la Fondation Hopale et de la société Ceram Concept France à lui payer la somme de 63 780,07 euros au titre de la réparation de son préjudice lié à la rupture de sa prothèse le 2 juin 2010 ;
2 Débouté la Mutualité sociale agricole de ses demandes tendant à la condamnation solidaire de la Fondation Hopale et de la société Ceram Concept France à lui payer la somme de 148 131,53 euros qu'elle a été contrainte de verser à M. [P] suite à la rupture de sa prothèse le 2 juin 2010 ;
3 Condamné M. [P] à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 1 200 euros à la Fondation Hopale et la somme de 1 500 euros à la société Ceram Concept France ;
4 Débouté la Mutualité sociale agricole de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile. 5 Condamnés M. [P] aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Troin.
Par déclaration du 28 mai 2019, M. [P] a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement. 1, 3 et 5 ci- dessus.
Par ordonnance du 17 septembre 2020, le conseiller de la mise en état a ordonné un complément d'expertise médicale. L'expert [O] a déposé son rapport le 2 janvier 2021, dans lequel il exclut toute faute imputable à la Fondation Hopale pour considérer que l'origine du dommage subi par M. [P] résulte exclusivement d'une rupture d'origine métallurgique de la prothèse, produit de santé défectueux.
Par ordonnance du 20 mai 2021, le conseiller de la mise en état a enfin constaté le désistement d'appel de M. [P]à l'encontre de la Fondation Hopale exclusivement.
Le 15 juin 2021, la société Ceram concept Llc a été assignée en intervention forcée par la société Axa France Iard.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 10 août 2021, M. [P], appelant principal, demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris des chefs visés par sa déclaration d'appel et, statuant à nouveau, de :
- Constater son désistement à l'égard de la Fondation Hopale ;
- Déclarer recevable et bien fondée la mise en cause de la société d'assurance Axa assureur de Céram concept.
- Déclarer la société Ceram Concept France entièrement responsable des conséquences de la rupture de la prothèse de la hanche survenu le 2 juin 2010.
- Fixer sa créance à l'encontre de Ceram Concept à 63 780,07 euros.
- Condamner la société Axa France à lui payer la somme de 63 780,07 euros avec intérêt à compter de l'arrêt à intervenir.
- Débouter Axa de ses prétentions.
- Débouter les parties de leurs demandes, fins et conclusions à son encontre, notamment les demandes au titre des dispositions de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, M. [P] fait valoir que :
- La Fondation Hopale n'a pas communiqué les coordonnées du fabricant de la prothèse, en dépit de l'invitation par l'expert [O] de procéder à l'extension de la mesure d'instruction à l'égard de ce fabricant ;
- L’expertise judiciaire démontre l'existence d'un défaut de la prothèse d'origine métallurgique, alors qu'une note d'avertissement a été diffusée en 2014 par le laboratoire Ceram Concept France pour renforcer la surveillance sur ce type d'implants, et recommander de ne plus l'implanter dès lors que la combinaison des matériaux ne répondait pas aux exigences de la norme NF Iso 7206-6 en vigueur à cette date et exposait à un risque de rupture ;
- La société Ceram Concept France est l'importateur du produit, qui est assimilé au fabricant par l'article 1245-6 du code civil ;
- L’évolution du litige autorisant la mise en cause de l'assureur de la société Ceram Concept France en cause d'appel résulte de la liquidation judiciaire de cette dernière et de la connaissance du contrat d'assurance la liant à Axa France Iard, en application de l'article 555 du code de procédure civile ;
- L’activité couverte par cet assureur est constituée par l'importation de matériel médical de prothèse orthopédique de la hanche et du genou, de sorte que Axa France Iard doit garantir le sinistre causé par son assurée ;
- La cause de la rupture ne réside pas dans l'activité qu'il a déployée, laquelle est habituelle pour son âge et ne génère pas de sollicitation excessive, ainsi que l'expert judiciaire l'a relevé, alors que la rupture basale du col est d'origine métallurgique, dès lors qu'il s'agit du point de faiblesse entre le col de la prothèse et la queue, où s'exerce une forte sollicitation. L'aveu résultant de la note de 2014 d'un défaut de la prothèse dispense d'une analyse métallurgique de la prothèse implantée par M. [R].
Aux termes de ses conclusions notifiées le 21 novembre 2019, la Msa, intimée et appelante incidente, demande à la cour de réformer le jugement critiqué et statuant à nouveau de :
- Dire que la société Ceram Concept et la Fondation Hopale sont responsable in solidum du dommage subi par M.
[P] ;
- Les condamner in solidum à lui payer la somme de 148 131,53 euros au titre des débours qu'elle a exposés à la suite de la rupture de la prothèse intervenue le 2 juin 2010 ;
- La recevoir en son action récursoire ;
- Condamner la Fondation Hopale et la société Ceram Concept à lui payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Les condamner aux dépens ;
- Fixer au passif de la procédure collective de la société Ceram Concept.
A l'appui de ses prétentions, la Msa fait valoir que :
- La qualité de fabricant de la prothèse s'applique à la société Ceram Concept ;
- La rupture de la prothèse est d'origine métallurgique et n'est pas imputable à l'activité normale de M. [P], alors qu'il est anormal qu'une telle prothèse se rompe dans un délai de 8 mois après son implantation ; l'existence d'un défaut du produit est ainsi établie ;
- La Fondation Hopale est responsable sur le fondement de l'article L. 1142-1 I. du code de la santé publique : ce texte consacre la possibilité de retenir la responsabilité de l'établissement de santé sans que soit prouvée une faute, dès lors qu'existe un défaut d'un produit de santé. La Fondation Hopale a elle-même conclu à l'existence d'un tel défaut de la prothèse fabriquée par la société Ceram Concept.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 5 décembre 2019, antérieurement au désistement partiel par M. [P] à son encontre, la Fondation Hopale demandait à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions le jugement critiqué et reconventionnellement, de condamner M. [P] à lui payer la somme de 2 800 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Troin.
A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que :
- Le dommage trouve son origine dans un produit de santé défectueux fourni par la société Ceram Concept, alors que la responsabilité d'un établissement de santé ne peut être engagée qu'au titre d'une faute qu'il a commise et que l'obligation de sécurité de résultat à l'encontre de l'établissement ayant implanté une prothèse défectueuse n'est plus admise en jurisprudence.
- La Msa se méprend sur l'interprétation des textes, dès lors qu'un établissement de santé n'est pas distributeur de produits médicaux et n'engage pas sa responsabilité sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil, sauf s'il est lui-même producteur de ce produit. Le producteur est en l'espèce identifié.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 6 octobre 2021, Axa France Iard demande à la cour de :
=> à titre principal, ordonner sa mise hors de cause et condamner M. [P] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
=> Á titre subsidiaire, débouter M. [P] de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées à son encontre et le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
=> Á titre infiniment subsidiaire, juger que les sommes allouées :
* Au titre du DFT ne sauraient excéder 1 782 euros,
* Au titre des souffrances endurées ne sauraient excéder 5 500 euros,
* Au titre du préjudice esthétique ne sauraient excéder 1 000 euros,
- Débouter M. [P] des demandes qu'il forme au titre des pertes de gains professionnels et de pertes de droits à la retraite.
=> En tout état de cause : condamner la société Ceram Concept LLC Usa à la garantir de toute condamnation éventuellement prononcée à son encontre.
A l'appui de ses prétentions, Axa France Iard fait valoir que :
- A garantie n'est pas acquise, dès lors qu'elle couvre l'importation et la distribution de matériel médical, de sorte qu'elle ne doit pas garantir un risque en relation avec la fabrication de ce matériel : la société Ceram Concept France n'est pas le fabricant de la prothèse litigieuse, mais son distributeur ;
- La société Ceram Concept France n'engage pas sa responsabilité :
=> Premièrement, elle n'est pas le fabricant, ayant une personne morale distincte de celle fabricant la prothèse ;
=> Deuxièmement, la preuve d'un défaut n'est pas rapporté : l'expertise judiciaire et son complément ne sont pas probants, alors que l'expert [O] n'apporte aucune précision sur le raisonnement lui permettant de conclure à une rupture métallurgique et qu'il s'est contenté de déduire l'existence d'un défaut de la seule conformité du geste chirurgical. En outre, la rupture d'un implant peut survenir sans qu'existe un défaut. A l'inverse, un laboratoire indépendant établit l'absence de défaut affectant la prothèse litigieuse. Le matériel utilisé n'est enfin pas concerné par la note d'avertissement diffusée en 2014, qui ne s'appliquait qu'à des tiges de 0 à 8 centimètres, alors que la tige équipant l'implant litigieux mesurait 13 centimètres et que M. [P] n'établit pas avoir bénéficié de l'implantation d'un col C0006-CVV8L ;
=> Troisièmement, lors de sa mise en place, la prothèse était parfaitement conforme aux données acquises de la science et aucune étude ne faisait état d'une défectuosité, dès lors que les premières études scientifiques datent de 2014, puis de 2017, soit antérieurement à la pose intervenue en 2009. Même en cas de défaut, la responsabilité de la société Ceram Concept France est exclue en application de l'article 1245-10, 4°, du code civil.
=> Quatrièmement, l'existence d'un lien de causalité entre le matériel prothétique et le préjudice invoqué par M.
[P] n'est pas établie. L'inégalité de longueur des membres inférieurs constitue la cause majeure, voire unique, du préjudice invoqué, alors qu'elle résulte du geste chirurgical lui-même, et non du matériel prothétique : ainsi le port d'une talonnette, de semelles orthopédiques ou le basculement pelvien sont imputables à une telle différence de longueur. L'implication du produit, défectueux ou non, dans la survenue du dommage ne suffit pas à établir la preuve d'un lien de causalité direct et certain avec le préjudice.
- La liquidation du préjudice corporel par M. [P] est critiquable ;
- La société Ceram Concept LLC Usa doit la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 28 février 2020, la Selas Alliance, liquidateur judiciaire de la société Ceram Concept France, demande à la cour de confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions et de condamner M. [P] à lui payer, ès qualités, 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que :
- Le rapport d'expertise judiciaire ordonnée par le juge des référés lui est inopposable, alors que seule sa mise en cause avait été recommandée par l'expert sans que ce dernier ait retenu le principe de sa responsabilité en qualité de fabricant ;
- Les conclusions du laboratoire Cetim excluent l'hypothèse d'un défaut métallurgique ou chimique de la prothèse litigieuse, la cause de la rupture résultant d'une contrainte excessive et étant postérieure à la commercialisation de ce produit ; la seule implication d'un produit dans la réalisation d'un dommage ne suffit pas à établir son défaut et à permettre de retenir la responsabilité du laboratoire en application de l'article 1245 du code civil, alors que la preuve d'un tel défaut incombe à la victime. Seule une perte de chance peut expliquer la cause de la rupture. Il n'existe aucun lien entre les procédures de rappel par le fabricant et la prothèse posée à M. [P].
La société Ceram concept Lcc n'a pas constitué avocat devant la cour.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1. Sur la responsabilité de la société Ceram Concept France du fait d'un produit défectueux :
1.1. Sur la qualité d'importateur :
L'assureur de la société Ceram Concept France invoque la qualité d'importateur de son assurée, pour estimer que seul un producteur engage sa responsabilité au titre du régime applicable aux produits défectueux.
Pour autant, en vertu de l'article 1386-6 ancien, devenu 1245-5 du code civil, est notamment assimilé au producteur, l'importateur d'un produit en vue de sa distribution.
1.1. Sur l'existence d'un défaut et d'un lien de causalité avec les dommages :
Si la responsabilité du fait des produits défectueux requiert que le demandeur prouve le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, la participation du produit à la survenance du dommage est un préalable, nécessaire à l'exclusion éventuelle d'autres causes possibles des préjudices subis, pour la recherche de la défectuosité du produit et du rôle causal de cette défectuosité, sans pour autant que sa simple implication dans la réalisation du dommage suffise à établir son défaut au sens de l'article 1245-3 du code civil ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage.
Ces preuves peuvent résulter de simples présomptions à la condition qu'elles soient graves, précises et concordantes (CJUE 21 juin 2017, aff. C-621/15, Cts WW c/ Sanofi-Pasteur).
1.1.1. Sur la condition préalable d'imputabilité du dommage, au moins pour partie, au produit :
Il n'est pas contesté en l'espèce que les dommages subis par M. [P] à l'occasion de sa chute sont imputables à la prothèse litigieuse.
1.1.2. Sur le défaut affectant le produit :
Le défaut a été défini de manière extensive par l'article 6 de la directive, éclairé par les considérants introductifsde la directive :
Selon l'article 6 de la directive : '1. Un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances, et notamment : a) de la présentation du produit
; b) de l'usage du produit qui peut être raisonnablement attendu ; c) du moment de la mise en circulation du produit. Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un produit plus perfectionné a été mis en circulation postérieurement à lui'.
La directive a relevé dans ses considérants introductifs, sur la détermination du caractère défectueux du produit : 'Considérant que, pour protéger l'intégrité physique et les biens du consommateur, la détermination du caractère défectueux d'un produit doit se faire en fonction non pas de l'inaptitude du produit à l'usage, mais du défaut de sécurité à laquelle le grand public peut légitimement s'attendre; que cette sécurité s'apprécie en excluant tout usage abusif du produit, déraisonnable dans les circonstances'.
L'ancien article 1386-4, devenu'1245-3 du code civil, transposant l'article 6 de la directive, dispose de même : 'Un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation (...)'.
La sécurité à laquelle 'on peut légitimement s'attendre' renvoie à l'attente légitime du public face à un produit donné et s'apprécie donc in abstracto. Elle ne constitue pas une sécurité absolue mais seulement légitime au regard du produit concerné.
La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) estime enfin que le défaut de sécurité au sens de la directive renvoie à la dangerosité anormale du produit, sans qu'il soit nécessaire pour le demandeur d'identifier précisément le vice de celui-ci.
En l'espèce, en l'absence d'analyse métallurgique de la prothèse ayant été implantée à M. [P], une telle identification n'est pas établie avec précision.
Pour autant, alors que l'expert [O] relève que les facteurs de risque de fracture du col sont l'obésité, l'activité physique intense, le couple de friction métal sur métal de grand diamètre, à un long col modulaire en varus et/ou en anté/rétroversion et la corrosion, la cour relève l'existence d'un faisceau de présomptions graves et concordantes, qui établit la défectuosité de la prothèse implantée à M. [P] :
- D’une part, la seule circonstance qu'au moment de la fracture de la prothèse, M. [P] travaillait accroupi, n'est pas de nature à caractériser une forte sollicitation de cet implant, dans des conditions pouvant expliquer sa rupture. Plus généralement, le docteur [C] relève que ce patient, opérateur maintenance mécanicien à la laiterie d'Abbeville depuis 1970, bénéficiait d'un aménagement de son poste de travail depuis l'implantation de la prothèse litigieuse, n'ayant pas le droit de monter à l'échelle ou de réaliser des efforts de soulèvement. Il en résulte qu'en l'absence de toute sollicitation particulière de cette prothèse, il pouvait être légitimement attendue qu'elle résiste à un mode d'existence et de travail excluant toute usure prématurée.
- D’autre part, la prothèse s'est rompue dans un délai particulièrement bref, dès lors qu'une durée de 8 mois s'est seulement écoulée entre l'implantation et cette rupture, alors qu'il peut être attendue d'une telle intervention qu'elle perdure dans ses effets au-delà de cette courte période, en dehors de toute sollicitation anormale par M.
[P] et en l'absence de toute obésité du patient dont le poids reste stable à 80-82 kg pour une taille de 1,75-1,78 m selon les différents rapports d'expertise.
- Enfin, l'expert [O] relève que la rupture est intervenue au point de faiblesse entre le col prothétique et la queue, dans une zone à forte sollicitation, tout en soulignant qu''« habituellement, il n'existe pas de rupture à ce niveau'». Il relève en outre qu'une note d'avertissement a été rédigée par la société Ceram Concept France elle-même, dans le cadre de la matériovigilance. Si Axa France Iard conteste l'applicabilité de cette note à l'implant utilisé, l'expert d'assurance [C] a retenu à cet égard que le compte-rendu opératoire du 9 octobre 2009 pour l'implantation de hanche précise «'la nature des implants chirurgicaux comme suit : (') col modulaire varus valgus 8 L C0006'», de sorte qu'en dépit de l'affirmation contraire d'Axa France Iard, il est établi que les notes du 16 juillet 2015 et du 26 décembre 2017 visant un «'col C0006-CVV8L'» s'appliquent à la prothèse litigieuse, dont la combinaison avec certaines tiges fémorales est susceptible de ne pas respecter des normes Iso respectivement élaborées en 2010 et en 2014. Sur ce dernier point, s'il est exact que le défaut concerne la combinaison de ce col avec des tiges allant
jusqu'à la taille 8, alors que celle implantée en octobre 2009 était de taille 13, il n'en résulte pas moins que l'expérience scientifique a établi que l'endurance et la performance du col litigieux étaient affectées dans ces circonstances particulières.
1.1. Sur les causes d'exonération :
Axa France Iard invoque, pour exonérer son assurée de sa responsabilité, que «'l'état des connaissances techniques ne lui a pas permis de déceler l'existence du défaut'». Le risque de développement est le défaut que le producteur ignorait, parce que l'état de la science et de la technique ne lui permettait pas de le découvrir, au regard des informations scientifiques et techniques accessibles lors de la mise en circulation du produit.
A l'appui de cette prétention, Axa France Iard fait valoir que :
- D'une part, l'expert [O] a admis que le matériel implanté était conforme aux normes Iso de 2010.
Pour autant, en application de l'article 1386-10 ancien, devenu 1245-9, du code civil, le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative.
- D’autre part, ce même expert a relevé que les premières études scientifiques ayant soulevé des questions sur l'utilisation de ces cols modulaires datent de 2014, pour en conclure qu'en 2009, l'état des connaissances scientifiques et techniques ne permettaient pas de déceler les éventuelles défectuosités de ces prothèses.
Sur ce point, si l'expert [O] indique que l'existence de fractures de prothèse de hanche utilisant la modularité cervico-métaphysaire a été signalée chez des patients obèses et/ou actifs qui portaient l'implant ProfémurZ, il n'en précise pas la date. A l'inverse, alors qu'il appartient au professionnel assimilé à un producteur de rapporter la preuve de la cause d'exonération qu'il invoque, l'expert [O] a précisé, en réponse à un dire de M. [P], que les défauts constatés dans l'utilisation des cols modulaires n'ont été constatés dans des rapports scientifiques qu'à compter de 2014 et 2016. Plus généralement, cet expert indique que si la problématique des cols modulaires, par rapport aux cols fixes, a conduit l'Ansm à recueillir l'avis de la commission de suivi du rapport entre les bénéfices et les risques des produits de santé, cet avis selon lequel les prothèses de hanche avec tige à col modulaire ne doivent notamment pas être utilisées en l'absence d'anomalie anatomique n'a été émis que le 11 avril 2017.
Dans ces conditions, Axa France Iard peut valablement invoquer ces éléments tirés du rapport d'expertise, qui prouvent qu'en 2009, le défaut affectant l'implant litigieux ou ce type d'implant n'était pas connu au sein de la communauté scientifique médicale.
La société Ceram Concept France est par conséquent exonérée de sa responsabilité.
Sans qu'il y ait lieu de statuer sur les risques garantis par Axa France Iard ou sur son recours récursoire à l'encontre du producteur de la prothèse, il convient de débouter M. [P] de ses demandes à l'encontre de cet assureur.
1. Sur la responsabilité de la Fondation Hopale :
La CJUE a exclu du champ d'application de la directive n°85/374/CEE du 25 juillet 1985 la responsabilité des prestataires de service qui utilisent des appareils ou des produit défectueux (arrêt du 21 décembre 2011, C 405/10). Il en résulte que la responsabilité des prestataires de services de soins, qui ne peuvent être assimilés à des distributeurs de produits ou dispositifs médicaux et dont les prestations visent essentiellement à faire bénéficier les patients des traitements et techniques les plus appropriés à l'amélioration de leur état, ne relève pas, hormis le cas où ils en sont eux-mêmes les producteurs, du champ d'application de la directive et ne peut dès lors être recherchée que pour faute lorsqu'ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l'exercice de leur art ou à l'accomplissement d'un acte médical, pourvu que soit préservée leur faculté et/ou celle de la victime de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci.
La responsabilité d'un professionnel de santé ou d'un établissement de santé, sur le fondement de l'article 1386-7 ancien, devenu 1245-6 du code civil, ne peut être engagée, en qualité de fournisseur du produit, que dans le cas où le producteur n'a pu être identifié et où le professionnel de santé ou l'établissement de santé n'a pas désigné son propre fournisseur ou le producteur dans le délai imparti.
L'instauration par la loi du 19 mai 1998 d'un régime de responsabilité de droit du producteur du fait des produits défectueux, les restrictions posées par l'article 1386-7, devenu 1245-6 du code civil à l'application de ce régime de responsabilité à l'égard des professionnels de santé et des établissements de santé, la création d'un régime d'indemnisation au titre de la solidarité nationale des accidents médicaux non fautifs et des affections iatrogènes graves sur le fondement de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et le fait que les professionnels de santé ou les établissements de santé privés, qui ont recours à un produit défectueux, peuvent ne pas être en mesure d'appréhender la défectuosité d'un produit, dans les mêmes conditions que le producteur, justifient, y compris lorsque se trouve applicable l'article L. 1142-1, alinéa 1er, de ce code, de ne pas soumettre ceux-ci, hors du cas prévu par l'article 1245-6 précité, à une responsabilité sans faute, qui serait, en outre, plus sévère que celle applicable au producteur, lequel, bien que soumis à une responsabilité de droit, peut bénéficier de causes exonératoires de responsabilité.
L'article L. 1142-1 I du code de la santé publique, en dépit de sa formule selon laquelle «'hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé'» qu'invoque la Msa à l'appui de ses prétentions, n'instaure ainsi à l'encontre des professionnels ou établissements de santé, aucun régime de responsabilité objective du fait d'un produit défectueux, notamment lorsque le produit a été implanté à l'occasion d'un acte de soins.
En l'espèce, aucune responsabilité n'est ainsi susceptible d'être retenue à l'encontre de la Fondation Hopale, dès lors que :
- D’une part, le producteur de la prothèse litigieuse, identifié par ailleurs comme étant la société Ceram Concept LLC Usa dans des conditions excluant toute responsabilité du fournisseur du produit défectueux, n'est pas
L’établissement de santé où la prothèse a été implantée à M. [P] ;
- D’autre part, aucune faute n'est démontrée ou alléguée à l'encontre de la Fondation Hopale, en relation causale avec les préjudices invoqués par M. [P].
Le jugement ayant débouté la Msa de ses demandes à l'encontre de la Fondation Hopale est par conséquent confirmé.
1. Sur les demandes accessoires :
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile, et à condamner M. [P] aux entiers dépens d'appel. En revanche, l'équité ne commande pas de condamner M. [P] à payer à la société Ceram Concept France une indemnité au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement rendu le 16 avril 2019 par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer dans toutes ses dispositions critiquées par les appels principal et incidents ;
Y ajoutant
Déboute M. [P] de ses demandes à l'encontre de la SA Axa France Iard ;
Condamne M. [P] aux dépens d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes respectives d'indemnité d'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.