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Décisions

CA Angers, ch. a civ., 29 avril 2022, n° 18/01624

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Leroy Merlin France (SA), Société Gruppo Ceramiche Gresmalt S.P.A (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rousteau

Conseillers :

Muller, Mme Reuflet

Avocats :

Me Princ , Me Guiddir , Me Simoneau, Me Boutard

TGI Mans, du 25 avr. 2018, n° 15/03144

25 avril 2018

Exposé du litige

Le 27 juin 2009, M. [Y] [E] et son épouse Mme [J] [C] (les acquéreurs) ont passé commande auprès de la SA Leroy Merlin (le vendeur) pour des carreaux de carrelage en grès cérame Porcellanato, Charme 450 beige, format 45x45, qu'ils ont posés au sol de leur maison d'habitation de plain-pied à simple rez-de-chaussée.

Constatant un défaut d'aspect des carreaux, ils ont saisi en octobre 2012 leur assureur de protection juridique qui a fait diligenter une expertise amiable par le cabinet Saretec Construction, lequel, dans son rapport remis le 27 juin 2013, a attribué le dépolissage constaté d'environ 15 à 20 carreaux dans le séjour-salon à une usure anormale et prématurée susceptible de provenir d'un défaut de fabrication.

Par acte d'huissier en date du 20 novembre 2013, ils ont fait assigner le vendeur en référé expertise.

M. [N] [Z], désigné en qualité d'expert le 12 février 2014 et dont les opérations ont été rendues communes le 11 février 2015 à la société de droit italien Gruppo Ceramiche Gresmalt Spa exploitant la marque Ceramiche di Frassinoro, fabricant du carrelage appelé en cause par le vendeur, a déposé son rapport définitif le 15 juin 2015.

Par acte d'huissier en date du 27 août 2015, les acquéreurs ont fait assigner le vendeur devant le tribunal de grande instance du Mans en paiement, au principal, de la somme de 11 105,74 euros sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Le vendeur ayant appelé en garantie le fabricant par acte d'huissier en date du 26 février 2016, les instances ont été jointes le 24 mars 2016.

Par jugement en date du 25 avril 2018, le tribunal a :

- Débouté les époux [E] [C] de toutes leurs demandes formées à l'encontre de la SA Leroy Merlin

- Dit qu'en conséquence l'appel en garantie de la SA Leroy Merlin à l'encontre de la société Gruppo Ceramiche Gresmalt Spa se trouve sans objet.

- Rejeté la demande d'exécution provisoire.

- Débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné les époux [E] [C] aux dépens, y compris ceux de la procédure de référé et le coût de l'expertise, dont distraction au profit de la SCP Lalanne Godard Heron Boutard Simon Villemont Memin Gibaud et de la SCP Nobilet Lamballe.

Pour statuer ainsi, il a considéré que, si les constatations effectuées par l'expert judiciaire constituent une preuve d'une usure prématurée des carrelages, les seuls éléments du rapport d'expertise ne permettent pas de prouver que cette usure a pour origine exclusive ou principale un défaut de fabrication qui constituerait un vice caché antérieur à la vente, vice qui doit être suffisamment grave pour que l'acquéreur, s'il l'avait connu, n'aurait pas acquis la chose ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, alors qu'en l'espèce, seul l'aspect esthétique de quelques carreaux qui ont perdu de leur brillance est affecté.

Suivant déclaration en date du 27 juillet 2018, les époux [E] [C] ont relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions, intimant la SA Leroy Merlin et la société Gruppo Ceramiche Gresmalt Spa.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2021.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions :

- D'appelants n° 4 en date du 3 novembre 2020 pour les appelants.

- D’intimée n° 3 en date du 30 août 2021 pour la SA Leroy Merlin.

- N °2 en date du 1er mars 2019 pour la société Gruppo Ceramiche GresmaltSpa, qui peuvent se résumer comme suit.  

Les époux [E] [C] demandent à la cour, infirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions, au visa des articles 1641 et suivants, 1604 et suivants du code civil, de :

- Condamner la SA Leroy Merlin à leur payer la somme de 9.605,74 euros en réparation de leur préjudice matériel, avec indexation sur l'indice BT 01 du coût de la construction à compter du dépôt du rapport d'expertise

- La condamner à leur payer la somme de 1.500 euros en réparation de leur préjudice moral.

- La débouter de l'ensemble de ses demandes à leur encontre.

- La condamner à leur payer en cause d'appel la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Dupuy, avocat membre de la SCP Pavet Benoist Dupuy Renou Lecornue.

Ils fondent leur action sur la garantie légale des vices cachés et, subsidiairement, sur l'obligation de délivrance conforme.

La SA Leroy Merlin France demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1231 et suivants, 1603 et suivants, 1641 et suivants du code civil, de :

- Confirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions.

- Débouter en toute hypothèse les époux [E] [C] de l'intégralité de leurs demandes, en ce compris celles fondées sur un manquement allégué de sa part à son obligation de délivrance conforme.

- Y ajoutant, condamner les époux [E] [C] à lui payer solidairement la somme de 4.500 euros au titre de l'article700 du code de procédure civile en instance d'appel et les condamner aux entiers dépens de l'instance d'appel.

- Subsidiairement, en cas d'infirmation du jugement, réduire le montant des demandes indemnitaires des époux [E] [C] à concurrence de leur rôle causal dans l'apparition du dommage qu'ils invoquent, d'une part, et de leur préjudice réel, d'autre part, condamner la société Gruppo Ceramiche Gresmalt Spa à la relever et garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre tant en principal qu'en frais et accessoires et condamner tout succombant à lui payer la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de I'instance d'appel.

La société Gruppo Ceramiche Gresmalt Spa demande à la cour, au visa des articles 1134, 1147 et suivant et 1641 du code civil, de :

- Confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions.

- Á titre subsidiaire, prononcer sa mise hors de cause.

- À titre infiniment subsidiaire, débouter les époux [E] [C] de leurs demandes indemnitaires.

- En tout état de cause, condamner tout succombant à lui payer une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, dont distraction au profit de la SCP Lalanne Godard Heron Boutard Simon Villemont Memin Gibaud.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1603 du code civil, le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu’il vend.

Au regard de l'article 1604 du même code qui définit la délivrance comme le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur, tout défaut de conformité consistant en une différence entre la chose contractuellement prévue et la chose livrée engage la responsabilité du vendeur envers l'acquéreur.

Selon l'article 1641 du même code, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Le vice caché se distingue du défaut de conformité en ce qu'il résulte d'une dégradation, anomalie, altération ou autre défectuosité affectant de manière importante l'usage normal de la chose vendue.

La preuve de l'existence d'un tel vice préexistant à la vente incombe à l'acquéreur.

En l'espèce, l'expert judiciaire indique en page 10 de son rapport définitif n'avoir relevé, dans la grande pièce d'un seul tenant du rez-de-chaussée comportant un coin salon en entrant, une partie salle à manger plus au centre et une cuisine américaine sur le côté gauche, aucun éclat d'origine, défaut dans la texture du tesson, éclat récent provoqué lors du déballage ou de la pose ni aucune griffure d'animaux, rayure de toute sorte, fissure de toute sorte, mais seulement une « légère usure se manifestant par un effacement du vernis brillant sur les dessins en plein et creux en forme de flaques couvrant la surface du carreau », ce dans la zone de la table et des chaises de la salle à manger et la zone devant le côté intérieur de la porte d'entrée, à l'exclusion du coin cuisine, qu'il s'agit d'une « usure prématurée par abrasion de l'émail du carrelage, et non par rayure qu'auraient pu produire les pattes d'un chien de grosse taille » tel que le chien genre Saint Bernard des acquéreurs et qu'entre ses deux passages des 23 juin 2014 et 15 avril 2015, soit en 10 mois, le dommage s'est accentué.

Ces constatations, précisément retranscrites à défaut d'être nettement illustrées par la photographie n° 4 reproduite à la même page et en plus grand format en page 5 du pré-rapport du 8 juillet 2014, suffisent à établir l'existence d'une altération, constitutive d'un vice, de l'émail des carreaux de grès cérame dont il n'est pas contesté que la résistance à l'usure dépasse normalement bien plus de 10 ans.

Le vendeur n'est pas fondé à reprocher à l'expert judiciaire de n'avoir pas fait application, pour réaliser ces constatations, de la règle énoncée à l'article 9.2 « Aspect final du revêtement » du DTU 52.2 P1-1-3 de décembre 2009 relatif à la pose collée des revêtements céramiques et assimilés - pierres naturelles dès lors que, à la supposer applicable aux travaux de pose du carrelage que les acquéreurs déclarent, sans en justifier, avoir effectués eux-mêmes fin août 2009, cette règle selon laquelle « l'aspect final du revêtement s'évalue à une hauteur de 1,65 m et à une distance de 2 m selon le principe de la NF EN 154, avec un éclairage non rasant (angle entre le revêtement et la lumière supérieur à 45°) » ne concerne que les défauts de pose, inexistants puisque l'expert judiciaire souligne, sans être démenti, en page 9 de son rapport définitif n'avoir relevé « aucune malfaçon quant à la mise en oeuvre de type collé » du carrelage qui « ne comporte aucun désaffleurement, décollement, microfissure et ne sonne pas le creux ».

L'expert judiciaire n'est pas davantage contredit en ce qu'il a écarté les hypothèses d'un défaut d'origine des carreaux qui auraient été livrés usés, d'une dégradation des carreaux lors des opérations de transport, déballage et/ou mise en place et d'une usure provoquée par le passage de chiens de grande taille pour privilégier celle d'une usure consécutive aux frottements répétés et ciblés, à l'entrée et sous la table de la salle à manger, de fines abrasives à composition de quartz apportées sous les chaussures des occupants et provenant des graviers de la cour extérieure directement accessible en façade avant du pavillon qui ne dispose d'aucun paillasson (voir pages 15 et 20 de son rapport définitif).

Toutefois, il admet que l'effacement du seul vernis des carreaux touchés est de nature purement esthétique et que le carrelage n'est pas dangereux à la circulation même pour des personnes à mobilité restreinte (voir notamment page 21 de son rapport définitif).

Il s'en déduit que l'insuffisante résistance à l'abrasion des carreaux vendus n'est pas de nature à les rendre impropres à leur usage normal, indépendamment du débat sur l'origine de cette insuffisance que l'expert judiciaire attribue à un défaut de fabrication du carrelage qui aurait dû être classé PEI4 selon la norme européenne NF EN ISO 10645-7 de 1992, cette classe correspondant au « passage important » dans une « pièce soumise à un trafic normal » telle que l'entrée, le salon, le séjour et la cuisine d'une maison individuelle, ou U3 selon le classement français UPEC établi par le CSTB en novembre 2004 qui précise que « si aucun dispositif permanent de protection contre les apports abrasifs ne peut y être tenu, les locaux avec accès direct de l'extérieur sont au minimum classés U3 ».

Le critère de gravité requis par l'article 1641 du code civil n'étant pas rempli, le premier juge a, à bon droit, quoique pour des motifs qui ne sont pas tous adoptés par la cour, considéré que l'action ne peut prospérer sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Sur le fondement, invoqué subsidiairement pour la première fois en appel, du défaut de conformité, les acquéreurs ne justifient pas de leur allégation selon laquelle ils ont commandé un carrelage de classe PEI4.

En effet, comme le fait valoir le vendeur, le bon de commande du 27 juin 2009 (pièce n° 1 des appelants) et la facture du 22 juillet 2009 (annexe n° 3 du rapport d'expertise judiciaire) qui constituent les seuls documents contractuels ne mentionnent rien de tel.

Aucune conclusion ne peut être tirée du fait que l'expert judiciaire a, entre la diffusion aux parties de son pré- rapport et celle de son rapport définitif, photographié l'affichage du produit au magasin Leroy Merlin montrant qu'il était à cette époque classé PEI4 (photographies n° 1 et 2 reproduites en page 8 du rapport définitif) et son carton d'emballage ne portant aucune référence aux classes PEI ou UPEC (photographie n° 3 reproduite en page 9 du même rapport).

Dès lors, quand bien même le carrelage litigieux serait effectivement classé PEI3 « passage normal » ainsi qu'il ressort de la fiche du service de contrôle qualité du vendeur (capture d'écran d'une page du site internet du vendeur datée du 4 juin 2015 en annexe n° 4 du rapport d'expertise judiciaire), il ne peut être considéré que le vendeur a manqué à son obligation de délivrance conforme par suite d'une discordance entre les caractéristiques convenues du carrelage commandé et ses caractéristiques réelles.

L'action ne peut donc pas davantage être accueillie sur ce fondement.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté les époux [E] [C] de toutes leurs demandes à l'encontre de la SA Leroy Merlin et déclaré sans objet l'appel en garantie de cette dernière à l'encontre de la société Gruppo Ceramiche Gresmalt Spa.

Parties perdantes, les appelants supporteront in solidum les entiers dépens d'appel, le jugement étant confirmé en ce qu'il les a condamnés aux dépens de première instance et de référé comprenant de droit la rémunération de l'expert judiciaire.

Ils ne peuvent bénéficier en appel de l'article 700 du code de procédure civile dont il n'y a pas lieu, en considération de l'équité et de la situation respective des parties, de faire application à leur encontre au profit des intimées, le jugement étant également confirmé en ce qu'il a rejeté toutes les demandes présentées en première instance au même titre.

Par ces motifs,

La cour,

- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

- Condamne in solidum les époux [E] [C] aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du même code.