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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 4 mai 2022, n° 21/00336

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fruits Sains (SARL), La Famille Teulet (SAS)

Défendeur :

Bledina (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Saunier-Ruellan

Conseillers :

Mme Stella, Mme Masson-Bessou

Avocats :

Me Ulrich, Me Zeidenberg, Me Aguiraud, Me Bougis-Stentz

T. com. Lyon, prés., du 9 déc. 2020, n° …

9 décembre 2020

Exposé du litige

La société Bledina est une filiale du groupe Danone. Elle est spécialisée dans le domaine de la nutrition infantile.

Les sociétés Fruits Sains et la Famille Teulet sont des sociétés appartenant à [E] [V] et son épouse et dirigées par [E] [V], lequel est à la tête de plusieurs sociétés qui produisent des fruits et légumes, conventionnels ou biologiques.

La société Fruits Sains ne vend que des fruits issus de l'agriculture conventionnelle et la société La Famille Teulet ne vend que des fruits issus de l'agriculture biologique.

Ces deux sociétés ont des relations commerciales avec la société Bledina à laquelle elles fournissent des pommes pour la confection de compotes pour bébé.

Le 3 juin 2020, la société Bledina a notifié aux sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet sa décision de mettre un terme aux relations commerciales entre les parties.

Aux termes de ce courrier, la société Bledina s'engeageait :

Vis à vis de la société Fruits Sains à respecter un préavis de 18 mois prenant fin le 3 décembre 2021 et à acheter 800 tonnes de pommes conventionnelles issues de la récolte 2020 et 700 tonnes de pommes conventionnelles issues de la récolte 2021, ce sur la base d'un prix à la tonne de 500 euros ;

Vis à vis de la société La Famille Teulet à respecter un préavis de 7 mois prenant fin le 3 janvier 2021 et à acheter 555 tonnes de pommes biologiques issues de la récolte 2020 ce sur la base d'un prix à la tonne de 1 166 euros.

Dénonçant la brutalité de la rupture des relations contractuelles par la société Bledina, et aux motifs qu'il existait un trouble manifestement illicite, les société Fruits Sains et La Famille Teulet ont en date du 29 septembre 2020, assigné la société Bledina, sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile, devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Lyon aux fins de voir, au principal, ordonner à la société Bledina de respecter un délai de préavis suffisant préalablement à la fin des relations contractuelles.

Par ordonnance du 9 décembre 2020, le juge des référés du Tribunal de commerce de Lyon a :

Dit que les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet n'ont pas subi de rupture manifestement illicite des relations commerciales établies avec la société Bledina ;

Débouté les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

Invité les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet à mieux se pourvoir devant le Juge du fond si elles l'estiment nécessaire ;

Condamné solidairement les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet à payer à la société Bledina la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet aux dépens de l'instance.

Le juge des référés retient en substance :

Que le groupe Teulet n'a pas d'existence juridique et que les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet sont deux entités distinctes, relevant dans leurs rapports avec la société Bledina, de contrats distincts ayant fait l'objet de négocations séparées, les deux ruptures contractuelles devant de ce fait être analysées séparément ;

Que le préavis accordé à la société Fruits Sains ne peut être considéré comme insuffisant au visa de l'article L. 442-1-II du code de commerce, alors qu'il est d'une durée de 18 mois, au regard de relations commerciales ayant commencé en septembre 2008 ;

Que le préavis accordé à la société La Famille Teulet ne peut être considéré comme insuffisant alors qu'il est d'une durée de 7 mois, au regard de relations commerciales ayant commencé en septembre 2018, du fait que la société ne pouvait légitimement espérer une augmentation du flux des affaires avec la société Bledina alors que les relations commerciales n'avaient pas deux ans et que le volume de pommes achetées était en diminution dès la 2ème année, la société La Famille Teulet ne rapportant pas par ailleurs la preuve qu'elle n'est pas en mesure d'écouler sa récolte au delà du mois d'avril 2020 ;

Qu'en conséquence le trouble manifestement illicite allégué n'est pas établi.

Suivant déclaration enregistrée par RPVA le 14 janvier 2021, les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet ont fait appel de l'intégralité de cette décision.


Aux termes de leurs écritures, régularisées par RPVA le 1er mars 2021, les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet demandent à la Cour de :

Infirmer l'ordonnance de référé rendue par le Tribunal de Commerce de Lyon le 9 décembre 2020 en ce qu'elle a dit que les sociétés Fruits Sains et la Famille Teulet n'avaient pas subi de trouble manifestement illicite du fait de la rupture des relations commerciales établies avec la société Bledina, et inviter les parties à mieux se pourvoir devant le Juge du fond ;

Infirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a dit que les délais de préavis de rupture des relations commerciales accordés par la société Bledina aux sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet sont suffisants ;

Infirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a débouté les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet de leurs demandes visant à poursuivre les relations commerciales durant une période de préavis suffisante, aux conditions tarifaires appliquées lors de la saison 2019-2020.

Et statuant à nouveau,

Dire et juger les demandes des sociétés Fruits Sains et la Famille Teulet recevables et bien fondées ;

Dire et juger que les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet sont liées au groupe Teulet par une relation commerciale unique et continue depuis 2006 ;

Dire et juger que les délais de préavis de rupture des relations commerciales accordés par la société Bledina aux sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet sont insuffisants ;

Dire et juger que les sociétés Fruits Sains et la Famille Teulet ont subi une rupture manifestement illicite des relations commerciales établies avec la société Bledina;

Dire et juger que cette affaire relevait de la compétence du Juge des référés.

En conséquence,

Enjoindre à la société Bledina de poursuivre ses achats de pommes de la variété Golden auprès des sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet pendant un délai de préavis suffisant et à tout le moins jusqu'au 31 décembre 2021, selon les modalités suivantes :

Concernant la saison 2020-2021 et sur la base tarifaire pratiquée lors de la saison 2019-2020 : soit 500 tonnes pour les pommes de la variété Golden conventionnelles récoltées en 2020 et 1 250 tonnes pour les pommes de la variété Golden biologiques récoltées en 2020 ;

Concernant la saison 2021 et sur la base tarifaire pratiquée lors de la saison 2019-2020 : soit 1500 tonnes pour les pommes de la variété Golden biologiques récoltées en 2021 ;

Ordonner une astreinte journalière d'un montant de 1 000 euros tant que la société Bledina ne se conformera pas à l'injonction de poursuite de la relation commerciale établie.

En tout état de cause,

Condamner la société Bledina à verser aux sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en première instance et en appel,

Condamner la société Bledina aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Laurent Zeidenberg dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

A l'appui de leurs demandes, les appelantes exposent :

Que [E] [V] exerce la profession d'exploitant agricole et a constitué au fil des années un groupe de sociétés opérant dans la production et la distribution de fruits frais, notamment de pommes fraîches de la variété Golden ;

Que la société Bledina s'approvisionne depuis plus de 20 ans de manière ininterrompue en pommes fraîches des variétés Golden et Gala, en vue de leur transformation en produits alimentaires infantiles, auprès des sociétés du groupe Teulet ;

Que le volume des pommes produites par le groupe Teulet pour la société Bledina a acquis une importance telle que le chiffre d'affaires réalisé par le groupe Teulet grâce à sa relation commerciale avec la société Bledina avoisine les 80 %, dans un contexte où l'abus de dépendance économique est une pratique anti-concurrentielle prohibée par l'article L. 420-2 du code de commerce, et alors qu'il est considéré que l'acheteur doit se limiter à un contrat environnant les 25 à 30 % du chiffre d'affaires du fournisseur pour ne pas le rendre dépendant de cette relation ;

Que c'est la raison pour laquelle [E] [V] a créé, suivant la volonté de la société Bledina et pour pouvoir continuer à l'approvisionner dans les mêmes quantités, la société Fruits Sains, les anciennes structures de production ne vendant plus directement à la société Bledina mais passant par l'intermédiaire de la société Fruits Sains ;

Qu'en juin 2019, la société Bledina fait part au groupe Teulet de son souhait de démarrer une gamme de produits infantiles biologiques, lui demandant de bien vouloir la fournir en produits issus de l'agriculture biologique et que c'est la raison pour laquelle a été créée la société La Famille Teulet ;

Que lors des négociations annuelles de l'année 2020, ayant lieu comme chaque année aux mois de février et mars, la société Bledina a annoncé à l'agent commercial des sociétés du groupe Teulet son souhait de baisser drastiquement les volumes d'achat de pommes fraîches de la variété Golden aux sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet ;

Que par la suite, la société Bledina a notifié aux sociétés Fruits Sains et la famille Teulet, par lettres du 3 juin 2020, sa décision de mettre un terme aux relations commerciales entre les parties, s'engageant par ailleurs à respecter un certain délai de préavis et à acheter jusqu'à cette date un certain tonnage de pommes à un prix donné, ce alors que le groupe Teulet n'a jamais manqué à ses obligations contractuelles ;

Que par lettre du 18 juin 2020, [E] [V] a informé la société Bledina qu'il refusait les conditions de rupture proposées, dès lors que le délai de préavis ainsi que les volumes d'achat annoncés ne tiennent pas compte de l'antériorité de leur relation commerciale, et sont de nature à causer un préjudice significatif aux deux sociétés, raison pour laquelle est intervenue l'assignation en référé.

Les appelante relèvent en premier lieu que la compétence du juge des référés pour se prononcer sur les demandes se justifie, alors que :
 

Outre les dispositions de l'article 873 alinéa 1 du code de procédure civile, il ressort de l'article 442-1-II du code de commerce qu'en cas de brusque rupture des relations commerciales, un délai de préavis a minima de 18 mois doit être respecté, sous peine pour l'auteur de la rupture d'engager sa responsabilité ;

Selon l'article 442-4-II du code de commerce, le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire ;

En l'espèce, le Juge des référés s'est livré à une appréciation erronée des faits puisqu'il n'y avait pas lieu d'analyser séparément les deux relations contractuelles, alors que les deux sociétés dépendent du groupe Teulet, unique entité, et que ce groupe est en relation commerciale avec la société Bledina depuis plus de 20 ans ;

Par ailleurs, la décision de la société Bledina leur cause un préjudice considérable, l'annonce intervenant postérieurement aux réservations de volumes de pommes discutés entre les vendeurs de pommes fraiches et les industriels qui ont lieu chaque année entre février et avril, la récolte ne pouvant plus être écoulée au delà, et qu'il existe donc un dommage imminent ;

Ainsi, le Juge des référés était compétent pour statuer et faire droit aux demandes des sociétés Fruits Sains et la Famille Teulet d'ordonner un délai de préavis suffisant tenant compte de l'antériorité des relations commerciales établies entre les parties afin de prévenir un dommage imminent.

Les appelantes font valoir en second lieu être fondées à demander le maitien de la relation commerciale établie pendant une durée de préavis suffisante, alors que :

Il existe un courant d'affaires unique entre la société Bledina et le groupe Teulet depuis 2006, qui concerne la fourniture d'une même gamme de produits, soit la fourniture de pommes fraîches, biologiques et conventionnelles, aux fins de leur transformation en produits alimentaires infantiles, qui ont fait l'objet de négociations commerciales uniques, menées par la société Bledina avec [E] [V], les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet étant toutes deux dirigées par [E] [V] et leur siège social étant situé dans les mêmes locaux ;

La société Bledina a entre outre rompu ses relations commerciales avec les deux sociétés du groupe Teulet de façon concomitante, autant d'éléments qui démontrent que les relations commerciales ne sont pas distinctes et dont il convient de tenir compte pour le calcul d'un préavis raisonnable et suffisant ;

Depuis plusieurs années, la société Bledina a manifesté la volonté de réduire ses achats de pommes conventionnelles au profit d'achats de pommes issues de l'agriculture biologique, ce qui correspond à la tendance du marché et que pour répondre à sa demande, [E] [V] a converti une partie importante de sa production en pommiers biologiques, trois années étant a minima nécessaires pour opérer cette conversion ;

La société Bledina a en réalité décidé de s'approvisionner auprès de producteurs des pays de l'Est pour faire l'économie semble-t-il d'un centime d'euro par petit pot produit, la société Bledina étant de mauvaise foi en soutenant que le marché du biologique est en diminution, alors que, contrairement à ce qu'elle soutient, les prix pratiqués par le groupe Teulet n'étant aucunement supérieur au prix du marché ;

Le délai de préavis de 7 mois imposé à la société La Famille Theulet ne lui laisse aucune alternative pour commercialiser ses produits, alors que les réservations pour les achats ont lieu aux mois de mars et avril précédant la récolte qui a lieu aux mois de septembre et octobre suivants ;

Afin de prendre en compte la saisonnalité des produits concernés et le caractère unique du courant d'affaires concerné, un préavis de 18 mois doit être accordé aux sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet, courant à compter du 15 octobre 2020, en maintenant des volumes d'achat et des bases tarifaires cohérents.

Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 25 mars 2021, la société Bledina demande à la Cour de :

A titre principal,

Confirmer l'ordonnance déférée dans toutes ses dispositions ;

Débouter les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet de l'ensemble de leurs demandes.

A titre subsidiaire,

Dire qu'il n'y pas lieu à référé et par conséquent, se déclarer incompétente.

En tout état de cause,

Condamner in solidum les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct des dépens d'appel par la SCP Aguiraud Nouvellet, conformément àl'article 699 du code de procédure civile.

La société Bledina expose :

Que la société Fruits Sains a été créée en aout 2007, vend des fruits issus de l'agriculture conventionnelle et est en relations commerciales avec Bledina depuis l'année 2008, alors que que la société La Famille Teulet a été créée quant à elle en août 2018, date du début de ses relations commerciales avec Bledina et vend des fruits et légumes issus de l'agriculture biologique ;

Qu'en raison de la baisse des demandes des clients, les achats de produits conventionnels à la société Fruits Sains se sont progressivement réduits, à raison d'un tiers par an, que Bledina a proposé de porter cette baisse à 60 % en 2020/2021 et que la société Fruits Sains s'y est opposée, raison pour laquelle Bledina a mis un terme aux relations commerciales par courrier du 3 juin 2020 ;

Qu'il en a été de même avec la société Famille Teulet, compte tenu de la diminution de la demande et des prix élevés pratiqués par cette société qui ne souhaitait pas les modifier.

La société Bledina demande la confirmation de la décision déférée, aux motifs :

Qu'il n'existe aucun courant d'affaire unique entre le groupe Teulet et la société Bledina, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet étant deux entités juridiques distinctes et relevant de contrats distincts ;

Que les deux sociétés ne vendent pas les mêmes produits, les pommes biologiques vendues par la société La Famille Teulet ne répondant pas au même cahier des charges que les pommes conventionnelles vendues par la société Fruits Sains, et leur prix étant beaucoup plus élevé ;

Qu'il n'existe aucun groupe Teulet, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, un tel groupe n'ayant aucune existence juridique ;

Qu'il est inexact de soutenir que ce serait à la demande de Bledina que [E] [V] aurait demandé à ses producteurs de convertir une partie importante de leurs vergers de pommiers en agriculture biologique alors que c'est en 2012 que [E] [V] a décidé d'opérer cette reconversion, la société Bledina n'ayant lancé sa gamme de produits biologiques qu'en 2018 ;

Qu'il n'y a eu aucune pratique abusive au sens de l'article L 442-1 du code de commerce et que contrairement à ce que soutiennent les appelantes sans en rapporter la preuve, la société Bledina n'est aucunement à l'origine de la création de la société Fruits Sains ;

Qu'il n'existe aucun trouble manifestement illicite, alors que d'une part, les relations commerciales avec la société Fruits Sains ont débuté en juillet 2008, soit depuis moins de 12 ans, et qu'un préavis de 18 mois ne peut engager la responsabilité de la société Bledina dans ces conditions, et que d'autre part, les relations commerciales avec la société La Famille Teulet ont commencé en août 2018, soit depuis moins de deux ans et que le préavis de 7 mois accordé était en rapport avec la durée de la relation commerciale ;

Que contrairement à ce que soutiennent les appelantes, l'annonce de la rupture début juin 2020 n'a aucune incidence sur leur faculté de trouver de nouveaux partenaires dès lors que le préavis accordé porte sur au moins une saison agricole ;

Qu'il est inexact de soutenir que la société Bledina a décidé de s'approvisionner en Europe de l'Est, sa production 2020 étant à 100 % française pour les pommes issues de l'agriculture biologique et près de 91 % pour les pommes conventionnelles, le reste étant acheté en Italie ;

Que les volumes demandés par les appelantes au cours d'un préavis de 35 mois se départissent radicalement des conditions commerciales pratiquées par les parties avant la rupture.

La société Bledina ajoute qu'à ce jour, le marché du bio est très concurrentiel, notamment parce que les enseignes de la grande distribution sont désormais très investies dans le marché des produits provenant de l'agriculture biologique.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

De nouvelles conclusions ont été régularisées par RPVA le 20 mars 2022 par les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet.

Par conclusions régularisées par RPVA le 21 mars 2022, la société Bledina a sollicité le rejet de ces dernières écritures, aux motifs qu'elle n'a pas disposé d'un temps utile et suffisant pour organiser sa défense et y répondre.

L'affaire a été appelée à l'audience du 22 mars 2022.

A cette audience, la Cour a joint l'incident au fond.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, les demandes des parties tendant à voir la Cour "dire et juger" ne constituant pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur celles-ci.

1) Sur l'incident

Il ressort des articles 15 et 16 du code de procédure civile :

Que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent afin que chacune soit à même d'organiser sa défense ;

Que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

En l'espèce, les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet ont régularisé par RPVA des conclusions numéro 2 le dimanche 20 mars 2022 à 18 heures, auxquelles étaient adjointes de nouvelles pièces, (n° 36 à 41) l'affaire devant être plaidée le mardi 22 mars à 9 heures, dans un contexte où depuis le 25 mars 2021, date des dernières écritures signifiées par la société Bledina, soit depuis près d'une année, elles n'ont pas reconclu.

Aux termes de leurs nouvelles écritures, elles formulent une demande de dommages et intérêts provisionnelle à hauteur de 200 000 euros à l'encontre de la société Bledina.

Compte tenu de la date et l'heure de signification des dernières écritures des sociétés La Famille Teulet et Fruits Sains, qui comportent une demande de dommages et intérêts d'un montant conséquent, à l'évidence, ces écritures n'ont pas été présentées dans le respect des articles 15 et 16 du code de procédure civile précités, ne laissant au conseil de la société Bledina qu'une seule journée pour prendre contact avec son client et y répondre.

La Cour, considérant que le principe du contradictoire et de loyauté procédurale n'a pas été respecté, écarte en conséquence des débats les conclusions notifiées par RPVA le 22 mars 2022 par les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet ainsi que les nouvelles pièces (n° 36 à 41) adjointes à ces conclusions, seules leurs écritures signifiées le 1er mars 2021 étant en conséquence prises en considération par la Cour.

2) Sur les demandes des sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet

Les appelantes ont soutenu devant le premier juge que la brusque rupture par la société Bledina des relations commerciales qu'elle entretenait avec elles sans leur laisser un délai de préavis suffisant était constitutive d'un trouble manifestement illicite et que dans la mesure où les conditions de cette brusque rupture ne leur permettait pas de réorganiser leur production, elles étaient exposées à un dommage imminent qu'il convenait de prévenir par une mesure de remise en état appropriée, en instituant un délai de préavis suffisant, avec une production calculée sur les bases tarifaires des années précédentes et les tonnages qu'elles pouvaient légitimement attendre.

L'article 873 alinéa 1 du code de procédure civile, sur lequel les appelantes fondent leurs demandes, dispose :

"Le président (du tribunal de commerce) peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite."

Au sens de ces dispositions, le trouble manifestement illicite consiste en toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

En l'espèce, il est constant :

Que la relation commerciale entre la société Bledina et la société Fruits Sains a commencé au mois d'août 2008 et porte sur la vente de pommes issues de l'agriculture conventionnelle ;

Que la relation commerciale entre la société Bledina et la société La Famille Teulet a commencé au mois d'août 2018 et porte sur la vente de pommes issues de l'agriculture biologique ;

Que le 3 juin 2020, la société Bledina a notifié aux sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet sa décision de mettre un terme aux relations commerciales entre les parties ;

Qu'à cette occasion, la société Bledina s'est engagée vis à vis de la société Fruits Sains à respecter un préavis de 18 mois prenant fin le 3 décembre 2021 et à acheter 800 tonnes de pommes conventionnelles issues de la récolte 2020 et 700 tonnes de pommes conventionnelles issues de la récolte 2021, ce sur la base d'un prix à la tonne de 500 euros ;

Qu'elle s'est engagée également vis à vis de la société La Famille Teulet à respecter un préavis de 7 mois prenant fin le 3 janvier 2021 et à acheter 555 tonnes de pommes biologiques issues de la récolte 2020 ce sur la base d'un prix à la tonne de 1 166 euros.

S'agissant du trouble manifestement illicite, les appelantes se prévalent du non-respect des dispositions de l'article 442-1-II du code de commerce, rappelant qu'aux termes de l'article 442-4-II du même code, le juge des référés peut ordonner en cas de rupture brutale de la relation commerciale, la prolongation du délai de préavis et le maintien de la relation commerciale pendant ce délai.

Elle soutiennent à ce titre que contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, il n'y a pas lieu d'analyser séparément les deux relations contractuelles, les deux sociétés faisant partie d'une seule entité, le groupe Teulet, avec laquelle la société Bledina travaille depuis plus de 20 ans et qu'il s'agit d'un courant d'affaire unique.

Pour autant, la Cour relève que c'est à raison que le premier juge a retenu que le groupe Teulet n'avait aucune existence juridique et était dépourvu de la personnalité morale, que les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet étaient deux sociétés distinctes, exerçant une activité distincte, la production de pommes issues de l'agriculture conventionnelle pour la première, la production de pommes issues de l'agriculture biologique pour la seconde, et qui avaient conclu avec la société Bledina des contrats distincts, remontant à l'année 2008 pour la société Fruits Sains et à l'année 2018 pour la société La Famille Teulet, et que de ce fait, il convenait d'analyser séparément les deux ruptures contractuelles, le fait que ces deux sociétés aient le même dirigeant étant sans incidence dès lors qu'il a été décidé de créer deux structures autonomes.

S'agissant de la rupture de la relation commerciale avec la société Fruits Sains, la société Bledinas'est engagée à respecter un préavis de 18 mois, prenant fin le 3 décembre 2021 et à acheter 800 tonnes de pommes conventionnelles issues de la récolte 2020 et 700 tonnes de pommes conventionnelles issues de la récolte 2021, ce sur la base d'un prix à la tonne de 500 euros, étant rappelé que les relations commerciales avaient duré un peu moins de 12 ans au 3 juin 2020, date de la notification par la société Bledina de la rupture contractuelle.

L'article 442-1-II du code de commerce, dont se prévalent les appelantes, prévoit que toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services qui rompt brutalement une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce, engage sa responsabilité et oblige à réparer le préjudice causé, et qu'en cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de 18 mois.

Force est de constater que la durée d'un tel préavis est respectée en ce qui concerne la société Fruits Sains et qu'il ne peut être retenu de trouble manifestement illicite à ce titre.

S'agissant de la société La Famille Teulet, la société Bledina s'est engagée à respecter un préavis de 7 mois prenant fin le 3 janvier 2021 et à acheter 555 tonnes de pommes biologiques issues de la récolte 2020 ce sur la base d'un prix à la tonne de 1 166 euros.

Il n'est pas contesté que les relations commerciales avec la société La Famille Teulet ont débuté au mois d'août 2018.

Ainsi, au 3 juin 2020, date à laquelle la société Bledina a fait part de sa décision de cesser les relations contractuelles, les parties étaient en relations commerciales depuis moins de deux ans.

Or , sans qu'il puisse être préjugé, au stade du référé, de la durée exacte du préavis qu'il convenait de fixer dans le cadre des relations contractuelles entretenues par la société Bledina et la société La Famille Teulet, il apparaît toutefois qu'un préavis de 7 mois, au regard de relations contractuelles ayant duré moins de deux ans, ne peut être considéré comme étant constitutif d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 442-1-II du code de commerce.

Par ailleurs, si les appelantes, notamment la société La Famille Teulet, soutiennent que compte tenu du cycle de production des pommes et de l'importance des volumes achetés, la rupture était trop tardive pour leur permettre de trouver un acheteur de substitution pour les récoltes à venir, elles ne justifient d'aucun élément pour l'établir de façon certaine et circonstanciée, se limitant à produire des courriels ponctuels insusceptibles d'établir la réalité du dommage imminent invoqué, dont il convient de rappeler qu'au sens de l'article 872 alinéa 1 du code de procédure civile, il s'entend d'un dommage non réalisé mais qui se produira sûrement si la situation dénoncée doit se perpétuer.

La Cour en conséquence confirme la décision déférée dans son intégralité, sauf à y ajouter qu'à défaut de trouble manifestement illicite et de dommage imminent établi, il n'y avait lieu à référé sur les demandes des sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet.

3) Sur les demandes accessoires,

La Cour confirme la décision déférée qui a condamné les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet, parties perdantes, aux dépens de la procédure de première instance.

Les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet sont condamnées aux dépens à hauteur d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Aguiraud Nouvellet, avocats.

En équité, la Cour condamne les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet à payer à la société Bledina la somme de 2 000 euros à hauteur d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, justifiée en équité.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Ecarte des débats les conclusions notifiées par RPVA le 22 mars 2022 par les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet ainsi que les nouvelles pièces (n° 36 à 41) adjointes à ces conclusions ;

Confirme la décision déférée dans son intégralité, et y ajoutant dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet ;

Condamne les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet aux dépens à hauteur d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Aguiraud Nouvellet, avocats ;

Condamne les sociétés Fruits Sains et La Famille Teulet à payer à la société Bledina la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.