CJUE, 5e ch., 12 mai 2022, n° C-377/20
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
Servizio Elettrico Nazionale SpA, ENEL SpA, Enel Energia SpA
Défendeur :
Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato e.a.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
E. Regan (rapporteur)
Premier Président :
C. Lycourgos
Juges :
K. Lenaerts, I. Jarukaitis, M. Ilešič
Avocat général :
A. Rantos
Avocats :
M. Russo, A. Police, M. D’Ostuni, M. Clarich, V. Meli, F. Anglani, C. Tesauro, S. Fienga, M. Contu, G. Aiello, A. Fratini, C. Mirabile, V. Cerulli Irelli, G. d’Andria
LA COUR (cinquième chambre),
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 102 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre de litiges opposant Servizio Elettrico Nazionale SpA (ci-après « SEN »), sa société mère, ENEL SpA, ainsi qu’une société sœur, Enel Energia SpA (ci-après « EE »), à l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (autorité garante de la concurrence et du marché, Italie) (ci-après l’« AGCM ») ainsi qu’à d’autres parties, au sujet de la décision de cette autorité d’infliger, sur le fondement de l’article 102 TFUE, une amende pour abus de position dominante auxdites sociétés (ci-après la « décision litigieuse »).
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
3 La présente affaire s’inscrit dans le contexte de la libéralisation progressive du marché de la vente d’énergie électrique en Italie.
4 Depuis le 1er juillet 2007, tous les usagers du réseau électrique italien, y compris les ménages et les petites et moyennes entreprises, peuvent choisir leur fournisseur. Cependant, l’ouverture de ce marché a été caractérisée, dans un premier temps, par une distinction entre, d’une part, les clients éligibles à choisir un fournisseur sur le marché libre autre que leur distributeur territorialement compétent et, d’autre part, les clients du marché protégé, composés des particuliers et des petites entreprises, qui, étant considérés comme n’étant pas en mesure de négocier leurs contrats d’approvisionnement en pleine connaissance de cause ou en position de force, ont continué à relever d’un régime réglementé, à savoir le servizio di maggior tutela (service de meilleure protection), instituant un marché soumis au contrôle d’une autorité nationale de régulation sectorielle en ce qui concerne la détermination des conditions de vente.
5 Dans un second temps, les clients du marché protégé ont été autorisés à prendre part au marché libre. Le législateur italien a opéré la transition du marché protégé vers le marché libre en fixant une date à partir de laquelle les protections spéciales en matière de prix ne seraient plus applicables.
6 Lorsque l’AGCM a adopté, le 20 décembre 2018, la décision litigieuse, la date de suppression des protections spéciales en matière de prix était fixée au 1er juillet 2020. Après plusieurs reports, cette date a été finalement fixée au 1er janvier 2021 pour les petites et moyennes entreprises et au 1er janvier 2022 pour les ménages.
7 En vue de la libéralisation du marché, ENEL, une entreprise jusqu’alors verticalement intégrée et titulaire du monopole dans la production d’énergie électrique en Italie et active dans la distribution de celle-ci, a été soumise à une procédure de dissociation des activités de distribution et de vente, ainsi que des marques. Au terme de cette procédure, les activités relatives aux différentes étapes du processus de distribution ont été attribuées à des sociétés distinctes. Ainsi, E-Distribuzione s’est vu confier le service de la distribution, EE a été chargée de la fourniture d’électricité sur le marché libre et SEN s’est vu attribuer la gestion du service de meilleure protection.
8 Les présents litiges ont pour origine une plainte adressée à l’AGCM par l’Associazione Italiana di Grossisti di Energia e Trader AIGET (Association italienne des grossistes et négociants en énergie) ainsi que les signalements émanant de consommateurs individuels, visant à dénoncer l’exploitation illicite d’informations commercialement sensibles de la part d’opérateurs disposant de ces données en raison de leur appartenance au groupe ENEL. C’est ainsi que l’AGCM a ouvert le 4 mai 2017 une enquête à l’égard d’ENEL, de SEN et d’EE afin de vérifier si les comportements de ces sociétés étaient constitutifs d’une violation de l’article 102 TFUE.
9 Cette enquête s’est conclue par l’adoption de la décision litigieuse par laquelle l’AGCM a constaté que SEN et EE, sous la coordination de leur société mère ENEL, s’étaient rendues coupables, à partir du mois de janvier 2012 et jusqu’au mois de mai 2017, d’un abus de position dominante, en violation de l’article 102 TFUE, sur les marchés de la vente d’énergie électrique aux usagers domestiques et non domestiques raccordés au réseau de basse tension, dans les zones où le groupe ENEL gérait l’activité de distribution. En conséquence, l’AGCM a infligé solidairement aux sociétés susmentionnées une amende d’un montant de 93 084 790,50 euros.
10 Le comportement reproché a consisté en la mise en œuvre, à partir de janvier 2012 et jusqu’en mai 2017, d’une stratégie d’éviction, dans le but de transférer la clientèle de SEN, le gestionnaire historique du marché protégé, qui représentait encore en 2017 entre 80 et 85 % des ménages et entre 70 et 85 % des autres clients, à EE, qui opère sur le marché libre. L’objectif du groupe ENEL aurait été ainsi d’anticiper un risque de départ massif des clients de SEN vers des fournisseurs tiers, et ce en prévision de la suppression totale du marché protégé, dont la date n’a cependant été initialement fixée qu’à l’année 2017.
11 À cette fin, selon la décision litigieuse, SEN aurait recueilli, à partir de 2012, le consentement de ses clients du marché protégé à recevoir des offres commerciales relatives au marché libre selon des modalités discriminatoires consistant à demander ce consentement « de façon séparée » pour les sociétés du groupe ENEL, d’une part, et pour les tiers, d’autre part. De cette manière, les clients sollicités auraient eu tendance, d’une part, à donner leur consentement en faveur des sociétés du groupe ENEL, ayant été amenés à croire que l’octroi d’un tel consentement était nécessaire au maintien de leur approvisionnement en électricité et, d’autre part, à refuser de donner leur consentement en faveur d’autres opérateurs. Ce faisant, SEN aurait limité le nombre de consentements donnés par les clients du marché protégé à recevoir des offres commerciales proposées par les opérateurs concurrents. En effet, sur l’ensemble des clients du marché protégé ayant accepté de recevoir des offres commerciales du groupe ENEL, lesquels représenteraient, au cours de la période comprise entre l’année 2012 et l’année 2015 en moyenne environ 500 000 clients par an, soit plus du double de la clientèle moyenne des trois premiers principaux concurrents, 70 % auraient accepté de recevoir uniquement une offre du groupe ENEL contre 30 % qui auraient également accepté de recevoir des offres de concurrents.
12 Les informations relatives aux clients du marché protégé qui avaient accepté de recevoir des offres commerciales du groupe ENEL ont ensuite été inscrites sur des listes (ci après les « listes SEN ») lesquelles ont été transférées à EE au moyen de contrats de location, à titre onéreux. Dans la mesure où elles contenaient des informations, introuvables ailleurs, à savoir l’appartenance des usagers au service de meilleure protection, l’AGCM a estimé que ces listes SEN avaient une valeur stratégique et irremplaçable car elles permettaient des actions commerciales ciblées.
13 Ces listes SEN ont été utilisées par EE, qui a lancé des offres commerciales exclusivement destinées à ce type de clients, telles que l’offre commerciale « Sempre Con Te » («Toujours avec toi »), proposée pendant la période allant du 20 mars au 1er juin 2017, matérialisant ainsi la stratégie d’éviction. Selon l’AGCM, l’utilisation des listes SEN aurait permis à EE de soustraire à ses concurrents une partie significative, à savoir supérieure à 40 %, de la « demande contestable » des clients passant du marché protégé vers le marché libre.
14 Selon la décision litigieuse, seul un concurrent d’EE aurait pris contact avec SEN pour l’acquisition des listes SEN contenant les coordonnées des clients ayant consenti à recevoir des offres d’autres entreprises. Cette société, qui a indiqué avoir eu connaissance de la mise en vente de ces listes uniquement en consultant le site Internet de SEN, a finalement renoncé à les acquérir. D’autres sociétés, actives depuis de nombreuses années sur le marché pertinent, auraient indiqué n’avoir jamais été informées de cette opportunité commerciale.
15 ENEL, SEN et EE ont introduit des recours individuels contre la décision litigieuse devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie), la juridiction de première instance.
16 Par jugements du 17 octobre 2019, cette juridiction, tout en constatant l’existence d’un abus de position dominante, a partiellement accueilli les recours introduits par EE et SEN pour ce qui est de la durée de l’abus allégué et des critères utilisés pour le calcul de l’amende. En exécution de ces jugements, l’AGCM a réduit le montant de l’amende à 27 529 786,46 euros. En revanche, ladite juridiction a rejeté intégralement le recours introduit par ENEL.
17 Ces trois sociétés ont interjeté appel séparément de ces jugements devant la juridiction de renvoi, à laquelle elle demandent d’annuler cette amende ou, à titre subsidiaire, d’en réduire le montant.
18 Au soutien de leur appel, ENEL, SEN et EE font valoir, en premier lieu, l’absence de preuve du caractère abusif de leur comportement et notamment de son aptitude à produire, ne serait-ce que potentiellement, un effet d’éviction anticoncurrentiel.
19 Elles soutiennent, tout d’abord, que la simple inscription du nom d’un client sur une liste de télémarketing à des fins de promotion de services des filiales ne constituerait pas un comportement abusif car elle n’impliquerait aucun engagement quant à l’approvisionnement et elle n’empêcherait pas le client de figurer sur d’autres listes, de recevoir des messages commerciaux et de choisir ou de changer à tout moment, y compris plusieurs fois, de fournisseur.
20 Ensuite, elles allèguent que l’utilisation des listes SEN n’était pas susceptible de permettre un passage rapide et massif des clients de SEN à EE. En effet, entre le mois de mars et le mois de mai 2017, les deux seuls mois écoulés entre le lancement de l’offre « Sempre Con Te » et la fin des ventes par téléphone (teleselling outbound), EE aurait obtenu, en raison de l’utilisation des listes SEN, à peine 478 clients, soit 0,002 % des usagers du service de meilleure protection et 0,001 % du total des usagers de l’électricité.
21 Par ailleurs, l’AGCM n’aurait pas examiné les éléments de preuve économiques fournis par ENEL, SEN et EE démontrant que les comportements constatés ne pouvaient pas produire, et n’ont pas produit, d’effets restrictifs de la concurrence. À cet égard, les résultats positifs enregistrés par EE dans l’obtention de clients relevant du service de meilleure protection seraient dus à deux facteurs parfaitement licites pouvant fournir une explication alternative et plus convaincante que celle préconisée par l’AGCM, à savoir, d’une part, le fait que les performances sur le marché libre étaient meilleures pour les sociétés du groupe ENEL et, d’autre part, la capacité d’attraction de la marque ENEL.
22 Enfin, les listes SEN ne seraient ni stratégiques ni irremplaçables, étant donné qu’il existerait sur le marché des listes analogues de clients du service de meilleure protection qui sont plus complètes et moins onéreuses.
23 En second lieu, ENEL conteste l’application par l’AGCM d’une présomption simple qui fonderait sa responsabilité de société mère. À cet égard, elle fait valoir que, à partir de l’année 2014, le groupe ENEL a été restructuré et ses processus décisionnels ont été décentralisés. Dans ce nouveau contexte organisationnel, ENEL, la société mère à la tête du groupe, aurait eu la simple fonction de promouvoir les synergies et les meilleures pratiques entre les diverses sociétés opérationnelles, en abandonnant son rôle décisionnel.
24 Selon la juridiction de renvoi, qui a joint les trois recours au principal, il ne fait aucun doute que le groupe ENEL détient une position dominante sur le marché pertinent. En revanche, la notion d’« exploitation abusive », en particulier en ce qui concerne les abus « atypiques », tels que celui visant à empêcher la croissance ou la diversification de l’offre des concurrents, soulèverait des problèmes d’interprétation dans la mesure où, d’une part, l’article 102 TFUE n’offre pas de critère d’application exhaustif et, d’autre part, la distinction traditionnelle opérée entre les abus d’exploitation et les abus d’éviction n’est pas pertinente. En particulier, la question se poserait de savoir s’il convient de tenir compte de la stratégie de l’entreprise en position dominante lorsque, comme en l’espèce, celle-ci visait à empêcher le départ des clients vers des concurrents, ainsi que du fait que les comportements de cette entreprise étaient eux-mêmes licites, dans la mesure où, en l’occurrence, les listes SEN auraient été, selon la juridiction de renvoi, obtenues licitement.
25 La juridiction de renvoi se demande également s’il est suffisant que le comportement en cause soit susceptible d’exclure des concurrents du marché pertinent lorsque ledit groupe a produit, au cours de l’enquête, des études économiques visant à démontrer que son comportement n’avait pas eu, concrètement, d’effet d’éviction.
26 Enfin, l’abus de position dominante par un groupe de sociétés poserait le problème de savoir s’il y a lieu d’apporter la preuve d’une coordination active entre les différentes sociétés opérant au sein d’un même groupe ou si l’appartenance à ce groupe suffit pour constater une contribution à la pratique abusive, même par une société du groupe qui n’a pas mis en œuvre les comportements abusifs.
27 C’est dans ce contexte que le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les agissements qui matérialisent l’exploitation abusive d’une position dominante peuvent-ils être en eux mêmes parfaitement licites et n’être qualifiés d’“abusifs” qu’en raison de l’effet (potentiellement) restrictif produit sur le marché de référence ; ou ceux ci doivent-ils se caractériser aussi par une composante spécifique d’illicéité, constituée par le recours à des “méthodes ou moyens concurrentiels autres” que les méthodes ou moyens “normaux” ; et, dans ce dernier cas, sur la base de quels critères peut-on tracer la frontière entre la concurrence “normale” et la concurrence “faussée” ?
2) La règle qui sanctionne l’abus a-t-elle pour but de maximiser le bien-être des consommateurs, dont le juge doit mesurer la réduction intervenue (ou le risque de réduction) ; ou la sanction de la pratique anticoncurrentielle a-t-elle pour tâche de préserver en soi la structure concurrentielle du marché, afin d’empêcher la création d’agrégations de pouvoirs économiques considérées en tout état de cause comme dommageables pour la collectivité ?
3) En cas d’abus de position dominante consistant à tenter d’empêcher le maintien du niveau de concurrence existant ou son développement, l’entreprise dominante est-elle néanmoins recevable à prouver que – nonobstant la capacité abstraite de produire l’effet restrictif – les agissements se sont avérés dépourvus de nocivité concrète et, en cas de réponse affirmative, aux fins de l’appréciation de l’existence d’un abus par exclusion atypique, l’article 102 TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’il faut considérer que l’[a]utorité de concurrence a l’obligation d’examiner de manière détaillée les analyses économiques produites par la partie quant à la capacité concrète des agissements objet d’enquête d’exclure du marché les concurrents ?
4) L’abus de position dominante doit-il être apprécié seulement du point de vue de ses effets sur le marché (même seulement potentiels) sans tenir compte du mobile subjectif de l’opérateur ; ou la démonstration de l’intention restrictive constitue t elle un paramètre utilisable (y compris à titre exclusif) pour apprécier le caractère abusif des agissements de l’entreprise dominante ; ou encore une telle démonstration de l’élément subjectif ne sert-elle qu’à déplacer la charge de la preuve vers l’entreprise dominante (qui serait tenue, à ce stade, de fournir la preuve que l’effet d’exclusion n’a pas eu lieu) ?
5) En cas de position dominante impliquant une pluralité [de sociétés] appartenant au même groupe de sociétés, l’appartenance audit groupe est-elle suffisante pour que l’on présume que même les sociétés qui n’ont pas mis en œuvre les agissements abusifs ont concouru à la pratique anticoncurrentielle – de sorte que l’[a]utorité de concurrence pourrait se contenter de démontrer un fonctionnement parallèle conscient, quoique non collusoire, des [sociétés] opérant au sein du groupe collectivement dominant – ou (comme c’est le cas pour la prohibition des ententes) faut-il en tout état de cause apporter la preuve, même indirecte, d’une situation concrète de coordination et d’instrumentalisation entre les différentes [sociétés] du groupe occupant une position dominante, en particulier pour démontrer l’implication de la société mère ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité
28 Plusieurs parties ont mis en cause, dans les observations écrites dont dispose la Cour, la recevabilité de certaines questions.
29 L’AIGET estime que la deuxième question devrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle serait formulée en des termes généraux et qu’elle ne serait pas pertinente. En effet, il ne serait pas contesté que, si l’abus reproché au groupe ENEL était établi, celui-ci serait de nature tant à exclure du marché des concurrents qu’à causer un préjudice aux consommateurs.
30 Green Network SpA s’interroge sur la recevabilité des quatre premières questions, celles-ci ne lui paraissant pas nécessaires pour la solution des litiges au principal et, en tout état de cause, car la Cour y aurait déjà répondu.
31 Enfin, l’AGCM et l’AIGET soutiennent que la cinquième question est irrecevable, car hypothétique, puisque l’enquête menée par l’AGCM aurait conclu à l’existence d’une stratégie de groupe visant à transférer les clients de SEN à EE et ainsi à éviter leur départ vers des groupes concurrents.
32 À ces différents égards, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C 709/20, EU:C:2021:602, point 54 et jurisprudence citée).
33 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C 709/20, EU:C:2021:602, point 55 et jurisprudence citée).
34 En l’occurrence, il doit être constaté, s’agissant, tout d’abord, de la deuxième question, que la circonstance que celle-ci soit formulée en des termes généraux n’exclut pas qu’elle puisse être pertinente pour la résolution des litiges au principal.
35 Au demeurant, il appartient non pas à la Cour, mais à la juridiction nationale d’établir les faits qui ont donné lieu au litige au principal et d’en tirer les conséquences pour la décision qu’elle est appelée à rendre (arrêt du 10 mars 2016, Safe Interenvíos, C 235/14, EU:C:2016:154, point 119). En conséquence, pour autant qu’une juridiction nationale expose dans sa demande les éléments de fait et de droit nécessaires à la Cour pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées, ces dernières ne sauraient être déclarées irrecevables pour le seul motif qu’elles seraient formulées en des termes généraux.
36 Quant à la prétendue absence de contestation de la capacité de l’abus allégué d’exclure du marché les concurrents du groupe ENEL et de causer un préjudice aux consommateurs, à considérer même que celle-ci soit avérée, il n’en demeurerait pas moins que l’interprétation des objectifs poursuivis par l’article 102 TFUE pourrait s’avérer utile à la juridiction de renvoi pour déterminer quelles conditions doivent être remplies afin qu’un abus de position dominante puisse être constaté.
37 Ensuite, en ce qui concerne la pertinence des première, troisième et quatrième questions, il suffit de relever qu’il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet des litiges au principal. Au contraire, eu égard aux circonstances de ces derniers, chacune de ces questions apparaît susceptible d’éclairer la juridiction de renvoi afin de lui permettre de trancher les litiges. Quant à la circonstance que la Cour se serait déjà prononcée sur ces questions, il y a lieu de rappeler qu’il n’est nullement interdit à une juridiction nationale de poser à la Cour des questions préjudicielles dont, selon l’opinion de certaines parties au principal, la réponse ne laisse place à aucun doute raisonnable (arrêt du 14 octobre 2021, Viesgo Infraestructuras Energéticas, C 683/19, EU:C:2021:847, point 26).
38 Enfin, pour ce qui est de la cinquième question, il ne peut être exclu que la juridiction de renvoi se prononce dans un sens différent de la décision litigieuse. Dès lors, il ne saurait être considéré que, comme le soutiennent l’AGCM et l’AIGET, cette question est manifestement sans rapport avec la réalité ou l’objet des litiges au principal ou est de nature hypothétique.
39 Par conséquent, les questions posées par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) doivent être considérées comme étant recevables.
Sur le fond
Sur la deuxième question
40 Par sa deuxième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que, afin d’établir si une pratique constitue l’exploitation abusive d’une position dominante, il suffit, pour une autorité de concurrence, de prouver que cette pratique est susceptible de porter atteinte à une structure de concurrence effective sur le marché pertinent ou s’il faut encore, ou alternativement, prouver que ladite pratique est susceptible d’avoir une incidence sur le bien-être des consommateurs.
41 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 102 TFUE fait partie d’un ensemble de règles qui, en ayant pour objectif d’éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l’intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs, contribuent au bien-être dans l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C 52/09, EU:C:2011:83, points 21 et 22).
42 À ce titre, l’article 102 TFUE est une expression de l’objectif général assigné par l’article 3, paragraphe 1, sous b), TFUE à l’action de l’Union, à savoir à l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C 202/07 P, EU:C:2009:214, point 103, et du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C 280/08 P, EU:C:2010:603, point 170).
43 Le caractère fondamental des dispositions du traité FUE en matière de concurrence ressort également du protocole (no 27) sur le marché intérieur et la concurrence, lequel, en application de l’article 51 TUE, fait partie intégrante des traités, et aux termes duquel le marché intérieur comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée (arrêt du 17 novembre 2011, Commission/Italie, C 496/09, EU:C:2011:740, point 60).
44 Parmi ces règles, le but plus spécifiquement assigné à l’article 102 TFUE est, selon une jurisprudence constante, d’éviter que les comportements d’une entreprise occupant une position dominante aient pour effet, au préjudice des consommateurs, de faire obstacle, par le recours à des moyens ou à des ressources différents de ceux qui gouvernent une compétition normale, au maintien du degré de concurrence existant sur le marché ou au développement de cette concurrence [voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, EU:C:1979:36, point 91 ; du 27 mars 2012, Post Danmark, C 209/10, EU:C:2012:172, point 24, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 148 et jurisprudence citée]. En ce sens, comme l’a constaté la Cour, cette disposition vise à sanctionner non seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice direct aux consommateurs, mais également celles qui leur causent indirectement préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective (voir en ce sens, notamment, arrêts du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C 95/04 P, EU:C:2007:166, points 106 et 107, ainsi que du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C 52/09, EU:C:2011:83, point 24).
45 En revanche, ainsi que la Cour l’a déjà souligné, ladite disposition ne s’oppose pas à ce que, du fait d’une concurrence par les mérites, disparaissent ou soient marginalisés sur le marché en cause des concurrents moins efficaces et donc moins intéressants pour les consommateurs du point de vue, notamment, des prix, du choix, de la qualité ou de l’innovation (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, point 134 et jurisprudence citée).
46 Il en résulte, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé en substance au point 100 de ses conclusions, que le bien-être des consommateurs, tant intermédiaires que finals, doit être regardé comme constituant l’objectif ultime justifiant l’intervention du droit de la concurrence pour réprimer l’exploitation abusive d’une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Pour cette raison, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, une entreprise occupant une telle position peut établir qu’une pratique d’éviction ne tombe pas sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE, notamment en établissant que les effets que cette pratique est susceptible de produire sont contrebalancés, voire surpassés, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs particulièrement en termes de prix, de choix, de qualité, ou d’innovation [voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, points 134 et 140, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 165 et jurisprudence citée].
47 Dès lors, une autorité de concurrence satisfait à la charge de la preuve pesant sur elle si elle démontre qu’une pratique d’une entreprise en position dominante est susceptible de porter atteinte, en ayant recours à des ressources ou à des moyens autres que ceux qui gouvernent une compétition normale, à une structure de concurrence effective sans qu’il soit nécessaire pour celle-ci de démontrer que ladite pratique a, en outre, la capacité de causer un préjudice direct aux consommateurs. L’entreprise dominante concernée peut néanmoins échapper à l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE en démontrant que l’effet d’éviction pouvant résulter de la pratique en cause est contrebalancé, voire surpassé, par des effets positifs pour les consommateurs.
48 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que, aux fins d’établir qu’une pratique constitue l’exploitation abusive d’une position dominante, il suffit, pour une autorité de concurrence, de prouver que cette pratique est susceptible de porter atteinte à la structure de concurrence effective sur le marché pertinent, à moins que l’entreprise dominante concernée ne démontre que les effets anticoncurrentiels pouvant résulter de ladite pratique sont contrebalancés, voire surpassés, par des effets positifs pour les consommateurs, notamment en termes de prix, de choix, de qualité et d’innovation.
Sur la troisième question
49 Par sa troisième question, qu’il convient d’examiner en deuxième lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que, aux fins d’établir le caractère abusif d’un comportement d’une entreprise en position dominante, doivent être considérés comme pertinents les éléments produits par cette entreprise visant à démontrer que, nonobstant la capacité abstraite de ce comportement à produire des effets restrictifs, celui-ci n’a concrètement pas produit de tels effets et, dans l’affirmative, si l’autorité de concurrence est tenue d’examiner ces éléments de manière approfondie.
50 D’emblée, il convient de relever que, ’agissant des pratiques d’éviction, catégorie dont relèvent les comportements allégués dans les litiges au principal, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le caractère abusif de telles pratiques suppose, notamment, que celles-ci aient la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 154 et jurisprudence citée].
51 En conséquence, dans le cas où une entreprise dominante soutient, au cours de la procédure administrative, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence, éléments de preuve à l’appui, l’autorité de concurrence concernée doit examiner si, dans les circonstances du cas d’espèce, le comportement en cause avait bien une telle capacité (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, points 138 et 140).
52 Dans ce contexte, conformément au droit d’être entendu, lequel, selon une jurisprudence constante, constitue un principe général du droit de l’Union qui trouve à s’appliquer dès lors qu’une administration se propose de prendre, à l’égard d’une personne, un acte qui lui fait grief, les autorités de concurrence ont notamment l’obligation d’entendre l’entreprise concernée, ce qui implique qu’elles prêtent toute l’attention requise aux observations soumises par celle-ci et examinent, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce et, notamment, les preuves soumises par cette entreprise (voir, par analogie, arrêt du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C 189/18, EU:C:2019:861, points 39 à 42).
53 Cela étant, il convient de rappeler que la qualification d’une pratique d’une entreprise en position dominante d’abusive ne requiert pas de démontrer, dans le cas d’une pratique d’une telle entreprise visant à évincer ses concurrents du marché concerné, que son résultat a été atteint et, par suite, la démonstration d’un effet d’éviction concret sur le marché. En effet, l’article 102 TFUE vise à sanctionner le fait, pour une ou plusieurs entreprises, d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci, indépendamment de savoir si une telle exploitation s’est avérée ou non fructueuse (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, České dráhy/Commission, C 538/18 P et C 539/18 P, non publié, EU:C:2020:53, point 70 et jurisprudence citée).
54 Or, si, comme le souligne le point 20 de la communication de la Commission européenne intitulée « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article [102 TFUE] aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes » (JO 2009, C 45, p. 7), lorsque le comportement est suffisamment ancien, la performance sur le marché de l’entreprise dominante et de ses concurrents peut constituer une preuve d’un effet d’éviction de la pratique en cause, la circonstance inverse qu’un certain comportement n’ait pas produit d’effets anticoncurrentiels concrets ne saurait exclure, même lorsqu’un long laps de temps s’est écoulé depuis que ce comportement a eu lieu, que celui-ci avait bien une telle capacité lorsqu’il a été mis en œuvre. En effet, une telle absence d’effets pourrait résulter d’autres causes et être due, notamment, à des changements survenus sur le marché pertinent depuis que ledit comportement a été entamé ou à l’incapacité de l’entreprise en position dominante de mener à bien la stratégie à l’origine d’un tel comportement.
55 Dès lors, la preuve produite par une entreprise en position dominante de l’absence d’effets d’éviction concrets ne saurait être considérée comme étant suffisante, à elle seule, pour écarter l’application de l’article 102 TFUE.
56 En revanche, cette circonstance peut constituer un indice de ce que le comportement en cause n’était pas susceptible de produire les effets d’éviction allégués. Ce début de preuve doit cependant être complété, par l’entreprise concernée, par des éléments tendant à démontrer que cette absence d’effets concrets était bien la conséquence de l’incapacité dudit comportement à produire de tels effets.
57 Il s’ensuit que, dans la présente affaire, la circonstance, sur laquelle les sociétés visées s’appuient pour contester l’existence d’un abus de position dominante, qu’EE a obtenu, par l’utilisation des listes SEN, à peine 478 clients, soit 0,002 % des clients du marché protégé, ne peut être considérée comme étant, en soi, suffisante pour démontrer que la pratique en cause n’avait pas la capacité de produire un effet d’éviction.
58 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que, aux fins d’exclure le caractère abusif d’un comportement d’une entreprise en position dominante, doit être considérée comme n’étant pas, à elle seule, suffisante la preuve, apportée par l’entreprise en question, que ce comportement n’a pas produit d’effets restrictifs concrets. Cet élément peut constituer un indice de l’incapacité du comportement en cause à produire des effets anticoncurrentiels, lequel, toutefois, devra être complété par d’autres éléments de preuve visant à établir cette incapacité.
Sur la quatrième question
59 Par sa quatrième question, qu’il convient d’examiner en troisième lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que l’existence d’une pratique d’éviction abusive par une entreprise occupant une position dominante doit être appréciée sur le seul fondement de la capacité de cette pratique à produire des effets anticoncurrentiels ou s’il convient de tenir compte de l’intention de l’entreprise concernée de restreindre la concurrence.
60 À cet égard, il convient de rappeler que l’exploitation abusive d’une position dominante, interdite par l’article 102 TFUE, est une notion objective [voir, notamment, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 148, ainsi que du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission, C 152/19 P, EU:C:2021:238, point 41].
61 Ainsi qu’il a été rappelé au point 50 du présent arrêt, la qualification d’abusive d’une pratique d’éviction dépend des effets d’éviction que celle-ci est ou était capable de produire. Ainsi, pour établir le caractère abusif d’une pratique d’éviction, une autorité de concurrence doit démontrer que, d’une part, cette pratique avait la capacité, lorsqu’elle a été mise en œuvre, de produire un tel effet d’éviction, en ce sens qu’elle était susceptible de rendre plus difficile la pénétration ou le maintien des concurrents sur le marché en cause, et, ce faisant, que ladite pratique était susceptible d’avoir une incidence sur la structure de marché, et, d’autre part, que cette pratique reposait sur l’exploitation de moyens autres que ceux relevant d’une concurrence par les mérites. Or, aucune de ces conditions ne requiert, en principe, la preuve d’un élément intentionnel.
62 En conséquence, pour constater l’exploitation abusive d’une position dominante aux fins de l’application de l’article 102 TFUE, une autorité de concurrence n’est nullement tenue d’établir l’existence d’une intention anticoncurrentielle dans le chef de l’entreprise en position dominante (arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C 549/10 P, EU:C:2012:221, point 21).
63 Cela étant, si, aux fins de l’application de l’article 102 TFUE, il n’est nullement requis d’établir l’existence d’une intention anticoncurrentielle dans le chef de l’entreprise en position dominante, la preuve d’une telle intention, si elle ne saurait suffire à elle seule, constitue une circonstance factuelle susceptible d’être prise en compte aux fins de la détermination d’un abus de position dominante [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 162 et jurisprudence citée].
64 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que l’existence d’une pratique d’éviction abusive par une entreprise en position dominante doit être appréciée sur le fondement de la capacité de cette pratique à produire des effets anticoncurrentiels. Une autorité de concurrence n’est pas tenue d’établir l’intention de l’entreprise en cause d’évincer ses concurrents par des moyens ou en recourant à des ressources autres que ceux gouvernant une concurrence par les mérites. La preuve d’une telle intention constitue néanmoins une circonstance factuelle susceptible d’être prise en compte aux fins de la détermination d’un abus de position dominante.
Sur la première question
65 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une pratique, par ailleurs licite en dehors du droit de la concurrence, peut, lorsqu’elle est mise en œuvre par une entreprise en position dominante, être qualifiée d’« abusive », au sens de cette disposition, sur le seul fondement de ses effets potentiellement anticoncurrentiels ou si une telle qualification exige en outre que cette pratique soit mise en œuvre par des moyens ou des ressources autres que ceux gouvernant une concurrence normale. Dans cette seconde hypothèse, cette même juridiction s’interroge sur les critères permettant de différencier les moyens ou les ressources qui relèvent d’une concurrence normale par rapport à ceux qui relèvent d’une concurrence faussée.
66 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 102 TFUE déclare incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.
67 Selon une jurisprudence constante, la notion d’« exploitation abusive », au sens de l’article 102 TFUE, est fondée sur une appréciation objective du comportement en cause. Or, l’illégalité d’un comportement abusif au regard de cette disposition est indépendante de la qualification de ce comportement dans d’autres branches du droit (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C 457/10 P, EU:C:2012:770, points 74 et 132).
68 Concrètement, ainsi qu’il ressort du point 44 du présent arrêt, cette notion désigne toute pratique susceptible de porter atteinte, au moyen de ressources autres que celles qui gouvernent une compétition normale, à une structure de concurrence effective. Elle vise ainsi à sanctionner les comportements d’une entreprise en position dominante qui, sur un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence [arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, EU:C:1979:36, point 91, et du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission, C 152/19 P, EU:C:2021:238, point 41].
69 S’agissant des pratiques qui constituent l’objet des litiges au principal, ainsi que relevé au point 50 du présent arrêt, leur caractère abusif suppose qu’elles aient eu la capacité de produire les effets d’éviction sur la base desquels repose la décision litigieuse.
70 Certes, de tels effets ne doivent pas être purement hypothétiques (arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark, C 23/14, EU:C:2015:651, point 65). En conséquence, d’une part, une pratique ne peut pas être qualifiée d’abusive si elle est restée à l’état de projet sans avoir été mise en œuvre. D’autre part, une autorité de concurrence ne saurait s’appuyer sur les effets que cette pratique pourrait ou aurait pu produire si certaines circonstances particulières, qui n’étaient pas celles prévalant sur le marché au moment de sa mise en œuvre et dont la réalisation apparaissait, alors, peu probable, s’étaient réalisées ou se réalisent.
71 En revanche, pour retenir une telle qualification, il suffit que cette pratique ait eu, au cours de la période pendant laquelle elle a été mise en œuvre, la capacité de produire un effet d’éviction à l’égard de concurrents au moins aussi efficaces que l’entreprise en position dominante (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark, C 23/14, EU:C:2015:651, point 66 et jurisprudence citée).
72 Étant donné que le caractère abusif d’une pratique ne dépend pas de la forme que celle-ci revêt ou revêtait, mais suppose que ladite pratique ait ou ait eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire, lors de sa mise en œuvre, les effets d’éviction reprochés, cette condition doit être appréciée au regard de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes [voir, en ce sens, arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 154, ainsi que du 25 mars 2021, Slovak Telekom/Commission, C 165/19 P, EU:C:2021:239, point 42].
73 Cela étant, ainsi qu’il a été rappelé au point 45 du présent arrêt, l’article 102 TFUE n’a aucunement pour but d’empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, et notamment en raison de ses compétences et de ses capacités, une position dominante sur un marché, ni d’assurer que des concurrents moins efficaces qu’une entreprise occupant une telle position restent sur le marché. En effet, tout effet d’éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu de la concurrence, puisque, par définition, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces et donc moins intéressants pour les consommateurs du point de vue notamment des prix, du choix, de la qualité ou de l’innovation (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, points 133 et 134).
74 Cependant, il incombe aux entreprises en position dominante, indépendamment des causes d’une telle position, la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par leur comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur (voir, notamment, arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, EU:C:1983:313, point 57, et du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, point 135).
75 En conséquence, si des entreprises en position dominante peuvent se défendre contre leurs concurrents, elles doivent le faire en recourant à des moyens relevant d’une concurrence « normale », c’est-à-dire fondée sur les mérites.
76 En revanche, ces entreprises ne peuvent pas rendre plus difficile la pénétration ou le maintien sur le marché en cause de concurrents aussi efficaces en recourant à des moyens autres que ceux relevant d’une concurrence fondée sur les mérites. Notamment, elles doivent s’abstenir d’utiliser leur position dominante pour s’étendre sur un autre marché autrement que par des moyens relevant d’une concurrence fondée sur les mérites (voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 1985, CBEM, 311/84, EU:C:1985:394, point 25 ; du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C 333/94 P, EU:C:1996:436, point 25, et du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C 52/09, EU:C:2011:83, point 87).
77 Doit être considérée comme constituant un moyen autre que ceux relevant d’une concurrence fondée sur les mérites toute pratique pour la mise en œuvre de laquelle une entreprise dominante n’a pas d’intérêt économique si ce n’est celui d’éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, relever ses prix en tirant profit de sa situation monopolistique (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C 62/86, EU:C:1991:286, point 71).
78 Il en va de même, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 69 à 71 de ses conclusions, d’une pratique insusceptible d’être adoptée par un hypothétique concurrent qui, bien qu’aussi efficace, n’occupe pas une position dominante sur le marché en cause, car cette pratique repose sur l’exploitation de ressources ou de moyens propres à la détention d’une telle position.
79 La pertinence de l’impossibilité, matérielle ou rationnelle, pour un hypothétique concurrent aussi efficace, mais n’étant pas en position dominante, d’imiter la pratique en cause, aux fins de déterminer si cette dernière repose sur des moyens relevant d’une concurrence fondée sur les mérites, ressort de la jurisprudence relative aux pratiques tant tarifaires que non tarifaires.
80 S’agissant de la première de ces deux catégories de pratiques, qui comprend les rabais de fidélité, les pratiques de prix bas sous la forme de prix sélectifs ou de prix prédateurs ainsi que les pratiques de compression de marges, il ressort de la jurisprudence que celles-ci s’apprécient, en général, en recourant au test dit du « concurrent aussi efficace », lequel vise précisément à apprécier la capacité qu’aurait un tel concurrent, considéré abstraitement, de reproduire le comportement de l’entreprise en position dominante (voir, notamment, arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C 52/09, EU:C:2011:83, points 41 à 43).
81 Certes, ce test n’est que l’une des manières d’établir qu’une entreprise en position dominante a eu recours à des moyens autres que ceux relevant d’une concurrence « normale », de sorte que les autorités de concurrence n’ont pas l’obligation de se fonder systématiquement sur un tel test pour constater le caractère abusif d’une pratique tarifaire (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark, C 23/14, EU:C:2015:651, point 57).
82 Toutefois, l’importance généralement accordée audit test, lorsque celui ci est réalisable, n’en démontre pas moins que l’incapacité qu’aurait un hypothétique concurrent aussi efficace de répliquer le comportement de l’entreprise dominante constitue, s’agissant des pratiques d’éviction, l’un des critères permettant de déterminer si ce comportement doit être considéré comme étant ou non fondé sur l’utilisation de moyens relevant d’une concurrence normale.
83 En ce qui concerne la seconde catégorie de pratiques visées au point 79 du présent arrêt, à savoir les pratiques non tarifaires, telles que les refus de fourniture de biens ou de services, la Cour a souligné que le choix d’une entreprise dominante de se réserver à elle-même son propre réseau de distribution ne constitue pas un refus de fourniture contraire à l’article 102 TFUE dès lors, précisément, qu’il est possible pour un concurrent de créer un réseau analogue pour la distribution de ses propres produits (voir, ce sens, arrêt du 26 novembre 1998, Bronner, C 7/97, EU:C:1998:569, points 44 et 45).
84 Lorsqu’il est établi, par une autorité de concurrence, qu’une pratique engagée par une entreprise en position dominante est susceptible de porter atteinte à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur, il reste possible pour cette entreprise, afin que la pratique en cause ne soit pas considérée comme l’exploitation abusive d’une position dominante, de démontrer que celle-ci est ou était objectivement justifiée soit par certaines circonstances du cas d’espèce, lesquelles doivent notamment être extérieures à l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C 52/09, EU:C:2011:83, points 31 et 75), soit, eu égard à l’objectif ultimement poursuivi par l’article 102 TFUE, par l’intérêt des consommateurs [voir notamment, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 165].
85 S’agissant de cette seconde hypothèse, il convient de souligner que la notion de concurrence par les mérites se réfère, en principe, à une situation de concurrence dont les consommateurs tirent profit par des prix moins élevés, une qualité meilleure et un choix plus vaste de biens et de services nouveaux ou plus performants. Ainsi, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 62 de ses conclusions, doivent notamment être considérées comme relevant de la concurrence par les mérites les conduites qui ont pour effet d’élargir le choix des consommateurs en mettant sur le marché de nouveaux produits ou en augmentant la quantité ou la qualité de ceux déjà offerts.
86 Dans un tel cas, l’entreprise dominante peut justifier des agissements susceptibles de tomber sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE en établissant que l’effet d’éviction que son comportement avait la capacité de produire était contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs [voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 2007, British Airways/Commission, C 95/04 P, EU:C:2007:166, point 86 ; du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, point 140, ainsi que du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, point 165].
87 En ce qui concerne les litiges au principal, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si l’AGCM a démontré à suffisance de droit que la stratégie mise en œuvre par l’entreprise ENEL entre l’année 2012 et l’année 2017 était susceptible de porter atteinte à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur. Toutefois, afin de la guider dans cette appréciation, la Cour peut lui fournir tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles [voir, notamment, arrêts du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria, C 83/14, EU:C:2015:480, point 62, et du 6 octobre 2021, A (Franchissement de frontières en navire de plaisance), C 35/20, EU:C:2021:813, point 85].
88 En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour, tout d’abord, que, à la suite de la séparation des différentes activités de l’entreprise ENEL, jusqu’alors verticalement intégrée et occupant une position de monopole sur les marchés de la production, du transport et de la distribution d’électricité en Italie, SEN s’était vu confier la gestion des clients relevant du seul marché protégé dans cet État membre. Cependant, il était acquis que le marché protégé n’avait pas vocation à perdurer et que, lors de sa suppression, à une date future, les clients concernés devraient choisir un nouveau fournisseur. En outre, afin d’éviter le transfert d’un avantage concurrentiel, la réglementation sectorielle n’autorisait le transfert d’informations commercialement sensibles entre les sociétés qui vendent de l’électricité sur le marché protégé et les sociétés qui sont actives sur le marché libre que pour autant que la fourniture de ces informations était non discriminatoire.
89 Ensuite, il découle des indications fournies par la juridiction de renvoi que le comportement visé dans la décision litigieuse tient, en substance, non pas au refus de SEN de permettre à des concurrents d’EE d’accéder à une facilité essentielle que constitueraient les données de contact des clients du marché protégé, mais à la décision de SEN de transférer, contre paiement, certaines informations commerciales détenues par elle concernant ses clients, dont notamment leurs données de contact, à EE, d’une manière qui serait défavorable, et donc discriminatoire, à l’égard des concurrents de cette seconde société sur le marché libre, alors même que SEN était en position dominante sur le marché protégé.
90 Enfin, la juridiction de renvoi semble partir de la prémisse que, à tout le moins, SEN et EE formaient une seule et même entreprise au sens de l’article 102 TFUE.
91 Eu égard à ces éléments, qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, il apparaît opportun de rappeler que doit être considéré comme constituant l’exploitation de moyens autres que ceux relevant d’une concurrence par les mérites, car reposant sur l’exploitation de ressources inaccessibles, dans leur principe, à un hypothétique concurrent aussi efficace, mais ne jouissant pas d’une position dominante, le fait pour une entreprise disposant de droits exclusifs, tel un monopole légal, d’utiliser ces derniers afin d’étendre la position dominante qu’elle détient sur un marché en raison de ces droits sur un autre marché (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2014, Commission/DEI, C 553/12 P, EU:C:2014:2083, points 45 à 47 et 66 à 68).
92 Il en résulte a fortiori que, lorsqu’une entreprise perd le monopole légal qu’elle détenait auparavant sur un marché, celle-ci doit s’abstenir, pendant toute la phase de libéralisation de ce marché, de recourir à des moyens dont elle disposait au titre de son ancien monopole et qui, à ce titre, ne sont pas disponibles pour ses concurrents, aux fins de conserver, autrement que par ses propres mérites, une position dominante sur le marché en cause nouvellement libéralisé.
93 Dans les litiges au principal, ces considérations impliquent que l’entreprise qu’auraient formée ensemble, à tout le moins, SEN et EE avait la responsabilité particulière de s’abstenir de tout comportement sur le marché protégé qui soit de nature à porter atteinte à une structure de concurrence effective sur le marché libre et, en particulier, d’étendre sur ce marché la position dominante dont elle jouissait sur le marché protégé autrement que par des moyens relevant d’une concurrence par les mérites (voir, par analogie, arrêt du 3 octobre 1985, CBEM, 311/84, EU:C:1985:394, point 27).
94 Or, il est constant que la possibilité de contacter la clientèle du marché protégé présentait un intérêt économique certain pour toute entreprise souhaitant se développer sur le marché libre. Aussi, dès lors que l’entreprise qu’auraient formée ensemble SEN et EE entendait transférer certaines informations commerciales détenues par SEN au sujet de sa clientèle, contre paiement, à EE, cette entreprise devait également, afin de ne pas porter atteinte à une structure de concurrence effective, offrir la possibilité aux concurrents d’EE d’accéder à ces informations, et ce à des conditions égales pour des prestations équivalentes.
95 Certes, eu égard au droit à la protection des données personnelles, lequel constitue un droit fondamental garanti par l’article 8, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), il ne saurait être fait grief à une société dans la situation de SEN d’avoir préalablement recueilli le consentement de ses clients à voir certaines de leurs informations personnelles ainsi transférées. De même, une telle société ne saurait non plus être tenue responsable de la décision d’une partie de ses clients de n’autoriser le transfert de leurs informations personnelles qu’au bénéfice de certaines sociétés.
96 Toutefois, afin de se conformer à la responsabilité particulière qui lui incombait en raison de sa position dominante sur le marché protégé, SEN devait, aux fins d’anticiper le souhait d’une société tierce désireuse de se développer sur le marché libre d’accéder également auxdites informations, proposer à ses clients de recevoir les offres de sociétés n’appartenant pas au groupe ENEL d’une manière qui soit non discriminatoire, notamment en veillant à éviter de créer un biais lors de la collecte des consentements de nature à conduire à ce que les listes destinées à être cédées à EE soient significativement plus étoffées que celles destinées à la vente aux concurrents de cette société.
97 En l’occurrence, les informations transmises à la Cour ne permettent pas de comprendre la nature exacte du traitement discriminatoire identifié par l’AGCM. En effet, s’il ressort de la décision de renvoi que SEN a sollicité le consentement de ses clients du marché protégé pour recevoir des offres commerciales des sociétés du groupe ENEL et de tiers « séparément », ce même descriptif ne permet pas de déterminer, avec suffisamment de clarté, si cette notion fait référence à la circonstance que les sollicitations ont été adressées à des moments différents ou au fait qu’elles figuraient dans des parties différentes d’un même document, ni d’ailleurs si l’ensemble des sociétés tierces étaient visées de manière indifférenciée par une même demande de consentement, s’il était possible de consentir à recevoir les offres de société tierces sans devoir également consentir à recevoir celles du groupe ENEL ou si les clients de SEN pouvaient choisir, de manière individualisée, quelles entreprises tierces étaient autorisées à leur adresser des offres commerciales, à l’instar de ce qui était prévu, semble-t-il, pour le groupe ENEL.
98 Cela étant, il convient de rappeler que la charge de la preuve de la capacité du comportement de SEN de produire des effets actuels ou potentiels d’éviction pèse sur l’AGCM. Étant donné que cette capacité ne doit pas être purement hypothétique, l’AGCM devait donc, pour satisfaire à cette charge, établir, dans la décision litigieuse, sur le fondement d’éléments probants, tels que des études comportementales, que le procédé utilisé par SEN pour collecter le consentement de ses clients au transfert de leurs données était bien de nature à favoriser les listes destinées à être cédées à EE.
99 Si la juridiction de renvoi devait constater que l’AGCM a établi à suffisance de droit, dans la décision litigieuse, que la manière dont SEN a sollicité le consentement de ses clients pour recevoir des offres était biaisée afin de favoriser les sociétés du groupe ENEL au détriment de ses concurrents, l’existence d’un tel biais exclurait qu’il puisse être considéré que la différence de quantité d’informations contenues dans les listes destinées à EE et dans les listes destinées aux concurrents soit due au fait que les performances sur le marché libre étaient meilleures pour les sociétés du groupe ENEL ou à la capacité d’attraction de la marque ENEL. En effet, l’existence même de ce biais rendrait, par définition, impossible la détermination de l’existence de causes objectives à la différence de consentements donnés. Par conséquent, étant donné que, dans cette hypothèse, ledit biais serait la conséquence du comportement de SEN, la différence quant au nombre des clients concernés par les listes destinées à EE et par les listes destinées aux concurrents de cette dernière devrait être imputée à SEN.
100 Il en résulterait que, ce faisant, SEN aurait transféré à EE une ressource susceptible de conférer un avantage comparatif à l’entreprise que, selon le postulat mentionné au point 90 du présent arrêt, à tout le moins ces deux sociétés auraient formée ensemble, sur le marché libre, alors même qu’il ressort des éléments du dossier que le processus de dissociation des activités de ENEL avait précisément pour but d’éviter un tel transfert. Dès lors, l’utilisation subséquente de cette ressource devrait être regardée comme concrétisant la mise en œuvre d’une pratique ayant eu, à tout le moins initialement, la capacité de produire des effets d’éviction sur le marché libre.
101 Or, un tel comportement serait nécessairement insusceptible d’être adopté par un hypothétique concurrent aussi efficace, puisque, en raison de la position occupée par SEN sur le marché protégé, à la suite de la suppression du monopole légal anciennement détenu par l’entreprise ENEL, aucune entreprise concurrente ne pouvait disposer d’une structure susceptible de fournir, en si grand nombre, les données de contact des clients du marché protégé.
102 Il s’ensuit que, dans la mesure où l’exploitation abusive d’une position dominante s’apprécie au regard de la capacité du comportement en cause à produire des effets d’éviction, et non au regard de ses effets concrets, s’il devait être établi que SEN a sollicité de ses clients leur consentement pour recevoir des offres, respectivement, de sociétés du groupe ENEL et de ses concurrents, de manière discriminatoire, cette seule circonstance suffirait à établir que le comportement de l’entreprise formée à tout le moins par SEN et EE était susceptible de porter atteinte à une concurrence effective et non faussée. Un tel constat ne saurait être remis en cause à la lumière des raisons pour lesquelles aucun desdits concurrents n’a décidé d’acheter les informations qui leur étaient proposées, de la capacité d’EE à transformer cet avantage comparatif en un succès commercial ou des diligences que les entreprises concurrentes ont pu, ou auraient pu, mettre en œuvre, telles que l’achat auprès de tiers de fichiers contenant des données relatives aux clients du marché protégé, pour limiter les conséquences dommageables de cette pratique.
103 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une pratique licite en dehors du droit de la concurrence peut, lorsqu’elle est mise en œuvre par une entreprise en position dominante, être qualifiée d’« abusive », au sens de cette disposition, si elle peut produire un effet d’éviction et si elle repose sur l’utilisation de moyens autres que ceux relevant d’une concurrence par les mérites. Lorsque ces deux conditions sont remplies, l’entreprise en position dominante concernée peut néanmoins échapper à l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE en établissant que la pratique en cause était soit objectivement justifiée et proportionnée à cette justification, soit contrebalancée, voire surpassée, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs.
Sur la cinquième question
104 Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une position dominante est exploitée de façon abusive par une ou plusieurs filiales appartenant à une unité économique, l’existence de cette unité est suffisante pour considérer que la société mère est elle aussi responsable de cet abus, même lorsque cette dernière n’a pas participé aux pratiques abusives, ou s’il est nécessaire d’apporter la preuve, même indirecte, d’une coordination entre ces différentes sociétés et, en particulier, de démontrer une implication de la société mère.
105 À titre liminaire, il importe de rappeler que les auteurs du traité FUE ont choisi, pour désigner l’auteur d’une infraction au droit de la concurrence, de recourir à la notion d’« entreprise », laquelle désigne, dans ce contexte, une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêt du 27 avril 2017, Akzo Nobel e.a./Commission, C 516/15 P, EU:C:2017:314, point 48).
106 Il découle d’un tel choix que, lorsqu’une telle unité enfreint les règles de l’Union relatives à la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de ladite infraction (arrêt du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission, C 152/19 P, EU:C:2021:238, point 73).
107 Étant donné, cependant, qu’une telle infraction doit être imputée à une personne juridique susceptible de se voir infliger des amendes, l’application de la notion d’« entreprise » et, à travers elle, celle d’« unité économique » entraîne de plein droit une responsabilité solidaire entre les entités qui composaient l’unité économique concernée au moment de la commission de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C 882/19, EU:C:2021:800, point 44).
108 Lorsque des personnes juridiquement distinctes sont organisées sous la forme d’un groupe, il est de jurisprudence constante que celles-ci forment une seule et même entreprise, lorsqu’elles ne déterminent pas, de façon autonome, leur comportement sur le marché en cause, mais que, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui les unissent à une société mère, celles-ci subissent à cette fin les effets de l’exercice effectif, par cette unité de direction, d’une influence déterminante (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission, C 152/19 P, EU:C:2021:238, points 74 et 75).
109 Il résulte d’une jurisprudence tout aussi constante que, dans l’hypothèse particulière où la société mère détient directement ou indirectement la totalité ou la quasi-totalité du capital de la filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, l’exercice effectif d’une influence déterminante par la société mère peut être présumé (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2021, Italmobiliare e.a./Commission, C 694/19 P, non publié, EU:C:2021:286, point 55).
110 Une telle présomption est cependant réfragable (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2013, Eni/Commission, C 508/11 P, EU:C:2013:289, point 47). En effet, ainsi que la Cour l’a souligné, c’est non pas la détention d’un tel pourcentage du capital social de la filiale qui fonde celle-ci, mais le degré de contrôle que celle-ci implique (arrêt du 27 janvier 2021, The Goldman Sachs Group/Commission, C 595/18 P, EU:C:2021:73, point 35). Or, la détention, par une société, de la quasi-totalité du capital social d’une autre, bien que constituant un indice très fort en faveur de la détention d’un tel contrôle, ne permet pas d’exclure avec certitude qu’une ou plusieurs autres personnes puissent détenir, seules ou conjointement, le pouvoir de décision, puisque, notamment, la propriété du capital social peut avoir été dissociée des droits de vote.
111 Au demeurant, il ressort de la jurisprudence rappelée précédemment que, pour former avec sa filiale une seule et même entreprise, une société mère doit exercer un contrôle sur le comportement de sa filiale, ce qui peut être démontré en établissant soit que la société mère a la capacité d’exercer une influence déterminante sur le comportement de la filiale et qu’elle a en outre effectivement exercé cette influence, soit que cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais qu’elle applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir, notamment, arrêt du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission, C 152/19 P, EU:C:2021:238, points 94 et 95).
112 En conséquence, une société mère doit également pouvoir renverser la présomption énoncée au point 109 du présent arrêt en démontrant que, bien qu’elle possédât la totalité ou la quasi-totalité du capital d’une autre société, lorsque la pratique a eu cours, elle ne lui donnait pas d’instruction, ni ne participait ni directement ni indirectement, notamment par l’intermédiaire d’administrateurs désignés, à l’adoption des décisions de cette autre société relatives à l’activité économique concernée.
113 En l’occurrence, ENEL soutient que les difficultés qui auraient surgi dans le cadre des litiges au principal seraient liées non pas à l’application de cette présomption, mais à la répartition de la charge de la preuve de ce que les différentes sociétés du groupe ENEL concernées formaient une seule et même entreprise, ainsi qu’à l’obligation de motivation pesant sur l’autorité de concurrence, lorsque cette dernière entend écarter les éléments mis en avant par une société mère pour renverser ladite présomption.
114 À cet égard, s’agissant de la charge de la preuve, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 155 de ses conclusions, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la présomption découlant de la détention, par une société mère, de la totalité ou de la quasi-totalité du capital social de sa filiale implique que l’exercice effectif d’une influence déterminante de la part de la société mère à l’égard de sa filiale et, donc, l’existence, entre ces sociétés, d’une seule et même entreprise soient considérés comme établis, sans que l’autorité de concurrence ait à produire une quelconque preuve supplémentaire (voir, notamment, arrêt du 16 juin 2016, Evonik Degussa et AlzChem/Commission, C 155/14 P, EU:C:2016:446, points 29 et 30).
115 Pour ce qui est de l’obligation de motivation, il convient de rappeler que cette dernière constitue un principe général du droit de l’Union, reflétée à l’article 41 de la Charte, ayant vocation à s’appliquer aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2020, Minister van Buitenlandse Zaken, C 225/19 et C 226/19, EU:C:2020:951, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
116 Conformément au droit à un recours effectif, garanti par l’article 47 de la Charte, la motivation fournie doit être de nature à permettre, d’une part, aux intéressés d’apprécier si la décision adoptée est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité et, d’autre part, au juge compétent d’opérer un contrôle de légalité (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C 682/15, EU:C:2017:373, point 84).
117 Ainsi, lorsqu’une décision constate qu’une société formait, au moment des faits, avec une ou plusieurs de ses filiales, une seule et même entreprise aux fins de la réalisation d’une activité économique, cette décision doit contenir, pour être considérée comme étant dument motivée, un exposé des raisons justifiant une telle constatation (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, C 196/99 P, EU:C:2003:529, point 100, et du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C 521/09 P, EU:C:2011:620, point 152).
118 Il en résulte que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 160 de ses conclusions, lorsque, pour infliger à une société mère, une amende au titre du comportement adopté par l’entreprise que celle-ci formait, au moment des faits, avec une autre société qui était alors sa filiale, une autorité de la concurrence s’est fondée sur la présomption d’influence déterminante résultant de la détention, par cette société mère, au moment des faits, de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de cette autre société, alors même que ladite société mère avait apporté, durant la procédure administrative, des éléments concrets aux fins de renverser ladite présomption, l’autorité de la concurrence est tenue, afin de satisfaire à son obligation de motivation, d’exposer de manière adéquate les raisons pour lesquelles ces éléments ne permettaient pas de renverser ladite présomption (arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C 521/09 P, EU:C:2011:620, point 153).
119 Une telle obligation de motivation n’implique cependant pas que l’autorité de concurrence soit tenue de prendre position sur chacun des éléments avancés par la société mère pour renverser ladite présomption (arrêt du 5 décembre 2013, Commission/Edison, C 446/11 P, non publié, EU:C:2013:798, point 23).
120 En effet, d’une part, la question de savoir si un acte est motivé à suffisance de droit doit être appréciée au regard de son contexte et des règles applicables (voir, par analogie, arrêt du 19 novembre 2013, Commission/Conseil, C 63/12, EU:C:2013:752, point 99). D’autre part, la motivation étant une exigence de forme, il suffit, pour que cette exigence soit remplie, que la décision attaquée fasse état d’un motif de nature à établir que, malgré les différents éléments avancés, il n’y avait pas lieu de renverser la présomption. Il appartient ensuite aux destinataires de cette décision de contester le bien-fondé d’un tel motif.
121 Il s’ensuit que, dans les litiges au principal, étant donné qu’il n’est pas contesté qu’ENEL possédait la totalité ou la quasi-totalité du capital de SEN, l’AGCM pouvait présumer que cette société mère formait avec sa filiale une seule entreprise aux fins de l’activité de distribution d’électricité sur le marché en cause. ENEL pouvait cependant tenter de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve tendant à démontrer que soit la détention d’une telle part du capital ne lui permettait néanmoins pas de contrôler SEN, soit qu’elle ne faisait pas usage, directement ou indirectement, de la capacité qu’elle détenait, en raison de la détention de la totalité ou la quasi-totalité du capital de SEN, d’exercer une influence déterminante sur SEN. Si tel était le cas, l’AGCM était tenue de prendre position sur les preuves avancées en faisant état, à tout le moins, d’un motif de nature à établir que, malgré ces différents éléments, il n’y avait pas lieu de renverser la présomption.
122 Cela étant, dans les litiges au principal, il peut être relevé que l’allégation selon laquelle les processus décisionnels décentralisés au sein du groupe ne laissaient à ENEL que la simple fonction de promouvoir des synergies et de meilleures pratiques entre les diverses sociétés du groupe n’apparaît pas, en tout état de cause, suffisante pour renverser ladite présomption dans la mesure où, notamment, elle n’exclut pas que des représentants d’ENEL siégeaient dans les organes de décision de SEN, ni même ne garantit que les membres de ces organes étaient fonctionnellement indépendants de la société mère.
123 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la cinquième question que l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une position dominante est exploitée de façon abusive par une ou plusieurs filiales appartenant à une unité économique, l’existence de cette unité est suffisante pour considérer que la société mère est elle aussi responsable de cet abus. L’existence d’une telle unité doit être présumée si, au moment des faits, au moins la quasi-totalité du capital de ces filiales était détenue, directement ou indirectement, par la société mère. L’autorité de concurrence n’est pas tenue de rapporter une quelconque preuve supplémentaire, à moins que la société mère n’établisse qu’elle n’avait pas le pouvoir de définir les comportements de ses filiales, celles-ci agissant de manière autonome.
Sur les dépens
124 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) L’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que, aux fins d’établir qu’une pratique constitue l’exploitation abusive d’une position dominante, il suffit, pour une autorité de concurrence, de prouver que cette pratique est susceptible de porter atteinte à la structure de concurrence effective sur le marché pertinent, à moins que l’entreprise dominante concernée ne démontre que les effets anticoncurrentiels pouvant résulter de ladite pratique sont contrebalancés, voire surpassés, par des effets positifs pour les consommateurs, notamment en termes de prix, de choix, de qualité et d’innovation.
2) L’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que, aux fins d’exclure le caractère abusif d’un comportement d’une entreprise en position dominante, doit être considérée comme n’étant pas, à elle seule, suffisante la preuve, apportée par l’entreprise en question, que ce comportement n’a pas produit d’effets restrictifs concrets. Cet élément peut constituer un indice de l’incapacité du comportement en cause à produire des effets anticoncurrentiels, lequel, toutefois, devra être complété par d’autres éléments de preuve visant à établir cette incapacité.
3) L’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que l’existence d’une pratique d’éviction abusive par une entreprise en position dominante doit être appréciée sur le fondement de la capacité de cette pratique à produire des effets anticoncurrentiels. Une autorité de concurrence n’est pas tenue d’établir l’intention de l’entreprise en cause d’évincer ses concurrents par des moyens ou en recourant à des ressources autres que ceux gouvernant une concurrence par les mérites. La preuve d’une telle intention constitue néanmoins une circonstance factuelle susceptible d’être prise en compte aux fins de la détermination d’un abus de position dominante.
4) L’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une pratique licite en dehors du droit de la concurrence peut, lorsqu’elle est mise en œuvre par une entreprise en position dominante, être qualifiée d’« abusive », au sens de cette disposition, si elle peut produire un effet d’éviction et si elle repose sur l’utilisation de moyens autres que ceux relevant d’une concurrence par les mérites. Lorsque ces deux conditions sont remplies, l’entreprise en position dominante concernée peut néanmoins échapper à l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE en établissant que la pratique en cause était soit objectivement justifiée et proportionnée à cette justification, soit contrebalancée, voire surpassée, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs.
5) L’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une position dominante est exploitée de façon abusive par une ou plusieurs filiales appartenant à une unité économique, l’existence de cette unité est suffisante pour considérer que la société mère est elle aussi responsable de cet abus. L’existence d’une telle unité doit être présumée si, au moment des faits, au moins la quasi-totalité du capital de ces filiales était détenue, directement ou indirectement, par la société mère. L’autorité de concurrence n’est pas tenue de rapporter une quelconque preuve supplémentaire, à moins que la société mère n’établisse qu’elle n’avait pas le pouvoir de définir les comportements de ses filiales, celles-ci agissant de manière autonome.