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Décisions

Cass. com., 16 janvier 1996, n° 94-13.790

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Normandie Manutention (SARL)

Défendeur :

Stork Nijhuis BV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Gomez

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

Me Choucroy, Me Thomas-Raquin

Paris, 4e ch. A, du 22 févr. 1994

22 février 1994

Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 22 février 1994), que la société Stork Nijhuis (société Stork), titulaire d'un brevet européen enregistré sous le numéro 19.332, dont la demande a été déposée le 2 mai 1980 avec priorité néerlandaise du 10 mai 1979, a, après avoir fait procéder à une saisie-contrefaçon, assigné pour contrefaçon de la revendication 1 la société Normandie manutention (société Norman) qui a reconventionnellement demandé que soit constatée la nullité de ladite revendication ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Norman fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande en nullité de la revendication 1, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il était expressément indiqué, dans la description du brevet n 78.14.652, que l'invention consistait en un dispositif dans lequel « les électrodes sont positionnées avec possibilité de déplacement à une certaine distance l'une de l'autre dans le sens du déplacement des bandes » ; que, comme elle l'avait fait valoir dans ses conclusions devant la cour d'appel, cette description enseignant déjà le moyen général de la mobilité des électrodes déplaçables longitudinalement et accompagnant le mouvement d'avancée du porc avec la tête duquel elles demeurent en contact ; qu'il s'ensuit qu'en se bornant, pour écarter l'absence de nouveauté du brevet n 019.332, à examiner le dispositif particulier revendiqué par le précédent brevet comme mode de réalisation "préféré" sans vérifier s'il ne contenait pas la formulation expresse de la fonction générale d'électrodes se déplaçant dans le sens des convoyeurs, l'arrêt a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 611-11 du Code de la propriété intellectuelle ; et alors, d'autre part, que pour les mêmes motifs, il a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt relève que le brevet litigieux, qui a pour objet un appareil pour étourdir des animaux destinés à l'abattage expose qu'il convient de monter les électrodes en contact avec l'animal sur un châssis se déplaçant de telle manière qu'elles soient toujours en contact avec ce dernier et retient que le brevet français numéro 78-15.652 décrit des électrodes pivotant simplement autour d'axes fixes sans être montées sur un chariot mobile se déplaçant en même temps que le convoyeur de l'animal et se débattant dans le seul plan vertical ; qu'en déduisant que ladite antériorité ne décrivait pas la fonction d'électrodes se déplaçant dans le sens du convoyeur, la cour d'appel a, pour décider que ce dernier brevet ne constitue pas une antériorité de toute pièce de la revendication 1, procédé à la recherche nécessaire pour répondre aux conclusions prétendument délaissées ;

d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Norman fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle avait commis des actes de contrefaçon alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'arrêt, qui rappelle lui-même que l'appareil, fabriqué par elle, était protégé par un brevet (brevet européen n 0140750 déposé le 21 septembre 1984) dont la validité n'était pas contestée, ne pouvait se prononcer sur la contrefaçon sans examiner le contenu de ce brevet ; qu'ainsi, l'arrêt a violé l'article 64 de la Convention de Munich et l'article 611-11 du Code de la propriété intellectuelle ; et alors, d'autre part, qu'il ne peut y avoir contrefaçon par équivalent qu'autant que le brevet couvre la fonction ; que l'arrêt, qui décompose la revendication unique et globale que comportait le brevet n 19.332 visant un appareil « caractérisé en ce que toutes les électrodes sont montées dans un châssis, ledit châssis étant placé au-dessus des convoyeurs et pouvant être actionné « pour être déplacé dans la direction longitudinale » du convoyeur, ledit châssis étant, en outre, relié « fonctionnellement à un mécanisme d'entraînement », ne pouvait décider que se trouvait protégé le moyen général consistant dans le montage des électrodes sur un châssis mobile en faisant abstraction du mécanisme d'entraînement assurant la mobilité ; que l'arrêt a ainsi étendu la portée de la revendication et violé l'article 69 de la Convention de Munich ;

Mais attendu, d'une part, qu'il n'apparaît, ni de l'arrêt, ni des conclusions, que la société Norman ait invoqué le moyen tiré de ce que l'appareil fabriqué par elle était protégé par une brevet européen numéro 0140750 déposé le 21 septembre 1984 ; qu'il ne peut donc être reproché à la cour d'appel de ne pas avoir procédé à une recherche qui ne lui avait pas été demandée ;

Attendu, d'autre part, qu'après avoir rappelé que le moyen général du montage des électrodes sur un châssis mobile accompagnant l'avancement de l'animal était protégé et avoir décidé que le dispositif contrefaisant reproduisait les électrodes suspendues à un chariot mobile, la cour d'appel retient que, même si le mécanisme d'entraînement du chariot mobile de la société Norman est différent, il remplit, comme dans le brevet litigieux, la fonction consistant à assurer le mouvement alternatif dudit chariot ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas fait abstraction du mécanisme d'entraînement, a pu décider, sans étendre la revendication litigieuse, que le mécanisme de la société Norman, dès lors qu'il assurait une fonction identique à celle de l'invention, constituait un moyen équivalent ;

D'où il suit que moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Norman fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que la société Stork devait obtenir réparation des faits de contrefaçon commis à compter du 29 novembre 1987, alors, selon le pourvoi, que la cour d'appel avait le pouvoir et le devoir de vérifier par elle-même si l'interprétation du contrat proposée par l'une des parties était ou non fondée, avant de déterminer si elle était ou non contraire à l'ordre public français ; que les deux opérations intellectuelles sont totalement distinctes, la recherche de la conformité à l'ordre public ne pouvant intervenir que postérieurement à la détermination du sens et de la portée du contrat ; qu'en se bornant à s'en remettre au certificat produit par une partie sans exercer son propre pouvoir d'interprétation, la cour d'appel a méconnu l'office du juge dans l'interprétation des contrats étrangers et violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a, pour interpréter le contrat litigieux et conclure qu'il n'était pas contraire à l'ordre public interne français, vérifié qu'aucun texte législatif n'interdisait de telles clauses contractuelles et que celles-ci qui avaient été publiées au registre national des brevets ne pouvaient pas nuire aux tiers ; que la cour d'appel ne s'en est donc pas remis à la seule attestation d'un cabinet d'avocats néerlandais produite par la société Stork et n'a donc pas méconnu son office dans l'interprétation des clauses litigieuse ;

d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Norman fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'il devait être tenu compte pour l'évaluation du préjudice de la perte des redevances d'une licence de dépendance alors, selon le pourvoi, d'une part, que dès lors qu'une invention constitue un perfectionnement d'une invention antérieure, son titulaire est en droit d'obtenir une licence de dépendance ; que la constatation de cette dépendance même à la suite d'une action judiciaire pour contrefaçon démontre que le préjudice du premier inventeur ne peut être que de la perte de redevances ; qu'en se refusant à tenir compte de ce droit, l'arrêt a violé l'article L. 613-15 du Code de la propriété intellectuelle ; et alors, d'autre part, qu'en se bornant, pour dénier tout progrès technique à l'invention exploitée par elle à faire état des documents commerciaux de son adversaire et des motos réducteurs et alimentation électrique du convoyeur non concerné par l'invention sans examiner aucunement les éléments essentiels de progrès technique résultant notamment du positionnement du poste d'anesthésie et de l'absence de motorisation des électrodes renvoyées automatiquement par gravité, ce qui constituait une simplification importante et donc un progrès technique important, l'arrêt a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard du texte précité ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a décidé à bon droit que la société Norman, qui avait contrefait le brevet protégé sans solliciter l'octroi d'une licence de dépendance, ne pouvait donc pas se prévaloir des dispositions de l'article 36 de la loi du 2 janvier 1968 devenu l'article L. 613-15 du Code de la propriété intellectuelle ;

Attendu, d'autre part, que la cour d'appel, qui a retenu que la société Norman n'apportait pas la preuve que son intervention, présentait un progrès technique important par rapport au brevet litigieux, a donc procédé à la recherche prétendument omise ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le cinquième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Norman fait grief à l'arrêt d'avoir évalué à la somme de deux millions sept cent mille francs le préjudice alors, selon le pourvoi, d'une part, que le juge auquel il appartenait de décider si la demande était fondée en droit ne pouvait s'en remettre à l'avis de l'expert sur l'incidence de la licence Banss ; qu'il lui incombait de vérifier si la société demanderesse pouvait invoquer la perte de bénéfices ou seulement la perte de redevances, compte tenu de la licence qu'elle avait concédée à Banss ; qu'en se bornant à reproduire l'avis de l'expert, l'arrêt a violé les articles 238 et 246 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la ligne d'abattage complète ne formait pas un tout commercial, que tout ou partie de l'installation pouvait être acquis séparément du « restrainer » et à des fournisseurs distincts ; que la cour d'appel, qui constate elle-même que la société Stork s'était trouvée en concurrence avec elle qui l'avait emporté parce qu'elle offrait une ligne plus complète à un prix moins élevé ne pouvait allouer, en supplément des bénéfices perdus pour contrefaçon, une indemnité pour perte d'une chance d'emporter deux marchés concernant une ligne complète d'abattage, les circonstances ainsi relevées faisant apparaître que la société Stork n'avait fait que subir, pour des articles ne bénéficiant pas du monopole lié au brevet et distincts de l'appareil breveté, le concours d'un concurrent qui, faisant des offres plus avantageuses, l'avait emporté ; qu'ainsi, l'arrêt a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel, qui relève que la société Norman ne développait aucune argumentation précise dans ses écritures pour réfuter les conclusions de l'expert, sauf pour prétendre ne devoir réparer que la perte de redevances, a pu sans encourir le grief du moyen tenir compte des évaluations faites par l'expert pour l'appréciation du préjudice subi par la société Stork ;

Attendu, d'autre part, que, pour l'appréciation du manque à gagner de la société Stork résultant de ce que la société Norman avait emporté deux marchés à l'occasion desquels les deux sociétés étaient en concurrence, la cour d'appel retient que si les offres ne portaient pas exactement sur les mêmes mécanismes, en revanche le « restrainer », objet de la contrefaçon, était le même ; qu'à partir de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui constatait l'existence de la perte d'une chance pour la société Stork, a pu fixer la réparation du préjudice en résultant pour celle-ci ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.