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Décisions

CJUE, gr. ch., 17 mai 2022, n° C-869/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Question préjudicielle

PARTIES

Défendeur :

Unicaja Banco SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Présidents de chambre :

M. Arabadjiev, Mme Jürimäe, M. Lycourgos, M. Regan, M. Rodin (rapporteur), M. Jarukaitis

Juges :

M. Ilešič, M. Bonichot, M. Safjan, M. Biltgen, M. Xuereb, M. Piçarra, Mme Rossi, M. Kumin

Avocat général :

M. Tanchev

Avocats :

Me Pérez Peña, Me Rodríguez Cárcamo, Me Rodríguez Conde

CJUE n° C-869/19

16 mai 2022

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant L à Banco de Caja España de Inversiones, Salamanca y Soria SAU, aux droits de laquelle a succédé Unicaja Banco SA (ci-après, ensemble, l’« établissement bancaire »), au sujet de l’absence de relevé d’office par le juge national d’appel d’un moyen tiré de la violation du droit de l’Union.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le vingt-quatrième considérant de la directive 93/13 énonce que « les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ».

4 L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

Le droit espagnol

5 Aux termes de l’article 1303 du Código Civil (code civil) :

« Lorsqu’une obligation est déclarée nulle, les contractants doivent se restituer réciproquement les choses ayant fait l’objet du contrat, les fruits produits par ces choses et le prix assorti d’intérêts, sauf dans les cas prévus par les articles suivants. »

6 La Ley 1/2000 de Enjuiciamiento Civil (loi 1/2000 portant code de procédure civile), du 7 janvier 2000 (BOE no 7, du 8 janvier 2000, p. 575) (ci-après la « LEC »), prévoit, à son article 216 :

« Les tribunaux civils tranchent les affaires dont ils sont saisis au regard des faits, des preuves et des conclusions des parties, sauf lorsque la loi en dispose autrement dans des cas particuliers. »

7 L’article 218, paragraphe 1, de la LEC dispose :

« Les décisions de justice doivent être claires et précises, et correspondre aux demandes et autres prétentions des parties, présentées en temps voulu au cours de la procédure. Elles contiennent les déclarations requises, condamnent ou acquittent le défendeur et tranchent tous les points litigieux qui ont fait l’objet du débat.

Le tribunal, sans s’écarter de la cause de l’action en accueillant des éléments de fait ou de droit distincts de ceux que les parties ont voulu faire valoir, statue conformément aux normes applicables à l’affaire, même si celles-ci n’ont pas été correctement citées ou invoquées par les parties au litige. »

8 Aux termes de l’article 465, paragraphe 5, de la LEC :

« L’ordonnance ou arrêt d’appel statue uniquement sur les points et questions soulevés dans l’appel et, le cas échéant, dans les conclusions tendant au rejet de l’appel ou dans l’appel incident visés à l’article 461. La décision de justice ne peut porter préjudice à l’appelant, à moins que ce préjudice ne résulte de l’accueil de l’appel incident formé par l’intimé. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 Par contrat conclu le 22 mars 2006, l’établissement bancaire a consenti à L un prêt hypothécaire d’un montant de 120 000 euros destiné à financer l’acquisition d’une maison unifamiliale. Ce prêt était remboursable en 360 mensualités. Ledit prêt a été souscrit au taux fixe de 3,35 % pour la première année, puis au taux variable pour les autres années, ce dernier taux étant calculé en ajoutant 0,52 % au taux Euribor à un an. Ce contrat prévoyait une « clause plancher » en vertu de laquelle le taux variable ne pouvait être inférieur à 3 %.

10 La juridiction de renvoi indique que l’établissement bancaire a appliqué la « clause plancher » à L en 2009, lorsque le taux Euribor a fortement baissé. Au mois de janvier 2016, L a formé un recours devant le Juzgado de Primera Instancia de Valladolid (tribunal de première instance de Valladolid, Espagne) contre cet établissement, aux fins d’obtenir la nullité de cette clause et la restitution des sommes indûment perçues en application de celle-ci. L a soutenu que, n’ayant pas été informée de manière adéquate de l’existence de ladite clause et de sa pertinence dans l’économie du contrat de prêt en cause, celle-ci devait être déclarée abusive en raison de son manque de transparence. En défense, l’établissement bancaire a objecté que L avait été informée de l’inclusion de cette même clause dans le contrat de prêt.

11 Par jugement du 6 juin 2016, le Juzgado de Primera Instancia de Valladolid (tribunal de première instance de Valladolid) a fait droit au recours, retenant le caractère abusif de la « clause plancher » au motif que cette dernière manquait de transparence. Il a ainsi condamné l’établissement bancaire à rembourser à L les sommes indûment perçues au titre de celle-ci, majorées des intérêts. Il a cependant jugé que le remboursement ne prenait effet qu’à partir du 9 mai 2013, en application de l’arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) no 241/2013, du 9 mai 2013 (ci-après l’« arrêt du 9 mai 2013 »), qui limite les effets dans le temps de la déclaration de nullité d’une telle « clause plancher ». Il a également condamné l’établissement bancaire aux dépens.

12 Le 14 juillet 2016, l’établissement bancaire a interjeté appel de ce jugement devant l’Audiencia Provincial de Valladolid (cour provinciale de Valladolid, Espagne), en tant qu’il le condamne aux entiers dépens. Il a soutenu que, le recours de L n’ayant été que partiellement accueilli en raison de la limitation des effets dans le temps de la déclaration de nullité de la clause concernée, il n’aurait pas dû être condamné à supporter l’intégralité des dépens de ce recours.

13 Par arrêt du 13 janvier 2017, la juridiction d’appel a fait droit au recours, annulant le jugement de première instance en tant qu’il a condamné l’établissement bancaire aux dépens. La juridiction de renvoi précise que la juridiction d’appel n’a pas modifié le dispositif de ce jugement en tant qu’il porte sur les effets restitutoires de la déclaration de nullité de ladite clause, dès lors qu’ils ne faisaient pas l’objet de l’appel. Elle ajoute que la juridiction d’appel ne s’est pas fondée, pour annuler partiellement le jugement de première instance, sur l’arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980), par lequel la Cour a dit pour droit que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose à une jurisprudence nationale, telle que celle issue de l’arrêt du 9 mai 2013, qui limite dans le temps les effets restitutoires, liés à la déclaration judiciaire du caractère abusif d’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur aux seules sommes indûment versées par ce consommateur postérieurement au prononcé de la décision ayant judiciairement constaté le caractère abusif de cette clause.

14 L a formé un pourvoi devant le Tribunal Supremo (Cour suprême) contre l’arrêt d’appel. Au soutien de son pourvoi, L allègue que, en n’appliquant pas l’arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980), et en n’ordonnant pas d’office la restitution totale des montants payés en application de la « clause plancher », l’Audiencia Provincial de Valladolid (cour provinciale de Valladolid) a violé, notamment, l’article 1303 du code civil, lequel réglemente les effets restitutoires liés à la nullité des obligations et des contrats, lu conjointement avec l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lequel prévoit l’absence de caractère contraignant des clauses abusives pour les consommateurs. L’établissement bancaire a conclu au rejet du pourvoi, au motif que L n’ayant pas formé appel du jugement de première instance en tant qu’il limitait dans le temps les effets restitutoires de la déclaration de nullité de la clause abusive en cause, elle n’était pas recevable à introduire un pourvoi portant sur la limitation de ces effets dans le temps.

15 La juridiction de renvoi expose que, dans les litiges pendants devant les juridictions espagnoles à la date à laquelle la Cour a jugé, dans l’arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980), que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose à la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême) issue de l’arrêt du 9 mai 2013 limitant dans le temps les effets restitutoires de la nullité des « clauses planchers » contenues dans les contrats conclus entre des consommateurs et des professionnels, les consommateurs avaient, conformément à cette jurisprudence nationale, limité leur recours au remboursement des montants indûment versés après le 9 mai 2013. En application de différents principes de la procédure civile espagnole, tels que le principe dispositif, le principe de « congruence » et le principe de l’interdiction de la reformatio in peius, l’Audiencia Provincial de Valladolid (cour provinciale de Valladolid) n’a, en l’occurrence, pas ordonné la restitution totale des montants perçus au titre de la « clause plancher », dès lors que L n’avait pas interjeté appel du jugement rendu en première instance.

16 À cet égard, la juridiction de renvoi relève que le principe selon lequel les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, prévu à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, ne revêt pas un caractère absolu et peut donc faire l’objet de limitations liées à la bonne administration de la justice, telle que l’autorité de la chose jugée ou la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion. Or, la règle de droit espagnol selon laquelle, lorsqu’une partie du dispositif d’un jugement n’est contestée par aucune des parties, la juridiction d’appel ne peut pas lui ôter ses effets ou en modifier la teneur présenterait certaines similitudes avec l’autorité de la chose jugée.

17 Cette juridiction éprouve cependant un doute quant à la compatibilité du principe dispositif, du principe de « congruence » et du principe de l’interdiction de la reformatio in peius, prévus par le droit national, avec l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13. Plus particulièrement, elle s’interroge sur le point de savoir si, eu égard à l’arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980), une juridiction nationale saisie d’un appel introduit exclusivement par l’établissement bancaire, et non par le consommateur, doit, nonobstant ces principes, ordonner la restitution totale des montants perçus en vertu de la clause abusive.

18 C’est dans ces conditions que le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose-t-il à l’application des principes procéduraux que sont le principe dispositif, le principe de “congruence” et l’interdiction de la reformatio in peius, qui empêchent la juridiction saisie de l’appel interjeté par l’établissement bancaire contre un jugement limitant dans le temps la restitution des sommes indûment payées par le consommateur en vertu d’une “clause plancher” déclarée nulle d’ordonner la restitution totale desdites sommes et de désavantager ainsi l’appelant, au motif que cette limitation n’a pas été attaquée par le consommateur ? »

Sur la question préjudicielle

19 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application de principes de procédure juridictionnelle nationale, en vertu desquels la juridiction nationale, saisie d’un appel contre un jugement limitant dans le temps la restitution des sommes indûment payées par le consommateur en vertu d’une clause déclarée abusive, ne peut soulever d’office un moyen tiré de la violation de cette disposition et ordonner la restitution totale desdites sommes.

20 Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs.

21 En outre, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C 407/18, EU:C:2019:537, point 44 et jurisprudence citée).

22 En l’absence de réglementation par le droit de l’Union, les modalités des procédures destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union relèvent de l’ordre juridique interne des États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers. Cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C 407/18, EU:C:2019:537, point 46 et jurisprudence citée).

23 En ce qui concerne le principe d’équivalence, ainsi que M. l’avocat général l’a rappelé au point 44 de ses conclusions, il appartient au juge national de vérifier, au regard des modalités procédurales des recours applicables en droit interne, le respect de ce principe compte tenu de l’objet, de la cause et des éléments essentiels des recours concernés (voir, notamment, arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C 448/17, EU:C:2018:745, point 40).

24 À cet égard, la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de règles d’ordre public (arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C 147/16, EU:C:2018:320, point 35).

25 Il s’ensuit que, conformément au principe d’équivalence, lorsque, en vertu du droit interne, le juge national statuant en appel dispose de la faculté ou a l’obligation d’apprécier d’office la légalité d’un acte juridique au regard de règles nationales d’ordre public, il doit également disposer de la faculté ou de l’obligation, alors même que la question de la légalité de cet acte au regard de ces règles n’a pas été soulevée en première instance, d’apprécier d’office la légalité d’un tel acte au regard de cette disposition de la directive 93/13. Ainsi, dans une telle situation, dès lors que les éléments du dossier dont dispose le juge national d’appel conduisent à s’interroger sur le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, ce juge est tenu d’apprécier d’office la légalité de cette clause au regard des critères fixés par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2013, Jőrös, C 397/11, EU:C:2013:340, point 30).

26 Les parties qui ont déposé devant la Cour des observations écrites dans la présente procédure divergent quant à l’existence d’une jurisprudence du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne) ou du Tribunal Supremo (Cour suprême), en vertu de laquelle l’application d’office des règles d’ordre public constituerait une exception aux principes de la procédure juridictionnelle en cause. L’article 6 de la directive 93/13 constituant une disposition équivalente à une règle nationale d’ordre public, il s’ensuit que, si, en vertu de la jurisprudence nationale, de telles règles d’ordre public sont considérées comme une exception à l’application des principes de procédure juridictionnelle en cause, le juge national saisi de l’appel doit pouvoir soulever d’office un moyen tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13.

27 Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier l’existence d’une telle jurisprudence nationale. Si l’existence de cette jurisprudence devait être confirmée, la juridiction de renvoi serait tenue, conformément au principe d’équivalence, de laisser ces principes de procédure juridictionnelle inappliqués et soit de permettre au consommateur d’exercer les droits qu’il tire de la directive 93/13 et son droit d’invoquer la jurisprudence de la Cour, soit de le faire d’office.

28 En ce qui concerne le principe d’effectivité, il résulte de la jurisprudence de la Cour que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités vues comme un tout, ainsi que, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêt du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia, C 485/19, EU:C:2021:313, point 53). Dans cette perspective, la Cour a estimé que le respect du principe d’effectivité ne saurait aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné (arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C 32/14, EU:C:2015:637, point 62).

29 En outre, la Cour a précisé que l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union implique, notamment pour les droits découlant de la directive 93/13, une exigence de protection juridictionnelle effective, réaffirmée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive et consacrée également à l’article 47 de la Charte, qui s’applique, entre autres, à la définition des modalités procédurales relatives aux actions en justice fondées sur de tels droits (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 29 et jurisprudence citée).

30 À cet égard, la Cour a jugé que, en l’absence de contrôle efficace du caractère potentiellement abusif des clauses du contrat concerné, le respect des droits conférés par la directive 93/13 ne saurait être garanti (arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C 495/19, EU:C:2020:431, point 35 et jurisprudence citée).

31 Il s’ensuit que les conditions fixées par les droits nationaux, auxquelles se réfère l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, ne sauraient porter atteinte à la substance du droit que les consommateurs tirent de cette disposition de ne pas être liés par une clause réputée abusive (arrêts du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 71, ainsi que du 26 janvier 2017, Banco Primus, C 421/14, EU:C:2017:60, point 51).

32 Cela étant, il importe de rappeler l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour l’exercice de ces recours ne puissent plus être remises en cause (voir, notamment, arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C 40/08, EU:C:2009:615, points 35 et 36, ainsi que du 26 janvier 2017, Banco Primus, C 421/14, EU:C:2017:60, point 46).

33 Aussi, la Cour a reconnu que la protection du consommateur n’est pas absolue. En particulier, elle a considéré que le droit de l’Union n’impose pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision, même lorsque cela permettrait de remédier à une violation d’une disposition, quelle qu’en soit la nature, contenue dans la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C 40/08, EU:C:2009:615, point 37, ainsi que du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 68), sous réserve cependant, conformément à la jurisprudence rappelée au point 22 du présent arrêt, du respect des principes d’équivalence et d’effectivité.

34 Au point 72 de son arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980), la Cour a ainsi considéré que la limitation dans le temps des effets juridiques découlant de la constatation de la nullité des « clauses planchers », à laquelle le Tribunal Supremo (Cour suprême) avait procédé dans son arrêt du 9 mai 2013, revient à priver, de manière générale, tout consommateur ayant conclu, avant cette date, un contrat de prêt hypothécaire comportant une telle clause du droit d’obtenir la restitution intégrale des sommes qu’il a indûment versées à l’établissement bancaire sur la base de cette clause durant la période antérieure au 9 mai 2013.

35 La Cour a, dès lors, constaté qu’une jurisprudence nationale, telle que celle résultant de l’arrêt du 9 mai 2013 du Tribunal Supremo (Cour Suprême), relative à la limitation dans le temps des effets juridiques découlant de la déclaration du caractère abusif d’une clause contractuelle en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne permet d’assurer qu’une protection limitée aux consommateurs qui ont souscrit un contrat de prêt hypothécaire contenant une « clause plancher » avant la date du prononcé de la décision ayant judiciairement constaté ce caractère abusif, une telle protection se révélant, ainsi, incomplète et insuffisante et ne constituant un moyen ni adéquat ni efficace pour faire cesser l’utilisation de ce type de clauses, contrairement à ce que prévoit l’article 7, paragraphe 1, de cette directive (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 73).

36 Dans ces conditions, la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale qui limite dans le temps les effets restitutoires, liés à la déclaration du caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel, aux seules sommes indûment versées en application d’une telle clause postérieurement au prononcé de la décision ayant judiciairement constaté ce caractère abusif (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 75).

37 Dans l’affaire au principal, il est constant que le consommateur n’a pas interjeté appel ou formé un appel incident contre le jugement de première instance imposant une limitation dans le temps des effets restitutoires pour les montants perçus en vertu de la clause abusive.

38 Il convient toutefois de souligner que, dans les circonstances de la présente affaire, le fait qu’un consommateur n’ait pas formé de recours dans le délai approprié peut être imputé au fait que, lorsque la Cour a prononcé l’arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980), le délai dans lequel il était possible d’interjeter appel ou de former un appel incident en vertu du droit national était déjà expiré. Dans de telles circonstances, il ne saurait être considéré que le consommateur a fait preuve d’une passivité totale au sens de la jurisprudence rappelée au point 28 du présent arrêt, en ne contestant pas devant une juridiction d’appel une jurisprudence jusque-là constante du Tribunal Supremo (Cour suprême).

39 Il en résulte que l’application des principes de procédure juridictionnelle nationale en cause, en privant le consommateur des moyens procéduraux lui permettant de faire valoir ses droits au titre de la directive 93/13, est de nature à rendre impossible ou excessivement difficile la protection de ces droits, portant ainsi atteinte au principe d’effectivité.

40 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application de principes de procédure juridictionnelle nationale, en vertu desquels une juridiction nationale, saisie d’un appel contre un jugement limitant dans le temps la restitution des sommes indûment payées par le consommateur en vertu d’une clause déclarée abusive, ne peut soulever d’office un moyen tiré de la violation de cette disposition et ordonner la restitution totale desdites sommes, lorsque l’absence de contestation de cette limitation dans le temps par le consommateur concerné ne saurait être imputée à une passivité totale de celui-ci.

Sur les dépens

41 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application de principes de procédure juridictionnelle nationale, en vertu desquels une juridiction nationale, saisie d’un appel contre un jugement limitant dans le temps la restitution des sommes indûment payées par le consommateur en vertu d’une clause déclarée abusive, ne peut soulever d’office un moyen tiré de la violation de cette disposition et ordonner la restitution totale desdites sommes, lorsque l’absence de contestation de cette limitation dans le temps par le consommateur concerné ne saurait être imputée à une passivité totale de celui-ci.