Cass. crim., 25 octobre 1995, n° 94-85.781
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Rapporteur :
Me Ferrari
Avocat général :
M. Perfetti
Avocat :
SCP Coutard et Mayer
LA COUR,
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 26 et 42 de la loi du 6 janvier 1978, 226-16 et 226-18 du Code pénal, 1382 du Code civil, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
en ce que Bernard X aurait commis une faute ouvrant droit à réparation à Gustave Y ;
aux motifs d'une part que Bernard X ne peut soutenir qu'il a ignoré la substance de la demande de Gustave Y qui tenait aux causes de son inscription au fichier ; que dans sa lettre du 27 juillet 1992, Gustave Y a, en premier lieu, demandé à la CPII de bien vouloir lui faire parvenir l'ensemble des informations nominatives le concernant ; qu'en second lieu il a aussi indiqué à la CPII qu'il ignorait à la diligence de quel organisme il avait été inscrit au fichier, n'ayant nullement été averti de cette inscription ; que le 30 juillet 1992, la CPII l'a uniquement informé de l'existence d'une seule inscription à la demande du Crédit Général Industriel ; que le 14 octobre 1992, Gustave Y a écrit une nouvelle fois à la CPII, notamment, pour connaître la date de son inscription et qu'en réponse à cette demande, la CPII a fait connaître à Gustave Y l'existence d'une seconde inscription, sans lui fournir davantage de renseignements sur les dates et les modalités de son inscription ; qu'il apparaît ainsi que dès la fin du mois de juillet 1992, Bernard X a été informé d'une réclamation de Gustave Y au sujet de son inscription, sans information préalable, dans un fichier traitant d'informations nominatives ; qu'au sens de l'article 42 de la loi du 6 janvier 1978, dans sa rédaction en vigueur antérieurement au 1er mars 1994, il a donc, en toute connaissance de cause, conservé des informations nominatives en violation des dispositions de l'article 26 (resté inchangé) de la même loi prévoyant que toute personne a le droit de s'opposer pour des raisons légitimes à ce que des informations nominatives fassent l'objet d'un traitement ; ; que la Cour, n'a pas à rechercher spécialement si l'opposition qui aurait pu être exercée par Gustave Y était susceptible de reposer sur des motifs légitimes ;
alors de première part que le délit prévu par l'ancien article 42 de la loi du 6 janvier 1978 consistait à avoir enregistré ou conservé des informations nominatives en dépit d'une opposition légitime ; que l'actuelle incrimination de l'article 226-18 du Code pénal ne sanctionne plus que le fait de procéder à un traitement d'informations nominatives en dépit d'une opposition légitime ; que la conservation d'informations nominatives malgré opposition légitime n'est plus pénalement réprimée ; qu'en reprochant à Bernard X d'avoir conservé des informations nominatives (cf. p. 11 dernier de l'arrêt), la cour d'appel a fait application d'une incrimination abrogée en dépit de la règle de la rétroactivité in mitius ;
alors de deuxième part que le délit reproché à Bernard X (sur le plan civil) suppose l'existence d'une opposition à l'enregistrement ou à la conservation de données nominatives ; qu'en l'espèce il ressort des propres énonciations de fait de l'arrêt attaqué qu'il n'avait existé aucune opposition faite par Gustave Y ou quiconque à la conservation des données nominatives le concernant ;
alors de troisième part que le délit reproché à Bernard X (sur le plan civil) suppose que le droit d'opposition méconnu ait été exercé pour des motifs légitimes ; que l'arrêt attaqué ne pouvait refuser d'examiner, comme il le lui était demandé, la question de la légitimité d'une éventuelle opposition de Gustave Y au traitement d'informations nominatives le concernant, élément constitutif du délit ;
aux motifs, d'autre part, que le droit d'opposition donné par la loi, rappelé par la recommandation de la CNIL du 5 juillet 1988, ne peut s'entendre que d'un droit antérieur ou concomitant au fichage lui-même ; que les personnes qui sont en litige avec un établissement de crédit doivent en être informées, ce que mentionne le texte susvisé qui recommande que les clients dont le nom doit faire l'objet d'une inscription dans un fichier commun recensant les incidents de paiement soient informés d'une telle inscription avant celle-ci ou au moment où il y est procédé ; que, comme l'a indiqué le tribunal, il ne ressort pas des pièces versées aux débats qu'une telle information ait en l'espèce été effectuée en faveur de Gustave Y ; ; que l'obligation d'information préalable de la personne susceptible de faire l'objet d'un traitement automatisé de données résulte de la loi du 6 janvier 1978 ; ; que la loi impose l'information de l'individu préalablement à son inscription au fichier, afin qu'il puisse être en mesure d'exercer efficacement son droit d'opposition ; que cette protection légale n'a pas été mise en oeuvre au cas présent, et que la Cour n'a pas à rechercher spécialement si l'opposition qui aurait pu être exercée par Gustave Y était susceptible de reposer sur des motifs légitimes ; qu'il suffit de constater que le plaignant n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits d'opposition en temps utile, et qu'à cet égard, l'exercice totalement distinct des droits d'accès et de rectification garantis également par la loi ne saurait effacer la faute commise lors de l'introduction de données le concernant dans un fichier ;
alors que en reprochant à Bernard X de ne pas avoir donné à Gustave Y d'informations préalables à son fichage, la cour d'appel a sanctionné (sur le plan civil) un délit qui n'existe pas ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que les juges doivent caractériser en tous ses éléments constitutifs l'infraction retenue à la charge du prévenu ;
Attendu, en outre, qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des raisons légitimes, à ce que des informations nominatives la concernant fassent l'objet d'un traitement ;
Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que le groupement d'intérêt économique Centrale professionnelle d'information sur les impayés tient un fichier informatisé des incidents de paiement constatés à l'occasion du remboursement de crédits consentis par ses membres à des particuliers ; que Gustave Y a appris à l'occasion d'un refus de délivrance d'une carte de crédit qu'il figurait sur ce fichier à la demande de 2 organismes financiers, lesquels avaient à son insu transmis au GIE des informations le concernant ; qu'il a exercé son droit d'accès et obtenu la radiation des inscriptions effectuées ;
Attendu que, sur avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, Bernard X, président du GIE, a été poursuivi pour avoir fait enregistrer et conserver des informations nominatives concernant Gustave Y en violation de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978, infraction alors prévue par l'article 42 de cette loi et désormais réprimée par l'article 226-18 du Code pénal ;
Attendu que le prévenu a été relaxé de ce délit par les premiers juges ; que, saisie du seul appel de Gustave Y, partie civile, la juridiction du second degré, pour dire le délit constitué et condamner le prévenu à indemniser la victime, énonce que la mise en oeuvre par la personne physique concernée du droit d'opposition qui lui est reconnu par l'article 26 suppose que celle-ci soit avisée, préalablement à son inscription sur un fichier, de ce que des informations nominatives la concernant sont susceptibles de faire l'objet d'un traitement ;
Que les juges ajoutent que cette obligation de renseignement n'ayant pas été remplie par le maître du fichier, celui-ci a conservé des informations nominatives en violation de l'article 26 ;
Mais attendu qu'en se déterminant de la sorte, alors que la loi du 6 janvier 1978 ne fait nulle obligation au responsable du fichier, qui recueille auprès de tiers des informations nominatives aux fins de traitement, d'en avertir la personne concernée, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'atteinte au droit d'opposition de la victime, a méconnu les textes et principes ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Paris, du 15 novembre 1994.