Cass. crim., 3 octobre 2006, n° 05-85.894
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. CotteMe
Avocat général :
M. Mouton
Avocat :
Me Spinosi
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-7, 224-1 du code pénal, 73, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement ayant déclaré le prévenu coupable de complicité d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi d'une libération avant le 7e jour ;
aux motifs propres que, il est constant que sur les instructions données par Jacques X à Christine Y, celle-ci a verrouillé la porte d'accès au Cabinet et en a retiré la clé, interdisant à Ghislaine Z et Aurélia A Le B de le quitter alors qu'elles s'apprêtaient à en partir ; que pendant le temps qui s'est écoulé ensuite jusqu'à l'arrivée des forces de police requises également par Christine Y à la demande de Jacques X, les deux jeunes femmes ont été retenues contre leur gré dans le Cabinet et privées de leur liberté d'aller et de venir ; que l'élément matériel du délit de séquestration prévu par l'article 224-1 du code pénal est donc juridiquement constitué et n 'est d'ailleurs pas contesté ; par contre, si Jacques X nie avoir eu l'intention de séquestrer les deux jeunes femmes, les pièces de la procédure et les débats rapportent non seulement la preuve de cette intention délictuelle, mais également qu'il a agi avec malignité ;
qu'en effet, il appert des déclarations faites devant la Cour par cet avocat d'expérience, que si les événements survenus au cours de la nuit du samedi 13 au dimanche 14 février 1999, tels que la concierge de l'immeuble dans lequel se trouvait son Cabinet, les lui avait relatés, l'avaient laissé sceptique, et qu'il avait pris la décision de se séparer de Ghislaine Z, il est établi qu'il ne l'en avait informée que le vendredi 26 février 1999 dans l'après-midi, sans invoquer de nouveaux faits pouvant justifier qu'une décision qu'il différait depuis plus de dix jours soit ainsi notifiée et rendue immédiatement exécutoire ce vendredi 26 février dans l'après-midi ;
qu'en lui notifiant de la sorte sa décision sans préavis, et en lui interdisant de paraître au Cabinet avant son retour le mercredi suivant, Jacques X privait Ghislaine Z de l'accès à ses dossiers ainsi qu'à sa documentation personnelle et lui interdisait d'assurer sa mission auprès des clients qui l'avaient choisie pour assurer la défense de leurs intérêts ; qu'il ne pouvait ignorer que Ghislaine Z, sauf à méconnaître elle-même ses obligations déontologiques, voudrait récupérer sans délai ses dossiers personnels ; que lorsqu'elle se présente à cette fin le lundi, accompagnée par Aurélia A Le B, après avoir obtenu l'approbation d'un membre du Conseil de l'Ordre, Jacques X se garde de donner pour instructions à Christine Y d'accompagner son ex-collaboratrice dans son ex-bureau et de dresser contradictoirement la liste des dossiers, documents et ouvrages que Ghislaine Z avait l'intention d'emporter, étant observé que le contenu de cette liste pouvait lui être transmis par téléphone en présence de Ghislaine Z, mais il lui donne immédiatement ordre d'enfermer les deux jeunes femmes et d'appeler la police alors qu'il ne dispose d'aucun élément objectif de nature à lui laisser croire qu'elles avaient commis ou étaient venues pour commettre une infraction à la loi pénale ; que les forces de police étant arrivées sur les lieux, il faudra l'intervention d'un membre du Conseil de l'Ordre pour que les deux jeunes avocates puissent recouvrer la liberté d'aller ou bon leur semble ; que si Jacques X avait eu réellement des craintes que Ghislaine Z s'empare de dossiers autres que ceux qui lui étaient personnels, ou de documents dont elle n'avait pas à connaître, sa qualité d'avocat au fait des règles déontologiques régissant sa profession et soucieux du respect du secret professionnel ne l'auraient pas conduit à donner ordre à sa secrétaire d'enfermer son ex-collaboratrice et son accompagnatrice et à appeler la police, mais à lui donner pour instruction d'alerter le Conseil de l'Ordre et à inviter les deux jeunes femmes à ne pas quitter le Cabinet avant l'arrivée du représentant de l'Ordre ; que la Cour considère par ces motifs et ceux pertinents des premiers juges qu 'elle fait siens et par une juste appréciation des faits et des circonstances particulières de la cause, exactement rapportées dans la décision attaquée que le tribunal a à bon droit retenu Jacques X dans les liens de la prévention ;
et aux motifs adoptés des premiers juges que, il résulte de l'information que le 1er mars 1999, Ghislaine Z, accompagnée d'Aurélia A Le B a réussi à pénétrer dans le cabinet de Jacques X, malgré l'opposition verbale de Christine Y, secrétaire, qui avait reçu de Jacques X instruction de ne pas la laisser entrer ; que lors de la confrontation, Jacques X, confortant les déclarations de sa salariée, a confirmé qu'elle lui avait téléphoné pour lui faire part de cette situation et qu'il lui avait dit à la fois d'appeler la police, et de fermer la porte à clé pour que la violation de domicile puisse être constatée et qu'aucun dossier ne soit emporté sans contrôle de sa part ; que Christine Y reconnaissait avoir exécuté les ordres de son patron et donc avoir fermé la porte à clé, enlevé celle-ci, empêchant ainsi Ghislaine Z et Aurélia A Le B de s'en aller ; que l'intervention des forces de l'ordre et d'un membre du conseil de l'ordre avaient été nécessaires pour leur permettre de quitter les lieux ; que Jacques X a exposé à l'audience qu'il était très préoccupé par un dossier sensible dont aucun élément ne devait sortir de son cabinet, et qu'il ignorait qui avait forcé sa porte avec Ghislaine Z ; que dans l'urgence et devant l'affolement manifesté par Christine Y, il n'avait pas trouvé d'autre solution que celle qu'il lui avait donné l'ordre de mettre en oeuvre ; que la volonté de Jacques X de préserver le dossier Imago auquel il ne voulait pas que Ghislaine Z accède, s'avère être un mobile totalement étranger à la constitution de l'infraction de complicité de séquestration arbitraire avec libération avant le 7e jour qui lui est reprochée et dont tous les éléments sont réunis ; avocat d'expérience, Jacques X n'ignorait pas, en donnant à Christine Y les instructions qu'elle a exécutées, qu'il commettait une infraction dont il sera déclaré coupable ; que Christine Y sera, pour sa part, déclarée coupable du délit de séquestration arbitraire avec libération avant le 7e jour ;
alors que, d'une part, le simple soupçon de réalisation d'un acte délictueux devant être assimilé à l'acte délictueux proprement dit visé dans l'article 73 du code de procédure pénale, la crainte du prévenu, selon les constatations de l'arrêt, que Ghislaine Z s'empare de dossiers autres que ceux qui lui étaient personnels, ou de documents dont elle n'avait pas à connaître suffisait à justifier la détention des deux femmes ;
alors que, d'autre part, la détention était en tout état de cause justifiée au regard des dispositions de l'article 73 du code de procédure pénale par l'infraction de violation de domicile d'ores et déjà commise, selon les motifs du jugement que la cour d'appel a fait siens, par les parties civiles ; qu'en ordonnant à sa secrétaire de les détenir jusqu'à l'arrivée de la police qui avait été immédiatement prévenue, le prévenu ne s'est donc rendu complice d'aucune infraction ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et du jugement que le vendredi 26 février 1999, Jacques X, qui exerce la profession d'avocat, a rompu le contrat de collaboration le liant à sa consoeur Ghislaine Z, épouse C, et lui a fait interdiction de reparaître au cabinet durant son absence, jusqu'au mercredi suivant ; que le lundi 1er mars 1999, alors que Ghislaine Z, accompagnée d'Aurélia A Le B, également avocate, était venue reprendre possession de ses dossiers personnels dans son ancien bureau malgré l'opposition de la secrétaire, Christine Y, les deux jeunes femmes, sur instructions téléphoniques de Jacques X, sont restées enfermées dans les lieux jusqu'à l'intervention d'un membre du Conseil de l'Ordre, en présence des services de police ;
Attendu que Jacques X, à la suite de ces faits, a été renvoyé devant la juridiction correctionnelle notamment du chef de complicité de séquestration arbitraire ;
Attendu que, pour dire Jacques X coupable du délit de complicité de séquestration arbitraire, l'arrêt, confirmant le jugement entrepris dont il adopte les motifs, énonce qu'après avoir empêché Ghislaine Z d'assurer sa mission auprès des clients qui l'avaient choisie pour défendre leurs intérêts, en lui interdisant d'accéder à ses dossiers ainsi qu'à sa documentation personnelle, le prévenu a donné instructions à sa secrétaire d'enfermer l'intéressée dans les locaux professionnels qu'elle s'apprêtait à quitter, de même que la personne qui l'accompagnait, alors qu'il ne disposait d'aucun élément objectif de nature à lui laisser croire que celles-ci avaient commis ou qu'elles allaient commettre une infraction pénale ;
Attendu qu'en statuant ainsi, les juges du fond, qui ont en outre relevé qu'une décision de non-lieu , devenue définitive, avait été rendue sur la plainte portée par Jacques X notamment du chef de violation de domicile, ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués par le demandeur ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 226-15 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement ayant déclaré le prévenu coupable d'atteinte au secret ou suppression d'une correspondance adressé à un tiers ;
aux motifs propres que, les pièces de la procédure et les débats permettent à la Cour de constater que le tribunal a, sans dénaturation des faits et par une analyse rigoureuse, énoncé que Jacques X s'était rendu coupable d'avoir courant juillet 1997 :
- détourné une correspondance adressée des U.S.A. le 7 juillet 1997 et destinée à Ghislaine Z, cette correspondance étant adressée au Cabinet d'avocat de Jacques X mais avec les mentions du nom de Ghislaine Z et de personnel, établissant ainsi qu'il s'agissait d'une correspondance privée ; - pris connaissance de cette correspondance privée et en avoir adressé le contenu ainsi que les mentions figurant sur l'enveloppe à une personne qui, comme lui, n'en était pas le destinataire et n'avait pas vocation à en connaître ; que la Cour adoptant les motifs pertinents des premiers juges qu'elle fait siens confirmera purement et simplement le jugement entrepris en ce qu'il a retenu Jacques X dans les liens de la prévention ;
et aux motifs adoptés des premiers juges que, il est constant qu'une carte postale, expédiée des USA, a été adressée le 7 juillet 1997 à Ghislaine Z, sous enveloppe portant la mention personnel et qu'elle est parvenue à l'adresse du cabinet de Me X ; que Ghislaine Z a repris à l'instruction l'intégralité des termes de sa plainte ; elle a notamment rappelé qu'elle avait compris que Jacques X avait lu la carte postale lorsque au retour du week-end du 14 juillet 1997, il l'avait mise en garde contre sa rédactrice, qu'il lui avait d'ailleurs précisé le soir même, qu'il avait lu ce courrier ; elle rappelait que les éléments découverts le lendemain dans une poubelle du cabinet permettaient de savoir que photocopie de l'enveloppe recto verso, et de la carte postale, avaient été adressées par fax à M. D de la société Imago au Canada ;
que les pièces du dossier établissent la réalité de cet envoi de la carte postale par fax à la société Imago le 14 juillet 1997 ; que Jacques X a contesté l'intégralité des dires de Ghislaine Z et a soutenu avoir tout ignoré de ce courrier jusqu'à la transmission de la plainte de la susnommée en 1999 ; que toutefois, démentant ses propos, Mme E, femme de confiance, qu'il a conservée, jusqu'en février 1999, vingt ans à son service en qualité de secrétaire, a attesté très précisément que Jacques X lui avait tout de suite parlé du courrier litigieux, lui indiquant que Ghislaine Z avait reçu une carte des USA et que ce courrier avait été, par inadvertance, ouvert par sa fille ; qu'à l'audience, Jacques X a formellement exclu que cet envoi ait pu être opéré par le confrère qui partageait son cabinet, ou par sa secrétaire Mme E ; il a ajouté que Ghislaine Z, pour sa part, n'avait aucun intérêt à faire un tel envoi ; que par élimination, il apparaît que cet envoi émane de Jacques X ; au demeurant, Mme E, qui a tenu à souligner l'importance que revêtait, aux yeux de son patron, le fait que ce courrier provenait des USA, a noté que Jacques X envoyait de nombreux documents aux USA, même quand cela ne concernait pas la société Imago, tout cela pour demander conseil à M. D ; que Jacques X sera donc également déclaré coupable de l'infraction d'atteinte au secret des correspondances qu'il lui est reproché d'avoir commise ;
alors que, d'une part, le fait que le prévenu ait vu que Jacques X avait reçu une carte des USA et que sa fille ait ouvert ce courrier par inadvertance, n'établit évidemment pas qu'il aurait pris connaissance de son contenu ; que le tribunal, et la cour d'appel, par adoption des motifs des premiers juges, ne pouvaient se fonder sur ce seul élément pour déclarer le prévenu coupable d'avoir pris connaissance de cette correspondance privée ;
alors que, d'autre part, le prévenu ayant, selon les constatations du jugement que la cour d'appel fait siennes, contesté l'intégralité des dires de Ghislaine Z et donc, notamment qu'il aurait envoyé à un tiers la carte postale adressée à celle-ci, la cour d'appel, par adoption des motifs des premiers juges, ne pouvait, pour le déclarer coupable de ce fait, se fonder sur les seules déclarations par lesquelles le prévenu exonérait son confrère et sa secrétaire, et disait simplement, à l'égard de Ghislaine Z, qu'elle n'avait pas d'intérêt à faire un tel envoi ; que la cour d'appel, toujours par adoption des motifs des premiers juges, ne pouvait en tout état de cause le juger coupable par élimination relativement à ces déclarations, mais devait, cet envoi ayant pu, quoi qu'en ai dit le prévenu, être opéré par son confrère, sa secrétaire, Ghislaine Z ou toute autre personne, établir avec certitude qu'il en était l'auteur ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit de détournement de correspondance adressée à un tiers dont elle a déclaré le prévenu coupable, et ainsi justifié l'allocation, au profit de Ghislaine Z, épouse C, partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.