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Décisions

CJUE, gr. ch., 17 mai 2022, n° C-725/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Question préjudicielle

PARTIES

Demandeur :

IO

Défendeur :

Impuls Leasing România IFN SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

K. Lenaerts

Présidents de chambre :

K. Lenaerts, K. Jürimäe, C. Lycourgos, E. Regan, S. Rodin (rapporteur), I. Jarukaitis

Juges :

M. Ilešič, J.–C. Bonichot, M. Safjan, F. Biltgen, P. G. Xuereb, N. Piçarra, L. S. Rossi, A. Kumin

Avocat général :

E. Tanchev

Avocat :

M. Ionescu

CJUE n° C-725/19

16 mai 2022

LA COUR (grande chambre),

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant IO à Impuls Leasing România IFN SA (ci-après « ILR »), au sujet d’une opposition à l’exécution formée par la requérante au principal contre des actes d’exécution forcée visant un contrat de crédit-bail.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3 Le vingt-quatrième considérant de la directive 93/13 énonce que « les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ».

4 L’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

5 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 Le droit roumain

6 Le code de procédure civile a été modifié par la Legea nr. 310/2018 pentru modificarea și completarea Legii nr. 134/2010 privind Codul de procedură civilă, precum și pentru modificarea și completarea altor acte normative (loi no 310/2018 modifiant et complétant la loi no 134/2010 portant code de procédure civile, ainsi que d’autres actes normatifs) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 1074), du 18 décembre 2018, entrée en vigueur le 21 décembre 2018. La demande d’exécution forcée en cause au principal ayant été introduite le 26 mars 2019, elle est régie par les dispositions de ce code, tel que modifié par cette loi (ci-après le « code de procédure civile modifié »).

7 L’article 24 du code de procédure civile modifié prévoit :

« Les dispositions de la nouvelle loi de procédure ne s’appliquent qu’aux procès et aux exécutions forcées commencés après son entrée en vigueur. »

8 L’article 632, paragraphe 1, du code de procédure civile modifié dispose :

« L’exécution forcée ne peut être effectuée qu’en vertu d’un titre exécutoire. »

9 Aux termes de l’article 638, paragraphe 1, point 4, du code de procédure civile modifié :

« Sont également des titres exécutoires et peuvent faire l’objet d’une exécution forcée les titres de créance ou autres documents auxquels la loi confère une force exécutoire. »

10 L’article 638, paragraphe 2, du code de procédure civile modifié prévoit :

« La suspension de l’exécution des titres prévus au paragraphe 1, points 2 et 4, peut également être demandée dans le cadre d’un recours sur le fond ayant pour objet leur annulation. Les dispositions de l’article 719 sont applicables par analogie. »

11 L’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile modifié dispose :

« Si l’exécution forcée est mise en œuvre en vertu d’un titre exécutoire autre qu’une décision juridictionnelle, des moyens de fait ou de droit relatifs au fond du droit visé dans le titre exécutoire peuvent être invoqués à l’appui de l’opposition uniquement si la loi ne prévoit aucune voie procédurale pour l’annulation de ce titre, y compris une action de droit commun. »

12 Aux termes de l’article 8 de l’Ordonanța Guvernului nr. 51/1997 privind operațiunile de leasing și societățile de leasing (ordonnance du gouvernement no 51/1997 sur les opérations de crédit-bail et les sociétés de crédit-bail) :

« Les contrats de crédit-bail, ainsi que les sûretés réelles et personnelles, constituées en vue de garantir les obligations assumées par le contrat de crédit-bail, constituent des titres exécutoires. »

13 L’article 15 de l’ordonnance du gouvernement no 51/1997 prévoit :

« Sauf disposition contraire du contrat, dans le cas où le locataire/utilisateur n’exécute pas son obligation de paiement intégral du loyer pendant deux mois consécutifs, calculés à compter de l’échéance prévue dans le contrat de crédit-bail, le bailleur/bailleur de fonds a le droit de résilier le contrat de crédit-bail, et le locataire/utilisateur est tenu de restituer le bien et de payer tous les montants dus, jusqu’à la date de restitution en vertu du contrat de crédit-bail. »

14 L’article 10, sous d), de l’ordonnance du gouvernement no 51/1997 dispose :

« Le locataire/utilisateur s’engage à payer toutes les sommes dues conformément au contrat de crédit-bail – loyers, assurances, impôts, taxes –, à hauteur du montant et dans les délais prévus dans le contrat. »

15 La Legea nr. 193/2000 privind clauzele abuzive din contractele încheiate între profesioniști și consumatori (loi no 193/2000 sur les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs) a transposé en droit roumain la directive 93/13.

16 Aux termes de l’article 1er de la loi no 193/2000 :

« 1. Tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur en vue de la vente de marchandises ou de la prestation de services contient des clauses contractuelles claires, non équivoques et qui ne nécessitent pas de connaissances spécifiques pour être comprises.

2. En cas de doute sur l’interprétation de clauses contractuelles, ces dernières sont interprétées en faveur du consommateur.

3. Les professionnels ont l’interdiction d’insérer des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. »

17 L’article 2 de la loi no 193/2000 prévoit :

« 1. On entend par “consommateur” toute personne physique ou tout groupe de personnes physiques constitué en association qui, dans le cadre d’un contrat relevant du domaine d’application de la présente loi, agit dans des buts étrangers à ses activités commerciales, industrielles ou de production, artisanales ou libérales.

2. On entend par “professionnel” toute personne physique ou morale autorisée qui, dans le cadre d’un contrat relevant du domaine d’application de la présente loi, agit aux fins de ses activités commerciales, industrielles ou de production, artisanales ou libérales, ainsi que toute personne agissant à ces mêmes fins au nom ou pour le compte de cette première personne. »

18 L’article 4 de la loi no 193/2000 dispose :

« 1. Une clause contractuelle qui n’a pas été négociée directement avec le consommateur est considérée comme abusive si, prise isolément ou en combinaison avec d’autres dispositions du contrat, elle crée, au détriment du consommateur et contrairement aux exigences de bonne foi, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties.

2. Une clause contractuelle est considérée comme n’ayant pas été négociée directement avec le consommateur si elle a été établie sans que le consommateur ait eu la possibilité d’en influencer la nature, comme dans le cas des contrats types ou des conditions générales de vente utilisées par les commerçants opérant sur le marché du produit ou du service concerné.

3. Le fait que certains éléments des clauses contractuelles ou qu’une seule de ces clauses aient fait l’objet d’une négociation directe avec le consommateur n’exclut pas l’application des dispositions de la présente loi au reste du contrat s’il ressort de l’appréciation globale du contrat que celui-ci a été préétabli unilatéralement par le professionnel. Si un professionnel prétend qu’une clause standardisée rédigée préalablement a été négociée directement avec le consommateur, il lui incombe de présenter des preuves en ce sens.

4. L’annexe, qui fait partie intégrante de la présente loi, contient, à titre d’exemple, une liste de clauses considérées comme étant abusives.

5. Sans préjudice des dispositions de la présente loi, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en fonction :

a) de la nature des produits ou des services qui font l’objet du contrat au moment de sa conclusion ;

b) de tous les facteurs qui ont conduit à la conclusion du contrat ;

c) d’autres clauses du contrat ou d’autres contrats dont celui-ci dépend.

6. L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ou sur l’aptitude à satisfaire les exigences de prix et de paiement, d’une part, ni sur les produits et services offerts en échange, d’autre part, pour autant que ces clauses sont rédigées dans un langage aisément compréhensible. »

19 Aux termes de l’article 6 de la loi no 193/2000 :

« Les clauses abusives incluses dans le contrat et constatées soit personnellement, soit par l’intermédiaire des organismes légalement habilités, ne produiront pas d’effets à l’égard du consommateur, et le contrat se poursuivra, avec l’accord de ce dernier, uniquement si cela est encore possible après la suppression desdites clauses. »

20 L’annexe de la loi no 193/2000 dispose, à son paragraphe 1, sous i) :

« Sont considérées comme des clauses abusives les dispositions contractuelles qui obligent le consommateur qui n’exécute pas ses obligations contractuelles à verser une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé par rapport au préjudice subi par le professionnel. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

21 Le 20 août 2008, IO a conclu avec ILR un contrat de crédit-bail pour une période de 48 mois portant sur un véhicule automobile d’une valeur hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 7 810,94 euros. Il ressort des stipulations de ce contrat que la valeur financée était de 6 248,75 euros, que le taux d’intérêt avait été fixé à 8,25 %, que la taxe sur l’octroi du crédit, fixée à 4 %, équivalait à 312,44 euros et que les frais de commission de gestion étaient de 5 euros par mois. Ce contrat prévoyait que, en cas de non-respect des obligations contractuelles, le crédit-bailleur pouvait soit demander l’exécution forcée des obligations mises à la charge du crédit-preneur par le contrat, avec paiement de dommages et intérêts, ou prendre, cumulativement ou alternativement, toute mesure qu’il jugeait nécessaire, soit résilier le contrat, sans mise en demeure préalable ou formalité complémentaire nécessaire, sans intervention judiciaire ou arbitrale, avec paiement de dommages et intérêts.

22 Le 7 décembre 2009, IO n’ayant plus été en mesure de verser les loyers fixés, le contrat de crédit-bail en cause a été résilié. Le 19 mars 2010, le véhicule automobile concerné a, en vertu du titre exécutoire que constituait ce contrat, été restitué à ILR, puis a été vendu le 29 juin 2010, pour un montant de 5 294,12 euros TVA comprise.

23 À la suite de la résiliation, ILR a ouvert, le 15 octobre 2010, une procédure d’exécution forcée pour la somme de 12 592,32 lei roumains (RON) (environ 2547 euros), en vue d’obtenir le recouvrement des créances détenues en vertu du titre exécutoire, à savoir des factures impayées portant sur des loyers, des taxes d’injonction, des pénalités, des différences de taux de change, des assurances et des frais de recouvrement.

24 Le 28 mars 2013, ILR a introduit une demande de poursuite de l’exécution contre IO, pour la somme de 70 601,12 RON (environ 14 280 euros). Par jugement civil du 13 novembre 2015, prononcé par la Judecătoria Sectorului 1 București (tribunal de première instance du 1er arrondissement de Bucarest, Roumanie), une validation de la saisie a été obtenue à l’égard d’un tiers saisi.

25 Le 16 novembre 2016, il a été mis fin, par acte d’huissier, à l’exécution forcée, au motif que le patrimoine de IO ne comportait pas de biens susceptibles d’être saisis.

26 Le 26 mars 2019, ILR a introduit une nouvelle demande d’exécution forcée contre IO, aux fins d’obtenir la liquidation d’une créance d’un montant de 137 502,84 RON (environ 27 900 euros), représentant le montant des factures fiscales établies et impayées, des pénalités de retard, le restant de capital financé et non restitué, des dettes résultant de l’inexécution des obligations contractuelles ainsi que des frais de recouvrement.

27 Par ordonnance du 12 avril 2019, la Judecătoria Sectorului 2 București (tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest, Roumanie) a approuvé l’exécution forcée, à concurrence de la somme demandée, majorée des frais d’exécution, fixés ultérieurement, par acte d’huissier, à la somme de 8 719,29 RON (environ 1 764 euros).

28 Le 24 mai 2019, IO a formé opposition à l’exécution forcée. Au soutien de son opposition, elle a fait valoir que le délai de prescription de trois ans, au cours duquel ILR pouvait demander et obtenir l’exécution forcée en vertu du titre exécutoire consistant dans le contrat de crédit-bail, avait commencé à courir en 2010, lorsqu’elle a cessé de payer les loyers afférents au crédit-bail, et était expiré à la date à laquelle ILR a déposé la seconde demande d’exécution forcée. Elle rappelle également que, pour un financement initial de 6 248,75 euros, dont elle aurait acquitté une grande partie au cours de la période allant de 2008 à 2010, ILR a ouvert en 2019 une seconde procédure d’exécution forcée pour un montant d’environ 30 000 euros.

29 ILR objecte qu’elle détient une créance certaine, liquide et exigible contre IO, composée du restant du capital financé à la date de résiliation du contrat de crédit-bail, des intérêts, des pénalités de retard, du montant des primes d’assurance payées à l’assureur, de la commission de recouvrement et du montant des factures non acquittées, créance de laquelle aurait été déduit le montant du prix de vente du véhicule ayant fait l’objet du contrat de crédit-bail.

30 La juridiction de renvoi indique que le contrat de crédit-bail sur la base duquel la procédure d’exécution forcée a été diligentée contre IO contient certaines clauses qui pourraient être considérées comme abusives au regard de la loi no 193/2000 qui a transposé en droit roumain la directive 93/13. Elle expose que, en vertu de l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile, dans sa version antérieure à sa modification par la loi no 310/2018, une juridiction nationale pouvait examiner le caractère abusif des clauses contractuelles des contrats de crédit-bail dans le cadre d’une opposition à l’exécution s’il n’existait aucune voie procédurale spécifique pour leur annulation. En revanche, en vertu de l’article 713, paragraphe 2, de ce code modifié et applicable au litige au principal, cette juridiction ne pourrait désormais examiner le caractère abusif de telles clauses contractuelles que s’il n’existe aucune voie procédurale d’annulation de ces contrats, y compris une action de droit commun. Or, la loi no 193/2000 offrirait à présent aux consommateurs la possibilité d’introduire une action de droit commun dans le cadre de laquelle une juridiction nationale pourrait contrôler le caractère éventuellement abusif de clauses contractuelles.

31 La juridiction de renvoi observe cependant que, conformément au principe d’effectivité, les mécanismes nationaux d’exécution forcée ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union. Or, une protection effective de ces droits ne pourrait être garantie qu’à la condition que le système procédural national permette un contrôle d’office de la nature potentiellement abusive des clauses contractuelles dans le cadre de la procédure d’exécution forcée elle-même. Il existerait donc un doute quant à la compatibilité avec la directive 93/13 de l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile modifié, les consommateurs étant désormais contraints d’engager une action de droit commun sans avoir la possibilité d’exercer les droits que leur confère cette directive lorsqu’ils s’opposent à l’exécution forcée.

32 C’est dans ces conditions que la Judecătoria Sectorului 2 București (tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La directive 93/13/CEE doit-elle être interprétée, au regard du principe d’effectivité, en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que la réglementation roumaine en vigueur relative aux conditions de recevabilité de l’opposition à l’exécution – l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile [modifié] [...] –, qui ne confère pas à une juridiction, dans le cadre d’une opposition à exécution, la possibilité d’examiner, d’office ou à la demande du consommateur, si les clauses d’un contrat de crédit-bail formant titre exécutoire ont un caractère abusif, au motif qu’il existe une action de droit commun dans le cadre de laquelle les contrats conclus entre un “consommateur” et un “professionnel” (vendeur ou fournisseur) pourraient être vérifiés sous l’angle de l’existence de clauses abusives au sens de ladite directive ? »

 Sur la compétence de la Cour

33 ILR excipe de l’incompétence de la Cour pour connaître de la présente demande de décision préjudicielle, au motif que cette demande porterait sur l’interprétation du droit national.

34 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national (arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C 618/10, EU:C:2012:349, point 76 et jurisprudence citée). Dans le cadre d’une telle procédure, la compétence de la Cour est ainsi limitée à l’examen des seules dispositions du droit de l’Union (arrêt du 11 juillet 2018, Somoza Hermo et Ilunión Seguridad, C 60/17, EU:C:2018:559, point 44).

35 Tel est le cas dans la présente affaire.

36 En effet, il suffit de constater que la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation de la directive 93/13 aux fins de pouvoir trancher un litige relatif à un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur.

37 Il s’ensuit que la Cour est compétente pour statuer sur la présente demande de décision préjudicielle.

 Sur la question préjudicielle

38 Par sa question, la juridiction de renvoi demande si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale qui ne permet pas au juge de l’exécution, saisi d’une opposition à l’exécution d’un contrat de crédit-bail conclu entre un consommateur et un professionnel formant titre exécutoire, d’apprécier, d’office ou à la demande du consommateur, le caractère abusif des clauses de ce contrat au motif qu’il existe un recours de droit commun à l’occasion duquel le caractère abusif des clauses d’un tel contrat peut être contrôlé par le juge saisi de ce recours.

39 Selon une jurisprudence constante de la Cour, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (voir, notamment, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C 421/14, EU:C:2017:60, point 40 et jurisprudence citée).

40 Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir, notamment, arrêts du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, points 53 et 55, ainsi que du 26 janvier 2017, Banco Primus, C 421/14, EU:C:2017:60, point 41).

41 Dans ce contexte, la Cour a déjà considéré à plusieurs reprises que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (arrêts du 14 mars 2013, Aziz, C 415/11, EU:C:2013:164, point 46 et jurisprudence citée ; du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 58, ainsi que du 26 janvier 2017, Banco Primus, C 421/14, EU:C:2017:60, point 43).

42 En outre, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C 407/18, EU:C:2019:537, point 44 et jurisprudence citée).

43 Si la Cour a ainsi déjà encadré, à plusieurs reprises et en tenant compte des exigences de l’article 6, paragraphe 1, ainsi que de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, la manière dont le juge national doit assurer la protection des droits que les consommateurs tirent de cette directive, il n’en reste pas moins que, en principe, le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère prétendument abusif d’une clause contractuelle, et que celles-ci relèvent, dès lors, de l’ordre juridique interne des États membres, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, notamment, arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C 407/18, EU:C:2019:537, points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée).

44 En ce qui concerne le principe d’équivalence, il y a lieu de relever que la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute sur la conformité de la réglementation nationale en cause au principal à ce principe.

45 En ce qui concerne le principe d’effectivité, il convient de relever que chaque situation dans laquelle se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysée en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, ainsi que, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêt du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia, C 485/19, EU:C:2021:313, point 53). Néanmoins, les caractéristiques spécifiques des procédures ne sauraient constituer un élément susceptible d’affecter la protection juridique dont doivent bénéficier les consommateurs en vertu des dispositions de la directive 93/13 (arrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, C 377/14, EU:C:2016:283, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

46 En outre, la Cour a précisé que l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union implique, notamment pour les droits découlant de la directive 93/13, une exigence de protection juridictionnelle effective, réaffirmée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive et consacrée également à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui s’applique, entre autres, à la définition des modalités procédurales relatives aux actions en justice fondées sur de tels droits (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C 776/19 à C 782/19, EU:C:2021:470, point 29 et jurisprudence citée).

47 À cet égard, la Cour a jugé que, en l’absence de contrôle efficace du caractère potentiellement abusif des clauses du contrat concerné, le respect des droits conférés par la directive 93/13 ne saurait être garanti (arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C 495/19, EU:C:2020:431, point 35 et jurisprudence citée).

48 Il s’ensuit que les conditions fixées par les droits nationaux, auxquelles se réfère l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, ne sauraient porter atteinte à la substance du droit que les consommateurs tirent de cette disposition de ne pas être liés par une clause réputée abusive (arrêts du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C 154/15, C 307/15 et C 308/15, EU:C:2016:980, point 71, ainsi que du 26 janvier 2017, Banco Primus, C 421/14, EU:C:2017:60, point 51).

49 Ainsi, la Cour a déjà rappelé qu’une protection effective des droits conférés au consommateur par cette directive ne saurait être garantie qu’à la condition que le système procédural national permette, dans le cadre de la procédure d’injonction de payer ou dans celui de la procédure d’exécution de l’injonction de payer, un contrôle d’office de la nature potentiellement abusive des clauses contenues dans le contrat concerné (voir, notamment, arrêts du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C 49/14, EU:C:2016:98, point 46, et du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C 176/17, EU:C:2018:711, point 44).

50 À cet égard, la Cour a estimé que, dans l’hypothèse où aucun contrôle d’office, par un juge, du caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans le contrat concerné n’est prévu au stade de l’exécution de l’injonction de payer, une législation nationale doit être considérée comme étant de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13 si elle ne prévoit pas un tel contrôle au stade de la délivrance de l’injonction de payer ou, lorsqu’un tel contrôle est prévu uniquement au stade de l’opposition formée contre l’injonction de payer, s’il existe un risque non négligeable que le consommateur concerné ne forme pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce que la législation nationale ne prévoit pas l’obligation que lui soient communiquées toutes les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer l’étendue de ses droits (arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C 448/17, EU:C:2018:745, point 46 et jurisprudence citée).

51 La Cour a également dit pour droit que cette directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet au juge de l’exécution, dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, ni d’apprécier, que ce soit d’office ou à la demande du consommateur, le caractère abusif d’une clause contenue dans le contrat duquel résulte la dette réclamée et qui fonde le titre exécutoire ni d’adopter des mesures provisoires, dont, notamment, la suspension de l’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision finale du juge saisi de la procédure au fond correspondante, compétent pour vérifier le caractère abusif de cette clause (ordonnance du 14 novembre 2013, Banco Popular Español et Banco de Valencia, C 537/12 et C 116/13, EU:C:2013:759, point 60, ainsi que arrêt du 17 juillet 2014, Sánchez Morcillo et Abril García, C 169/14, EU:C:2014:2099, point 28).

52 Dans l’affaire au principal, il ressort du dossier dont dispose la Cour que la juridiction de renvoi a, par ordonnance du 12 avril 2019, approuvé l’exécution forcée du contrat en cause. En outre, le caractère éventuellement abusif des clauses de ce contrat ne semble pas avoir fait l’objet d’un contrôle juridictionnel antérieur.

53 Or, il ressort de la décision de renvoi que l’article 713, paragraphe 2, du code de procédure civile modifié ne permet plus au juge de l’exécution de contrôler, dans le cadre d’une opposition à l’exécution, que ce soit d’office ou à la demande du consommateur, le caractère abusif des clauses d’un contrat de crédit-bail formant titre exécutoire, en raison du fait que ce contrôle peut être opéré par le juge du fond lors d’un recours de droit commun, qui n’est soumis à aucun délai, ledit juge disposant du pouvoir de suspendre la procédure d’exécution en vertu de la loi no 193/2000.

54 À cet égard, il convient de rappeler que, au point 61 de l’arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank (C 407/18, EU:C:2019:537), la Cour a considéré que le fait que, en vertu du droit national, le contrôle du caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans un contrat de crédit hypothécaire, conclu entre un professionnel et un consommateur, peut être opéré non pas par le juge saisi de la demande d’exécution forcée d’un tel contrat, mais uniquement, ultérieurement et le cas échéant, par le juge du fond saisi par le consommateur d’une action en nullité de telles clauses abusives est manifestement insuffisant pour assurer la pleine effectivité de la protection des consommateurs voulue par la directive 93/13.

55 En effet, la Cour a estimé que, dans l’hypothèse où la procédure d’exécution forcée aboutit avant le prononcé de la décision du juge du fond déclarant le caractère abusif de la clause contractuelle à l’origine de cette exécution forcée et, par voie de conséquence, la nullité de cette procédure, cette décision ne permettrait d’assurer audit consommateur qu’une protection a posteriori indemnitaire, qui se révélerait incomplète et insuffisante et ne constituerait un moyen ni adéquat ni efficace pour faire cesser l’utilisation de cette même clause, contrairement à ce que prévoit l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 (ordonnance du 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital, C 75/19, non publiée, EU:C:2019:950, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

56 Certes, à la différence des circonstances factuelles et procédurales des affaires Banco Popular Español et Banco de Valencia ainsi que Sánchez Morcillo et Abril García, ayant donné lieu respectivement à l’ordonnance du 14 novembre 2013 (C 537/12 et C 116/13, EU:C:2013:759) et à l’arrêt du 17 juillet 2014 (C 169/14, EU:C:2014:2099), dans le cadre desquelles le droit national ne permettait pas au juge d’adopter des mesures provisoires dans l’attente de l’examen des clauses contractuelles au fond, dans la présente affaire, le juge du fond saisi d’un recours distinct de celui relatif à la procédure d’exécution dispose de la faculté de suspendre ladite procédure.

57 Il ressort toutefois des observations de la Commission, qui n’ont pas été contestées par le gouvernement roumain, que, lors de ce recours distinct devant le juge du fond, le consommateur sollicitant la suspension de la procédure d’exécution est tenu de verser une caution qui est calculée sur la base de la valeur de l’objet du recours.

58 À cet égard, il ressort de la jurisprudence citée au point 50 du présent arrêt que les frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée ne doivent pas être de nature à décourager le consommateur de saisir le juge aux fins de l’examen de la nature potentiellement abusive de clauses contractuelles (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C 618/10, EU:C:2012:349, point 54 ; du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C 49/14, EU:C:2016:98, points 52 et 54, ainsi que du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C 448/17, EU:C:2018:745, point 46).

59 Or, il est vraisemblable qu’un débiteur en défaut de paiement ne dispose pas des ressources financières nécessaires pour constituer la garantie requise (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C 407/18, EU:C:2019:537, point 60). Tel est d’autant plus le cas lorsque, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 58 de ses conclusions, la valeur de l’objet des recours formés excède notablement, comme cela semble être le cas dans la présente affaire, la valeur totale du contrat.

60 Il résulte de l’ensemble de ces considérations que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui ne permet pas au juge de l’exécution , saisi d’une opposition à l’exécution, d’apprécier, d’office ou à la demande du consommateur, le caractère abusif des clauses d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel formant titre exécutoire, dès lors que le juge du fond, susceptible d’être saisi d’une action distincte de droit commun en vue de faire examiner le caractère éventuellement abusif des clauses d’un tel contrat, ne peut suspendre la procédure d’exécution jusqu’à ce qu’il se prononce sur le fond que moyennant le versement d’une caution à un niveau qui est susceptible de décourager le consommateur à introduire et à maintenir un tel recours.

 Sur les dépens

61 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui ne permet pas au juge de l’exécution d’une créance, saisi d’une opposition à cette exécution, d’apprécier, d’office ou à la demande du consommateur, le caractère abusif des clauses d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel formant titre exécutoire, dès lors que le juge du fond, susceptible d’être saisi d’une action distincte de droit commun en vue de faire examiner le caractère éventuellement abusif des clauses d’un tel contrat, ne peut suspendre la procédure d’exécution jusqu’à ce qu’il se prononce sur le fond que moyennant le versement d’une caution à un niveau qui est susceptible de décourager le consommateur à introduire et à maintenir un tel recours.