Cass. crim., 25 octobre 2000, n° 00-80.829
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Sassoust
Avocat général :
Mme Commaret
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
REJET du pourvoi formé par :
- la société X..., prise en la personne de son représentant légal, Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 10e chambre, en date du 2 décembre 1999, qui, pour proxénétisme, l'a condamnée à 5 000 000 francs d'amende et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 226-15, alinéa 2, du Code pénal, 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, 100 à 100-7 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité présentée par la société X..., et est entré en voie de condamnation du chef de proxénétisme et l'a condamnée à une peine d'amende ;
" aux motifs que le service télématique "3615 A..." est un service de communication audiovisuelle soumis à déclaration préalable en application de l'article 43 de la loi du 30 septembre 1986 et il a pour objet de diffuser au public en général ou à des catégories de public, en tout cas à des personnes indifférenciées n'ayant aucun lien entre elles, des messages dont le contenu, par définition, ne peut être élaboré en fonction de considérations sur la ou les personnes susceptibles d'en prendre connaissance dans la seule limite où elles se connectent à un réseau accessible à tous ; que les annonces ainsi diffusées ne peuvent posséder le caractère de correspondance privée conformément à l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986, tant que l'auteur de l'annonce et l'un de ses lecteurs n'ont pas décidé l'un et l'autre de consentir à un dialogue ; que ce dialogue ne peut être entamé par l'accord donné, quand il est nécessaire, par l'annonceur, de consulter sa carte de visite, puisque ces informations ne sont pas élaborées en fonction d'un lecteur déterminé, celui-ci étant alors indéterminable par l'annonceur puisque dissimulé comme lui, sous un "pseudo" susceptible d'être changé à tout moment ; qu'il en est également du prix demandé pour la prestation, et la Cour constate que le prévenu ne peut critiquer le comportement de l'officier de police judiciaire à qui il est reproché d'avoir immédiatement demandé après la connexion "Combien ?", ce prix étant justement indifférencié ; que c'est donc inexactement qu'il est allégué que le contenu des communications échangées entre l'officier de police chargé de l'enquête et les prostituées utilisant le service " 3615 A..." avait un caractère privé ;
" alors, d'une part, que, dans ses conclusions, la société X... faisait valoir que, selon un arrêt du Conseil d'Etat du 29 mai 1991, les services de téléconvivialité permettant l'échange d'informations ou de messages entre utilisateurs sur le réseau téléphonique, ne constituent pas des services de communication audiovisuelle au sens de la loi du 30 septembre 1986 ; qu'en énonçant le contraire, la cour d'appel a méconnu les dispositions de ladite loi ;
" alors, d'autre part, que constitue une correspondance protégée au sens de l'article 226-15, alinéa 2, du Code pénal, tout message émis, transmis ou reçu par voie de télécommunications, adressé par une personne à une autre dénommée ; que tel est le cas des messages échangés entre deux utilisateurs du service "3615 A..." qui se sont mis d'accord pour communiquer entre eux, leurs messages étant inaccessibles au public et à l'exploitant du serveur lui-même ; qu'en décidant que les communications échangées entre l'officier de police judiciaire et un "pseudo" interconnectés n'avaient pas de caractère privé en raison de leur contenu, puisque à la demande du premier quant au prix de prétendues prestations, il était répondu un prix "indifférencié", la cour d'appel a radicalement méconnu les dispositions des textes susvisés " ;
Attendu que, pour écarter la demande d'annulation de la procédure formée par la société X... qui soutenait que le " 3615 A... " ne constituait pas un service de communication audiovisuelle, au sens de la loi du 30 septembre 1986, l'arrêt attaqué constate que ce service a bien pour objet de diffuser, à des personnes indifférenciées, des messages dont le contenu ne peut, par définition, être personnel ; que les juges ajoutent qu'il en résulte nécessairement que les annonces ainsi émises ne peuvent avoir le caractère d'une correspondance privée, tant que l'auteur de l'annonce et l'un de ses lecteurs n'ont pas décidé de consentir à un dialogue ; qu'ils en concluent qu'il s'agit bien d'un service de communication audiovisuelle ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes invoqués au moyen qui doit, dès lors, être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 100 à 100-7 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité présentée par la société X..., est entré en voie de condamnation du chef de proxénétisme, et l'a condamnée à une peine d'amende ;
" aux motifs que l'officier de police judiciaire chargé de l'enquête s'étant connecté sur le réseau télématique au moyen d'un terminal mis à la disposition du public par l'opérateur de télécommunications, sans modification préalable de l'utilisation ou du réseau, afin de lire comme n'importe quel utilisateur les annonces offertes par "3615 A...", il n'a pu y avoir interception et c'est vainement qu'il est allégué par la défense que les dispositions des articles 100 à 100-7 du Code de procédure pénale devaient recevoir application ;
" alors que constitue une interception de correspondances émises par la voie des télécommunications le fait, pour un officier de police judiciaire, dissimulant sa qualité sous un pseudonyme, de prendre contact avec des utilisateurs d'un service télématique et de capter les messages émis par ces correspondants en photographiant l'image du terminal qu'il utilise ; qu'en énonçant le contraire, et en refusant de constater la nullité de l'enquête préliminaire, la cour d'appel a méconnu les dispositions des articles susvisés " ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable l'exception proposée par la société X..., qui demandait l'annulation d'interceptions de communications émises par la voie télématique, opérées par la police en méconnaissance, selon le prévenu, des articles 100 et suivants du Code de procédure pénale, l'arrêt attaqué constate que l'enquêteur s'est connecté au réseau au moyen d'un terminal mis à la disposition du public par l'opérateur, sans modification préalable de l'installation et a lu, comme n'importe quel utilisateur, les annonces offertes par "3615 A..." ; que les juges en concluent qu'il n'y a pas eu interception, au sens des articles précités ;
Qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 225-5 et 225-6 du Code pénal, 75 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation du principe de loyauté des preuves et des droits de la défense :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité présentée par la société X..., est entré en voie de condamnation du chef de proxénétisme, et l'a condamnée à une peine d'amende ;
" aux motifs qu'aucune manoeuvre ou provocation à la commission d'une infraction ne peut être reprochée à ce même officier de police judiciaire, alors qu'il ne peut être exigé d'un policier en civil de décliner sa qualité avant la commission d'une infraction, mais seulement lors de son constat ; que la défense ne peut lui reprocher de ne pas avoir décliné sa qualité de policier, puisque la règle sur ce réseau étant d'adopter un "pseudo", toutes les dénominations utilisées sont réputées être des "pseudos" ;
" alors que sont nuls tous les actes par lesquels, par simple artifice ou stratagème, un fonctionnaire de police détermine une personne à commettre une infraction, en vue de la poursuite et de la répression ultérieure de cette infraction ; qu'il résulte des pièces de la procédure que les seuls faits de nature prostitutionnelle reprochés aux prévenus ont été le fait des officiers de police judiciaire qui, dissimulant leur qualité, ont pris contact avec certaines personnes ayant laissé leur carte de visite sur le service télématique, et ont posé des questions uniquement sur les conditions tarifaires pour des prestations de nature sexuelle, c'est-à-dire que les faits ont été entièrement provoqués par la fraude et le stratagème des policiers ; que, dès lors, en se bornant à énoncer qu'il ne pouvait être fait grief au policier d'avoir adopté un "pseudo" comme tout utilisateur, alors qu'il résulte des éléments de l'enquête que la participation simulée des fonctionnaires de police avait déterminé la commission du délit en incitant leurs correspondants à proposer un tarif, en sorte que tous les actes de l'enquête et de la procédure subséquente étaient entachés de nullité, la cour d'appel a violé les principes et textes susvisés " ;
Attendu que, pour écarter l'exception présentée par la société X..., qui demandait l'annulation de la procédure au motif que l'officier de police judiciaire avait usé d'un stratagème en dissimulant sa qualité sous un pseudonyme, pour déterminer une personne à commettre une infraction en vue de la poursuivre, l'arrêt attaqué constate qu'il ne peut être exigé d'un policier en civil de décliner sa qualité avant la commission d'une infraction, d'autant plus que la règle sur le réseau consiste, justement, à adopter un pseudonyme ;
Qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen qui doit, dès lors, être écarté ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 225-5, 225-6.1°, 225-7.3°, 226-15, du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société X... coupable de proxénétisme aggravé, et l' a condamnée à une peine d'amende ;
" aux motifs propres et adoptés que les pièces de la procédure et les débats ont démontré que des prostituées utilisaient le "3615 A..." pour racoler ; que si la Cour ne veut pas exclure que des annonceurs aux moeurs excessivement libérées voire déréglées, ont pu avoir recours à "3615 A..." pour la satisfaction gratuite de leurs activités licencieuses, c'est-à-dire avec une finalité de débauche ainsi que le soutient la société X..., l'enquête a démontré que les jeunes femmes entendues avaient utilisé le "3615 A..." à des fins de prostitution ; que la SARL X... a donc fait office d'intermédiaire entre des personnes se livrant à la prostitution et d'autres exploitant cette prostitution, en mettant à leur disposition le service télématique "3615 A..." ; que la diffusion simultanée de nombreux pseudos correspondant pour la plupart à des termes dépourvus de toute ambiguïté, les CV précis annonçant des mensurations et les prestations offertes, les réponses aux messages par la communication des tarifs et numéros de téléphone n'ont fait l'objet d'aucun contrôle ni d'aucune déconnexion ; quant à l'élément intentionnel, il ne peut être contesté en raison de la connaissance de cette activité d'intermédiaire que X... a eue en se connectant sur son service télématique, connaissance démontrée par les bandeaux publicitaires passés sur "3615 B..." au profit de "3615 A..." alors que des poursuites étaient exercées pour des faits de même nature contre Y... et Z... par les flashes de basculement sur "3615 A..." avant la fermeture du service "3615 B..." et enfin par les déclarations faites par Y... selon lesquelles il lui fallait optimiser A... avant la vente à la suite du jugement de septembre 1997 ;
" alors, d'une part, que l'office d'intermédiation prévu par l'article 225-6 du Code pénal exige l'accomplissement d'un acte positif à l'exclusion de l'abstention ou de la tolérance ; que le fait qu'un certain nombre de jeunes femmes ait utilisé le réseau à des fins prostitutionnelles, le détournant ainsi de ses fins normales, ne saurait caractériser le délit de proxénétisme à l'égard du dirigeant du centre serveur ; que la simple tolérance de ces agissements ne suffisait pas à caractériser le délit, faute de tout fait personnel positif d'entremise imputable à la société elle-même ; que, dès lors, l'arrêt attaqué a violé les dispositions des textes susvisés ;
" alors, d'autre part, qu'il résulte des pièces du dossier que la partie des messages laissés sur le serveur télématique, accessible à un public indifférencié, n'est constituée que par les pseudonymes ; qu'en revanche, les cartes de visites permettant de connaître les personnes qui se sont inscrites dans le fichier du service ne sont accessibles que si l'auteur de la CV consent à sa consultation par un autre utilisateur ; qu'ensuite, dès lors que deux personnes inscrites dans le fichier décident de se connecter entre elles, toujours par l'intermédiaire du service télématique, leur conversation devient un échange privé, inaccessible aux autres personnes se branchant sur le réseau et donc couvert par le secret de la correspondance et l'intimité de la vie privée ; que c'est uniquement à ce stade de connexion qu'ont lieu les échanges "prostitutionnels", comme cela résulte des propres constatations des policiers qui ont dû engager le dialogue pour obtenir la preuve d'activités de nature prostitutionnelle ; que l'exploitant du service, s'il a la possibilité, dont il a usé en l'espèce, de déconnecter les personnes prétendant rentrer dans le service à l'aide d'éléments d'identification de nature prostitutionnelle, n'a en revanche aucun droit de s'immiscer dans les conversations, fussent-elles engagées sur le serveur lui-même, et fussent-elles de nature prostitutionnelle, nouées entre deux personnes s'étant légalement introduites dans le fichier du serveur ; qu'en déclarant la société exploitante de ce service coupable de proxénétisme à raison du contenu, non des messages d'identification accessibles à tous, et relevant de leur contrôle, mais à raison de conversations privées engagées par deux personnes déterminées ayant décider d'engager un contact réciproque sur le serveur, conversations sur lesquelles l'exploitant de ce service n'avait aucun droit de contrôle, sauf à violer le secret de la correspondance et de la vie privée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" alors, de troisième part, que l'office d'intermédiation requiert que l'acte incriminé, en l'occurrence la mise à disposition du service télématique, ait un rapport suffisamment direct avec l'exercice de la prostitution ; que, dans ses conclusions, la société X... faisait valoir que sur 114 photographies de pseudos, les officiers de police judiciaire ont entendu sept personnes dont trois seulement ont admis se livrer à une activité prostitutionnelle, confirmant ainsi que les pseudos et les cartes de visite, même les plus licencieux, ne révélaient pas forcément une activité prostitutionnelle ; qu'en affirmant néanmoins que l'élément matériel du délit était caractérisé, sans apporter aucune précision sur la proportion de personnes s'adonnant prétendument à la prostitution parmi la totalité des utilisateurs du réseau, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ;
" alors, enfin, que le proxénétisme est un délit intentionnel, ce qui signifie qu'il ne peut y avoir délit punissable que si l'auteur a agi volontairement et en connaissance du caractère illicite de ses agissements ; que ni l'insuffisance de la surveillance mise en place par la société X... ni la technique commerciale de flashes de basculement du "3615 B..." au "3615 A..." visant à fidéliser tous les utilisateurs ne permettent de caractériser la volonté de l'exploitant de s'associer activement à des faits de prostitution ; que, faute d'élément intentionnel, le délit de proxénétisme aggravé n'est pas constitué " ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.