Cass. crim., 30 octobre 1996, n° 94-83.650
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
Mme Batut
Avocat général :
M. Dintilhac
Avocat :
SCP Piwnica et Molinié
REJET du pourvoi formé par :
- X... Olivier,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 7e chambre, du 17 mai 1994, qui, pour infractions délictuelles à la réglementation de la sécurité du travail et délit de blessures involontaires, l'a condamné à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu les mémoires ampliatif et complémentaire produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'un travailleur intérimaire, mis à la disposition des établissements Entrepose, a été victime d'un accident sur un chantier où intervenait cette société, au cours d'une opération de manutention réalisée en collaboration avec une entreprise de levage ;
Que, saisie des poursuites exercées pour diverses infractions à la réglementation de la sécurité du travail et pour blessures involontaires contre Pierre Y..., directeur régional du département tuyauterie et services industriels de la société Entrepose, Olivier X..., salarié de celle-ci, tous 2 bénéficiaires d'une délégation de pouvoirs en matière de sécurité, et contre le gérant de l'entreprise de levage, la cour d'appel a déclaré les 2 derniers coupables du délit de blessures involontaires ainsi que d'une ou plusieurs infractions au décret du 8 janvier 1965 ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article L. 263-2 du Code du travail, des articles 319 et 320 de l'ancien Code pénal, de l'article 222-19 du nouveau Code pénal, des articles 40, 62 et 55 du décret du 8 janvier 1965, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Olivier X... coupable d'infractions à la législation du travail et de blessures involontaires causées par inobservation des règlements ;
" aux motifs que, sur les responsabilités encourues au sein de la société Entrepose, il résulte de la procédure et des pièces produites que la responsabilité du chantier Arco, en matière d'hygiène et de sécurité, incombait à Olivier X..., titulaire depuis le 2 juillet 1990 d'une délégation de pouvoirs de Patrick Z..., lui-même délégataire de M. A..., directeur du département tuyauteries et services industriels ; que le dénommé Olivier X..., étant doté de la compétence et de l'autorité nécessaires, ne conteste d'ailleurs pas le principe de sa responsabilité au sein de la société Entrepose ; que Pierre Y... est le directeur régional du département tuyauteries et services industriels ; que la délégation de pouvoirs dont Pierre Y... a été investi de la part de M. A... a seulement pour objet de veiller à l'application de la réglementation du travail et des dispositions relatives à l'hygiène et à la sécurité du personnel dans le règlement général de sécurité en vigueur ;
" alors, d'une part, que les infractions à la législation du travail sont en principe imputables au chef d'entreprise dès lors qu'il est personnellement tenu de veiller au sein de l'entreprise au respect des règles de sécurité et que les salariés de l'entreprise ne peuvent être tenus pour pénalement responsables en ses lieu et place que par l'effet d'une délégation de pouvoirs dont il appartient à la poursuite d'établir la régularité en sorte qu'il ne suffit pas que le prévenu préposé ne conteste pas sa régularité pour que celle-ci puisse être tenue pour valable ;
" alors, d'autre part, qu'il appartient au seul chef d'entreprise de déléguer ses pouvoirs à un salarié de son choix pourvu de l'autorité et de la compétence nécessaires et d'autoriser le cas échéant des subdélégations et que, dans la mesure où, en l'espèce, l'arrêt ne constate pas l'existence d'une délégation initiale du chef d'entreprise au directeur du département tuyauteries et services industriels de la société Entrepose, M. A... autorisant les subdélégations dont elle fait état, la cour d'appel ne met pas la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de sa décision ;
" alors, enfin, que le cumul de plusieurs délégations pour veiller à la réglementation du travail et des dispositions relatives à l'hygiène et à la sécurité du personnel parce qu'elle est de nature à restreindre et à entraver les initiatives de chacun des délégataires, est irrégulier et que l'arrêt qui a constaté l'existence de 2 subdélégations de pouvoirs concurrentes au profit d'Olivier X... et Pierre Y..., sans préciser de quelle manière elles s'articulaient, n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu que, pour dire imputables à Olivier X... diverses infractions au décret du 8 janvier 1965, la juridiction du second degré se prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui, contrairement à ce qui est soutenu, n'a pas retenu l'existence d'un cumul de délégations au profit d'Olivier X... et de Pierre Y..., a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; que les juges n'étaient pas tenus de s'expliquer plus amplement sur la réalité, non contestée devant eux, de la délégation de pouvoirs initiale émanant du chef d'entreprise, dont l'autorisation n'est pas nécessaire à la validité des subdélégations de pouvoirs, dès lors que celles-ci sont régulièrement consenties et que les subdélégataires sont pourvus de la compétence, de l'autorité et des moyens propres à l'accomplissement de leur mission ;
Que la cour d'appel ayant, sans insuffisance, souverainement décidé que tel était le cas en l'espèce, le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation de l'article 40, alinéas 1 et 3 du décret du 8 janvier 1965, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Olivier X... coupable de n'avoir pas pris des mesures efficaces pour empêcher la chute ou l'accrochage des matériaux ou pièces soulevés et, s'agissant de charges constituées par des matériaux de longue dimension conduisant à des risques particuliers d'accrochage, en ne procédant pas au guidage à distance de ces charges pendant leur déplacement en faisant solidement amarrer ces matériaux afin d'éviter tout glissement ;
" aux motifs que l'accident a démontré qu'Olivier X... n'avait pas pris des mesures efficaces pour éviter la chute ou le décrochage de la tuyauterie en cours de manutention et que, d'autre part, Eric B... se trouvait à proximité de la charge puisqu'il la guidait à la main, et ce au mépris des dispositions des alinéas 1 et 3 de l'article 40 du décret du 8 janvier 1965 ;
" alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 40, alinéa 1, du décret du 8 janvier 1965, des mesures efficaces doivent être prises pour empêcher la chute ou l'accrochage des matériaux, agrès, ou tout autre pièce soulevée ; que le responsable d'un chantier ne saurait en aucun cas être tenu pour responsable du défaut de mesures efficaces pour amarrer des matériaux dès lors qu'un tiers a, à son insu, soulevé ces matériaux alors qu'ils étaient encore en cours d'amarrage ; que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, constater que la tuyauterie était élinguée au moyen de sangles passées dans le crochet de la grue et que le grutier des Etablissements Lis avait commencé l'opération de levage sans attendre l'accrochage définitif du linguet de sécurité et estimer néanmoins que la survenance de l'accident démontrait l'absence de mesures efficaces prises par Olivier X... de la société Entrepose pour éviter la chute ou le décrochage de la tuyauterie ;
" alors, d'autre part, qu'aux termes de l'article 40, alinéa 3, du décret du 8 janvier 1965, les charges constituées par des matériaux de longue dimension doivent, en cas de nécessité, et notamment, lorsqu'il existe des risques particuliers d'accrochage, être guidées à distance pendant leur déplacement ; qu'en l'espèce, le caractère prématuré, constaté par l'arrêt, de la manoeuvre à laquelle s'est livrée le grutier des Etablissements Lis explique qu'Eric B..., surpris par cette manoeuvre, se soit trouvé sous la grue au moment où a commencé l'opération de levage étant contraint de commencer à la guider sans se trouver encore à distance " ;
Sur le cinquième moyen de cassation pris de la violation des articles 112-1 et 121-3 du nouveau Code pénal, de l'article 339 de la loi du 16 décembre 1992 dite " loi d'adaptation ", des articles 40, alinéas 1 et 3, 62 et 55 du décret du 8 janvier 1965, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'infractions aux articles 40, alinéas 1 et 3, 62 et 55 du décret du 8 janvier 1965 ;
" alors que, selon l'article 112-1, alinéa 3, du nouveau Code pénal, les dispositions nouvelles de la loi pénale s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ; que l'article 121-3, alinéa 1, du même Code, pose le principe qu'il n'y a point de délit sans intention de le commettre et que l'article 339 de la loi du 16 décembre 1992 relative à l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal précise que tous les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal demeurent constitués en cas d'imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d'autrui, même lorsque la loi ne le prévoit pas expressément, que ces dispositions nouvelles étant moins sévères que celles de la loi ancienne, elles sont applicables immédiatement et que la cour d'appel, qui n'a pas constaté qu'Olivier X... ait violé en connaissance de cause les prescriptions réglementaires précitées, n'a pas caractérisé l'intention coupable exigée par l'article 121-3, alinéa 1, du nouveau Code pénal, en sorte que la cassation est encourue " ;
Sur le sixième moyen de cassation pris de la violation de l'article 320 de l'ancien Code pénal, de l'article 222-19 du nouveau Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Olivier X... coupable de blessures involontaires sur la personne d'Eric B... ;
" aux motifs, d'une part, qu'Eric B..., dont rien ne permet de suspecter les déclarations à cet égard, a déclaré qu'il s'était aperçu au cours de sa manoeuvre que le linguet de sécurité ne fonctionnait pas de son côté, celui-ci restant coincé en position intérieure ; qu'il prétend avoir avisé l'inspection du Travail de cette situation avant l'accident et que c'est au moment où il essayait en vain de le refermer que le grutier des Etablissements Lis, sans attendre l'accrochage définitif, a commencé à relever la tuyauterie ;
" aux motifs, d'autre part, que, sur les responsabilités encourues au sein de la société Entrepose, il résulte de la procédure et des pièces produites que la responsabilité du chantier Arco, en matière d'hygiène et de sécurité, incombait à Olivier X..., titulaire depuis le 2 juillet 1990 d'une délégation de pouvoirs de Patrick Z..., lui-même délégataire de M. A..., directeur de département tuyauteries et services industriels ; que le dénommé Olivier X..., étant doté de la compétence et de l'autorité nécessaires, ne conteste d'ailleurs pas le principe de sa responsabilité au sein de la société Entrepose ;
" aux motifs, enfin, que l'accident a démontré qu'il n'avait pas été pris de mesures efficaces pour éviter la chute ou le décrochage de la tuyauterie en cours de manutention ; que, d'autre part, Eric B... se trouvait à proximité de la charge puisqu'il la guidait à la main, et ce au mépris des dispositions des alinéas 1 et 3 du décret du 8 janvier 1965 ; qu'il appartenait à Olivier X..., autant qu'aux responsables de la société Lis, de s'assurer, avant de commencer le travail, que le crochet de suspension était muni d'un dispositif empêchant le décrochage accidentel en application de l'article 55 du même décret ; qu'enfin, Eric B..., affecté à une tâche comportant des opérations de manutention mécanique des pièces lourdes, n'avait reçu aucune formation particulière et notamment sur les règles de sécurité en matière d'élinguage ;
" alors, d'une part, que les motifs de l'arrêt d'où il résulte tantôt que l'accident a eu lieu en raison du fait que le grutier des Etablissements Lis, sans attendre l'accrochage définitif du linguet de sécurité auquel étaient rattachés les élingues qui portaient la tuyauterie, a commencé à relever celle-ci, tantôt que l'accident était dû au mauvais fonctionnement du linguet de sécurité qui s'est décroché accidentellement, ce qui implique qu'il avait été préalablement accroché, laissent indéterminées les circonstances de l'accident, en sorte que la cour d'appel n'a pas, abstraction faite de motifs insuffisants et erronés, caractérisé les fautes qui sont à l'origine de l'accident et que, dès lors, la cassation est encourue ;
" alors, d'autre part, que les violations des dispositions du décret du 8 janvier 1965 n'étant pas établies dans tous leurs éléments à l'encontre d'Olivier X... et aucune faute d'imprudence ou de négligence distincte de ces prétendues violations n'ayant été constatée à son encontre, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 320 de l'ancien Code pénal ;
" alors, enfin, que, s'il est vrai que l'article 222-19 du nouveau Code pénal comme l'article 320 de l'ancien Code pénal n'exige pas, pour recevoir application, qu'un lien de causalité direct et immédiat existe entre la faute du prévenu et les blessures de la victime, encore faut-il que l'existence de ce lien de causalité soit certaine et que la cour d'appel, qui n'a pas relevé l'existence d'un lien de causalité certain entre les manquements aux règles de sécurité retenues à l'encontre du demandeur et les blessures de la victime, n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de sa décision " ;
Sur le septième moyen de cassation pris de la violation des articles 112-1, 121-3, dans sa rédaction résultant de la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 et 222-19 du nouveau Code pénal, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 8 de la déclaration des Droits de l'homme et des citoyens, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Olivier X... coupable de blessures involontaires ;
" alors que, selon la loi n° 96-393 du 13 mai 1996, il n'y a pas de délit d'imprudence si l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ; qu'en l'état de ce nouveau texte qui modifie l'incrimination dans un sens favorable au prévenu puisque le délit d'homicide involontaire suppose, dorénavant, la constatation selon laquelle l'auteur des faits n'a pas accompli de diligence normale, l'arrêt attaqué encourt l'annulation afin de permettre à la juridiction de renvoi d'examiner la situation du prévenu au regard de la loi nouvelle " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer Olivier X... coupable d'infractions à l'article 40, alinéas 1 et 3 du décret du 8 janvier 1965, la cour d'appel relève que le prévenu n'a pas pris les mesures efficaces pour empêcher la chute de la pièce soulevée et qu'il aurait dû, s'agissant d'une charge de longue dimension présentant un risque particulier d'accrochage, faire procéder au guidage de la manoeuvre à distance ;
Attendu qu'il résulte de ces motifs, relevant de l'appréciation souveraine des juges, que le prévenu, pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires à l'exercice de sa mission, n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient pour assurer le respect de la réglementation en matière de sécurité du travail ; que, ce manquement ayant été à l'origine des blessures subies par la victime, la cour d'appel a justifié sa décision au regard, tant de l'article 222-19 du Code pénal que de son article 121-3, notamment dans sa rédaction issue de la loi du 13 mai 1996 ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;
Attendu que la déclaration de culpabilité, les peines prononcées et les réparations civiles allouées étant ainsi justifiées, il n'y a pas lieu d'examiner les deuxième et quatrième moyens de cassation relatifs aux autres infractions au décret du 8 janvier 1965 reprochées au prévenu ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.