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Décisions

Cass. crim., 25 janvier 2000, n° 99-82.123

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

Mme Karsenty

Avocat général :

M. Lucas

Avocats :

SCP Baraduc et Duhamel, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin

Riom, du ch. corr., du 24 févr. 1999

24 février 1999

Statuant sur le pourvoi formé par :

- A... Herbert,

contre l'arrêt de la cour d'appel de RIOM, chambre correctionnelle, en date du 24 février 1999, qui l'a condamné, pour homicide involontaire, 30 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles des articles L. 262-2 et L. 263-2-1 du Code du travail, 121-3 et 221-6, alinéa 1, du Code pénal et 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Herbert A... coupable d'avoir involontairement causé la mort de Jean-Claude Y..., décédé lors de l'installation d'une grue par la société Max Goll dans les locaux de l'usine Fortech, dont il était salarié, et, en répression, de l'avoir condamné à une peine d'amende de 30 000 francs et, sur les intérêts civils, à payer diverses sommes aux consorts Y... et au syndicat CFDT de la Métallurgie du Val d'Allier ;

" 1°) aux motifs propres que l'information et les débats ont permis de définir comme suit les circonstances entourant l'accident du travail dont Jean-Claude Y... a été la victime : le 5 mai 1994 depuis le début de l'après midi, les salariés de l'entreprise Max Goll sous la conduite de X... procédaient à l'installation d'un presse de plus de 110 tonnes dans les locaux de l'usine Fortech à Issoire ; pour relever cette lourde machine, et l'installer sur un sol capable de supporter son poids, les salariés de l'entreprise Max Goll utilisaient un portique, conçu et construit par la société américaine Lift Système, livré deux ans plus tôt, roulant sur une voie composée de poutrelles, posées sur le sol à l'aide de cales ; que ce portique se composait de quatre vérins montés sur des roues de faible diamètre ; ces vérins supportaient des poutrelles, auxquelles la charge était arrimée par des élingues ; qu'au moment de l'accident les deux vérins avants étaient rendus solidaires entre eux par une poutrelle ; il en était de même des deux vérins arrières ; en revanche les deux ensembles constitués par les vérins avants et ceux de l'arrière n'étaient rendus solidaires que par deux poutres posées sur les poutrelles transversales ; le poids de l'ensemble augmenté de celui de la charge, assuraient, par pression, la stabilité du portique ; que, vers 19 heures, lors d'une manoeuvre de déplacement, effectuée à très faible vitesse, à l'aide de vérins hydrauliques translateurs se déployant pour pousser les deux chariots supportant les vérins avants, le portique perdait sa stabilité ; trois des quatre vérins tombaient au sol, entraînant l'effondrement de trois poutres ; dans sa chute le vérin avant gauche provoquait la mort de Jean-Claude Y..., employé de la société Fortech qui se déplaçait d'un poste de travail à un autre en portant un tuyau et assistait en spectateur aux manoeuvres, comme plusieurs de ses collègues ; que l'expertise ordonnée par le magistrat instructeur établissait que l'accident avait été causé par l'instabilité de la voie, posée sur des cales en bois fragiles, et insuffisamment assemblées ; sous le poids de l'ensemble, une cale située sous la jonction des deux éléments de voie s'était partiellement brisée ; deux des trois boulons assurant la jonction des deux éléments de voie, alors qu'il en aurait fallu quatre, s'étaient brisés, provoquant l'affaiblissement partiel de la piste de 10 millimètres ; cette différence de niveau constituait un obstacle sur lequel une des roues de faible diamètre du chariot supportant le vérin arrière droit butait, d'autant que ce chariot n'était pas tracté et qu'aucune structure ne l'arrimait au vérin avant gauche pour permettre de transmettre l'effort de traction ; que l'enquête puis l'information, et notamment les investigations de l'expert Z... caractérisaient les graves négligences commises par le personnel de l'entreprise Max Goll, qui a monté la voie sur des cales en mauvais état, superposées deux par deux, contrairement aux prescriptions du constructeur du matériel de levage, a assemblé les éléments de la voie de façon imparfaite, à 75%, a fait déplacer le portique de levage, alors que sa parfaite stabilité n'était pas assurée, en raison de l'état de la voie, et de l'absence de mise en place de barres permettant de solidariser le train avant du portique, qui subissait seul l'effet de traction et le train arrière, dont une roue a été bloquée par les imperfections de la voie de roulement et enfin par l'absence d'utilisation des appareils permettant de vérifier la verticalité des vérins supportant la charge, qui auraient permis de détecter le moindre danger d'effondrement du pont roulant élévateur ; que ces négligences graves sont en relation de causalité directe avec le décès de Jean-Claude Y... qui a été mortellement blessé par la chute du vérin ; qu'en définitive seul Herbert A... a été renvoyé devant la juridiction de jugement pour répondre des infractions pour le compte de l'entreprise Max Goll ; qu'il soutient qu'il n'a commis aucune faute personnelle, et ne s'est pas occupé de ce chantier qui dépendait du département de la société Max Goll Ratisbone sous la responsabilité du fondé de pouvoir Peter B..., et exécuté sur place par Friedhelm X... ; que les règles de droit français sont applicables à cet accident qui s'est déroulé sur le territoire national ; que le chef d'entreprise, en vertu de son obligation générale de sécurité, reste responsable des fautes commises par ses adjoints ou préposés, et ne saurait être déchargé de sa responsabilité pénale au motif que ces derniers ont commis personnellement des fautes ou des négligences, sauf à prouver qu'il a délégué ses pouvoirs généraux de direction, à une personne disposant de la compétence, des moyens et de l'autorité nécessaires pour endosser cette responsabilité ;

" et aux motifs adoptés que, par leur gravité, les manquements commis caractérisent de la part du chef des opérations sur place, Friedhelm X..., une incompétence et/ou une négligence surprenantes de la part d'un technicien décrit comme expérimenté en la matière ; ils démontrent en tout état de cause l'absence de surveillance et de contrôle de son activité ; cette surveillance et ce contrôle incombaient, en l'absence de délégation de pouvoir en sa faveur en matière d'hygiène et de sécurité, aux dirigeants de la société Max Goll, et en particulier à son cogérant technique Herbert A... ;

" 1°) alors qu'en se bornant à affirmer que les manquements commis par le chef des opérations sur place démontraient l'absence de surveillance et de contrôle de son activité par Herbert A..., sans rechercher in concreto si, compte tenu de sa position de cogérant technique d'un groupe important ayant son poste de travail basé à Hurt près de Cologne, soit à plus de quatre cents kilomètres du siège de la société Max Goll Ratisbonne, et de ce que Herbert A... s'était assuré d'une part, que le chantier était confié à un homme possédant une très grande expérience pour s'être acquitté des mêmes fonctions de façon satisfaisante sur des dizaines de chantiers, d'autre part, que le matériel était en parfait état, le prévenu avait accompli les diligences normales qui lui incombaient, compte tenu de ses fonctions et des moyens dont il disposait, la cour d'appel a privé la déclaration de culpabilité de toute base légale ;

" 2°) aux motifs propres que Herbert A... soutient que son fondé de pouvoir était délégataire de cette responsabilité ; que les premiers juges, par des motifs pertinents que la Cour adopte, ont rappelé que la délégation de pouvoir pouvait résulter de la lettre du 24 février 1994, alors qu'il n'est établi en aucune façon que Peter B... en aurait accepté les termes, et qu'il ne ressort pas de sa traduction que l'intéressé était responsable des opérations de transport de charges lourdes, dans un contexte où les pouvoirs de Peter B... subissaient une sérieuse restriction ;

" et aux motifs adoptés que Herbert A... invoque cependant une délégation par lettre du 24 février 1994 au profit de Peter B..., directeur de l'établissement situé à Regensburg, dont Friedhelm X... dépendait selon l'organigramme de la société Max Goll ; mais cette lettre - dont il n'est pas établi de quelle façon Peter B... en aurait accepté les termes - est trop équivoque pour valoir délégation générale en matière d'hygiène et de sécurité ; en effet, le membre de phrase " vous devez respecter les prescriptions sociales ainsi que celles concernant la prévention des accident et de la sécurité ", vient immédiatement après la proposition : " vous êtes responsable du bon fonctionnement de l'atelier et des véhicules ", si bien qu'en tout état de cause l'objet de cette délégation apparaît limitée au " fonctionnement de l'atelier et des véhicules ", et ne porte donc pas sur le transport de charges lourdes ; il en sera en outre observé que cette lettre avait pour objet de restreindre sévèrement la procuration de Peter B... ; que cette analyse est confirmée par les éléments recueillis en cours d'information sur la grande autonomie de Friedhelm X..., lequel, théoriquement sous les ordres de Peter B..., en référait directement à Herbert A... en cas de difficulté ; qu'il en ressort que Herbert A... n'avait pas délégué sa responsabilité qu'il tenait de sa fonction de gérant technique, en matière d'hygiène et de sécurité dans le domaine du transport des charges lourdes ; et la gravité même des fautes commises par Friedhelm X... dans l'exécution du travail démontre qu'il n'a mis en place aucun contrôle sérieux de cette activité ;

" 2°) alors qu'en considérant que la délégation de pouvoir dont bénéficiait Peter B... était limitée au fonctionnement de l'atelier et des véhicules, la cour d'appel a dénaturé les dispositions claires et précises de la lettre du 2 mars 1994 par laquelle Herbert A... confirmait à Peter B... lui transmettre la responsabilité de l'entreprise Max Goll pour la société de Ratisbonne et lui précisait expressément qu'il était "responsable du bon fonctionnement de l'atelier et des véhicules" et qu'il lui incombait de "respecter les prescriptions sociales ainsi que celles concernant la prévention des accidents et la sécurité " ;

" 3°) aux motifs propres que, en vain le prévenu conteste désormais les termes de la traduction de cette lettre, alors qu'en tout état de cause et en l'absence de tout contrat écrit d'embauche de Peter B..., définissant avec exactitude ses pouvoirs, il résulte de l'audition de ce dernier qu'il ne pouvait ni embaucher, ni licencier ni sanctionner un salarié de l'entreprise, et que d'autre part, le service dirigé par Friedhelm X... disposait d'une grande autonomie, ne lui référait par forcément de ses activités et contactait directement Herbert A... en cas de difficultés ; que Peter B..., faute d'être délégataire du pouvoir disciplinaire, ne peut être considéré comme ayant l'autorité et les moyens nécessaires pour être, aux termes d'une lettre au contenu ambigü, délégataire de la responsabilité pénale de l'entreprise Max Goll ; qu'en conséquence en ne veillant strictement pas à ce que Friedhelm X... utilise les procédures préconisées par le constructeur du pont roulant pour assurer la stabilité de l'installation de levage, et installer les dispositifs de contrôle nécessaires en professionnel compétent et prudent, Herbert A... a personnellement commis une faute de négligence qui a concouru à la réalisation de l'homicide involontaire ;

" alors, d'une part, qu'en considérant qu'il résultait de l'audition de Peter B... que celui-ci ne pouvait ni embaucher ni licencier ni sanctionner un salarié de l'entreprise, bien qu'il eût seulement déclaré ne pas avoir le pouvoir " ni d embaucher ni de licencier " et " dans la réalité " n'avoir "jamais ... sanctionné" un salarié, la cour d'appel a dénaturé les déclarations de Peter B..., en violation des textes susvisés ;

" et alors, d'autre part que, en tout état de cause, les déclarations et témoignages recueillis ne valent qu'à titre de simples renseignements ; qu'en se fondant, pour considérer que Peter B... n'était pas délégataire du pouvoir disciplinaire, sur les seules déclarations de ce dernier, sans rechercher la valeur des autres éléments de preuve qui lui étaient soumis - tels la lettre de nomination de M. B... en qualité de chef de l'entreprise Max Goll de Ratisbonne ou l'organigramme de la société Max Goll indiquant que Peter B... était responsable notamment du transport de charges lourdes - la cour d'appel a privé la déclaration de culpabilité de toute base légale " ;

Attendu que les énonciations, de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.