Cass. crim., 6 janvier 2004, n° 02-87.518
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Avocat :
SCP Gatineau et Fattaccini
Statuant sur le pourvoi formé par :
- - X... Francis, LA SOCIETE BOULANGERIE PAUL, civilement responsable
contre l'arrêt n° 517 de la cour d'appel de VERSAILLES, 9ème chambre, en date du 11 octobre 2002, qui, dans la procédure suivie contre le premier pour violation d'un arrêté préfectoral pris en application de l'article L 221-17 du Code du travail, a constaté l'extinction de l'action publique par l'amnistie, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L 221-17 du Code du travail, 6.2 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt, statuant sur les intérêts civils, a déclaré constituée l'infraction à l'arrêté du préfet des Yvelines du 21 avril 1995 ;
" aux motifs qu'il était établi par les différentes pièces versées, correspondances échangées entre le préfet et le syndicat patronal de la boulangerie-pâtisserie et les divers participants à l'élaboration de l'accord, que les syndicats concernés, dont ceux de la boulangerie industrielle, avaient été consultés, invités à la négociation de l'accord préalable, que celui-ci avait été signé par des organisations professionnelles patronales et de salariés et qu'il importait peu que les organes représentatifs du domaine d'activité de la boulangerie industrielle ne l'aient pas signé dès lors qu'il avait été signé par les organisations représentatives de la profession rassemblant la majorité des employeurs et salariés et que l'arrêté préfectoral "exprimait la volonté de la majorité des professionnels, à titre principal ou accessoire, concernés ... dans le département des Yvelines" ; qu'il importait peu que l'arrêté n'ait pas mentionné les données chiffrées dans la mesure où les services préfectoraux avaient vérifié, et l'arrêté affirmé, que l'accord exprimait la volonté de la majorité professionnelle ; qu'il appartenait à Francis X..., demandeur à l'exception, d'établir que la majorité des professionnels n'était pas acquise ; qu'au demeurant, saisi d'une demande en annulation de l'arrêté litigieux, le tribunal administratif avait retenu, le 16 mars 2000, que l'article L. 221-17 du Code du travail n'interdisait pas au préfet de prendre l'initiative d'une consultation en vue de parvenir à un accord sur la fermeture hebdomadaire, comme en l'espèce à la demande du syndicat patronal de la boulangerie-pâtisserie des Yvelines, que ce syndicat représentait 80 % de la profession dans les Yvelines, qu'il avait consulté la totalité des boulangers-pâtissiers du département, que sur les 496 établissements, 399, soit 68,3 % avaient exprimé leur accord en faveur de la réglementation projetée, que trois organisations syndicales avaient émis un avis favorable au projet, qu'à la date à laquelle le préfet avait pris l'arrêté, une majorité indiscutable de tous ceux exerçant la profession intéressée dans le département avait exprimé son accord pour la fermeture hebdomadaire ;
" alors que, dès lors qu'il est formalisé par un écrit, l'accord préalable exigé par l'article L 221-17 du Code du travail doit être versé aux débats ; qu'ayant relevé qu'un accord préalable avait été " signé " par des organisations syndicales, sans exiger la production du document écrit matérialisant cet accord, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors qu'il appartient au juge répressif de vérifier, particulièrement lorsqu'il en est requis, si les règlements ou arrêtés auxquels il lui est demandé d'attribuer sanction, ont été légalement pris par l'autorité compétente ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter le moyen d'illégalité de l'arrêté litigieux, que "les services préfectoraux avaient vérifié, et l'arrêté affirmé" que l'accord préalable exprimait la volonté de la majorité professionnelle, sans que le prévenu en ait fait la preuve contraire, la cour d'appel, qui s'est refusée à vérifier la légalité pourtant contestée devant elle de l'arrêté dont la violation imputée au prévenu constituait le fondement de la poursuite, n'a pas justifié sa décision ;
" alors qu'il appartient à la partie poursuivante de prouver la culpabilité du prévenu ; qu'en faisant peser sur le prévenu, défendeur à l'action pénale, la charge d'établir son innocence en démontrant soit que l'accord visé par l'arrêté n'existait pas, soit que les signataires de l'accord allégué servant de fondement à l'arrêté litigieux ne représentaient pas la majorité des professionnels concernés, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve ;
" alors que tout intéressé peut toujours, par voie d'exception, soulever l'illégalité d'un acte administratif qui lui est opposé de sorte que, lorsqu'il est saisi d'une telle exception, le juge répressif doit se prononcer sur celle-ci, sans s'arrêter à la circonstance que l'acte n'a pas été annulé par le juge administratif ;
qu'en se fondant sur le fait qu'un tribunal administratif avait refusé d'annuler l'arrêté préfectoral litigieux, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision " ;
Attendu que, pour rejeter l'exception d'illégalité de l'arrêté préfectoral base de la poursuite, la cour d'appel énonce qu'à la date à laquelle le préfet avait pris l'arrêté, une majorité indiscutable de tous ceux qui, dans le département, exerçaient la profession intéressée, avait exprimé son accord pour la fermeture, un jour par semaine, des établissements de vente ou de distribution de pain, et que la circonstance que cet accord n'aurait pas été formalisé dans un document signé par les syndicats de la profession ne saurait, par elle-même, entacher d'irrégularité l'accord ainsi recueilli, dès lors que l'article L 221-17 du Code du travail n'impose aucune condition de forme ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, les juges ont justifié leur décision au regard des textes visés au moyen lequel, dès lors, ne saurait être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-1 du Code pénal, L 221-17 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt, statuant sur les intérêts civils, a retenu la responsabilité de Francis X... ;
" aux motifs que Francis X... avait soutenu qu'il avait délégué sa responsabilité pénale en ce qui concerne le respect de la législation économique, sociale et juridique, à un directeur général d'exploitation, Jean-Claude Y..., dont le contrat du 1er février 1990 spécifiait cette délégation, étendue le 3 février 1997 à la réglementation du repos hebdomadaire et de l'ouverture des points de vente 7 jours sur 7 ; que la clause du contrat imposait à Jean-Claude Y... de veiller au respect de la législation et réglementation concernant l'hygiène, la sécurité, les conditions de travail, les véhicules, la réglementation applicable en matière économique et de la réglementation spécifique applicable au groupe X... compte tenu de son activité ; que l'intéressé avait ajouté à la main "sauf en cas de décision ne relevant pas de ma responsabilité (exemple : magasin en création ; refus de mettre en conformité) " ;
que la lettre d'extension de responsabilité pénale énonçait que celle-ci était "étendue à la réglementation spécifique au repos hebdomadaire et plus précisément à l'ouverture de nos points de vente 7 jours sur 7" ; qu'elle était émargée par l'intéressé qui avait porté la mention "lu et approuvé" ; que, cependant, aucun des domaines cités dans la clause ne visait la réglementation relative au repos hebdomadaire et à la fermeture hebdomadaire ordonnée par arrêté prévue par les articles L. 221-9 et L 221-17 du Code du travail ; que la lettre d'extension visait la réglementation spécifique relative au repos hebdomadaire qui n'était pas la question du présent litige ; que la clause de responsabilité ne comprenait pas l'extension à l'ouverture des points de vente 7 jours sur 7, ce qui signifiait que le délégataire aurait dû accepter une responsabilité pénale pour une politique de la société relative à l'ouverture au public, qui n'était du ressort que du seul chef d'entreprise ; que le délégataire avait précisément exclu sa responsabilité en ce domaine ; qu'en tout état de cause, l'intéressé ne bénéficiait pas d'une délégation de pouvoir sur une question de politique d'entreprise pour laquelle il ne disposait d'aucune autorité et qui se situait hors des domaines de l'hygiène et de la sécurité dans le travail ;
" alors qu'ayant constaté que, par contrat du 3 février 1997, Francis X... avait délégué sa responsabilité pénale en matière de réglementation relative au repos hebdomadaire et à l'ouverture des points de vente 7 jours sur 7, à un directeur général d'exploitation qui l'avait accepté sans réserves, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, retenir que le respect de la réglementation imposant la fermeture hebdomadaire ordonnée par arrêté préfectoral était exclue de la délégation de pouvoirs accordée ;
" alors qu'en retenant que l'intéressé ne pouvait bénéficier d'une délégation de pouvoirs sur une question pour laquelle il ne disposait d'aucune autorité, sans indiquer d'où elle déduisait que le délégataire ne disposait d'aucune autorité en la matière, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu que le moyen revient à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, d'où ils ont déduit que le directeur général d'exploitation auquel le prévenu soutenait avoir délégué ses pouvoirs, ne disposait pas de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement à l'application de l'arrêté préfectoral pris en application de l'article L 221-17 du Code du travail ;
Qu'un tel moyen ne saurait être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 475-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt a condamné Francis X... et la société Boulangerie Paul à verser à la partie civile la somme de 1 524,29 euros sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
" alors que l'auteur de faits amnistiés n'est pas l'auteur d'une infraction, au sens de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; qu'ayant constaté, en l'espèce, l'extinction de l'action publique par amnistie, la cour d'appel ne pouvait prononcer à l'encontre de Francis X... et de la société Boulangerie Paul une condamnation aux frais et dépens non recouvrables" ;
Attendu que la cour d'appel, qui a constaté l'extinction de l'action publique par l'amnistie mais restait compétente pour statuer sur les intérêts civils, était bien fondée à accorder à la partie civile une indemnité au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
D'où il suit que le moyen sera écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
CONDAMNE Francis X... et la société Boulangerie Paul à payer au syndicat patronal de la boulangerie-pâtisserie des Yvelines la somme de 1 500 euros au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus.