Cass. crim., 16 novembre 1992, n° 91-84.850
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Bayet
Avocat général :
M. Robert
Avocats :
SCP Célice et Blancpain, SCP Tiffreau et Thouin-Palat
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 422.2° du Code pénal et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Louis X..., directeur du centre Leclerc de Pont-Sainte-Maxence, du délit d'usage illicite de la marque Chanel ;
" aux motifs que la loi pénale étant d'interprétation stricte, il convient de considérer que la mise en vente par la société Sodimax dans les conditions normales aux usages du commerce, de produits authentiques revêtus de la marque apposée par le fabricant lui-même et qui ont été acquis sur le marché européen sans fraude auprès d'un organisme qui les avaient achetés au titulaire de la marque, ne saurait constituer, à raison d'un défaut d'agrément préalable de la société Chanel, le délit de l'article 422.2° du Code pénal ; qu'en effet, ce texte ne saurait avoir pour objet de sanctionner pénalement les acquéreurs ou revendeurs de produits même commercialisés au mépris d'un système de distribution sélective, lorsque la marque n'a pas été contrefaite ; qu'il s'ensuit que Louis X... n'a causé aucun dommage à la société Chanel en ce qui concerne l'application de l'article 422.2° du Code pénal ;
" alors, d'une part, qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué ne se prononce pas sur le moyen péremptoire des conclusions de l'appelante selon laquelle l'épuisement du droit sur la marque ne concerne que la circulation des produits et ne s'applique pas au fait totalement distinct que constituait l'utilisation par le distributeur de différentes marques Chanel dans une annonce commerciale et dans un dépliant publicitaire de sorte que la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;
" alors d'autre part qu'il résulte des constatations opérées par la cour d'appel elle-même (p. 5, alinéas 1 et 2) que le prévenu avait reconnu avoir pratiqué une campagne publicitaire à l'occasion de la fête des mères comportant même un tirage au sort, qu'une annonce liée à cette campagne a été versée aux débats, qu'en s'abstenant de déduire, comme elle y était invitée, de l'utilisation des différentes marques Chanel dans ces publicités l'existence de l'infraction prévue par l'article 422.2°, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que, saisie du seul appel de la SA Chanel, partie civile, pour dire les faits d'usage illicite de marque non établis à l'encontre de Louis X..., représentant légal de la SA Sodimax et débouter la partie civile de ses demandes de ce chef, la cour d'appel expose que cette dernière société, qui exploite un centre commercial, a régulièrement acquis des produits authentiques revêtus de la marque Chanel pour les mettre en vente, sans autorisation du titulaire de cette marque, dans la période précédant la fête des mères fixée au 28 mai 1989 ; que les juges retiennent que la commercialisation par Sodimax, dans les conditions conformes aux usages commerciaux, de produits authentiques, revêtus de la marque apposée par le fabricant lui-même et acquis sans fraude sur le marché européen auprès d'un organisme qui les avait achetés au titulaire de la marque, ne saurait constituer, à raison d'un défaut d'agrément préalable de la société Chanel, le délit de l'article 422.2° du Code pénal ; qu'il s'ensuit que Louis X... n'a causé aucun dommage à la société Chanel de ce chef ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision au regard de l'article 422 du Code pénal, dans sa rédaction alors applicable ;
Qu'en effet, ce texte n'a pas pour objet de sanctionner pénalement les acquéreurs ou revendeurs de produits, même commercialisés au mépris d'un système de distribution sélective, serait-ce dans le cadre d'une campagne publicitaire, lorsque la marque n'a pas été contrefaite ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que Louis X..., directeur du centre Leclerc de Pont-Sainte-Maxence, ne s'était pas rendu coupable du délit de publicité mensongère ;
" aux motifs adoptés des premiers juges que bien qu'elle ne contienne aucune mention relative à la fête des mères, la publicité litigieuse précisait néanmoins une date butoir correspondant au tirage au sort d'un concours qui marquait nettement les limites dans le temps de cette opération commerciale ; que dans ces conditions, la quantité de produits achetés pour constituer le stock était suffisante ;
" et aux motifs propres que les huit produits pouvaient constituer pour la marque Chanel, qui ne commercialise que sept articles, un stock suffisant d'autant plus que le 28 juillet 1989, date très éloignée de la fin de la campagne publicitaire, Sodimax détenait encore trois produits Chanel ; que les procès-verbaux constatant que les prix pratiqués sous l'enseigne Edouard Leclerc étaient égaux ou supérieurs à ceux des distributeurs, devaient être accueillis avec circonspection dans la mesure où ils étaient largement postérieurs à la campagne publicitaire ; que la vente d'une eau de toilette n° 19 au prix de 360 francs, alors qu'il était offert sur le prospectus à 310 francs constituait un fait isolé accréditant une simple erreur de caisse ;
" alors, d'une part, que contrairement aux énonciations de la décision attaquée, le dépliant publicitaire intitulé E. Leclerc, un parfum de révolution , ne comporte aucune limitation dans le temps de l'action commerciale portée à la connaissance du public ou de l'indication des prix pratiqués, de sorte que c'est par une insuffisance de motifs caractérisée que l'arrêt attaqué se fonde sur une date butoir ou encore sur une limitation des engagements à la campagne publicitaire qui aurait pris fin le 27 mai 1989 ;
" que de surcroît, en s'abstenant de rechercher si, indépendamment d'un jeu, dont le tirage au sort était fixé le 27 mai 1989, la société Sodimax n'avait pas l'obligation de continuer à commercialiser aux prix et aux conditions annoncés par le dépliant publicitaire, les produits Chanel qu'elle offrait à la vente, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 ;
" qu'en tout état de cause, la publicité parue dans Le courrier de l'Oise du 24 mai 1989, qui indiquait toutes les grandes marques à prix E. Leclerc ne faisait aucune référence ni à la fête des mères ni à un quelconque tirage au sort, ne comportait aucun limitation dans le temps de l'action ainsi entreprise, de sorte que c'est par un refus d'application caractérisé de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 que la cour d'appel s'est dispensée de sanctionner l'absence de stock constatée au mois de juillet suivant ;
" alors, d'autre part, qu'en se fondant sur le caractère vraisemblable d'une erreur de caisse constituant un fait isolé pour relaxer le directeur du centre Leclerc du délit de publicité mensongère sur les prix, sans s'expliquer davantage sur les conclusions de Chanel qui faisaient valoir que ce sont trois flacons d'eau de toilette n° 19, 100 ml et non un, qui ont été acquis à deux dates différentes par l'huissier constatant :
" - le 26 mai 1989 : trois eaux de toilette n° 19, 200 ml ont été achetées par l'huissier au prix de 360 francs l'unité,
" - le 28 juillet 1989 : un flacon d'eau de toilette n° 19, 100 ml a été acheté par l'huissier au prix de 360 francs,
" la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;
" alors, enfin, qu'en écartant les attestations des détaillants agréés selon lesquels, contrairement à sa publicité, le centre Leclerc pratiquait des prix égaux ou supérieurs à ceux du réseau de distribution Chanel au prétexte qu'elles seraient postérieures à la campagne publicitaire et ne concerneraient pas les faits dont la Cour est saisie, sans s'expliquer sur le fait que lesdites attestations fournissaient ces indications de prix pour toute la période allant du 1er mai au 7 septembre 1989 et étaient nécessairement contemporaines de l'action publicitaire litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 ;
" qu'au surplus, la cour d'appel ne pouvait, sans priver sa décision de base légale au regard de l'article 427 du Code de procédure pénale, se borner à émettre un doute sur les attestations régulièrement versées aux débats et sans donner suite à l'offre de vérification comptable destinée à en corroborer leur contenu " ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme en ses dispositions civiles, pour partie reproduites au moyen, mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que les juges du fond ont, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant comme ils le devaient aux conclusions de la partie civile, exposé les motifs dont ils ont déduit que les faits de publicité fausse ou de nature à induire en erreur imputés à Louis X... n'étaient pas caractérisés et ont ainsi justifié le débouté des demandes de la partie civile de ce chef ;
Que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause soumis aux débats contradictoires, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.