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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 mai 2022, n° 20/02260

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Adys (SAS)

Défendeur :

Weldom (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

T. com. Lille Métropole, du 26 nov. 2019…

26 novembre 2019

FAITS ET PROCEDURE

La société SARL ADYS (ci-après « Adys ») exerce une activité de commerce de gros, non spécialisé.

La société SA Weldom (ci-après « Weldom ») a pour activité principale la fourniture à des magasins affiliés ou non sous enseigne, de produits et services dans les domaines du bricolage et de l'équipement de maison. La société Weldom intervient en tant que centrale d'achat et contact de référencement.

Les sociétés Weldom et Adys sont en relation d'affaires depuis septembre 2011.

Au début, la relation fonctionnait par bons de commandes émis par la société Weldom.

Puis à partir de 2012 et jusqu'en 2015, les deux sociétés ont signé des contrats de distribution annuels intitulés « contrat cadre Weldom/fournisseur ».

A partir de 2013, le courant d'affaires entre les deux sociétés a porté exclusivement sur le produit « Bloque portes ».

En 2015, la société Weldom n'a commandé que 400 crochets ventouses à la société ADYS pour un montant de 484 euros et aucun des bloque-portes référencés pour l'année 2015 (contrat-cadre signé le 19 décembre 2014) alors que la société Adys prétend avoir passé une commande importante de bloque-portes à son fournisseur situé en Chine.

Le 3 juillet 2017, par courrier recommandé avec accusé de réception, la société Adys a mis en demeure la société Weldom de réparer le préjudice qu'elle estime avoir subi du fait d'une rupture brutale de leur relation commerciale établie, sans obtenir de réponse.

C'est dans ces circonstances que la société Adys a assigné la société Weldom devant le tribunal de commerce de Lille Métropole.

Par jugement du 26 novembre 2019, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- Débouté la société Weldom de ses moyens, fins et conclusions,

- Condamné la société Weldom à payer à la société ADYS la somme de 2 642,78 € x 3 mois soit 7 928,34 € au titre de l'absence de préavis,

- Condamné la société Weldom à payer à la société ADYS la somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du CPC,

- Condamné la société Weldom aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 73,24 € (en ce qui concerne les frais de Greffe),

- Débouté la société ADYS du surplus de ses demandes.

Le 27 janvier 2020 la société ADYS a interjeté appel du jugement.

Vu les dernières conclusions de la société ADYS, appelante, déposées et notifiées le 29 septembre 2020 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6 du code de commerce,

Déclarer la société ADYS recevable et bien fondée en son appel

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 26 novembre 2019 en ce qu'il a débouté la société WELDOM de ses moyens fins et conclusions

- Rejeter l'intégralité des demandes formulées par la société WELDOM dans le cadre de son appel incident

- Réformer le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 26 novembre 2019 pour le surplus,

Et statuant à nouveau

- DIRE ET JUGER que la société WELDOM engage sa responsabilité délictuelle en raison de la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société ADYS ;

- DIRE ET JUGER que le préjudice économique subi par la société ADYS est constitué :

- par la perte de marge sur coûts variables sur l'année 2015 dans la mesure où la société ADYS pouvait légitiment considérer que les relations étaient réitérées par le contrat cadre 2015, soit 31 714,38 €;

- par la perte de marge sur coûts variables sur le préavis de 6 mois qui aurait dû lui être octroyé par la société WELDOM, soit 15 857,19 € ;

- par la perte financière relative au stock que la société ADYS n'a pu revendre en raison de la rupture des relations, soit la somme de 42 660,05€ ;

- DIRE ET JUGER que le préjudice moral subi par la société ADYS s'élève à 10 000 euros ;

En conséquence :

- CONDAMNER la société WELDOM à payer à la société ADYS la somme de 90 231,62 € au titre du préjudice économique subi, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 3 juillet 2017 ;

- CONDAMNER la société WELDOM à payer à la société ADYS la somme de 10.000 euros au titre du préjudice moral, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 3 juillet 2017 ;

- ORDONNER la capitalisation des intérêts à compter du 3 juillet 2018, soit un an après la mise en demeure du 3 juillet 2017 conformément à l'article 1343-2 du code civil ;

- CONDAMNER la société WELDOM à payer à la société ADYS la somme de 13.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Bruno R., avocat au Barreau de Paris.

Vu les dernières conclusions de la société Weldom, intimée, déposées et notifiées le 17 mai 2021 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les dispositions de L. 442-6, I, 5° du Code du Commerce

SUR L'APPEL PRINCIPAL,

- Débouter la société ADYS de l'ensemble de ses prétentions

SUR L'APPEL INCIDENT,

- Déclarer la société WELDOM recevable et bien fondée en ses demandes et les y recevoir.

En conséquence,

Réformer le jugement rendu par la Tribunal de Commerce de Lille Métropole en date du 26 novembre 2019 en ce qu'il a condamné la société WELDOM à payer à la société ADYS une somme :

- de 7 928,34 € au titre de l'absence de préavis,

- de 3 500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens

Et statuant à nouveau,

- Débouter la Société ADYS de l'ensemble de ses demandes.

- Condamner la société ADYS à raison des frais irrépétibles dont la Société WELDOM a dû faire l'avance pour faire valoir ses droits, au paiement d'une somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du CPC,

- Condamner enfin la défenderesse aux entiers dépens.

Le 8 février 2022 l'ordonnance de clôture de mise en état a été prononcée.

SUR CE, LA COUR

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie

La société Adys prétend avoir été victime d'une rupture brutale de la part de la société Weldom qui en 2015 ne lui a plus passé aucune commande de ses bloque-portes, sans lettre de rupture préalable, et alors qu'elle avait manifesté sa volonté fin 2014 de reconduire le contrat et lui avait demandé de compléter les informations des prix et des produits pour les bloque-portes.

L'appelante précise que ce n'est que le 27 février 2015, à la suite de sa demande d'explication sur l'absence de commande, que la société Weldom l'a informée de l'arrêt des commandes de son principal produit.

La société Weldom réplique qu'il ne peut lui être imputé aucune faute en ce que :

- en présence d'un contrat liant les parties, elle n'engage que sa responsabilité contractuelle et non pas sa responsabilité délictuelle,

- au vu du contrat-cadre signé pour l'année 2015, elle ne s'était engagée sur aucun volume de commandes, que le contrat-cadre initialement signé le 19 décembre 2014 a d'ailleurs été modifié le 27 février 2015 en prévoyant un déréférencement des bloque-portes,

- en ne commandant pas de bloque-porte, elle n'a failli à aucune obligation contractuelle vis-à-vis de la société ADYS.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Sur le caractère établi de la relation

Les dispositions de l'article précité s'appliquent lorsqu'il existe un flux d'affaires stable et continu entre les parties, que des contrats aient été formalisés ou pas entre elles. Le moyen de défense de la société Weldom relatif à l'existence de contrats-cadres annuels ne l'engageant pas sur des volumes n'est donc pas pertinent pour écarter l'application desdites dispositions spéciales en matière de rupture brutale d'une relation commerciale.

Or, en l'espèce, les parties ont noué une relation commerciale établie de septembre 2011 à fin 2014, soit pendant plus de 3 années.

Sur la brutalité de la rupture

L'article L.442-6, I, 5° du code de commerce vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Il n'est pas contesté que la société Weldom n'a plus commandé à son fournisseur Adys après la fin 2014 les bloque-porte référencés alors que ce dernier pouvait raisonnablement croire que la relation allait perdurer en 2015 puisque le flux d'affaires entre les parties était en très nette augmentation jusqu'en 2013 (121k euros) et restait important en 2014 (71k euros) et qu'un contrat-cadre de distribution pour l'année 2015 a été signé entre les parties le 19 décembre 2014 (pièce 7 de Adys). Dans ces conditions, la société Weldom, qui n'a pas adressé au préalable de lettre de rupture fixant un préavis, a rompu brutalement la relation commerciale avec la société Adys.

Dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement qui a retenu l'existence d'une rupture brutale imputable à la société Weldom.

Sur la durée du préavis nécessaire à la réorganisation

La société Adys soutient que le préavis de trois mois fixés par le tribunal est insuffisant, en ce que les bloque-portes commandés pour la société Weldom étaient spécialement étiquetés, un par un par le fournisseur chinois avec les références de Weldom, et que le cycle de commande de son fournisseur en Chine jusqu'à la livraison dans les entrepôts en France a une durée de 90 à 120 jours. Elle soutient que le délai de préavis raisonnable pour la durée de la relation est d'un an et six mois, soit l'année 2015 qui n'a pas été exécutée plus un délai de préavis de 6 mois.

La société Weldom répond qu'eu égard à la durée et à l'intensité de la relation commerciale établie, moins de 5 ans et pour un chiffre d'affaires réalisé par le fournisseur avec le distributeur inférieur à 10 %, un délai de préavis de trois mois apparaît raisonnable. Elle fait remarquer que la société Adys a su dès le 25 février 2015 que son produit « bloque portes » n'était plus référencé par la société Weldom puisqu'elle a signé la modification du contrat de distribution à cette date pour l'année 2015, qu'elle ne peut donc pas demander un préavis sur toute l'année 2015 plus 6 mois.

Sur ce,

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

Il n'est pas contesté que la société Adys effectuait seulement 3,3 % de son chiffre d'affaires global avec la société Weldom à la date de la rupture fin 2014 et que leur relation commerciale a duré 3 ans et 2 mois, aussi le délai de préavis de trois mois retenu par le tribunal est nécessaire et suffisant.

Sur le préjudice subi de fait de la brutalité de la rupture

Il convient de rappeler que l'on ne peut obtenir réparation que du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même.

- le préjudice financier dû au gain manqué

La société Adys aurait dû bénéficier de 3 mois de préavis. Il convient donc de calculer le gain manqué sur l'activité de la société Adys avec la société Weldom sur 3 mois.

Au vu des chiffres données par l'expert-comptable de la société Adys et qui ne sont pas utilement contestés (pièces 11, 21 et 24 de Adys), le chiffre d'affaires moyen de cette dernière tiré de sa relation avec la société Weldom de 2011 à 2014 est de 307.969,60 euros, soit un chiffre d'affaires moyen annuel de 97.253,56 euros et sa marge de coûts variables moyenne est de 32,61 %.

Le préjudice dû au gain manqué doit donc être fixé comme suit :

32,61 % de (97.253,56 euros /12 mois) x 3 mois.

Au vu de ces éléments, la société Weldom sera condamnée à payer la somme retenue par le tribunal de 7 928,34 euros en indemnisation du préjudice subi par la société Adys du fait de sa perte de marge.

- le préjudice annexe dû à la perte de stock

Faisant valoir que tous les produits étaient labellisés du code article Weldom, cela rendait impossible l'écoulement du stock auprès d'autres clients, la société Adys sollicite donc au titre de son préjudice du fait de la rupture brutale imputable à la société Weldom la valeur de son stock "Weldom" au 31 décembre 2015, après déduction du prix de revente à perte.

Cependant, comme l'ont relevé les premiers juges, il ressort des éléments du débat qu'il s'agit de produits catalogues et non de produits MDD spécialement conçus pour la société Weldom, aussi la société Adys reste responsable de son stock non écoulé dont la valeur ne peut caractériser un poste de préjudice lié à la rupture brutale imputable à la société Weldom. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

- le préjudice moral

Il n'est nullement démontré par l'appelante qu'elle a subi un préjudice d'atteinte à la réputation de sa société ou à son image du fait cette rupture brutale, la demande au titre du préjudice moral sera donc rejetée, à l'instar de ce qui a été décidé par le tribunal de commerce.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé sur les frais et dépens de première instance.

La société Adys, succombant en appel, sera condamnée aux dépens d'appel et en application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, elle sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société Weldom la somme de 4 000 euros.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Adys aux dépens d'appel,

CONDAMNE la société Adys à payer à la société Weldom la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande.