Cass. com., 11 mai 2022, n° 19-16.749
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Plaisir Selection Feinkosthandel GmbH & Co KG (Sté)
Défendeur :
Organisation intra-groupe des achats (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Yves et Blaise Capron, SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 janvier 2019), le 23 juin 2005, la société Plaisir Selection Feinkosthandel GmbH & Co KG (la société Plaisir), société spécialisée dans la commercialisation et l'exportation de vins, spiritueux et produits alimentaires, a acquis la totalité des actions de la société Auchan Japan, filiale du groupe Auchan. À cette occasion, la dénomination de la société Auchan Japan a été modifiée et elle est devenue la société Plaisir Selection Japan. Concomitamment, le 1er juillet 2005, la société Plaisir Selection Japan et la société Organisation intra-groupe des achats (la société OIA), filiale du groupe Auchan, ont conclu un accord commercial ayant pour objet la distribution, par la première, de produits achetés, par la seconde, en vue de leur revente au Japon. Ce contrat a été conclu pour une durée déterminée de trois ans expirant le 1er août 2008.
2. A cette même date, les sociétés Plaisir et OIA ont conclu un contrat portant sur l'achat de produits européens par la société Plaisir auprès de la société OIA en vue de leur revente sur le territoire asiatique par l'intermédiaire de la société Plaisir Selection Japan. Ce contrat, conclu pour une durée déterminée de deux ans expirant le 31 juillet 2010, était renouvelable à son terme par un accord écrit établi entre les parties, lesquelles devaient se rencontrer six mois avant la fin du contrat afin de négocier les conditions du renouvellement.
3. Par lettre du 25 janvier 2010, la société OIA a confirmé à la société Plaisir que le contrat du 1er août 2008 arrivait à son terme le 31 juillet 2010 et lui a fait part de son intention d'en revoir les conditions. Les négociations n'ont pas abouti et, faute d'accord, le contrat n'a pas été renouvelé. La société Plaisir a, dans ces circonstances, assigné la société OIA en indemnisation de ses préjudices résultant, notamment, d'une part, de ce qu'elle lui aurait, sous la menace d'une rupture brutale de leurs relations commerciales, imposé des conditions manifestement abusives et constitutives d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, d'autre part, de la rupture brutale des relations commerciales établies.
4. Le 10 décembre 2013, la société Plaisir a bénéficié d'une mesure de redressement judiciaire en Allemagne et M. [N]-Ma, désigné par un jugement du 23 janvier 2014 en qualité d'administrateur judiciaire, est intervenu volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Plaisir et M. [N]-Ma, ès qualités, font grief à l'arrêt de les débouter de l'action formée contre la société OIA en paiement d'une indemnité de 5 526 610,14 euros, alors :
« 1°/ qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout commerçant, d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix ; que la société Plaisir et son administrateur faisaient valoir qu' "il est incontestable que la société OIA (Auchan export), voulant imposer à la société Plaisir sélection GmbH, une augmentation disproportionnée du taux de la commission [jusque là fixée], sous la menace d'une rupture brutale des relations commerciales établies, a violé l'article 442-6, I, 2° et 4" qu'en lui objectant que "la demande d'alignement, par la société OIA, fournisseur de la société Plaisir, du taux de service [c'est-à-dire : l'augmentation de la commission pratiquée jusque là], ne constitue pas en soi une mesure discriminatoire", et en exigeant ainsi l'existence d'une mesure discriminatoire, la cour d'appel, qui, méconnaissant que la faute que qualifie l'article L. 442-6, I, 4°, du code de commerce, n'est pas subordonnée à l'existence d'une mesure discriminatoire, ajoute donc à la lettre du texte qu'elle vise, a violé ledit article L. 442-6, I, 4°, du code de commerce ;
2°/ que la société Plaisir et son administrateur judiciaire faisait valoir, chiffres à l'appui, "que c'est un véritable diktat, un chantage économique, que la société OIA (Auchan export) a imposé à la société Plaisirs sélection GmbH pendant plus de six mois, la laissant dans l'incertitude quant à son avenir économique", qu' "en effet les conditions financières exigées par la société OIA (Auchan export) dans le cadre d'un nouveau contrat commercial étaient totalement injustes et injustifiées", qu' "elles auraient nécessairement eu pour effet de créer un déséquilibre économique significatif au détriment de Plaisir sélection Gmbh, précipitant cette dernière au dépôt de bilan", et qu' "à cela se sont ajoutées des menaces quant à la rupture des relations économiques établies" ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, qui étaient propres à justifier le cas des "conditions manifestement excessives concernant les prix", tel que le vise l'article L. 442-6, I, 4°, du code de commerce, et par conséquent à établir le bien-fondé de l'action de la société Plaisir, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Après avoir relevé que par lettre du 25 janvier 2010, la société OIA avait rappelé à la société Plaisir que le contrat arrivait à expiration le 31 juillet 2010 et l'avait informée qu'elle entendait en revoir les conditions commerciales, puis que les parties s'étaient réunies à plusieurs reprises, l'arrêt précise leurs revendications respectives ainsi que les termes des négociations. Il relève encore qu'une nouvelle réunion était planifiée le 31 août 2010, la société Plaisir devant alors avoir transmis ses décisions sur le scénario qu'elle préférait retenir et certains éléments concernant, notamment, les commandes et le « sourcing » et qu'à cette date, les parties devaient avoir décidé quel scénario serait retenu sans exclure le fait qu'elles pourraient prendre acte de la cessation pure et simple de leurs relations commerciales. L'arrêt rappelle ensuite que le compte-rendu de la réunion du 31 août 2010 indique que la société Plaisir a fait savoir au début de celle-ci ne pas avoir de proposition à faire pour servir de base à un nouvel accord et que les deux parties avaient donc convenu, conformément au contrat, à l'avenant et aux précédentes réunions, que le contrat, et donc les relations commerciales qui en découlaient, prenaient fin au 31 août 2010. L'arrêt relève enfin que les conditions de renouvellement du contrat considérées comme indispensables par la société OIA, à savoir une garantie bancaire et une diminution des encours, ainsi que la mise en place d'un contrôle destiné à améliorer la qualité de services chez les clients japonais et à supprimer les non-conformités, ne présentaient pas un caractère manifestement abusif. Il ajoute que la demande, faite par la société OIA, de bénéficier du taux de service et des conditions de paiement accordés par la société Plaisir à ses autres fournisseurs ne constitue pas en soi une mesure discriminatoire.
7. De l'ensemble de ces éléments, l'arrêt déduit que de véritables négociations ont eu lieu sur les conditions du renouvellement au cours desquelles chacune des parties a pu exposer et confronter ses points de vue. Il retient, enfin, que la société Plaisir ne démontre ni ne caractérise l'existence d'une quelconque menace, se contentant de se référer « à titre d'exemple » au courriel du 7 juillet 2010, lequel n'atteste pas plus de l'existence d'une pression ou d'un chantage, le seul fait de rappeler qu'à défaut d'accord, le contrat ne serait pas renouvelé, ne constituant nullement une menace, mais le rappel d'un fait objectif, le terme contractuel du contrat, issu d'un accord de volontés des parties, et qu'aucun déséquilibre significatif n'est caractérisé.
8. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines des éléments de preuve produits, faisant ressortir que les parties avaient négocié le renouvellement éventuel du contrat arrivant à échéance dans le respect de l'expression et des droits de chacune, sans pression ou menace de la part de la société OIA, sans que ses revendications soient abusives, ni qu'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties soit établi, la cour d'appel, qui n'avait pas à suivre la société Plaisir et son administrateur judiciaire, dans le détail de leur argumentation, a pu rejeter leur demande en réparation.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. La société Plaisir et M. [N]-Ma, ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors « que la fusion-absorption d'une société par une autre emporte transmission universelle des biens de la société absorbée à la société absorbante ; qu'en exigeant, pour fixer la durée du préavis que la société OIA devait observer avant de rompre la relation commerciale établie qui la liait à la société Plaisir, que la société OIA ait voulu "continuer avec la société Plaisir les relations commerciales que la société Auchan export entretenait précédemment avec la société Auchan Japan", quand elle constate que la société Plaisir "a acquis la totalité des actions de la société Auchan Japan, filiale de la société Auchan hyper", la cour d'appel a violé l'article L. 236-3, I, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
11. Il ne résulte ni de l'arrêt, ni des pièces de la procédure que la société Plaisir et M. [N]-Ma, ès qualités, aient soutenu devant la cour d'appel que l'acquisition par la société Plaisir de la totalité des actions de la société Auchan Japan aurait constitué une opération de fusion-absorption.
12. Le moyen, qui est nouveau et mélangé de fait et de droit, est donc irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.