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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 12 mai 2022, n° 20/15606

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Association des Viticulteurs d'Alsace, Comité Interprofessionnel du Vin d'Alsace, Comité National des Interprofessions des Vins à Appellation d'Origine et à Indication Géographique, Confédération Nationale des Producteurs de Vins et Eaux-de-Vie de vin à Appellation d'Origine Contrôlée, Autorité de la concurrence, Ministre de l'Économie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schmidt

Conseillers :

M. Barbier, Mme Tréard

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Calvet, Me Trifounovitch, Me Helfer

CA Paris n° 20/15606

11 mai 2022

FAITS ET PROCÉDURE

1. À la suite d'une enquête menée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après la « DGCCRF »), l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité ») s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des vins d'Alsace.

2. Par une décision du 3 septembre 2019, le rapporteur général a décidé que l'affaire serait examinée par l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport en application de l'article L. 463-3 du code de commerce.

3. Une notification des griefs a été envoyée, le 3 septembre 2019 :

Au Conseil interprofessionnel des vins d'Alsace (ci-après le « CIVA ») ;

Á l'Association des viticulteurs d'Alsace (ci-après l'«AVA ») et ;

Au Groupement des producteurs-négociants du vignoble alsacien (ci-après le « GPNVA »).

4. Aux termes du premier grief, il a été reproché au CIVA, à l'AVA et au GPNVA « d'avoir, du 2 juillet 2008 au 30 novembre 2017, sur le secteur des vins d'Alsace, mis en œuvre une entente unique, complexe et continue afin de fixer un prix minimum du raisin dans l'objectif de réduire l'incertitude concurrentielle et d'augmenter les prix de vente des vins d'Alsace, portant ainsi atteinte à la fixation des prix par le libre jeu du marché ».

5. Aux termes du second, il a été fait grief au CIVA « d'avoir, sur le secteur des vins d'Alsace, mis en œuvre une entente, visant à donner, pour chaque récolte, à ses adhérents des consignes tarifaires sur un prix minimum du vin en vrac par cépage pour l'AOC ALSACE depuis 1980 et jusqu'en 2018 et pour l'AOC CREMANT de 2017 à 2018 ».

6. Par la décision n° 20-D-12 du 17 septembre 2020 (ci-après, la « décision attaquée »), l'Autorité a retenu les deux griefs et sanctionné ces trois entités pour des pratiques d'entente contraires aux articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après le « TFUE ») et L. 420-1 du code de commerce.

Le secteur concerné

7. Le secteur concerné est le secteur vitivinicole, dont relèvent les raisins et vins issus du vignoble de la région d'Alsace qui comprennent cinquante-trois appellations d'origine contrôlée (ci-après « AOC »).

8. Chacune de ces appellations répond à un cahier des charges homologué par décret, dont le respect est contrôlé par un organisme indépendant, sous l'autorité de l'Institut national de l'origine et de la qualité (ci-après « INAO »).

9. La production annuelle de vin alsacien correspondait, en 2015, à 30 % du marché français de vins blancs toutes catégories et représentait 143,3 millions de bouteilles commercialisées, dont 27 % à l'export. La même année, le chiffre d'affaires annuel de ventes de vin d'Alsace était évalué à 530 millions d'euros, dont 140 millions à l'export.

10. Le cycle de production et de commercialisation ainsi que l'organisation du secteur sont décrits aux paragraphes 8 à 20 de la décision attaquée, qui ne sont pas contestés et auxquels la Cour renvoie.

11. Il convient juste de rappeler qu'à l'issue des vendanges (entre mi-septembre et mi-octobre), le raisin est pressé, fermenté, vinifié et mis en cuve. Une fois le raisin vinifié, il est commercialisé en vrac ou en bouteille à partir du 15 décembre de l'année de la récolte. La commercialisation du vin en vrac des grands crus et des Crémants est possible au plus tôt le 1er décembre de l'année de récolte.

Le contexte juridique,

12. Au sein de l'Union européenne, le secteur vitivinicole a fait l'objet de plusieurs règlements européens successifs, en dernier lieu le règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles (ci-après « le règlement OCM »), ultérieurement modifié par le règlement (UE) n° 2017/2393 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2017 (dit « règlement omnibus »), puis par le règlement (UE) n° 2021/2117 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 (ci-après le « règlement n° 2021/2117 »).

13. Ces règlements successifs fixent un ensemble de règles communes aux États membres de l'Union européenne destinées à soutenir et organiser les marchés agricoles dans le cadre de la politique agricole commune (ci-après la « PAC ») et précisent, sans modification substantielle, l'articulation de ces règles avec celles de la concurrence conformément aux principes énoncés à l'article 42 du TFUE.

14. Ils prévoient ainsi que les règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le droit dérivé, compte tenu des objectifs de la PAC énoncés à l'article 39 du TFUE.

15. S'agissant en particulier du réglement OCM, son article 206 a posé le principe de l'application des règles de concurrence aux activités de production et de commercialisation des produits agricoles, sauf dispositions contraires dudit règlement, en ces termes :

« Sauf si le présent règlement en dispose autrement et conformément à l'article 42 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les articles 101 à 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et leurs modalités d'exécution s'appliquent, sous réserve des dispositions des articles 207 à 210 du présent règlement, à l'ensemble des accords, décisions et pratiques visés à l'article 101, paragraphe 1, et à l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se rapportant à la production ou au commerce des produits agricoles ».

16. La question de l'applicabilité aux pratiques en cause des dispositions nouvelles issues du règlement n° 2021/2117 sera examinée dans la partie I-A) du présent arrêt.

Les entités concernées,

 L'AVA,

17. Cette association, créée en 1912, est née de la fusion de deux Syndicats de Vignerons (du Haut-Rhin et du Bas-Rhin).

18.  Elle assume deux types de mission.

19. La première est liée à son statut d'organisme de défense et de gestion (ci-après « ODG »). Ce statut lui a été reconnu par une décision de l'INAO du 19 juillet 2007 et concerne les AOC « Alsace », « Alsace Grand Cru », « Crémant d'Alsace » et « Marc d'Alsace Gewurztraminer ». Conformément aux articles L. 642-22 et suivants du code rural et de la pêche maritime, l'AVA contribue ainsi à la préservation de la mise en valeur des terroirs, des traditions locales, du savoir-faire et des produits. L'ODG est administré par un conseil d'administration qui se compose de 40 membres élus (représentants des appellations et représentants des différentes catégories professionnelles concernées (viticulteurs coopérateurs, metteurs sur le marché, négoce, vendeurs de raisins, vendeurs de vin en vrac, jeunes viticulteurs, pépiniéristes). Son assemblée générale (qui définit les orientations générales) se compose principalement des membres du conseil d'administration, qui ont une voix délibérative, et d'autres membres qui ont des voix consultatives (telle la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (ci-après la « DRAAF »). En 2016, elle comptait 4 169 adhérents ODG.

20. La seconde correspond à une mission syndicale qui vise la protection de l'intérêt de ses membres. À ce titre, l'AVA fédère 99 syndicats viticoles locaux des différents villages du vignoble alsacien. En 2016, elle comptait 3 983 adhérents au titre de ses activités syndicales.

Le GPNVA

21. Créé en 1936, cette structure de défense professionnelle réunit les entreprises spécialisées dans la vente des vins d'Alsace traditionnellement installées dans le vignoble alsacien, qui disposent d'un domaine viticole qu'elles exploitent par elles-mêmes. Il regroupait, à la date de la décision attaquée, environ quarante maisons importantes de négoce de vins d'Alsace, lesquelles commercialisaient à la même époque 42 % de la totalité des vins d'Alsace et réalisaient 52 % des exportations du vignoble.

22. Il constitue, en tant que leader de la représentation du négoce, le pendant de l'AVA, s'agissant de la production.

Le CIVA

23. Il a été créé en tant que comité interprofessionnel par un décret du 22 avril 1963.

24. Depuis la loi n° 75-600 du 10 juillet 1975 relative à l'organisation interprofessionnelle agricole, il est autorisé à conclure des accords interprofessionnels.

25. Par un arrêté du 3 juin 2014 relatif à la reconnaissance en qualité d'organisation interprofessionnelle du comité interprofessionnel du vin d'Alsace, il a été reconnu en qualité d'OI au sens de l'article 157 du règlement OCM.

26. Il est composé, de manière paritaire, de vingt-quatre représentants désignés par les organisations les plus représentatives en vins du vignoble d'Alsace (à raison de douze pour le secteur de la production et douze pour le secteur du négoce).

27. Au sein du CIVA, existait une Commission paritaire, créée dès 1963 entre le CIVA, l'AVA et le GPNVA, qui n'existe plus « depuis 2015 » et était anciennement dénommée « commission des prix ».

28. Cette commission paritaire était présidée par le président du CIVA et les membres de la production et du négoce y étaient représentés par les présidents de l'AVA et du GPNVA.

29. Pouvaient également y siéger, à titre consultatif, le commissaire du gouvernement et d'autres organisations agricoles (coopératives agricoles, syndicats de vignerons...).

30. Les missions du CIVA incluent le marketing, la technique, la recherche et le développement, ainsi que l'analyse économique (évolution des concurrents, progression d'un cépage, etc...). Il centralise de manière permanente toutes les études et enquêtes statistiques sur la production et la commercialisation des produits (enregistrement et suivi de la totalité des ventes en vrac et en bouteilles, mesures d'échelonnement de la mise en marché, modalités de paiement des raisins, contrôles de maturité préalables aux vendanges, etc...).

31. Au titre de ses missions, deux types de contrats lui sont notamment transmis : les contrats d'apports de raisins (communiqués par les négociants et les coopératives) et les transactions en vrac (transmis par les vignerons ou metteurs en marché, indiquant le cépage, le volume et le prix).

32. En se fondant sur les éléments qui figurent dans les contrats qui lui sont transmis par les vignerons ou les metteurs en marché, le CIVA constate le prix de base porté sur les contrats d'apports de raisin communiqués par la grande majorité des entreprises et diffuse auprès de ses adhérents, une fois par an, en décembre, la moyenne des prix des raisins par cépage et leur conversion en prix indicatif du vin en vrac.

La procédure en cause,

33. La décision attaquée a retenu :

Que l'AVA, le GPNVA et le CIVA avaient enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre, entre le 2 juillet 2008 et le 16 novembre 2017, une infraction unique, complexe et continue relative au prix du raisin (article 1) et les a sanctionnés à ce titre (article 2) à hauteur de :

26 000 euros pour l'AVA ;

2 000 euros pour le GPNVA ; et

139 000 euros pour le CIVA.

Que le CIVA avait enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre, entre le 31 décembre 1980 et le 1er décembre 2018, une entente consistant en l'élaboration et la diffusion de recommandations tarifaires sur le prix du vin en vrac (article 3) et l'a sanctionné à ce titre par une sanction de 209 000 euros (article 4).

34. Elle a enjoint aux entités sanctionnées d'insérer, à leurs frais partagés au prorata de leurs sanctions pécuniaires, le texte figurant au paragraphe 449 de la décision attaquée dans l'édition papier et sur le site Internet du journal « L'Alsace » ainsi que dans la « revue des vins d'Alsace », selon les modalités et délais prévus à l'article 5.

35. Elle a également prévu que l'ensemble des entités sanctionnées devrait envoyer le texte précité à leurs membres (article 6).

36. Par son recours et aux termes de ses dernières écritures, l'AVA demande à la Cour :

À titre principal,

D'annuler les articles 1, 2, 5 et 6 de la décision attaquée en ce qu'ils concernent l'AVA ;

De rejeter toutes prétentions contraires de l'Autorité ;

À titre subsidiaire,

De réformer les articles 2, 5 et 6 de la décision attaquée en ce que la sanction infligée à l'AVA est excessive et disproportionnée ;

Statuant à nouveau,

D'annuler la sanction infligée à l'AVA ou à titre subsidiaire, la réduire significativement ;

En toute hypothèse,

De condamner l'Autorité aux entiers dépens.

37. Par ses conclusions d'intervention volontaire accessoire, la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d'origine contrôlée (ci-après la « CNAOC ») demande à la Cour de faire droit à toutes les demandes de l'AVA et en toute hypothèse de condamner l'Autorité aux dépens et à lui payer une somme de 26 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

38. Par son recours et aux termes de ses dernières écritures, le CIVA demande à la Cour :

À titre principal,

D'annuler l'intégralité de la décision attaquée ;

À titre subsidiaire,

De juger que la participation du CIVA aux pratiques visées par le grief n° 1 n'est pas établie au-delà de l'année 2012 ;

De réformer la décision attaquée en ce qu'elle condamne le CIVA à payer une somme totale de 348 000 euros et en supprimant ou réduisant substantiellement le montant de ladite sanction ;

De juger que les injonctions de publication et de communication sont excessives et injustifiées et, en conséquence, annuler les articles 5 et 6 de la décision attaquée et ordonner la publication par l'Autorité sur son site internet et, à ses frais, dans les éditions des quotidiens « Les Echos » et « Le Figaro », d'un exposé des motifs de l'annulation ou de la réformation prononcée par la Cour.

En tout état de cause,

D'ordonner la restitution des fonds payés, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et dire que les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil ;

De condamner le ministre chargé de l'économie et l'Autorité aux entiers dépens ;

De condamner l'Autorité à payer au CIVA la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

39. Par ses conclusions d'intervention volontaire accessoire, le Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine et indication géographique (ci-après le « CNIV ») demande à la Cour de faire droit à toutes les demandes du CIVA et de condamner l'Autorité à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

40. L'Autorité, le ministre chargé de l'économie et le ministère public invitent la Cour à rejeter ces recours.

MOTIVATION

I. SUR L'APPLICABILITÉ DES RÈGLES DE CONCURRENCE

A. Sur l'application des nouvelles dispositions du règlement OCM, issues du règlement n° 2021/2117

41. La décision attaquée a retenu (§ 177 à 183) que les pratiques visées par les griefs notifiés ne sauraient être exclues du champ d'application du droit de la concurrence, par application des dispositions du règlement OCM, dans sa rédaction alors applicable, dans la mesure où :

En premier lieu, le CIVA, le GPNVA et l'AVA ne constituent pas des OP ou AOP au sens de ce règlement ;

En deuxième lieu, ces organismes ne peuvent pas non plus bénéficier de la dérogation générale prévue par son article 209, dès lors qu'elles n'ont pas prouvé que ses conditions d'application étaient remplies ;

En troisième lieu, s'agissant du CIVA, les conditions posées par son article 210, § 2, permettant aux pratiques des OI d'échapper à l'application de l'article 101 du TFUE, ne sont pas remplies, en l'absence de notification préalable à la Commission européenne.

42. Sans remettre en cause ces trois points, les requérantes ont soulevé oralement, à l'audience, la survenance d'un élément nouveau, tenant à la modification du cadre juridique applicable au litige, postérieure à leurs écritures, et demandé à la Cour l'application immédiate à leur bénéfice de l'article 172 ter issu du règlement n° 2021/2117, laquelle s'imposerait à la Cour.

43. Dans le respect du principe du contradictoire, la Cour a autorisé l'Autorité et le ministre chargé de l'économie à lui transmettre, au plus tard le 10 février 2022, une note en délibéré sur cette question. La Cour les a invités à y inclure leurs observations sur l'applicabilité immédiate du nouvel article 210, concernant la condition de notification préalable précisément retenue par la décision attaquée pour exclure son bénéfice. Les requérantes ont obtenu la même autorisation pour y répliquer, dans un délai expirant le 2 mars 2022.

44. L'Autorité, le ministre chargé de l'économie, l'AVA et le CIVA ont transmis leurs observations dans les délais impartis.

45. Par leur note en délibéré, les requérantes font valoir, concernant la recevabilité du moyen contestée par l'Autorité, que, quand bien même la procédure nationale serait écrite, le juge national est en toute hypothèse tenue de faire application d'office du droit de l'Union européenne, la règle de l'autonomie procédurale devant s'écarter si elle conduit à faire échec à l'effectivité du droit de l'Union européenne. Ils ajoutent qu'ils avaient déjà fait référence dans leurs dernières écritures à la conclusion d'un accord politique entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission le 25 juin 2021 concernant l'adoption future des textes en cause, sans avoir été en mesure, à cette date, d'en connaître le contenu.

46. Concernant l'application immédiate des nouveaux articles 172 ter et 210 du règlement OCM, ils relèvent qu'elle n'est pas contestée par l'Autorité et le ministre chargé de l'économie, compte tenu de la date d'entrée en vigueur du règlement.

47. Concernant l'application rétroactive de ces textes, fondée sur le principe de rétroactivité in mitius, ils se prévalent du fait que ce principe est garanti tant en droit interne (article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Conseil constitutionnel, 20 janvier 1981, n° 80 127 DC, point 75) qu'en droit international (article 7, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, CEDH, 17 sept. 2009, req. N° 10249 /03, Scoppola c/ Italie, point 109) et qu'il s'applique aux sanctions administratives répressives (Conseil constitutionnel, 30 décembre 1982, n° 82 155 DC).

48. Concernant l'application rétroactive de l'article 210, modifié, du règlement OCM, ils soulignent qu'il instaure un mécanisme d'exception légale à l'application de l'article 101 du TFUE qui, à la suite de la suppression de la condition relative à la notification préalable à la Commission, a un effet direct et constitue une loi pénale plus douce. Ils soutiennent que l'application du nouvel article 210 permet désormais au CIVA de faire valoir la compatibilité de son indicateur relatif au « prix indicatif du vin fait » avec la réglementation de l'Union et ainsi de bénéficier de l'exception légale à l'application de l'article 101 du TFUE.

49. Ils estiment que l'article 210 modifié n'ajoute pas de condition supplémentaire par rapport à sa rédaction antérieure, dans la mesure où l'ancienne rédaction conditionnait déjà le bénéfice de la dérogation à la condition que les pratiques aient « pour objet l'exercice des activités mentionnées à l'article 157, paragraphe 7, point c) ». Ils estiment que le principe de proportionnalité, c'est à dire l'exigence que les pratiques en cause n'excèdent pas ce qui est strictement nécessaire pour atteindre les objectifs, en conformité avec le règlement OCM, rappelé par la Cour de justice dans son arrêt relatif à l'affaire des endives (CJUE, 14 novembre 2017, C-671/15, point 49), s'appliquait nécessairement sous l'empire de l'ancien article 210.

50. Le CIVA et l'AVA invitent en conséquence la Cour à appliquer aux faits d'espèce, de manière rétroactive, l'article 210 modifié.

51. Ils soutiennent, sur le fond, que les pratiques relatives au prix du raisin (grief n° 1) remplissent les conditions pour bénéficier de la dérogation prévue à l'article 172 ter du règlement OCM dès lors que :

Visant uniquement le prix du raisin, elles rentrent dans son champ d'application ;

Constituant de simples recommandations purement facultatives, elles correspondent à des indicateurs facultatifs de l'orientation des prix au sens de ce texte ;

Elles sont intervenues dans un cadre interprofessionnel, ce qui justifie que la dérogation s'applique tant au CIVA qu'à l'AVA ;

Ces orientations n'ont pas eu « pour effet » d'éliminer la concurrence pour une proportion substantielle des produits en question ' dans un marché des vins de dimension mondiale qu'ils jugent non limité aux vins français d'Alsace ' étant relevé que le texte ne subordonne pas son bénéfice au fait qu'elles n'ont pas eu pour « objet » de le faire et, le ferait-il, les pratiques tendaient uniquement à assurer un meilleur partage de la valeur entre les membres de la filière dans un contexte de crise et non à éliminer la concurrence.

52. Ils font également valoir que le CIVA n'a pas été reconnu pour la première fois par le décret n° 2014 572 du 2 juin 2014 et que l'arrêté du 3 juin 2014 versé aux débats (annexe 1) ne visait pas à reconnaître le CIVA mais simplement à assurer la conformité de sa reconnaissance au regard du nouveau système de reconnaissance harmonisé des organisations interprofessionnelles prévu par le règlement n° 1308/2013. Ils relèvent que le mécanisme de reconnaissance des organisations interprofessionnelles préexistait à ce règlement dans la mesure où le règlement (CE) n° 1234/2007 du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole prévoyait déjà en son article « 125 sexdecies » un mécanisme de reconnaissance pour les organisations interprofessionnelles dans le secteur vitivinicole. Ils soulignent que le CIVA est une organisation interprofessionnelle créée par décret le 22 avril 1963 et que conformément à l'article 5 de la loi n° 75 600 du 10 juillet 1975 relative à l'organisation interprofessionnelle agricole, les organisations interprofessionnelles créées par voie législative ou réglementaire existant à la date de la promulgation de la loi peuvent bénéficier des prérogatives des organisations interprofessionnelles reconnues (articles 2, 3 et 4 de la loi précitée). Ils ajoutent que la Cour de cassation a considéré qu'il résultait d'une lecture combinée des articles 5 et 1er de la loi du 10 juillet 1975 que le CIVA était bien une organisation interprofessionnelle reconnue dans la mesure où « la création par une loi ou un décret tient lieu de reconnaissance en qualité d'organisation interprofessionnelle par l'autorité administrative » (Civ 1, 23 février 1994, n° 92-14.114). Ils en déduisent que le CIVA est bien une organisation interprofessionnelle reconnue par l'État du fait même de sa création par décret.

53. Ils rappellent ensuite que le CIVA, en tant qu'organisation interprofessionnelle, regroupe deux collèges représentant les différents stades de la filière : l'AVA et le GPNVA, de sorte que, par hypothèse, tout « accord, décision ou pratique concertée » au sein du CIVA est discuté et adopté par l'AVA et le GPNVA. Ils soulignent que la proposition des « indicateurs facultatifs sur l'orientation des prix concernant la vente de raisins destinés a la production de vins » doit émaner intrinsèquement du collège des producteurs, soit en l'occurrence l'AVA, qui est l'organisation la mieux à même de participer à son élaboration. 54.Ils contestent la position retenue consistant à exclure l'application de l'article 172 ter au motif que les pratiques n'auraient pas été mises en œuvre au sein d'une organisation interprofessionnelle mais par un ensemble d'opérateurs, dont une organisation interprofessionnelle, alors qu'elles se sont inscrites dans un cadre interprofessionnel.

55. Ils estiment également que les pratiques relatives à l'indicateur du prix du vin fait (grief n° 2) remplissent les conditions pour bénéficier de la dérogation prévue à l'article 210 du règlement OCM dès lors que :

Le CIVA est une OI reconnue depuis 1963, pour les motifs déjà exposés ;

L’article 157, § 1, point c) du règlement OCM fait référence aux « indicateurs de prix » et à la réalisation d'analyses sur « les perspectives d'évolution du marché » ;

« Le prix du vin fait », qui constitue un indicateur de prix et n'est pas assimilable à une recommandation de prix, apparaît strictement nécessaire pour atteindre l'objectif fixé par l'article 157 précité d'amélioration des connaissances et de la transparence de la production et du marché.

56. Ils ajoutent enfin que l'application des articles 172 ter et 210 modifié du règlement OCM aux pratiques est conforme aux principes dégagés par la Cour de justice dans l'affaire des endives et rappellent que les pratiques qui leur sont reprochées ne sont pas comparables. Ils soulignent qu'aucune pratique de fixation de prix ou de répartition de marché n'est reprochée aux viticulteurs d'Alsace et, selon la décision attaquée elle-même, que les pratiques en cause n'ont eu qu'un « effet limité » qui n'était pas de nature à affecter la concurrence sur les marchés en cause. Ils font également valoir qu'à la différence des organisations de producteurs et des associations d'organisations de producteurs d'endives, les organisations interprofessionnelles du secteur vitivinicole se sont vu octroyer une dérogation pour la publication d'indicateurs de prix facultatifs qui sont les seules pratiques ici en cause. Ils rappellent encore que les recherches effectuées par la Cour, dans son arrêt du 14 novembre 2017, ne sont pas ici requises dans la mesure où les pratiques de recommandation tarifaire en cause sont expressément exclues du champ d'application de l'article 101 du TFUE par des dérogations spécifiques :

L'article 172 ter accorde expressément une dérogation à l'article 101 du TFUE aux pratiques consistant en la fourniture par une organisation interprofessionnelle d' « indicateurs facultatifs sur l'orientation des prix concernant la vente de raisin » ; et l'article 210, qui renvoie à l'article 157, § 1, point c , prévoit pour sa part une dérogation à l'article 101 du TFUE pour les organisations interprofessionnelles qui publieraient « des données statistiques agrégées relatives aux coûts de production, aux prix, accompagnées, le cas échéant d'indicateurs de prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus ».

57. Ils en déduisent que l'annulation de la décision attaquée, à laquelle conduisaient déjà leurs écritures, est imposée en toute hypothèse par les articles 172 ter et 210 modifié du règlement OCM.

58. L'Autorité considère, en premier lieu, que le moyen soulevé à l'occasion de l'audience de plaidoirie, de manière orale, n'est pas recevable au regard du caractère écrit de la procédure en cause résultant des exigences posées aux article 775 du code de procédure civile et R. 464-25, alinéas 4 et 5, du code de commerce. Elle relève qu'en l'espèce le moyen tiré de l'applicabilité au litige de l'article 172 ter du règlement OCM, tel que modifié par le règlement (UE) n° 2021/2117 n'a, à aucun moment au cours de la procédure, été mentionné par écrit. Elle ajoute que la référence, dans les écritures du CIVA et de l'AVA, à la conclusion d'un accord entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission le 25 juin 2021 sur la réforme de la PAC et non au règlement adopté le 2 décembre 2021 lui-même, ne saurait être considérée comme satisfaisant aux exigences précitées. Elle souligne que la date d'adoption du règlement n° 2021/2117 (le 2 décembre 2021) n'empêchait pas les requérants, postérieurement au dépôt de leurs répliques du 9 novembre 2021, de demander à la Cour l'autorisation de produire de nouvelles observations écrites pour soulever ce moyen entre le 2 décembre 2021 et la date de l'audience, et notamment lors de l'audience de procédure qui s'est tenue le 14 décembre 2021pour fixer les temps de parole.

59. En second lieu, elle estime, dans l'hypothèse où la Cour considérerait que les règles issues du règlement n° 2021/21 17 sont des règles d'ordre public dont l'application peut être relevée d'office, que, nonobstant la rétroactivité de certaines dispositions, les pratiques en cause ne peuvent échapper à la prohibition des ententes anticoncurrentielles.

60. Elle relève, tout d'abord, que seul l'article 172 ter constitue une disposition répressive plus douce, dans la mesure où, s'agissant de l'article 210 dans sa version issue du règlement n° 2021/2117, le législateur a supprimé le mécanisme de notification préalable des pratiques à la Commission, mais a renforcé les conditions de la dérogation à l'application de l'article 101, § 1 du TFUE en exigeant que lesdits accords, décisions et pratiques des organisations professionnelles reconnues, soient « nécessaires pour atteindre les objectifs énumérés à l'article 157, § 1, point c), du présent règlement ». La disposition modifiée, en ce qu'elle nécessite une condition supplémentaire pour son octroi, lui apparaît ainsi plus sévère que celle qui préexistait à l'entrée en vigueur du règlement n° 2021/2117. Elle en déduit que les dispositions de l'article 210 ne doivent être appliquées qu'à des faits postérieurs à leur entrée en vigueur.

61.Elle ajoute que tant l'article 172 ter que l'article 210 modifié ne concernent que les OI reconnues par les États membres, conformément aux articles 157 et 158 du règlement n° 1308/2013, de sorte que cette règle procédurale doit conduire à limiter une éventuelle rétroactivité à la date d'adoption d'une telle reconnaissance ou, à tout le moins, à la date d'entrée en vigueur des articles 157 et 158, le 1er janvier 2014 (conformément à l'article 232, § 1, du règlement n° 1308/2013).

62. Elle soutient, ensuite, que les articles 172 ter et 210 du règlement OCM modifié ne sont, en tout état de cause, pas applicables à l'espèce.

63. S'agissant des pratiques relatives au prix du vin fait (grief n° 2), l'Autorité relève que l'article 172 ter ne vise que « les orientations des prix concernant la vente de raisins » (soulignement ajouté par la Cour), de sorte qu'il ne peut donc être appliqué rétroactivement à des pratiques qui ont porté sur les prix de vente du vin en vrac.

64. S'agissant des pratiques relatives au prix du raisin (grief n° 1), l'Autorité observe que la dérogation prévue par cet article ne concerne que les OI reconnues au titre de l'article 157 du règlement. Elle en déduit en conséquence, qu'elle ne saurait, d'une part, bénéficier à l'AVA qui n'est pas une OI et ne peut, d'autre part, bénéficier au CIVA, qu'après que cette qualité lui ait été reconnue soit à compter du décret n° 2014 572 du 2 juin 2014 relatif à la reconnaissance des organisations interprofessionnelles.

65. S'agissant des pratiques qui se sont poursuivies postérieurement à la reconnaissance de ce statut, elle rappelle que la décision attaquée a établi que l'AVA publiait les recommandations de prix au sein de la revue des vins d'Alsace (§ 258 de la décision contestée) et que le CIVA, s'il était informé en amont des recommandations envisagées (voir § 284 de la décision), ne fournissait pas lui-même une orientation des prix du raisin, contrairement à ce que requiert l'article 172 ter. Elle ajoute que les pratiques en cause ont été élaborées et mises en œuvre dans un cadre interprofessionnel mettant en relation les producteurs, d'une part, et les négociants, de l'autre, ce qui a affecté l'autonomie commerciale d'opérateurs situés de part et d'autre de la chaîne de valeur.

66. Concernant l'article 210 modifié, et dans l'hypothèse où il serait rétroactivement applicable, elle considère également qu'il ne peut bénéficier aux pratiques de l'AVA qui n'est pas une OI. Elle estime ensuite que tant les pratiques relatives au prix du raisin que celles relatives au prix du vin fait ne peuvent être considérées comme « nécessaires » pour atteindre les objectifs énumérés à l'article 157, § 1, point c) du règlement, dans la mesure où il ne peut être utilement soutenu, selon elle, qu'il n'existait pas d'options moins attentatoires au libre jeu de la concurrence permettant de répondre aux objectifs attribués aux OI. Elle ajoute, qu'en tout état de cause, le CIVA n'a été reconnu, conformément aux dispositions du règlement n° 1308/2013, comme une OI que le 2 juin 2014, de sorte qu'il ne pourrait, à tout le moins, bénéficier de ces dispositions qu'à compter de cette date.

67. Le ministre chargé de l'économie rappelle, s'agissant de l'application immédiate du règlement n° 2021/2117 aux pratiques en cause, que celles-ci ont cessé le 16 novembre 2017 pour ce qui concerne l'infraction unique, complexe et continue relative au prix du raisin et le 1er décembre 2018 pour ce qui concerne l'entente consistant en l'élaboration et la diffusion de recommandations tarifaires sur le prix du vin en vrac. Il en déduit qu'elles sont passées et ont cessé, de sorte que les dispositions nouvelles ne leur sont pas applicables, sauf à rétroagir, ce que le règlement n° 2021/2117 ne prévoit pas.

68. Se prévalant des règles dégagées à l'occasion de l'arrêt du 12 novembre 1981 par la CJUE (C-212 à 217/80), il rappelle la nécessité de rechercher s'il ressort clairement des termes, finalités ou économie de la règle de fond en cause qu'un tel effet doit lui être attribué, dans la mesure où le principe de sécurité juridique s'oppose en règle générale à la rétroactivité de ses dispositions et qu'il ne peut en être autrement qu'à titre exceptionnel, lorsque le but à atteindre l'exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée. Il constate que le règlement n° 2021/2117 comporte des dispositions transitoires et que le nouvel article 172 ter et l'article 210 modifié n'y figurent pas.

69. S'agissant de la rétroactivité in mitius, il se prévaut des enseignements tirés de l'arrêt de la Cour de justice du 7 août 2018 (C-115/17, points 26 et 33) et en déduit que l'article 172 ter constitue une loi pénale plus douce qui s'applique rétroactivement, sous réserve que les conditions soient remplies, à la différence de l'article 210 dont la rédaction a été modifiée pour des considérations de réduction de charge administrative et non parce que le législateur a changé d'avis sur la qualification des faits ou la peine à appliquer. Il souligne que le législateur a maintenu le § 4 de l'article 210 qui dresse une liste des accords, décisions et pratiques concertées qui « sont déclarés, en tout état de cause, incompatibles avec la réglementation de l'Union » et considère que le champ des actions susceptibles d'être couvertes par la dérogation comporte toujours la même limitation.

70. Dans l'hypothèse où la rétroactivité serait néanmoins admise, il se prévaut des enseignements de l'arrêt du 14 novembre 2017 rendu par la CJUE dans l'affaire dite des endives (C-671/15) : les pratiques doivent répondre au principe de proportionnalité et ne pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour atteindre les objectifs confiés aux OP et AOP reconnues, leur mise en œuvre devant demeurer internes à celles-ci. Il observe que le périmètre des dérogations auxquelles peuvent prétendre les OI est plus restreint que celui des OP et AOP.

71. Il rejoint l'analyse de l'Autorité concernant les pratiques relatives au prix du raison. Il estime qu'elles ne peuvent bénéficier de l'article 172 ter, dans la mesure où des indicateurs facultatifs sont relatifs à des données passées et agrégées qui ne sont pas assimilables à des recommandations ou fixations de prix. Il souligne, en outre, que les pratiques n'ont pas été mises en œuvre au sein d'une OI reconnue mais par un ensemble d'opérateurs dont une OI (le CIVA) et deux organisations syndicales (l'AVA et le GPNVA).

72. S'agissant de l'article 210 modifié, il relève que le motif tiré de l'absence de notification ne peut plus être retenu mais que les pratiques visées par le grief n° 1 se heurtent toujours au § 4, inchangé, qui déclare incompatible avec la réglementation « la fixation de prix ou de quotas ».

73. Concernant les pratiques relatives au prix du vin en vrac, il constate qu'elles n'entrent pas dans le champ de l'article 172 ter (relatif aux raisins et non aux vins en vrac) ni davantage dans celui de l'article 210 modifié. En effet, si le CIVA a le statut requis, la teneur des pratiques en revanche ne relève pas d'un indicateur de prix au sens de l'article 157 du règlement OCM, mais d'une recommandation de prix.

74. Il invite en conséquence la Cour à retenir que les pratiques n'entrent pas dans le champ des dérogations prévues par ces deux dispositions.

Sur ce, la Cour,

75. Sur la recevabilité, contestée par l'Autorité, la Cour rappelle que l'article R. 464-10 du code de commerce, applicable à la présente instance, prévoit que « [p]ar dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, les recours exercés devant la cour d'appel de Paris contre les décisions de l'Autorité de la concurrence sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de la présente section ».

76.Le titre VI du livre II du code de procédure civile comportant les articles 899 à 959 du code de procédure civile, les dispositions de l'article 775 selon lesquelles « la procédure est écrite sauf disposition contraire » sont applicables au présent recours, ainsi que le souligne à juste titre l'Autorité.

77. Les dispositions de l'article R. 464-25, alinéas 4 et 5, du code de commerce, qui prévoient que « [l]es moyens qui n 'auraient pas été formulés dans les écritures précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte [...] À défaut elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour d 'appel ou son premier président ne statue que sur les dernières écritures déposées », confirment que les moyens développés au soutien d'un recours formé contre une décision rendue par l'Autorité de la concurrence doivent être présentés par écrit.

78. Comme le relève justement l'Autorité, le moyen tiré de l'application immédiate de l'article 172 ter du règlement OCM, issu du règlement n° 2021/2117, a été soutenu oralement à l'audience du 20 janvier 2022, sans jamais avoir été intégré aux écritures, et n'a donc pas été communiqué aux contradicteurs, ni pu saisir la Cour dans les formes requises.

79. La circonstance que le règlement n° 2021/2117 ait été adopté postérieurement au dépôt de leurs écritures en réplique le 9 novembre 2021 ne faisait pas obstacle à ce que les requérants demandent à la Cour l'autorisation de déposer de nouvelles observations écrites pour soulever ce moyen, né de circonstances nouvelles. Ces derniers disposaient en effet d'un délai suffisant pour le faire entre le 6 décembre 2021 et la date de l'audience de plaidoirie fixée le 20 janvier 2022. Il s'ensuit que les dispositions nationales en ce qu'elles prévoient l'exigence d'un écrit n'ont rendu ni impossible ni excessivement difficile l'application du droit de l'Union, de sorte qu'il n’y a pas lieu de les écarter.

80. En revanche, l'obligation pour les juridictions nationales de sauvegarder les droits que les particuliers tirent de l'effet direct du règlement n° 2021/2117, dont les dispositions relèvent de l'ordre public économique, autorise la Cour à relever ce moyen s'il s'inscrit dans les limites du litige, telles qu'elles résultent de la décision attaquée, de l'exposé des moyens et des mémoires régulièrement déposés au soutien du recours.

81. En effet, par un arrêt du 14 décembre 1995 (Van Schijndel v Stichting Pensioenfonds voor Fysiotherapeuten, C-430/93 et C-431/93), la Cour de justice a dit pour droit que le droit communautaire n'impose pas aux juridictions nationales de soulever d'office un moyen tiré de la violation de dispositions communautaires, lorsque l'examen de ce moyen les obligerait à renoncer à la passivité qui leur incombe, en sortant des limites du litige tel qu'il a été circonscrit par les parties et en se fondant sur d'autres faits et circonstances que ceux sur lesquels la partie qui a intérêt à l'application desdites dispositions a fondé sa demande.

82. En l'espèce, la décision attaquée a examiné l'incidence du règlement OCM sur les poursuites en cause et les parties ont revendiqué dans leurs écritures des dispositions de ce règlement pour justifier les pratiques qui leur sont reprochées. Deux dispositions du règlement n° 2021/2117 ayant modifié le règlement OCM, l'une en insérant un nouvel article 172 ter, l'autre en modifiant les termes de son article 210, la Cour vérifiera si ces textes peuvent être appliqués à des faits intervenus antérieurement à leur entrée en vigueur et, dans l'affirmative, si les conditions d'application en sont réunies.

83. Sur les principes applicables, il convient de rappeler, d'abord, que l'article 42 du TFUE énonce que les dispositions du chapitre relatif aux règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne dans le cadre des dispositions et conformément à la procédure prévue à l'article 43, paragraphe 2, du TFUE, compte tenu des objectifs énoncés à l'article 39 TFUE. À cet égard, l'article 43, § 2, du TFUE prévoit que le Parlement et le Conseil adoptent notamment les dispositions nécessaires à la poursuite des objectifs de la PAC.

84. Ainsi, comme l'a rappelé la Cour de justice (CJUE, arrêt « endives » du 14 novembre 2017, C-671/15, points 37 et suivants) « dans la poursuite des objectifs que sont l'instauration d'une politique agricole commune ainsi que l'établissement d'un régime de concurrence non faussée, l'article 42 TFUE reconnaît la primauté de la politique agricole commune par rapport aux objectifs du traité dans le domaine de la concurrence et le pouvoir du législateur de l'Union de décider dans quelle mesure les règles de concurrence trouvent à s'appliquer dans le secteur agricole (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280/93, EU:C:1994:367, point 61, et du 12 décembre 2002, France/Commission, C-456/00, EU:C:2002:753, point 33) ».

85. La Cour de justice a également précisé (même arrêt, point 38) que « les interventions du législateur de l'Union à ce titre ont pour objet non pas d'établir des dérogations ou des justifications à l'interdiction des pratiques visées à l'article 101, paragraphe 1, et à l'article 102 TFUE, mais d'exclure du champ d'application de ces dispositions des pratiques qui, si elles intervenaient dans un secteur autre que celui de la politique agricole commune, en relèveraient ».

86. Par ailleurs, si les règlements européens n'ont, en principe, pas d'effet rétroactif, il en va différemment lorsque, traduisant la volonté du législateur européen de faire prévaloir les règles de la PAC sur celles de la concurrence, un règlement rend ces dernières inapplicables à des faits ayant été sanctionnés par une décision non encore définitive.

87. Le principe de l'application immédiate de la loi pénale plus douce trouve ainsi à s'appliquer lorsque les poursuites ont été engagées à raison d'un comportement qui n'est plus incriminé en application des dispositions nouvelles (Crim., 16 janvier 2019, pourvoi n° 15-82.333, Bull. n° 19), sous réserve d'en réunir les conditions.

88. En l'espèce, les deux infractions continuent visées par les grief n° 1 et 2 couvrent une période s'achevant le 16 novembre 2017 pour la première et le 1er décembre 2018 pour la seconde. Ce sont les dispositions du règlement OCM, dans leur rédaction modifiée par le règlement omnibus, qui étaient en vigueur à la date de la décision attaquée. Cette dernière a relevé, à cet égard, sans que ce point ne soit contesté, qu'aucun des mécanismes prévus aux articles 209 et 210 permettant de soustraire certaines pratiques à l'application de l'article 101 du TFUE ne trouvait application.

89. Aux termes du règlement n° 2021/2117, celui-ci « est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre ». L'article 6, relatif à l'entrée en vigueur et à l'application de ce règlement, prévoit que ce dernier « entre en vigueur le jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l'Union européenne », laquelle est intervenue le 6 décembre 2021. Il est également constant que les articles 172 ter et 210 modifié qui en sont issus et qui s'intègrent désormais au règlement OCM, ne font pas l'objet d'une application différée. Ainsi, à la date à laquelle la Cour statue sur le recours formé contre la décision attaquée, les nouvelles dispositions précitées issues du règlement n° 2021/2117 sont entrées en vigueur.

90. Il est constant que les dispositions de ces deux articles qui admettent, sous certaines conditions, des comportements par dérogation à l'article 101, paragraphe 1, du TFUE soustraient ces derniers du champ d'application de ce texte d'incrimination.

91. Toutefois, encore faut-il, pour admettre leur application immédiate et rétroactive au litige, que ces dispositions constituent une disposition plus douce.

92. Concernant l'article 210, dans sa rédaction issue du règlement n° 1308/2013, il prévoyait que :

« 1. L'article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne s'applique pas aux accords, décisions et pratiques concertées des organisations interprofessionnelles reconnues au titre de l'article 157 du présent règlement, ayant pour objet l'exercice des activités mentionnées à l'article 157, paragraphe 1, point c) [...]

2. Le paragraphe 1 s'applique lorsque :

a) Les accords, décisions et pratiques concertées visés dans ledit paragraphe ont été notifiés à la Commission ; et

b) Si cette dernière, dans un délai de deux mois à compter de la communication de tous les éléments d'appréciation nécessaires, n'a pas déclaré ces accords, décisions ou pratiques concertées incompatibles avec la réglementation de l'Union. [...] ».

93. Le règlement n° 2021/2117, prévoit désormais que les paragraphes 1 et 2 précités sont remplacés par :

« 1. L'article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne s'applique pas aux accords, décisions et pratiques concertées des organisations interprofessionnelles reconnues au titre de l'article 157 du présent règlement, qui sont nécessaires pour atteindre les objectifs énumérés à l'article 157, paragraphe 1, point c), du présent règlement ou, en ce qui concerne les secteurs de l'huile d'olive et des olives de table et du tabac, les objectifs énumérés à l'article 162 du présent règlement, et qui ne sont pas compatibles avec les règles de l'Union au titre du paragraphe 4 du présent article.

Les accords, décisions et pratiques concertées qui remplissent les conditions visées au premier alinéa du présent paragraphe ne sont pas interdits, et aucune décision préalable à cette fin n'est requise. [...] » (soulignement ajouté par la Cour).

94.  Cette nouvelle disposition, en ce qu'elle subordonne le bénéfice de l'exclusion du champ d'application des règles de la concurrence à la preuve de ce que les pratiques sont « nécessaires » pour atteindre les objectifs énumérés à l'article 157, paragraphe 1, point c) du règlement OCM, lorsque l'ancienne rédaction subordonnait son bénéfice à la condition que les pratiques aient « pour objet l'exercice des activités mentionnées à l'article 157, paragraphe 7, point c) » n'est tout d'abord pas plus sévère que la version applicable à la date des faits, comme le soutient à tort l'Autorité, dès lors que la Cour de justice a dit pour droit (CJUE,14 novembre 2017, affaire dite des endives, C-671/15, point 49) que les hypothèses d'inapplicabilité de l'article 101, § 1, du TFUE sont d'interprétation stricte et qu'elle les interprétait déjà, sous l'empire des dispositions anciennes, comme impliquant le respect du principe de proportionnalité, par référence à ce qui s'avère strictement nécessaire pour atteindre les objectifs mentionnés à l'article 157 du règlement OCM aujourd'hui explicitement énoncé.

95. Ensuite, l'article 210 modifié constitue une disposition plus douce en ce qu'elle pose pour principe que « [l]es accords, décisions et pratiques concertées qui remplissent les conditions visées au premier alinéa du présent paragraphe ne sont pas interdits, et aucune décision préalable à cette fin n'est requise ». Elle supprime ainsi l'exigence de notification préalable à la Commission prévue dans sa rédaction antérieure, d'une part, et admet le bénéfice du texte pour des pratiques « qui ne sont pas compatibles avec les règles de l'Union au titre du paragraphe 4 du présent article » dès lors qu'elles sont nécessaires pour atteindre les objectifs énumérés à l'article 157, paragraphe 1, point c), d'autre part.

96. Concernant l'article 172 ter, cette disposition est nécessairement plus favorable que le cadre juridique antérieur puisqu'elle créé un nouveau cas de primauté des règles de la PAC sur celles du droit de la concurrence.

97. Étant susceptible d'avoir une incidence sur la situation des organismes en cause qui se sont vu infliger des sanctions de nature répressive en application de l'article 101 du TFUE en raison de pratiques intervenues dans un secteur relevant de la PAC, il convient d'admettre, en son principe, l'applicabilité immédiate et rétroactive des dispositions des articles 210 et 172 ter, dans leur nouvelle rédaction.

98. Sur les conditions d'application de ces nouveaux textes, il convient, en premier lieu, de rappeler quelles sont les entités susceptibles de s'en prévaloir.

99. L'article 210 modifié et le nouvel article 172 ter du règlement OCM prévoient qu'ils bénéficient aux « organisations interprofessionnelles reconnues au titre de l'article 157 du présent règlement », le second de ces textes ajoutant « qui opèrent dans le secteur vitivinicole ».

100. Conformément à l'article 1er du décret n° 2014-572 du 2 juin 2014 relatif à la reconnaissance des organisations interprofessionnelles « Les organisations interprofessionnelles qui ont été reconnues avant le 1er janvier 2014 ou, en ce qui concerne le secteur du lait et des produits laitiers, avant le 2 avril 2012, en application des articles L. 632-1 et L. 632-12 du code rural et de la pêche maritime, sont réputées reconnues comme organisations interprofessionnelles au sens de l'article 157 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 susvisé ».

101. En l'espèce, le CIVA a été créé en tant que comité interprofessionnel par un décret du 22 avril 1963, validé par la loi n° 77-731 du 7 juillet 1977 portant validation de divers décrets instituant des organismes professionnels ou interprofessionnels.

102. Le 3 juin 2014, un arrêté « relatif à la reconnaissance en qualité d'organisation interprofessionnelle du comité interprofessionnel du vin d'Alsace (CIVA) » (production du CIVA, annexe 1 de la note en délibéré, demandée par la Cour) a par ailleurs précisé en son article 1 que le CIVA était reconnu en qualité d'OI « au sens de l'article 157 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 susvisé ».

103. Le CIVA dispose donc du statut lui permettant de revendiquer le bénéfice de ce texte, sous réserve que les conditions d'application en soient réunies.

104. En revanche, l'AVA, qui est un simple syndicat, ne peut, en tant que tel, s'en prévaloir pour soustraire du champ du droit de la concurrence les actes qui lui sont reprochés au titre du grief n° 1.

105. La circonstance que l'AVA soit membre du CIVA ne modifie pas le constat, non critiqué, selon lequel les pratiques incluent des concertations, avec d'autres organismes professionnels, intervenues également hors de la commission paritaire du CIVA, portant sur le prix du raisin, qui ont abouti à l'adoption, pour certaines récoltes et certains cépages, de prix qui ont fait l'objet d'une publication sous l'intitulé « recommandation syndicale concernant les prix des raisins AOC Alsace pour l'année X ».

106. L'AVA, peut néanmoins s'en prévaloir, en sa qualité de membre du CIVA, pour les pratiques commises au sein de ce dernier.

107. Il doit, en deuxième lieu, être relevé, sur le fond, comme l'a rappelé la Cour de justice, que la portée des exclusions du champ de l'article 101, § 1, du TFUE de certaines pratiques intervenant dans le secteur de la politique agricole commune est d'interprétation stricte (arrêt précité, C-671-15, point 46).

108. S'agissant de l'article 210, point 1, modifié, celui-ci prévoit que l'article 101,§ 1, du TFUE ne s'applique pas aux pratiques concertées des OI reconnues « qui sont nécessaires pour atteindre les objectifs énumérés à l'article 157, paragraphe 1, point c), du présent règlement ou, en ce qui concerne les secteurs de l'huile d'olive et des olives de table et du tabac, les objectifs énumérés à l'article 162 du présent règlement, et qui ne sont pas compatibles avec les règles de l'Union au titre du paragraphe 4 du présent article ».

109. Le § 4 de l'article 210, non modifié auquel il renvoie, précise que :

« Les accords, décisions et pratiques concertées sont déclarés, en tout état de cause, incompatibles avec la réglementation de l'Union s'ils :

a) Peuvent entraîner toute forme de cloisonnement des marchés à l'intérieur de l'Union ;

b) Peuvent nuire au bon fonctionnement de l'organisation des marchés ;

c) Peuvent créer des distorsions de concurrence qui ne sont pas indispensables pour atteindre les objectifs de la politique agricole commune poursuivis par l'activité de l'organisation interprofessionnelle ;

d) Comportent la fixation de prix ou de quotas ;

e) Peuvent créer des discriminations ou éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits concernés » (Soulignements ajoutés par la Cour).

110. En application de l'article 157, § 1, point c, du règlement OCM, une OI reconnue telle que le CIVA, peut poursuivre l'objectif, invoqué par les requérantes, tendant à « i) améliorer les connaissances et la transparence de la production et du marché, y compris en publiant des données statistiques agrégées relatives aux coûts de production, aux prix, accompagnées le cas échéant d'indicateurs de prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus, et en réalisant des analyses sur les perspectives d'évolution du marché au niveau régional, national ou international ; [...] » (soulignement ajouté par la Cour).

111. En l'espèce, les documents, auditions et compte-rendu mentionnés dans la décision attaquée ne sont pas contestés, dans leur matérialité, de sorte que les faits dont ils attestent doivent être considérés comme constants.

112. Il en ressort, concernant le grief n° 1, que plusieurs organismes professionnels (l'AVA, le GPNVA et le CIVA) se sont concertés afin d'établir des prix du raisin pour chaque récolte, et que, sur cette base, des recommandations ont ensuite été publiées, sous l'égide de l'AVA dans « la revue des Vins d'Alsace ».

113. Ces discussions sont à l'origine intervenues exclusivement au sein de la commission paritaire du CIVA, puis, ont également eu lieu au sein d'autres organes (conseil d'administration et commission économique de l'AVA, Comité et assemblée générale du GPNVA, commission paritaire et conseil de direction du CIVA).

114. En s'appuyant sur les données récoltées par le CIVA dans le cadre de sa mission interprofessionnelle, des échanges entre les représentants de la production et les représentants du négoce ont ainsi été organisés, visant à fixer en commun le prix du raisin, au travers de la détermination d'un pourcentage d'indexation appliqué au prix de base moyen constaté dans les contrats adressés au CIVA.

115. Plusieurs comptes rendus et extraits reproduits aux paragraphes 75 et suivants de la décision attaquée retranscrivent ainsi le résultat des négociations du prix des cépages et la décision qui a été adoptée à l'issue des négociations.

116. En conduisant à la fixation d'une référence de prix, dénommée « prix CIVA » par les professionnels du secteur, ce système amenait à uniformiser les prix, comme l'a souligné un membre de la commission paritaire dont les propos sont reproduits au § 220 de la décision attaquée : « L'accent a été mis ensuite sur la contradiction de ce système, qui demande aux entreprises d'indiquer des prix pour permettre au CIVA de constater officiellement des prix, qui sont au préalable déjà orientés par la Commission Paritaire. La plupart des entreprises indiquent donc forcément les mêmes prix sur les contrats ».

117. Il est par ailleurs constant, pour les récoltes 2013 à 2016, que ces recommandations sur le prix de la raison ont été publiées par l'AVA dans la revue des vins d'Alsace, avec les comptes rendus des assemblées générales, comme l'illustrent les figures 4 (§ 102), 5 (§ 108), 6 (§ 110) de la décision attaquée. À titre d'exemple, pour 2013, l'AVA a indiqué dans cette revue qu' « au niveau des représentants de la production il est recommandé aux producteurs de demander au minimum ['] », suivi d'une liste de prix, par kilogramme ou par litre, pour chacun des cépages.

118. Le compte rendu du conseil d'administration de l'AVA du 23 octobre 2014 mentionne par ailleurs « qu'un grand nombre d'entreprises du vignoble a augmenté les prix d'achat des raisins pour la récolte 2014 et joué le jeu en suivant la recommandation syndicale ».

119. Si les nouvelles dispositions de l'article 210, point 1, incluent dans son champ des pratiques « qui ne sont pas compatibles avec les règles de l'Union au titre du paragraphe 4 du présent article », lequel vise sous d) « la fixation de prix » et sous e) l'élimination de la concurrence « pour une partie substantielle des produits concernés », il n'est pas démontré, en l'espèce, que l'uniformisation des prix que de telles pratiques tendent à mettre en œuvre, au moyen de prix recommandés, étaient nécessaires pour atteindre l'objectif tendant à améliorer les connaissances et la transparence de la production et du marché.

120. En effet, l'aide aux professionnels du secteur pour parvenir, sur la base d'une connaissance plus fine du marché et des coûts pertinents de production, à élaborer eux-mêmes des prix individualisés tenant compte de leurs coûts personnels, ne rend pas nécessaire de se concerter entre organismes professionnels sur la fixation du prix du raisin de la récolte en cours pour trouver un consensus sur le prix de chaque cépage. La diffusion de simples moyennes des prix et coûts observés (passés) aurait été à cet égard suffisante. Les conditions d'application de l'article 210 modifié ne sont donc pas réunies concernant le grief n° 1.

121. Concernant le grief n° 2, la décision attaquée a retenu, sur la base des éléments recueillis par les services d'instruction, également non contestés, que le CIVA, diffuse annuellement, après les vendanges, pour tous les opérateurs, à tout le moins depuis 1980, un document intitulé « PRIX DE BASE DES RAISINS DE LA RÉCOLTE année x » comportant un tableau comprenant, d'une part, le prix moyen de base constaté des raisins par cépage, et d'autre part, « un prix indicatif du vin fait » (vin en vrac) par cépage. Ce dernier a été calculé, jusqu'en 2016, en application d'une première formule élaborée en 1980, puis à partir de 2017, au moyen d'une nouvelle formule.

122. La formule de 1980, établie par cépage, prévoyait la méthodologie décrite au § 131 de la décision attaquée, qui n'est pas contestée devant la Cour. Restée inchangée pendant plus de 37 ans, cette formule a été révisée en 2017, sans que les membres du CIVA auditionnés le 2 avril 2019 aient été en mesure de fournir plus d'explications sur les coûts retenus, dans la mesure où ils n'étaient pas à l'origine de l'élaboration de la formule. Aucune justification économique n'a été apportée quant au choix des paramètres retenus dans les deux formules, comme l'a relevé la décision attaquée au § 347.

123. L'élaboration et la diffusion des prix indicatifs du vin en vrac est ainsi le résultat de négociations qui tendent à coordonner le comportement des membres du CIVA sur le marché. Les formules utilisées entre 1980 et 2018 ont abouti à un prix indicatif du vin en vrac qui n'a pas été élaboré sur la base du prix de revient effectif du raisin par cépage et par exploitant pour l'année N, mais a été calculé à partir d'une moyenne des prix du raisin pratiqués par les exploitants et après application d'un pourcentage identique chaque année par cépage au prix du kilogramme de raisin, sans permettre la prise en compte des coûts effectifs d'exploitation qui diffèrent d'un exploitant viticole à un autre.

124. En définitive, il n'est pas davantage démontré que la pratique en cause, qui tend à l'uniformisation des prix d'opérateurs en situation de concurrence, était nécessaire pour atteindre l'objectif précité, visant à améliorer les connaissances et la transparence de la production et du marché.

125. Pour les mêmes motifs que ceux exposés pour le grief n° 1, l'aide aux professionnels du secteur pour parvenir, sur la base d'une connaissance plus fine du marché et des coûts pertinents de production, à élaborer eux-mêmes des prix individualisés tenant compte de leurs coûts personnels, ne rend pas nécessaire la diffusion d'un « prix indicatif du vin fait » présenté comme la tarification minimum recommandée pour le vin en vrac qui sera commercialisable à partir du mois de décembre de l'année de récolte, constituant pour les adhérents du CIVA une invitation à respecter un prix spécifique pour l'année à venir. Les conditions d'application de l'article 210 modifié ne sont donc pas non plus réunies concernant le grief n° 2.

126. S'agissant du nouvel article 172 ter, intitulé « Orientations des organisations interprofessionnelles concernant la vente de raisins destinés aux vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée », ce dernier prévoit que :

« Par dérogation à l'article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les organisations interprofessionnelles reconnues au titre de l'article 157 du présent règlement qui opèrent dans le secteur vitivinicole peuvent fournir des indicateurs facultatifs sur l'orientation des prix concernant la vente de raisins destinés à la production de vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée, à condition que ces orientations n'aient pas pour effet d'éliminer la concurrence pour une proportion substantielle des produits en question ».

127. L'article 172 ter, qui autorise la fourniture par une OI d' « indicateurs facultatifs sur l'orientation des prix concernant la vente de raisins destinés à la production de vins » ne saurait tout d'abord être étendu à des recommandations relatives au prix du vin en vrac (grief n° 2).

128. Il ne saurait davantage couvrir des pratiques relatives à des concertations qui, d'une part, n'ont pas porté sur la fourniture de simples indicateurs d'orientation de prix mais sur la méthode permettant l'adoption d'un prix commun du raisin, perçu, comme il a été dit dans les développements qui précèdent, comme le prix de référence par les professionnels du secteur qui l'ont dénommé « prix CIVA » et d'autre part, ont abouti, sous l'égide du syndicat de viticulteurs à publier dans la presse spécialisée les recommandations de prix du raisin qui en sont issues (grief n° 1).

129. La Cour renvoie également aux développements consacrés au contexte juridique examiné dans la partie II-B (paragraphes 204 et suivants du présent arrêt, dont il ressort que, même non contraignants, ces prix indicatifs perçus comme les prix recommandés par l'interprofession tendaient à uniformiser les prix et avaient une fonction incitative, allant bien au-delà de la fourniture de simples « indicateurs facultatifs sur l'orientation des prix ».

130. En outre, et pour ces mêmes motifs, il n'est pas non plus établi que la condition tenant au fait que les pratiques en cause n'aient pas pour effet « d'éliminer la concurrence pour une proportion substantielle des produits en question » soit remplie. En effet, des pratiques qui couvrent l'ensemble des cépages alsaciens, mises en œuvre sur l'ensemble du territoire national, par une organisation interprofessionnelle regroupant la totalité des viticulteurs, vignerons, et négociants professionnels du vignoble alsacien, ont pour effet, au moins potentiel, de neutraliser le jeu de la concurrence dans le secteur des vins d'Alsace en encourageant un alignement des opérateurs sur le prix de référence et ainsi une uniformisation des prix.

131. Il suit de là que les modifications apportées au règlement OCM par le règlement n° 2021/2117 ne sont pas susceptibles d'entraîner l'annulation de la décision attaquée, faute d'établir que les pratiques en cause remplissent les conditions des articles 210 modifié et 172 ter. Les règles de la PAC, issues de ce nouveau règlement, ne permettent donc pas de soustraire les pratiques du champ du TFUE.

B. Sur la compétence de l'Autorité pour sanctionner des pratiques mises en œuvre par un syndicat professionnel et une organisation interprofessionnelle

132. Aux paragraphes 152 à 157, la décision attaquée a retenu la compétence matérielle de l'Autorité, en considérant que les règles de concurrence étaient applicables à l'AVA, comme au CIVA, dans la mesure où tous deux étaient intervenus sur le marché et sortis du cadre de leurs missions syndicales et de défense des intérêts de leurs membres en participant :

Au titre du grief n° 1 reproché à l'AVA, au GPNVA et au CIVA, à une entente unique complexe et continue qui comporte deux branches :

D’une part, une concertation entre plusieurs organismes professionnels sur le prix du raisin intervenue au sein de la commission paritaire du CIVA ;

D’autre part, une concertation sur le prix du raisin sous l'égide de l'AVA, qui a notamment conduit à la publication de recommandations de prix du raisin dans la revue des Vins d'Alsace.

Au titre du grief n° 2, reproché au CIVA, à une entente, visant à donner, pour chaque récolte, à ses adhérents des consignes tarifaires sur un prix minimum du vin en vrac.

133. L'AVA et le CIVA font valoir que cette position aboutit à ignorer la mission même d'un syndicat de viticulteurs ou d'une organisation professionnelle et à les priver de toute possibilité d'action, sans égard pour la liberté syndicale (reconnue par l'article 23 § 4 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948, la Convention de l'Organisation Internationale du Travail n° 87 ratifiée par la France en 1951 et l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales), l'action syndicale (reconnue par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 à l'alinéa 6) et la liberté d'association.

134. La CNAOC et le CNIV soutiennent cette analyse. Le CNAOC souligne qu'il serait légitime et nécessaire que les syndicats d'appellation puissent se faire les porte-voix des revendications de leurs membres en matière de rémunération dans la mesure où l'objectif d'amélioration de la qualité des vins d'appellation ne peut être atteint que si le niveau de rémunération des vignerons est satisfaisant.

135. L'AVA estime par ailleurs qu'elle ne constitue pas une entreprise au sens du droit de la concurrence, n'étant pas un acteur économique exerçant une activité sur le marché et qu'elle échappe en conséquence à son application. Comme la CNAO, elle invoque en ce sens, notamment, la jurisprudence de la cour d'appel de Paris (arrêts des 29 février 2000, RG n° 99/17522, confirmé par Com.,15 janvier 2002, pourvoi n° 00-13.059 ; 9 octobre 2014, RG n° 13/08612) qui distingue l'activité économique d'une organisation syndicale de la mission de défense des intérêts de ses adhérents.

136. À la différence de l'Autorité, elle estime que la jurisprudence relative à des syndicats de salariés est transposable à des syndicats de vignerons dont la seule ressource est leur travail.

137.Le CIVA estime également que les pratiques qui lui sont reprochées relèvent de ses missions interprofessionnelles. S'agissant du grief n° 1, il se prévaut de l'article L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable jusqu'en novembre 2018 et de l'article 2, 3°, du décret du 22 avril 1963 et s'agissant du grief n° 2, il invoque l'article 157 du règlement OCM, ainsi que l'article L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime qui prévoit l'élaboration et la diffusion d'indicateurs de prix ce que sont, selon lui, le « prix indicatif de vin fait ».

138. L'Autorité estime que l'AVA et le CIVA constituent des associations d'entreprises au sens de l'article 101 du TFUE et se prévaut d'une pratique décisionnelle et d'une jurisprudence considérée comme constantes pour en déduire sa compétence pour apprécier le caractère anticoncurrentiel des pratiques mises en œuvre par de telles organisations, dès lors que ces dernières interviennent sur un marché et que ces pratiques excèdent la seule défense des intérêts professionnels de leurs membres.

139. Si l'Autorité admet la légitimité de l'action de syndicats professionnels visant à défendre l'importance d'un revenu minimum pour ses membres, et ce, notamment dans un contexte de crise touchant le secteur viticole, elle estime que l'action en cause, relative à une concertation avec d'autres organismes, s'en écarte, en ce qu'elle a une finalité anticoncurrentielle consistant à aligner le prix des produits sur le marché.

140. Le ministre chargé de l'économie estime également que les pratiques reprochées consistent en une concertation sur le prix du raisin et une entente visant à donner, pour chaque récolte, des consignes tarifaires sur un prix minimum du vin en vrac et qu'au vu des principes rappelés dans la décision attaquée, il est manifeste qu'elles constituent des interventions sur le marché et n'entrent pas dans le cadre des missions de défense des intérêts professionnels.

141. Le ministère public relève que les conditions dans lesquelles le droit de la concurrence s'applique aux organisations syndicales et professionnelles sont définies par une pratique décisionnelle et une jurisprudence interne constantes. À cet égard, il rappelle qu'il a notamment été jugé que « si les organisations professionnelles ou syndicales ont notamment pour mission la défense des intérêts collectifs de leurs membres ou des adhérents, elles sortent du cadre de leur mission en diffusant à ceux-ci des tarifs ou des méthodes de calcul de prix qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs de chaque entreprise » (CA Paris, 17 octobre 2000, Syndicat national des ambulanciers de montagne (SNAM), RG n° 20/05907). Il invite la Cour à rejeter le moyen dès lors que les pratiques en cause ' qui consistent en une concertation sur le prix du raisin avec d'autres organismes professionnels, au sein de la commission paritaire du CIVA, ainsi que sous l`égide de l'AVA, donnant lieu à la publication de recommandations de prix dans une revue spécialisée (grief n° 1) et une entente visant à donner pour chaque récolte aux adhérents du CIVA des consignes tarifaires sur un prix minimum du vin en vrac (grief n° 2) constituent des interventions sur le marché, qui excèdent le cadre des seules missions de défense des intérêts professionnels.

Sur ce, la Cour,

142. Il est constant que le droit de la concurrence, européen comme national, s'applique à toute entité exerçant une activité économique, indépendamment de sa forme et de son statut juridique. En droit français, l'article L. 410-1 du code de commerce, qui définit le champ d'application des règles prévues au livre IV de ce code, vise ainsi les entités qui exercent une activité de production, de distribution ou de service.

143. L'article 101, paragraphe 1 du TFUE prohibe par ailleurs, quand ils ont pour objet ou effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, non seulement les accords et pratiques concertées mis en œuvre entre entreprises indépendantes, mais également les « décisions d'associations d'entreprises » prises entre entreprises réunies au sein d'un même organisme collectif.

144. Le fait que le vecteur d'une entente soit un organisme professionnel n'exerçant pas d'activité économique en propre n'interdit pas de lui appliquer le droit de la concurrence, dès lors que les pratiques ont associé ses adhérents, lesquels exercent une activité d'une telle nature, et qu'elles ont une incidence sur le jeu normal de la concurrence. Comme l'a rappelé le tribunal de l'Union européenne, cette inclusion dans les règles européennes des décisions d'associations d'entreprises « vise à éviter que les entreprises puissent échapper aux règles de la concurrence en raison de la seule forme par laquelle elles coordonnent leur comportement sur le marché » (TUE, arrêt du du 24 mai 2012, MasterCard, T-111/08, point 243).

145. Enfin, si un organisme professionnel ou syndical, qui se borne à exercer une mission d'information, de conseil et de défense des intérêts professionnels que la loi lui confie ou dont ses adhérents l'investissent, n'exerce aucune activité économique, de sorte que les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE ne lui sont pas applicables (Com., 15 janvier 2002, pourvoi n° 00-13.059, Bull. n° 15), tel n'est pas le cas, en revanche, lorsqu'il intervient sur un marché au travers d'actes qui invitent ses membres à se comporter d'une manière déterminée sur celui-ci. Sortant de sa mission, il s'expose aux règles et sanctions prohibant les ententes.

146. En l'espèce, il ressort, en premier lieu, de la présentation des entités en cause que l'AVA fédère des organisations locales de viticulteurs dont l'activité présente un caractère économique. De même, le CIVA est composé de représentants désignés par les organisations les plus représentatives des secteurs de la production et du négoce en vin du vignoble d'Alsace, de sorte qu'il constitue, comme l'AVA, une association d'entreprises au sens de l'article 101 du TFUE, comme l'a justement retenu la décision attaquée.

147. En second lieu, il convient de rappeler que le grief n° 1 reproche à deux organisations syndicales « l'AVA et le GPNVA qui regroupe des négociants-producteurs » et à une organisation interprofessionnelle "le CIVA' « d'avoir, sur le secteur des vins d'Alsace, mis en œuvre une entente afin de fixer un prix minimum du raisin dans l'objectif de réduire l'incertitude concurrentielle et d'augmenter les prix de vente des vins d'Alsace, portant ainsi atteinte à la fixation des prix par le libre jeu du marché ».

148. Un tel grief vise des comportements qui excèdent l'action légitime de défense des intérêts confiés aux organismes professionnels en cause, et notamment celle d'un niveau de rémunération satisfaisant pour leurs membres, en ce qu'ils interviennent sur le marché au travers d'une concertation entre plusieurs organismes professionnels en vue d'une fixation du prix du raisin, allant, pour l'AVA, jusqu'à la publication de recommandations de prix du raisin dans la presse spécialisée.

149. De la même manière, le grief n° 2 qui reproche à cette même organisation interprofessionnelle "le CIVA" « d'avoir pour chaque récolte, diffusé auprès de ses adhérents des consignes tarifaires sur un prix minimum du vin en vrac par cépage pour l'AOC ALSACE depuis 1980 et jusqu'en 2018 et pour l'AOC CREMANT de 2017 à 2018 », vise un comportement qui s'écarte de la mission de défense des intérêts de la profession, dès lors qu'il intervient sur le marché en publiant des recommandations tarifaires sur le prix du vin du raison en vrac auprès de ses adhérents et tend à aligner le prix des produits sur le marché.

150. Une telle analyse ne méconnaît ni la liberté syndicale, ni la liberté d'association, dès lors que par leur intervention sur le marché les comportements visés sortent des limites de l'action syndicale légitime.

151. C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu, dans la décision attaquée, que les comportements visés aux griefs n° 1 et n° 2 entraient dans le champ matériel du droit de la concurrence et qu'elle était ainsi compétente pour apprécier le caractère anticoncurrentiel des pratiques reprochées à des organisations professionnelles, qui constituent par ailleurs des associations d'entreprises au sens de l'article 101 du TFUE (§ 207 de la décision attaquée).

152. La circonstance que les pratiques en cause auraient été autorisées par des textes législatifs et réglementaires constitue, comme le rélève à juste titre l'Autorité, un moyen relevant de la légalité interne de la décision attaquée qui sera examiné dans les développements qui suivent relatifs à la qualification appliquée aux pratiques.

II. SUR LA QUALIFICATION DE RESTRICTION PAR OBJET APPLIQUÉE AUX PRATIQUES

A. Sur le grief n° 1

153. À titre liminaire, il convient de rappeler que l'Autorité a retenu, dans la décision attaquée, au titre du grief n° 1, que l'AVA, le GPNVA et le CIVA avaient participé à une entente, unique, complexe et continue entre 2008 et 2017, comportant deux branches mises en œuvre successivement. Aux termes de cette décision, la première a consisté en une concertation sur le prix du raisin au sein de la commission paritaire du CIVA. La seconde a consisté en une concertation sur le prix du raisin sous l'égide de l'AVA, dont la résultante est la publication de recommandations de prix du raisin dans la revue des Vins d'Alsace.

154. Elle a relevé que, de 2008 jusqu'à la fin de l'année 2012, les discussions avaient eu lieu essentiellement au sein du CIVA et qu'elles concernaient, d'une part, la méthode pour parvenir à l'adoption d'un prix du raisin et, d'autre part, l'incitation des membres à insérer le prix du raisin au sein d'un contrat-type rendu obligatoire pour les acteurs du marché.

155. Elle a constaté qu'à la suite de l'échec des négociations lors de la réunion de la commission paritaire du 14 novembre 2012, les discussions semblaient avoir été relancées par l'AVA. Elle a déduit des comptes rendus de différentes réunions (au sein de l'AVA, au sein du CIVA, ainsi que lors d'assemblée générale et de Comité du GPNVA) qu'après la fin de l'année 2012, les échanges entre ces organismes sur des prix du raisin par cépage avaient perduré, y compris hors du cadre de la commission paritaire du CIVA.

156. Elle a estimé, sur la base des éléments relevés aux paragraphes 64 et suivants, que les discussions entretenues au cours des réunions au sein de différentes instances et les recommandations tarifaires adoptées sur cette base étaient l'expression d'un accord de volontés du CIVA, de l'AVA et du GPNVA.

157. La matérialité de cette pratique n'est pas discutée devant la Cour.

158. L'Autorité a rappelé ensuite que les pratiques, consistant en l'élaboration et la diffusion de barèmes de prix par un groupement professionnel, ont un objet anticoncurrentiel, nonobstant le caractère non impératif des consignes tarifaires données, dès lors qu'elles détournent les opérateurs d'une appréhension directe et personnelle de leurs coûts, limitant ainsi le libre jeu de la concurrence (§ 200 de la décision attaquée). Elle en a déduit qu'elle constituait une restriction de concurrence par objet au sens des articles 101, § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce dans la mesure où elle correspondait à une recommandation tarifaire.

159. Le CIVA et l'AVA invoquent tous deux une pratique décisionnelle, qu'ils considèrent comme constante en matière agricole, fondée sur l'avis de la Commission de la concurrence du 20 novembre 1980 relatif à des pratiques constatées sur le marché du vin de Cahors, dit avis « Vin de Cahors », rendu sur le fondement de l'ordonnance n° 45-1483, qui a considéré « qu'un accord, au sein d'une filière, entre producteurs et négociants sur un prix plancher du vin vendu en vrac aux négociants pouvait échapper à la prohibition des ententes dès lors qu'il n'était pas accompagné d'un prix conseillé ou imposé de revente au consommateur, et dans la mesure où il permettait de garantir et d'améliorer la qualité des vins offerts aux consommateurs ». Ils estiment que cette grille d'analyse, qui peut être transposée dans la présente affaire, est toujours pertinente et que ses principes ont été rappelés et/ou appliqués dans des décisions et avis plus récents (avis n° 19-A-12 du 4 juillet 2019, point. 427, concernant le fonctionnement de la concurrence en Outre-Mer ; avis n° 09-A-48 du 2 octobre 2009 relatif au fonctionnement du secteur laitier, décision n° 12-D-08 de l'Autorité du 6 mars 2012, dans laquelle l'Autorité a rejeté l'application de l'avis « Vin de Cahors » au motif que la pratique concernait des prix de revente aux consommateurs).

160. Pour le CIVA l'existence même de cet avis suffit à exclure la qualification de restriction par objet, compte tenu des effets ambivalents que les pratiques sont susceptibles d'avoir eu et de l'absence d'expérience acquise permettant de les considérer comme nécessairement restrictives de concurrence, alors qu'elles étaient non contraignantes, mises en œuvre dans le contexte très particulier de la filière viticole et portaient sur de simples intrants (et non sur les prix payés par le consommateur). Il en déduit que l'Autorité aurait dû rechercher si les pratiques avaient eu (ou non) des effets restrictifs de concurrence.

161. Il souligne également le contexte réglementaire très singulier dans lequel s'insèrent les pratiques, tenant au fait que les textes régissant les OI prévoyaient eux-mêmes que ces dernières pouvaient mettre en place des mécanismes de répartition équilibrée de la valeur ajoutée entre les différents stades de chaque filière, susceptibles de prendre la forme de prix plancher (article L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime et article 2 du décret du 22 avril 1963). Il rappelle également que les OI peuvent depuis plusieurs années, diffuser des indicateurs de prix visant, notamment, à améliorer « les connaissances et la transparence » du marché et à convenir de clauses de répartition de la valeur. Il renvoie à cet égard à l'article 172 bis du règlement OCM qui prévoit, depuis le 1er janvier 2018, que « ['] les agriculteurs, y compris les associations d'agriculteurs, et leurs premiers acheteurs peuvent convenir de clauses de répartition de la valeur, portant notamment sur les gains et les pertes enregistrés sur le marché, afin de déterminer comment doit être répartie entre eux toute évolution des prix pertinents du marché des produits concernés ou d'autres marchés de matières premières », ainsi qu'à l'article 157, § 1, du règlement OCM qui précise, quant à lui, que les organisations interprofessionnelles reconnues peuvent avoir pour mission, notamment, d'« établir des clauses types de répartition de la valeur au sens de l'article 172 bis [...] ».

162. Il invoque ensuite le contexte économique particulier, marqué à la fois par une forte dissymétrie entre les stades amont et aval au sein de la filière viticole induisant des problèmes structurels en termes de répartition de la valeur ajoutée et par la baisse tendancielle du revenu des agriculteurs. Il fait valoir enfin le contexte global, tenant au fait que ces pratiques étaient parfaitement connues de l'administration et que celle-ci n'a pas émis la moindre protestation (au moins jusqu'en 2013) alors que la DRAAF et la DGCCRF étaient systématiquement conviées (et le plus souvent présentes) aux travaux de la commission paritaire.

163. L'AVA rejoint cette analyse et ajoute que même après la réunion du 23 mars 2012, l'Administration a continué « sans prendre aucune distance » à participer aux différentes réunions dans lesquelles les pratiques en cause ont pu être discutées (renvoyant notamment aux listes de présence aux assemblées générales de l'AVA qui mentionnent des représentants de la DRAAF et/ou de la DIRRECTE présents au moins jusqu'en mars 2018 ; ainsi qu'à un courriel adressé à l'AVA le 26 juillet 2013 par un représentant de la DRAAF, suggérant une saisine pour avis de l'Autorité sans demander de cesser les pratiques en cause et en faisant une suggestion pour négocier des prix en commun par l'intermédiaire d'une organisation de producteurs (pièce AVA n° 1).

164. L'Autorité rappelle que l'article 101 du TFUE vise expressément comme contribuant à restreindre la concurrence les pratiques consistant à fixer de façon directe ou indirecte les prix ou d'autres conditions de transaction, de même que l'article L. 420-1 du code de commerce.

165. Renvoyant à la grille d'analyse définie par la jurisprudence tant européenne que nationale (CJUE, 19 mars 2015, C-286/13 P, points 113 et 114 ; 2 avril 2020, C-228/18, point 76 ; CA Paris, 20 décembre 2018, n° 18/07722, point 41), elle considère que les pratiques d'entente qui portent sur les prix des biens ou des services constituent des restrictions de concurrence par objet, dès lors qu'elles visent à fausser l'évolution des prix sur le marché, qui ne résulte alors plus du seul jeu de la libre concurrence. Elle renvoie aux précédents évoqués au paragraphe 200 mais également à la jurisprudence et pratique décisionnelle récente globale (§ 195 à 199 de la décision attaquée). Ces références lui apparaissent pertinentes dès lors, d'une part, que les recommandations en matière de prix, même lorsqu'elles ne revêtent pas un caractère impératif, sont prohibées par le droit de la concurrence, d'autre part, que la pratique décisionnelle ne distingue pas les recommandations de prix selon qu'elles concernent le prix de vente aux consommateurs ou aux intermédiaires. Elle signale que dans la décision n° 18-D-06 du 27 juillet 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône elle a déjà retenu que des pratiques de recommandations tarifaires pour le prix du vin en vrac ' qui n'est donc pas vendu directement aux consommateurs ' constituaient des restrictions de concurrence par objet.

166. Sur la portée de l'Avis « Vin de Cahors », elle relève, d'abord, qu'il ne remet pas en cause le caractère de restriction par objet de la pratique de fixation prix planchers pour la vente de vin en vrac qui était en cause. Elle considère, ensuite, qu'il n'est pas transposable à la présente espèce, les pratiques en cause étant différentes de celles qui ont été appréciées par la Commission de la concurrence et le cadre juridique alors en vigueur ayant évolué de manière notable.

167. S'agissant du progrès économique que les pratiques litigieuses auraient apporté, l'Autorité observe que cette analyse relève des articles 101, § 3, du TFUE et L. 420-4 du code du commerce et doit s'effectuer in concreto et non par renvoi à un avis rendu dans une autre affaire, sur un fondement différent. L'Autorité relève, en outre, que les requérants n'ont, devant elle comme devant la Cour, produit aucun élément circonstancié de nature à établir la réalité du progrès économique apporté par les pratiques, et en tout état de cause, leur caractère indispensable et adéquat pour atteindre cet objectif. Elle en déduit que les requérants ne remplissent pas, dès lors, les quatre critères cumulatifs posés pour bénéficier d'une telle exemption.

168. S'agissant du contexte réglementaire, elle observe que ni l'article 2 du décret du 22 avril 1963, ni l'article L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime n'autorisaient le CIVA à participer à une entente anticoncurrentielle reposant sur une concertation en vue d'édicter une recommandation annuelle des prix du raisin alsacien par cépage. Elle souligne que la loi vise dans ce dernier texte l'insertion de clauses-types « génériques » devant servir de cadre normatif à la passation de contrats particuliers, ayant pour objectif de sécuriser les relations entre professionnels du secteur agricole, qui doivent respecter le droit de la concurrence, sans remettre en cause la libre négociation entre opérateurs. Elle ajoute que les dispositions de l'article L. 632-2-1 précité sont identiques à celles de l'article L. 442-1 du code de commerce, originellement issu de l'article 33 de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, lequel trouve son origine dans un amendement n° 416 du gouvernement au projet de loi en date du 18 janvier 2005 fondé sur les travaux de la « commission Canivet » qui en éclairent la portée. Elle rappelle que le rapport Canivet indiquait ainsi que « Ces contrats types pourraient notamment prévoir :

La nécessité, pour chaque contrat particulier, de fixer un prix, le cas échéant pour une partie significative, mais pas pour la totalité, des quantités engagées par le contrat ;

Un barème de réfactions/majorations en fonction de la qualité des produits ;

Enfin, le principe d'un prix plancher contractuel, lorsque le prix n'est pas définitivement fixé dès la signature du contrat, et dont le montant serait convenu par les parties » (soulignements ajoutés par l'Autorité).

169. Elle estime qu'il ne ressort pas davantage de la lettre des dispositions du décret qu'elles confient à l'OI la mission de fixer le prix du raisin ou de faire des recommandations de prix. Elle ajoute, comme la décision attaquée l'a souligné, que tant la fragilité du secteur (§ 227 de la décision) que l'amélioration de la situation des producteurs du secteur (§ 248 de la décision) ne peuvent suffire à justifier des pratiques de nature à restreindre la concurrence, d'autant moins dans le secteur agricole où l'existence de la PAC prévoit des mécanismes d'exclusions du droit de la concurrence au secteur agricole afin de répondre aux objectifs prévus par l'article 39 du TFUE et que ces mécanismes n'ont pas été enclenchés au cas d'espèce (voir § 177 et suivants de la décision).

170. S'agissant du rôle de l'administration dans la mise en œuvre des pratiques litigieuses, elle renvoie à la grille d'analyse définie par la Cour de justice (CJUE, arrêt du 9 septembre 2003, CIF, C-198/01) et rappelle, comme l'a relevé la décision attaquée au paragraphe 307 « ce point n'étant pas remis en cause par les requérants » que la concertation sur le prix du raisin n'a pas été imposée par les pouvoirs publics, par le biais d'une législation ou d'une quelconque mesure.

171. Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent cette analyse. Ils souscrivent à la qualification de restriction de concurrence par objet, dès lors que les pratiques affectaient l'autonomie commerciale de concurrents sur un marché, en les incitant à se détourner d'une appréhension directe et personnelle de leurs coûts, et ce nonobstant le caractère non impératif des consignes tarifaires (citant en ce sens, notamment, CA Paris, 6 juin 2013, RG n° 12/02945, CA Paris, 15 octobre 2020, RG n° 19/18632, § 91).

172. Ils ajoutent que l'Autorité, dans un avis n° 11-A-14 relatif à un accord interprofessionnel du secteur viticole (vins de la région de [Localité 11]), a très clairement indiqué qu'« il est uniquement admis qu'un organisme professionnel puisse diffuser des informations en matière de coûts ou de prix, sous forme de mercuriales ou d'indices, c'est-à-dire de données passées anonymes et suffisamment agrégées pour exclure l'identification d'un opérateur ». Ils en déduisent qu'il ne peut s'agir d'intervenir dans la fixation de prix à venir.

173. Le ministre chargé de l'économie estime par ailleurs que les représentants de l'administration ont dès 2012, émis des mises en garde concernant particulièrement les « discussions de prix » et que ces avertissements sur le caractère anticoncurrentiel de leurs pratiques ont encore été renouvelés à l'occasion d`un refus d'extension d`accord en 2016, dont une version pouvait être interprétée par les opérateurs comme une incitation à faire converger les prix contractuels. Il en déduit qu'il ne saurait être soutenu qu'aucune réserve n'a été émise dans le cadre du contrôle de légalité.

Sur ce, la Cour,

174. Il résulte des termes des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce que sont prohibés tous accords entre entreprises ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence et, aux termes du premier de ces textes :

« Notamment ceux qui consistent à (...) :

a) Fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction ; »

175. Il ressort de la jurisprudence de la CJUE que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour être qualifiés de restriction par objet et relever de l'interdiction précitée, de sorte que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu de la concurrence (arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C-382/12 P, points 184 et 185, ainsi que du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C-373/14 P, point 26).

176. La CJUE a jugé qu'il convient, afin d'apprécier si un accord entre entreprises ou une décision d'association d'entreprises présente un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour être considéré comme une restriction de concurrence « par objet », au sens de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, de s'attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel il s'insère. Dans le cadre de l'appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (CJUE, 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13 P, point 53 et jurisprudence citée).

177. Enfin, la CJUE a rappelé que la notion de restriction de concurrence « par objet » doit être interprétée de manière restrictive. Sous peine de dispenser l'autorité de concurrence de l'obligation de prouver les effets concrets sur le marché d'accords dont il n'est en rien établi qu'ils sont, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu de la concurrence, la notion de restriction de concurrence « par objet » ne peut être appliquée qu'à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire. La circonstance que les types d'accords envisagés à l'article 101, paragraphe 1, du TFUE ne forment pas une liste exhaustive de collusions prohibées est, à cet égard, sans pertinence (même arrêt, point 58 et jurisprudence citée).

178. En l'espèce, s'agissant, en premier lieu, de la teneur des concertations, la Cour a déjà indiqué que les documents, auditions et compte-rendu mentionnés dans la décision attaquée n'étaient pas contestés, dans leur matérialité, de sorte que les faits dont ils attestent devaient être considérés comme constants.

179. Comme exposé au paragraphe 112 du présent arrêt, il ressort des éléments relevés dans la décision attaquée que plusieurs organismes professionnels (l'AVA, le GPNVA et le CIVA) se sont concertés afin d'établir des prix du raisin pour chaque récolte, et que, sur cette base, des recommandations ont ensuite été publiées, sous l'égide de l'AVA dans « la revue des Vins d'Alsace ».

180. Ces discussions sont à l'origine intervenues exclusivement au sein de la commission paritaire du CIVA, laquelle avait pour fonction, aux termes de l'article 10 du code de fonctionnement du CIVA du 21 avril 2002 « d'étudier annuellement le protocole d'accord relatif au prix du raisin et à leurs modalités de paiement ». Puis, ces concertations ont également eu lieu au sein d'autres organes (conseil d'administration et commission économique de l'AVA, Comité et assemblée générale du GPNVA, commission paritaire et conseil de direction du CIVA).

181. Exploitant les données récoltées par le CIVA dans le cadre de sa mission interprofessionnelle, les représentants de la production et les représentants du négoce se sont concertés en vue de fixer en commun le prix du raisin, au travers de la détermination d'un indice d'indexation appliqué à un prix de base, correspondant à la moyenne des prix constatés dans les contrats adressés au CIVA par ses membres.

182. Les comptes rendus de réunions reproduits aux paragraphes 65 et suivants de la décision attaquée font ressortir que les opérateurs réunis au sein du CIVA et de l'AVA ont exprimé l'objectif d'augmenter les prix des vins d'Alsace et d'assurer une meilleure valorisation des produits vitivinicoles.

183. Ceux reproduits aux paragraphes 75 et suivants de cette décision induisent par ailleurs que le principe de l'adoption en commun du prix de vente des raisins était acquis pour les participants, les discussions ayant essentiellement porté sur le prix de base du raisin par cépage et le niveau de son indexation. De nombreux comptes rendus retranscrivent le résultat des négociations du prix des cépages et la décision qui a été adoptée à l'issue des négociations. Le compte rendu de la Commission paritaire du 22 juillet 2011 mentionne ainsi, à titre d'exemple, « En finalité le consensus est trouvé pour les prix suivants : (...) », tandis que celui du 3 septembre 2012 prend acte qu'« il n'y a pas accord et les débats sur les prix sont clos », hormis pour le Crémant pour lequel est indiqué « Raisins Crémant d'Alsace : prix du PB + 10 % (sauf PG + 15 %) ».

184. Ces décisions, destinées à servir de base aux négociations ultérieures, s'analysent comme des recommandations à l'attention des professionnels du secteur. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, elles n'ont pas eu pour simple but d'aider les viticulteurs à évaluer leurs coûts de production mais pour objectif de leur fournir une même référence pour leurs prix futurs.

185. Comme la Cour l'a déjà indiqué, en fixant une référence de prix, dénommée « prix CIVA » par les professionnels du secteur, ce système était, par nature, susceptible d'uniformiser les prix, ce qu'un membre de la commission paritaire a d'ailleurs souligné en indiquant que « L'accent a été mis ensuite sur la contradiction de ce système, qui demande aux entreprises d'indiquer des prix pour permettre au CIVA de constater officiellement des prix, qui sont au préalable déjà orientés par la Commission Paritaire. La plupart des entreprises indiquent donc forcément les mêmes prix sur les contrats » (propos reproduits au § 220 de la décision attaquée).

186. Il est par ailleurs constant, pour les récoltes 2013 à 2016, que ces recommandations sur le prix de la raison ont été publiées par l'AVA dans la revue des vins d'Alsace, avec les comptes rendus des assemblées générales, comme l'illustrent les figures 4 (§ 102), 5 (§ 108), 6 (§ 110) de la décision attaquée. À titre d'exemple, pour 2013, l'AVA a indiqué dans cette revue qu'« au niveau des représentants de la production il est recommandé aux producteurs de demander au minimum [']», suivi d'une liste de prix, par kilogramme ou par litre, pour chacun des cépages.

187. S'il est exact que ces recommandations ne revêtaient pas un caractère contraignant et portaient sur un produit intermédiaire (le raisin et non le prix de revente du vin aux consommateurs), elles n'en constituaient pas moins une incitation, à l'égard d'opérateurs en situation de concurrence, à ne pas déterminer leurs prix de façon autonome et à aligner leurs comportements. Le compte rendu du conseil d'administration de l'AVA du 23 octobre 2014 mentionne d'ailleurs « qu'un grand nombre d'entreprises du vignoble a augmenté les prix d'achat des raisins pour la récolte 2014 et joué le jeu en suivant la recommandation syndicale ».

188. En outre, comme l'a justement relevé la décision attaquée au § 214, le renchérissement du prix intermédiaire avait bien pour objectif d'augmenter le prix de revente du produit final aux consommateurs, comme l'ont révélé les déclarations reproduites aux § 66 et suivants de la déclaration attaquée.

189. S'agissant, en deuxième lieu, de l'existence d'une expérience acquise, la Cour rappelle que pour qualifier un accord de restriction de la concurrence « par objet », sans que s'impose une analyse de ses effets, il doit exister une expérience suffisamment solide et fiable pour qu'il puisse être considéré que cet accord est, par sa nature même, nuisible au bon fonctionnement du jeu de la concurrence (CJUE, 2 avril 2020, C-228/18, Budapest Bank e.a., point 76), l'expérience acquise ressortant traditionnellement de l'analyse économique, telle qu'elle a été entérinée par les autorités chargées de la concurrence, confortée, le cas échéant, par la jurisprudence.

190. À cet égard, la CJUE a relevé, dans un arrêt du 27 janvier 1987 (C-45/85, Verband derSachversicherer/Commission) concernant la recommandation de la fédération des groupements professionnels d'entreprises d'assurance en Allemagne de procéder à un relèvement collectif, à taux fixe, du prix des prestations offertes par ses membres « que le premier exemple donné par l'article 85, paragraphe 1, sous a), d'un comportement anticoncurrentiel concerne précisément l'accord, décision ou pratique concertée qui a pour objet "de fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transactions" ».

191. Par ailleurs, comme l'a encore récemment rappelé la CJUE, il n'est nullement requis que le même type d'accords que l'accord litigieux ait déjà été condamné pour que celui-ci puisse être considéré comme restrictif de la concurrence par objet, et ce alors même qu'il intervient dans un domaine spécifique (CJUE, 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, C-611/16 P, points 119). En effet « [a]ux fins de la qualification de 'restriction par objet' d'un accord donné, seules importent les caractéristiques propres de celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C-307/18, EU:C:2020:52, points 84 et 85], dont doit être déduite l'éventuelle nocivité particulière pour la concurrence, au besoin à l'issue d'une analyse détaillée de cet accord, de ses objectifs et du contexte économique et juridique dans lequel il s'insère » (même arrêt, point 120).

192. Il est constant, en l'occurrence, que les pratiques consistant en l'élaboration et la diffusion par un groupement professionnel de barèmes de prix ou de méthodes de calcul de prix qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs propres à chaque entreprise sont considérés comme ayant un objet anticoncurrentiel, nonobstant le caractère non impératif des consignes tarifaires données. En effet, il est usuellement admis que de telles pratiques détournent les opérateurs d'une appréhension directe et personnelle de leurs coûts et limitent ainsi le libre jeu de la concurrence. Ces principes ont été rappelés à de nombreuses reprises par l'Autorité et la Cour, comme l'a justement relevé la décision attaquée au § 200, non seulement dans les exemples fournis dans la décision attaquée, mais également dans des décisions plus récentes (CA, Paris, 15 octobre 2020, RG n° 19/18632 ; décision n° 18-D-06 du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône). Il a ainsi été observé que « les pratiques d'organisations professionnelles qui diffusent à leurs membres, sous couvert d'une aide à la gestion, des tarifs ou des méthodes de calcul de prix qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs de chaque entreprise » peuvent avoir pour effet d'inciter les concurrents à aligner les comportements sur celui des autres, entravant ainsi la libre fixation des prix en fonction des données propres à chaque entreprise (CA, Paris, 6 juin 2013, RG n° 12/02945 ; Com., 13 février 2001, n° 98-22698).

193. Il importe peu que de nombreux précédents soient postérieurs au début des pratiques (2008 pour le grief n° 1) dans la mesure où il s'agit ici d'apprécier s'il existe une expérience suffisamment solide à la date à laquelle est examinée la qualification des pratiques. La circonstance précitée n'est en effet opérante que pour éclairer le contexte dans lequel ont été initiées les pratiques litigieuses et les incertitudes, éventuelles, inhérentes à l'absence de jurisprudence encore établie. Or, sur ce point, la Cour observe que le compte rendu de la réunion du conseil de direction du CIVA du 23 mars 2012 reproduit au § 118 de la décision attaquée démontre, qu'à cette date au moins, la jurisprudence était parfaitement intégrée par les professionnels du secteur. Ce compte rendu mentionne ainsi que « M. [N] [A] [Président du CIVA] fait part de la mise en garde du CNIV de ne surtout pas diffuser de documents pouvant laisser supposer qu'il y a des accords de tarif ! La filière de la Farine vient d'être condamnée à une amende de 200 millions d'Euros pour entente sur les prix ! ».

194. De la même manière, la circonstance que la DGCCRF ait pu enjoindre, dans plusieurs décisions, à des organismes professionnels, en considération du contexte et des éléments propres à chaque affaire, de cesser des pratiques de recommandations tarifaires et d'informer leurs membres du caractère illicite des pratiques de concertation tarifaire, sans pour autant prononcer des sanctions pécuniaires, ne remet pas en cause la qualification applicable à ce type de pratique et leur caractère répréhensible.

195. Nonobstant l'interprétation restrictive requise en la matière, il importe également peu que les précédents relevés ne soient pas en tous points identiques dès lors, d'une part, qu'ils concernent tous une même catégorie de comportements, ayant pour objet l'élaboration et la diffusion, par un organisme professionnel, de grilles, barèmes ou recommandations tarifaires qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs des professionnels concernés et, d'autre part, qu'en tout état de cause la Cour procédera à un examen individuel plus circonstancié afin de s'assurer que la pratique litigieuse ne comporte pas de caractéristiques particulières qui indiqueraient que l'affaire en cause est susceptible de faire exception à la règle de l'expérience.

196. À cet égard, il convient de relever, que l'Avis n° 81/14 de la Commission de la concurrence du 20 novembre 1980 relatif à des pratiques constatées sur le marché du vin de Cahors dit « Avis Vin de Cahors » a considéré qu'un accord, au sein d'une filière, entre producteurs et négociants sur un prix plancher du vin vendu en vrac aux négociants, dès lors qu'il n'était pas accompagné d'un prix conseillé ou imposé de revente au consommateur, pouvait échapper à la prohibition des ententes dans la mesure où il permettait de garantir et d'améliorer la qualité des vins offerts aux consommateurs. Cet Avis ne remet pas en cause, en lui-même, la qualification de restriction par objet appliquée à ce type de pratique. En effet, après avoir relevé que ces pratiques étaient contraires à l'article 50 de l'ordonnance n° 45-1483 précitée « abrogée depuis le 1er janvier 1987 » l'autorité de concurrence s'est placée sur un autre fondement pour soustraire les pratiques à la sanction encourue, en tenant compte du progrès économique que les pratiques pouvaient apporter, sur la base d'une analyse in concreto, prenant la forme d'un maintien de la qualité du vin, qui venait contrebalancer l'atteinte à la concurrence.

197. Ensuite, outre que l' « Avis Vin de Cahors », rendu en 1980, n'est pas davantage, en lui-même, de nature à remettre en cause l'expérience acquise après cette date, notamment pour apprécier la licéité de pratiques qui se sont poursuivies jusqu'en 2017 (grief n° 1), il est également, pour les motifs exposés au paragraphe qui précède, indifférent que des avis ou décisions plus récents s'y soient également référés compte tenu de sa portée, limitée aux recherches à entreprendre pour établir que des pratique peuvent être admises dans le champ des exemptions prévues à l'article 101,§ 3, du TFUE. À cet égard, la Cour rappelle que si les restrictions par objet sont interdites dans les règlements d'exemption par catégorie, cette qualification ne fait pas obstacle à une demande d'exemption individuelle, de sorte que la circonstance qu'un accord, au sein d'une filière, entre producteurs et négociants portant sur un prix plancher du vin vendu en vrac aux négociants ait pu être éligible au bénéfice d'une exemption individuelle, dans le contexte qui était le leur, n'est pas de nature à écarter la présomption de gravité attachée aux pratiques concertées relatives à la fixation directe ou indirecte des prix de vente caractérisant une restriction par objet.

198. C'est donc à juste titre que la décision attaquée a retenu que si les requérantes estiment que les pratiques contribuent au progrès économique, leur démonstration doit être menée non par référence à cet avis, qui relève d'un cadre législatif qui n'est plus en vigueur depuis 1987, mais au titre des articles 101, § 3, du TFUE et L.420-4 du code de commerce.

199. S'agissant, en troisième lieu, de l'objectif légitime attribué aux pratiques, la Cour de justice a jugé que « le fait qu'une mesure soit considérée comme poursuivant un objectif légitime n'exclut pas que, eu égard à l'existence d'un autre objectif poursuivi par celle-ci et devant être regardé, quant à lui, comme illégitime, compte tenu également de la teneur des dispositions de cette mesure et du contexte dans lequel elle s'inscrit, ladite mesure puisse être considérée comme ayant un objet restrictif de la concurrence » (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13P, point 70 et du 2 avril 2020, Budapest Bank, C-228/18, point 52).

200. La Cour constate, en l'espèce, qu'à l'instar de ce qui s'est produit devant l'Autorité, les requérants et intervenants volontaires, revendiquent la légitimité de l'action de défense d'un revenu minimum pour les membres de l'AVA et du CIVA mais ne présentent pas de demande d'exemption individuelle à l'occasion du présent recours. Elle n'est ainsi saisie, en l'état du dispositif des écritures présentées, d'aucune demande en ce sens, étant rappelé qu'en application de l'article R. 464-25-1 du code de commerce, la Cour ne statue que sur les prétentions énoncées dans le dispositif des conclusions.

201. S'agissant, en quatrième lieu, du contexte économique dans lequel s'insère les pratiques, il doit être rappelé que les pratiques litigieuses couvrent une période étendue, de 2008 à 2017 pour le grief n° 1.

202. La décision attaquée a, tout d'abord ,constaté (§ 227) que la fragilité sectorielle des vins d'Alsace, invoquée par les requérants, n'était pas démontrée sur la période en litige et la Cour relève que les parties ne produisent, ni n'invoquent, aucune pièce ou élément pour contredire ce constat, en dehors des réformes contemporaines intervenues pour assurer une répartition équilibrée de la valeur ajoutée entre les différents stades de la filière viticole : en particulier la loi dite EGALIM n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, entrée en vigueur le 1er février 2019, et les modifications du règlement OCM intervenues depuis la publication du règlement règlement omnibus.

203. Les crises récurrentes et profondes que subissent les filières agricoles et alimentaires depuis plusieurs années sont toutefois notoires et ont d'ailleurs conduit à l'organisation d'une consultation publique, au cours de l'été 2017, dans le cadre des états généraux de l'alimentation qui ont précédé l'adoption de la loi EGALIM. Si la volatilité des marchés agricoles est ancienne et liée aux difficultés d'ajustement de l'offre et de la demande, ces derniers doivent nécessairement être appréhendés filière par filière, de sorte que les crises traversées dans le secteur laitier ou celui des céréales ne sont pas nécessairement celles du secteur viticole des vins d'Alsace. Il n'en demeure pas moins constant que la volatilité des prix et le déséquilibre naturel des rapports de force durcissent les négociations commerciales entre les différents opérateurs économiques au détriment de ceux disposant d'un poids économique plus faible, notamment dans les relations d'affaire entre viticulteurs et grande distribution.

204. Toutefois, comme l'a rappelé la CJUE, « à supposer même qu'il soit établi que les parties à un accord ont agi sans aucune intention subjective de restreindre la concurrence, mais dans le but de remédier aux effets d'une crise sectorielle, de telles considérations ne sont pas pertinentes aux fins de l'application [de l'article 101, § 1, du TFUE] » (CJUE, arrêt du 20 novembre 2008, C-209/07, aff. Beef industry development society).

205. Comme l'a relevé à juste titre la décision attaquée, citant la jurisprudence européenne en ce sens, l'existence d'une crise sur le marché n'est pas de nature à enlever à des ententes sur les prix leur caractère anticoncurrentiel (CJUE, arrêt du 15 octobre 2002, aff. C-238/99, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 487). Ainsi, cette circonstance ne fait pas, en elle-même, échapper au droit des ententes les recommandations tarifaires adoptées dans le cadre d'une filière en crise, lesquelles sont régulièrement sanctionnées, notamment dans le secteur agricole (décision du Conseil n° 05-D-10 du 15 mars 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du chou-fleur de Bretagne, décision du Conseil n° 07-D-16 du 9 mai 2007 relative à des pratiques sur les marchés de la collecte et de la commercialisation des céréales, décision de l'Autorité n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives, décision n° 18-D-06 du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône).

206. Au cas d'espèce, comme l'a justement retenu la décision attaquée (§ 227), il n'est en tout état de cause pas établi que les pratiques litigieuses seraient inhérentes à la singularité du contexte économique dans lequel opéraient les organismes en cause.

207. S'agissant, en cinquième lieu, du contexte juridique et du rôle joué par l'administration, il convient de rappeler que les pratiques reprochées ont pris naissance au sein de la commission paritaire du CIVA (grief n° 1).

208. Comme l'ont rappelé les développements qui précèdent, les concertations sur les prix du raisin mettant en présence plusieurs organismes professionnels ont eu lieu, de 2008 à 2012, essentiellement dans le cadre de la commission paritaire du CIVA, puis ont perduré, après 2012, y compris hors du cadre de cette commission. En s'appuyant sur des données récoltées dans le cadre de sa mission interprofessionnelle, le CIVA a ainsi organisé, au sein de la commission paritaire qu'il préside, des négociations entre les représentants de la production (l'AVA) et les représentants du négoce (le GPNVA) visant à fixer le prix du raisin pour la récolte en cours.

209. Il ressort des comptes rendus de réunions cités dans la décision attaquée que les discussions intervenues en commission paritaire de 2008 à 2012 ne se sont donc pas limitées à l'élaboration et la diffusion de données agrégées (sur le prix moyen observé sur la récolte précédente) ou d'indicateurs de prix relatifs à l'année passée, mais ont porté sur l'adoption de prix uniques par cépage, juste avant la commercialisation de la récolte en cours, sans corrélation directe avec les coûts réellement constatés dans les exploitations agricoles productrices de raisin.

210. Après 2012, c'est sur la base de ces discussions que l'AVA a publié les prix négociés sous forme de recommandations syndicales dans la « revue des Vins d'Alsace ». Il ressort par ailleurs des comptes rendus de comité, d'assemblée générale ou de commission que les recommandations avaient bien une fonction incitative et tendaient à uniformiser les prix.

211. Pour illustration, la Cour renvoie aux extraits suivants :

Compte rendu du conseil d'administration de l'AVA du 23 octobre 2014 : « [F] [T] [Membre élu de l'AVA] : ['] Il est à noter qu'un grand nombre d'entreprises du vignoble a augmenté les prix d'achat des raisins pour la récolte 2014 et joué le jeu en suivant la recommandation syndicale. Il y a une déception par rapport à une entreprise qui a pratiqué le statu-quo, mais il s'agit là de politique d'entreprise. Il se dit satisfait des résultats obtenus » (page 25 de la décision attaquée) ;

Compte rendu du conseil d'administration de l'AVA du 13 avril 2017 : « [L] [Z] [Membre élu de l'AVA] : la recommandation syndicale est un vrai pas en avant qui permet l'évolution du prix des raisins, ce qui n'était pas le cas avant. La majorité suit les recommandations syndicales » (page 31 de la décision attaquée) ;

Compte rendu du comité du GPNVA du 16 mai 2017 : « En comparant les recommandations de l'AVA 2016 avec les prix moyens pratiqués par les membres du GPNVA l'écart est faible. » (Page 35 de la décision attaquée).

212. Sur le cadre juridique, plusieurs dispositions intéressent plus particulièrement les pratiques en cause.

213. Tout d'abord, l'article 2 du décret du 22 avril 1963 qui a créé ce comité interprofessionnel, aux termes duquel ce dernier a été chargé « ['] 3° De faciliter les relations entre producteurs et acheteurs de raisins, notamment en étudiant chaque année les éléments de la fixation des prix des vendanges et les modalités de paiement applicables aux transactions les concernant ['] ».

214. Ensuite, parmi les dispositions du droit européen pertinentes, il convient de rappeler l'article 157, 1) sous c) du règlement OCM, aux termes duquel les organisations interprofessionnelles peuvent avoir pour objectif d' « i) améliorer les connaissances et la transparence de la production et du marché, y compris en publiant des données statistiques agrégées relatives aux coûts de production, aux prix, accompagnées le cas échéant d'indicateurs de prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus, et en réalisant des analyses sur les perspectives d'évolution du marché au niveau régional, national ou international ; [...] ».

215. Toutefois, la publication d'un « indicateur de prix » prévue par cette dernière disposition (fondé sur l'analyse de données passées agréées) ne saurait autoriser, comme cela a déjà été dit, une invitation à destination des professionnels d'un secteur à respecter un prix spécifique pour l'année à venir, pas plus que l'étude « des éléments de la fixation des prix » prévue par le décret de 1963, précité, n'autorise une organisation interprofessionnelle, avec d'autres organismes professionnels, à inciter leurs adhérents à adopter des prix négociés en commun sans tenir compte de leurs propres coûts.

216. C'est à l'aune de ces principes que doit être définie la qualification applicable aux pratiques litigieuses.

217. En conclusion il ne ressort pas de l'analyse qui précède que les pratiques visées par le grief n° 1 ont été imposées ou clairement admises par la réglementation applicable à la date des faits et il se déduit au contraire des éléments précités qu'elles s'écartent de simples indicateurs de valeurs agrégées passées.

218. Sur le rôle de l'administration, il est de jurisprudence constante qu'une intervention publique ne peut constituer une cause d`exonération que si elle fixe un cadre juridique contraignant pour les entreprises.

219. Les éléments figurant aux § 115 et suivants et 301 à 312 de la décision attaquée démontrent que des représentants de l'administration étaient présents lors de nombreuses réunions et ont pu intervenir au cours des discussions. Cette circonstance ne permet toutefois pas d'établir que la concertation sur le prix du raisin a été imposée par les pouvoirs publics.

220. La Cour déduit de cet examen circonstancié que les pratiques visées par le grief n° 1 présentent, de façon manifeste, un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'elles puissent être considérées comme constitutives d'une restriction de concurrence par objet, comme l'a justement retenu la décision attaquée. Le moyen est rejeté.

221. Cette analyse est sans préjudice des conséquences qui pourront être tirées des incertitudes et de l'ambivalence des administrations qui ont été associées aux travaux du CIVA, dont il sera tenu compte au stade de l'appréciation de la gravité des pratiques.

B. Sur le grief n° 2.

222. À titre liminaire, il convient de rappeler que l'Autorité a retenu, dans la décision attaquée, au titre du grief n° 2, que le CIVA, avait mis en œuvre, entre 1980 et 2018, une entente visant à donner à ses adhérents, pour chaque récolte, des recommandations tarifaires sur le prix du vin en vrac.

223. Elle lui a reproché d'avoir diffusé un document intitulé « Prix de base des raisins de la récolte année x », faisant état, d'une part, du prix moyen de base constaté des raisins par cépage, et d'autre part, du « prix indicatif de vin fait ».

224. L'Autorité a considéré que la fixation de prix indicatifs du vin en vrac limitait le jeu de la concurrence sur le marché, dans la mesure où les prix étaient construits sur la base d'une formule ne reflétant pas les coûts d'exploitation réels de chaque entreprise.

225. Elle a également considéré que cette pratique s'apparentait à une consigne de prix futurs, compte tenu notamment de leur publication tous les ans, au mois de décembre, juste avant la commercialisation des vins en vrac des appellations « Alsace », « Alsace Grands crus » et « Crémants d'Alsace ».

226. La matérialité de cette pratique n'est pas davantage discutée devant la Cour, contrairement à sa qualification.

227. Sur ce point, l'Autorité a rappelé que les pratiques, consistant en l'élaboration et la diffusion de barèmes de prix par un groupement professionnel, ont un objet anticoncurrentiel, nonobstant le caractère non impératif des consignes tarifaires données, dès lors qu'elles détournent les opérateurs d'une appréhension directe et personnelle de leurs coûts, limitant ainsi le libre jeu de la concurrence.

228. Elle a ensuite retenu que les pratiques visées par le grief n° 2 constituaient des restrictions de concurrence par objet au sens des articles 101, § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce dans la mesure où elles correspondaient à des recommandations tarifaires.

229. La qualification de restriction par objet est contestée par les requérantes, comme par le CNIV qui défend la légitimité de la pratique visée par le grief n° 2 correspondants, selon lui, à la simple élaboration et diffusion annuelle d'un indicateur du prix du vin en vrac conforme à la réglementation.

230. Le CIVA considère, tout d'abord, que les pratiques visées aux griefs n° 1 et n° 2 sont très différentes, contestant que la pratique visée au grief n° 2 soit qualifiée de recommandation tarifaire alors qu'il s'agit, selon lui, d'un indicateur de référence licite. Il renvoie à l'article 157 du règlement OCM et à l'article L. 631-24 du code rural et fait observer que l'administration elle-même l'a utilisée comme indice des fermages.

231. Il estime, ensuite, que la position de la Commission européenne prise à l'égard du projet d'indicateur du CNIEL confirme également le caractère licite de l'indicateur du CIVA.

232. Enfin, même assimilable à une recommandation tarifaire, le prix indicatif du vin fait ne saurait être qualifié de restriction par objet, selon lui, au regard des objectifs légitimes de la pratique (aide aux viticulteurs pour évaluer leurs coûts de production), en l'absence d'expérience acquise en matière d'indicateurs de prix.

233. Il invoque à nouveau l'avis « Vin de Cahors » de la Commission de la concurrence du 20 novembre 1980, précité, considérant qu'il suffit à exclure la qualification de restriction par objet.

234. Il souligne également le contexte réglementaire et économique très singulier dans lequel s'insèrent les pratiques, déjà évoqué dans les développements relatifs au grief n° 1.

235. Le CNIV s'associe à l'argumentation du CIVA et souligne le caractère paradoxal de la décision qui défend et sanctionne des pratiques que les pouvoirs publics encouragent, encadrent, voire imposent. Il rappelle que l'indicateur du CIVA était d'ailleurs utilisé par l'administration pour établir son propre « indice des fermages ». Comme le CIVA, il considère que l'évaluation réalisée au moyen du « prix indicatif du vin fait » correspond en tous points à l'indicateur prévu par l'article L. 631-24 du code rural issu de la loi EGALIM et ne constitue pas une consigne tarifaire dès lors que les viticulteurs étaient parfaitement libres de s'en écarter.

236. L'Autorité rappelle que l'article 101 du TFUE vise expressément comme contribuant à restreindre la concurrence les pratiques consistant à fixer de façon directe ou indirecte les prix ou d'autres conditions de transaction, de même que l'article L. 420-1 du code de commerce.

237. Renvoyant à la grille d'analyse définie par la jurisprudence tant européenne que nationale déjà citée, elle considère que des pratiques consistant en l'élaboration et la diffusion de barèmes de prix par un groupement professionnel ont un objet anticoncurrentiel, nonobstant le caractère non impératif des consignes tarifaires données, dès lors qu'elles détournent les opérateurs d'une appréhension directe et personnelle de leurs coûts, limitant ainsi le libre jeu de la concurrence. Elle renvoie à l'analyse des paragraphe 343 et suivants de la décision attaquée. Elle ajoute que c'est bien parce que le « prix indicatif du vin fait » servait de prix de référence pour les professionnels du secteur qu'il les incitait à se détourner d'une fixation autonome de leurs propres prix et observe que l'objectif d'aide allégué aurait pu être atteint en listant, par exemple, les coûts pertinents de production et en produisant des indicateurs de référence fondés uniquement sur des données passées.

238. Elle maintient confirme l'existence d'une expérience suffisamment solide et fiable dès lors que la diffusion de recommandations tarifaires par des organismes professionnels à leurs adhérents a été qualifiée à de nombreuses reprises par les autorités de concurrence. Elle ajoute, d'une part, que les recommandations en matière de prix, même lorsqu'elles ne revêtent pas un caractère impératif, sont prohibées par le droit de la concurrence, d'autre part, que la pratique décisionnelle ne distingue pas les recommandations de prix selon qu'elles concernent le prix de vente aux consommateurs ou aux intermédiaires.

239. S'agissant du cadre juridique applicable, au-delà du fait que les dispositions mobilisées, par le CIVA et le CNIV, du règlement OCM ne sont entrées en vigueur qu'au 1er janvier 2014, soit 34 ans après le début des pratiques, et que celles de l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime sont entrées en vigueur postérieurement aux pratiques, elle estime qu'elles n'imposaient pas les pratiques en cause, ni ne les autorisaient.

240. Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent cette analyse.

Sur ce, la Cour,

241. Comme la Cour l'a rappelé à l'occasion du grief n° 1, il résulte des termes des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce que sont prohibés tous accords entre entreprises ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence et, aux termes du premier de ces textes :

« Notamment ceux qui consistent à (...) :

a) Fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction ; »

242. La Cour suivra la même analyse que celle qui précède pour définir si la pratique visée par le grief n° 2 présente un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour être qualifié de restriction par objet (CJUE, 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13 P, point 53 et jurisprudence citée). De nombreux éléments étant communs aux deux griefs (concernant les principes liminaires relatifs à l'expérience acquise, l'absence d'incidence d'un objectif légitime sur la qualification et le contexte économique) il y sera renvoyé pour de plus amples développements.

243. En l'espèce, s'agissant, en premier lieu, de la teneur des concertations, la Cour a déjà indiqué que les documents, auditions et compte-rendu mentionnés dans la décision attaquée n'étaient pas contestés, dans leur matérialité, de sorte que les faits dont ils attestent devaient être considérés comme constants.

244. Comme la Cour l'a relevé au paragraphe 121 du présent arrêt, la décision attaquée a retenu, sur la base des éléments non contestés recueillis par les services d'instruction, que le CIVA, diffuse annuellement, après les vendanges, pour tous les opérateurs, à tout le moins depuis 1980, un document intitulé « PRIX DE BASE DES RAISINS DE LA RÉCOLTE année x » comportant un tableau comprenant, d'une part, le prix moyen de base constaté des raisins par cépage, et d'autre part, « un prix indicatif du vin fait » (vin en vrac) par cépage. Ce dernier a été calculé, jusqu'en 2016, en application d'une première formule élaborée en 1980, puis à partir de 2017, au moyen d'une nouvelle formule.

245. La formule de 1980, établie par cépage, prévoyait la méthodologie décrite au § 131 de la décision attaquée, qui n'est pas contestée devant la Cour :

Il est d'abord appliqué au prix du kilogramme de raisin d'un cépage des taux de majoration permettant de tenir compte des frais financiers et des frais de freintes (perte de volume ou de poids subie par une marchandise lors de sa fabrication ou de son transport), bourdes (déchets issus du pressurage du raisin non fermenté, contenant des particules solides issues des peaux et des pépins) et lies (levures mortes et résidus végétaux qui sédimentent à l'issue de la fermentation du vin, formant des particules solides) ;

Le produit entre le prix du kilogramme de raisin d'un cépage donné et le taux total de majoration est ensuite divisé par le taux d'extraction du même cépage, pour établir le prix du litre de vin fait, auquel s'additionnent finalement les frais de pressurage et de chaptalisation.

246. Restée inchangée pendant 37 ans, cette formule a été révisée en 2017.

247. Il ressort des termes de l'audition de membres du CIVA du 2 avril 2019 et des documents produits à sa suite, que les postes pris en compte sont les mêmes, toutefois « l'impact du coût de l'inflation des années 80 n'était plus du tout d'actualité les taux d'extractions ont été lissés sur 5 ans pour que le modèle de conversion soit basé sur des taux plus structurels et moins conjoncturels. La simplification qui était en 1980 de considérer le coût du pressurage et de la chaptalisation a été abandonné pour prendre ici en compte l'ensemble des coûts (sic) du moment où le raisin arrive chez l'opérateur jusqu'à la mise en bouteille (étape non incluse). Les pertes (lies, bourbes ') ont été réévaluées (...) ». Les représentants du CIVA ont également déclaré ne pas pouvoir donner plus d'explications sur les coûts retenus, dans la mesure où ils n'étaient pas à l'origine de l'élaboration de la formule.

248. Les formules utilisées entre 1980 et 2018 ont abouti à un prix indicatif du vin en vrac qui ne correspond pas à une valeur agrégée conduisant à la moyenne des prix observés, mais à un prix calculé sur la base d'une formule produisant les mêmes effets qu'une indexation globale, sans permettre la prise en compte des coûts effectifs d'exploitation qui diffèrent d'un exploitant viticole à un autre. Ainsi que la Cour l'a déjà observé, l'élaboration et la diffusion des prix indicatifs du vin en vrac constituent le résultat des négociations conduites par les membres du CIVA et tendent à coordonner le comportement de ses membres sur le marché.

249. En outre, le « prix indicatif du vin fait » diffuser ne correspond pas, en l'espèce, à une moyenne des mercuriales du vin en vrac pour l'année écoulée, mais à un prix déterminé, unique « une projection de ce que devraient être les prix futurs à appliquer aux récoltes en cours en y intégrant certains coûts » établi selon une formule élaborée par le CIVA, qui est restée inchangée pendant 37 ans.

250. Par ailleurs, comme l'a relevé la décision attaquée au § 347, aucune justification économique n'a été apportée quant au choix des paramètres retenus dans les deux formules de 1980 et 2018, la seconde ayant été définie sur la base d'un échantillon de 18 entreprises peu représentatif au regard des 4000 exploitants que compte la filière vitivinicole alsacienne. Il n'est par ailleurs pas contesté que certains coûts ne sont pris en compte ni dans la formule de 1980 ni dans celle de 2017, tel le coût du foncier.

251. Comme l'a justement analysé la décision attaquée, la diffusion par le CIVA d'un « prix indicatif du vin fait » au mois de décembre pour l'année suivante, soit à un moment où le produit en cours de production devient commercialisable, réduit l'incertitude nécessaire à la libre fixation des prix et constituent une invitation à respecter un prix spécifique du vin en vrac pour l'année à venir, alors même que la formule sur laquelle il repose ne permet pas de tenir compte des coûts propres à chaque exploitant. La circonstance que cette pratique, constitutive d'une recommandation tarifaire émanant d'une organisation interprofessionnelle, ne soit pas contraignante pour les exploitants est sans conséquence sur le fait qu'elle est de nature à détourner les opérateurs d'une appréhension directe et personnelle de leurs coûts, limitant ainsi le libre jeu de la concurrence.

252. S'agissant, en deuxième lieu, de l'existence d'une expérience acquise, la Cour renvoie aux principes rappelés à l'occasion du grief n° 1 tirés de la jurisprudence (CJUE, 2 avril 2020, C-228/18, Budapest Bank e.a., point 76, CJUE, 27 janvier 1987 ; C-45/85, Verband derSachversicherer/Commission ; CJUE, 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma /Commission, C-611/16 P, points 119 et 120).

253. Ainsi, comme il a déjà été indiqué, il est constant, en l'occurrence, que les pratiques consistant en l'élaboration et la diffusion par un groupement professionnel de barèmes de prix ou de méthodes de calcul de prix qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs propres à chaque entreprise sont considérés comme ayant un objet anticoncurrentiel, nonobstant le caractère non impératif des consignes tarifaires données. En effet, il est usuellement admis que de telles pratiques détournent les opérateurs d'une appréhension directe et personnelle de leurs coûts et limitent ainsi le libre jeu de la concurrence. Ces principes ont été rappelés à de nombreuses reprises par l'Autorité et la Cour, comme l'a justement relevé la décision attaquée au § 318, renvoyant au § 200, non seulement dans les exemples fournis dans la décision attaquée, mais également dans des décisions plus récentes (CA, Paris, 15 octobre 2020, RG n° 19/18632, décisions n° 18-D-06 du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône). Il a ainsi été observé que « les pratiques d'organisations professionnelles qui diffusent à leurs membres, sous couvert d'une aide à la gestion, des tarifs ou des méthodes de calcul de prix qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs de chaque entreprise » peuvent avoir pour effet d'inciter les concurrents à aligner les comportements sur celui des autres, entravant ainsi la libre fixation des prix en fonction des données propres à chaque entreprise (CA, Paris, 6 juin 2013, RG n° 12/02945, Com., 13 février 2001, n° 98-22698.).

254. Il importe peu que de nombreux précédents soient postérieurs au début des pratiques (1980 pour le grief n° 2) dans la mesure où il s'agit ici d'apprécier s'il existe une expérience suffisamment solide à la date à laquelle est examinée la qualification des pratiques. La circonstance précitée n'est en effet opérante que pour éclairer le contexte dans lequel ont été initiées les pratiques litigieuses et les incertitudes, éventuelles, inhérentes à l'absence de jurisprudence encore établie. Or, sur ce point, la Cour observe que le compte rendu de la réunion du conseil de direction du CIVA du 23 mars 2012 reproduit au § 118 de la décision attaquée démontre, qu'à cette date au moins, la jurisprudence était parfaitement intégrée par les professionnels du secteur. Ce compte rendu mentionne ainsi que « M. [N] [A] [Président du CIVA] fait part de la mise en garde du CNIV de ne surtout pas diffuser de documents pouvant laisser supposer qu'il y a des accords de tarif ! La filière de la Farine vient d'être condamnée à une amende de 200 millions d'Euros pour entente sur les prix ! ».

255. Nonobstant l'interprétation restrictive requise en la matière, il importe également peu que les précédents relevés ne soient pas en tous points identiques dès lors, d'une part, qu'ils concernent tous une même catégorie de comportements, ayant pour objet l'élaboration et la diffusion, par un organisme professionnel, de grilles, barèmes ou recommandations tarifaires qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs des professionnels concernés et, d'autre part, qu'en tout état de cause la Cour procédera à un examen individuel plus circonstancié afin de s'assurer que la pratique litigieuse ne comporte pas de caractéristiques particulières qui indiqueraient que l'affaire en cause est susceptible de faire exception à la règle de l'expérience.

256. La Cour renvoie également aux développements antérieurs du présent arrêt concernant la portée limitée de l' « Avis Vin de Cahors », qui n'est pas, en lui-même, de nature à remettre en cause l'expérience acquise après cette date, notamment pour apprécier la licéité de pratiques qui se sont poursuivies jusqu'en 2018 pour le grief n° 2.

257. S'agissant, en troisième lieu, de l'objectif légitime attribué aux pratiques, la Cour renvoie également aux principes déjà évoqués selon lesquels « le fait qu'une mesure soit considérée comme poursuivant un objectif légitime n'exclut pas que, eu égard à l'existence d'un autre objectif poursuivi par celle-ci et devant être regardé, quant à lui, comme illégitime, compte tenu également de la teneur des dispositions de cette mesure et du contexte dans lequel elle s'inscrit, ladite mesure puisse être considérée comme ayant un objet restrictif de la concurrence » (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13P, point 70 et du 2 avril 2020, Budapest Bank, C-228/18, point 52).

258. Il doit être également relevé qu'aucune demande d'exemption individuelle n'est présentée au titre de ce grief.

259. S'agissant, en quatrième lieu, du contexte économique dans lequel s'insère les pratiques, il doit être rappelé que les pratiques litigieuses couvrent une période étendue de 1980 à 2018 pour le grief n° 2.

260. Comme il a déjà été indiqué dans les développements qui précèdent, la fragilité sectorielle des vins d'Alsace, invoquée par les requérants, n'est pas démontrée sur la période en litige et les parties ne produisent, ni n'invoquent, aucune pièce ou élément en dehors des réformes contemporaines intervenues pour assurer une répartition équilibrée de la valeur ajoutée entre les différents stades de la filière viticole.

261. Par ailleurs, comme l'a rappelé la CJUE, « à supposer même qu'il soit établi que les parties à un accord ont agi sans aucune intention subjective de restreindre la concurrence, mais dans le but de remédier aux effets d'une crise sectorielle, de telles considérations ne sont pas pertinentes aux fins de l'application [de l'article 101, § 1, du TFUE] » (CJUE, arrêt du 20 novembre 2008, C-209/07, aff. Beef industry development society).

262. Comme l'a relevé à juste titre la décision attaquée, citant la jurisprudence européenne en ce sens, l'existence d'une crise sur le marché n'est pas de nature à enlever à des ententes sur les prix leur caractère anticoncurrentiel (CJUE, arrêt du 15 octobre 2002, aff. C-238/99, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 487). Ainsi, cette circonstance ne fait pas, en elle-même, échapper au droit des ententes les recommandations tarifaires adoptées dans le cadre d'une filière en crise, lesquelles sont régulièrement sanctionnées, notamment dans le secteur agricole (décision du Conseil n° 05-D-10 du 15 mars 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du chou-fleur de Bretagne, décision du Conseil n° 07-D-16 du 9 mai 2007 relative à des pratiques sur les marchés de la collecte et de la commercialisation des céréales, décision de l'Autorité n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives, décision n° 18-D-06 du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône).

263. Pour les mêmes motifs que ceux retenus pour le grief n° 1 et comme l'a justement retenu la décision attaquée, la Cour retient, au cas d'espèce, qu'il n'est, en tout état de cause, pas établi que les pratiques litigieuses seraient inhérentes à la singularité du contexte économique dans lequel opérait le CIVA.

264. S'agissant, en cinquième lieu, du contexte juridique et du rôle de l'administration, il a été précédemment exposé qu'il est reproché au CIVA d'avoir diffusé, dans un document intitulé « Prix de base des raisins de la récolte année X » (illustration au § 128), un « prix indicatif de vin fait », exprimé en euros/litre.

265. Sur le cadre juridique, plusieurs dispositions intéressent la pratique en cause.

266. Tout d'abord, l'article 2 du décret du 22 avril 1963 qui a créé le CIVA et aux termes duquel ce dernier a été chargé « ['] 3° De faciliter les relations entre producteurs et acheteurs de raisins, notamment en étudiant chaque année les éléments de la fixation des prix des vendanges et les modalités de paiement applicables aux transactions les concernant ['] ».

267. Ensuite, parmi les dispositions du droit européen pertinentes qui ont déjà été rappelées, il convient de rappeler l'article 157, 1) sous c) du règlement OCM, aux termes duquel les organisations interprofessionnelles peuvent avoir pour objectif d' « i) améliorer les connaissances et la transparence de la production et du marché, y compris en publiant des données statistiques agrégées relatives aux coûts de production, aux prix, accompagnées le cas échéant d'indicateurs de prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus, et en réalisant des analyses sur les perspectives d'évolution du marché au niveau régional, national ou international ; [...] ».

268. Toutefois, la publication de l'« indicateur de prix » prévue par cette dernière disposition (fondé sur l'analyse de données passées agréées) ne saurait autoriser la diffusion par l'organisation interprofessionnelle, auprès des professionnels du secteur, d'un prix spécifique conçu comme le prix de référence pour l'année à venir (issu d'une formule de calcul revalorisant, pour l'avenir, les prix observés), pas plus que l'étude « des éléments de la fixation des prix » prévue par le décret de 1963, précité, n'autorise une organisation interprofessionnelle à inciter leurs adhérents à adopter des prix négociés en commun, sans tenir compte de leurs propres coûts.

269. Il convient de rappeler que depuis la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 qui a introduit dans le code rural et de la pêche maritime l'article L. 632-2-1, les OI reconnues peuvent notamment « définir, dans le cadre d'accords interprofessionnels, des contrats types, dont elles peuvent demander l'extension à l'autorité administrative, intégrant des clauses types relatives aux modalités de détermination des prix, (...), au principe de prix plancher [...] ».

270. Le troisième alinéa de cet article prévoit également que « Afin d'améliorer la connaissance des marchés, les organisations interprofessionnelles peuvent élaborer et diffuser des indices de tendance des marchés concernés, ainsi que tout élément de nature à éclairer la situation de la filière ».

271. Toutefois, pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être exposés concernant l'application de l'article 157, 1) sous c) du règlement OCM, la possibilité d'intégrer des clauses types relatives aux modalités de détermination des prix et au principe de prix plancher prévue par l'article L. 632-2-1 précité, n'autorise pas une organisation interprofessionnelle à diffuser à chaque campagne viticole une référence de prix futur unique pour l'ensemble du marché (le « prix indicatif du vin fait »), sans prévoir aucun mécanisme d'ajustement en considération des charges propres de chaque exploitant exposées l'année en cours.

272. L'article 172 bis du même règlement ' issu du règlement n° 2017-2393 « relatif à la « Répartition de la valeur » n'est pas davantage de nature à légitimer les pratiques en cause. Ce texte prévoit en effet que « les agriculteurs, y compris les associations d'agriculteurs, et leurs premiers acheteurs peuvent convenir de clauses de répartition de la valeur, portant notamment sur les gains et les pertes enregistrés sur le marché, afin de déterminer comment doit être répartie entre eux toute évolution des prix pertinents du marché des produits concernés ou d'autres marchés de matières premières ». Il n'autorise pas une OI à élaborer et diffuser à chaque campagne viticole un prix unique, destiné à l'ensemble du marché, pour les productions de vin en vrac en cours de commercialisation (grief n° 2).

273. Plutôt que de diffuser des indicateurs de référence correspondant, par exemple, à une moyenne des coûts de production pour l'année écoulée et/ou à des mercuriales du vin en vrac, le CIVA a établi un prix, même s'il est dénommé « indicatif », qui, mécaniquement, oriente et incite les professionnels du secteur à l'adopter compte tenu de l'influence d'une OI sur son secteur d'activité, des modalités et du moment auquel intervient sa diffusion (juste avant la commercialisation de la production en cours).

274. Les pratiques qui lui sont reprochées excèdent ainsi le cadre générique, prévu par l'article L. 632-2-1 précité, destiné à servir de cadre normatif à la conclusion de contrats librement négociés.

275. Il ne ressort donc pas davantage de cette analyse que les pratiques visées par le grief n° 2 ont été imposées ou clairement admises par la réglementation applicable à la date des faits, tandis qu'il résulte clairement des éléments précités qu'elles s'écartent de simples indicateurs de tendance reposant sur la seule observation de valeurs agrégées passées.

276. Comme l'a relevé à juste titre la décision attaquée, de manière analogue aux indicateurs de référence prévus par l'article 157 du règlement OCM, l'élaboration et la diffusion d'indicateurs sur la base du code rural et de la pêche maritime ne sont compatibles avec le droit de la concurrence que si elles ne conduisent pas à donner une orientation tarifaire aux agriculteurs, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

277. En définitive, l'aide aux professionnels du secteur pour parvenir, sur la base d'une connaissance plus fine du marché et des coûts pertinents de production, à élaborer eux-mêmes des prix individualisés tenant compte de leurs coûts personnels, n'implique pas de diffuser auprès des adhérents un « prix indicatif du vin fait » présenté comme la tarification minimum recommandée pour le vin en vrac qui sera commercialisable à partir du mois de décembre de l'année de récolte (grief n° 2), constituant une invitation à respecter un prix spécifique pour l'année à venir et allant ainsi bien au-delà d'un simple indicateur de tendance.

278. Il est par ailleurs vain d'invoquer l'article L. 631-24, dans sa rédaction issue de la loi EGALIM, en vigueur depuis le 1er février 2019 pour légitimer des pratiques intervenues entre 1980 et 2018 et hors de tout contrat ou accord-cadre spécifique.

279. Il ne peut davantage être déduit de la décision de la Commission européenne du 16 avril 2021, ayant considéré le projet d'indicateur économique du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (ci-après le « CNIEL ») « notifié selon la procédure de l'article 210 du règlement OCM » comme étant compatibles avec la réglementation de l'Union européenne, que le système du « prix indicatif du vin fait » du CIVA, qui ne l'a jamais été, est nécessairement licite. Comme il a déjà été relevé, le prix du vin fait diffuser par le CIVA ne repose pas simplement sur le constat du prix moyen de l'année passée, mais intègre des éléments d'actualisation et d'uniformisation conduisant à une recommandation tarifaire pour la récolte en cours de commercialisation.

280. À cet égard, la décision attaquée renvoie (§ 321 et suivants) à l'avis n° 18-A-04 du 3 mai 2018 relatif au secteur agricole qui avait pris soin d'analyser l'articulation de l'élaboration et de la diffusion des indicateurs de prix avec le droit de la concurrence et précisé que les organisations interprofessionnelles pouvaient diffuser des informations en matière de coûts ou de prix sous forme de mercuriales ou d'indices si les données statistiques en cause étaient passées, anonymes et suffisamment agrégées. À ce titre, elle s'est notamment référée à l'examen, par la Commission européenne, des indicateurs du Comité national interprofessionnel de la pomme de terre (ci-après le « CNIPT ») « également opéré sur la base du mécanisme de l'article 210 du règlement OCM » et des garanties qu'ils prévoyaient pour ne pas permettre la diffusion de données stratégiques entre concurrents.

281. Les décisions de la Commission, rendues au bénéfice des projets notifiés par le CNIEL et le CNIPT, admettant l'élaboration et la diffusion d'indicateurs économiques, sous certaines garanties, ne remettent pas en cause le fait que les données doivent être collectées a posteriori et que la diffusion en cause ne doit pas donner aux entreprises la possibilité de connaître et surveiller en temps réel la politique commerciale de leurs concurrents et d'adapter la leur en conséquence, ni permettre la diffusion de données stratégiques (prix de référence revalorisé) susceptibles de permettre une coordination du comportement des entreprises du secteur.

282. Comme l'Autorité l'a justement rappelé dans la décision attaquée, la diffusion d'indicateurs et d'indices par les OI ne doit pas aboutir à un accord collectif sur les niveaux de prix pratiqués par des opérateurs concurrents, ni à une uniformisation des prix. Il ne revient pas à une OI d'inciter les acteurs d'une filière déterminée à appliquer mécaniquement les recommandations tarifaires de l'interprofession.

283. Sur le rôle de l'administration, il est de jurisprudence constante qu'une intervention publique ne peut constituer une cause d`exonération que si elle fixe un cadre juridique contraignant pour les entreprises.

284. Il est constant que les publications visées dans le cadre du grief n° 2 sont intervenues en toute transparence, toutefois il ne ressort d'aucun élément de la procédure que le CIVA a été contraint par les autorités publiques de diffuser, chaque année, un prix unique applicable à l'ensemble des productions juste avant leur commercialisation, alors qu'une telle diffusion était de nature à orienter mécaniquement la fixation du prix du vin en vrac en cours de commercialisation et à uniformiser les prix.

285. La Cour déduit de cet examen circonstancié que la pratique en cause présente de façon manifeste, un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'elle puisse être considérée comme constitutive d'une restriction de concurrence par objet, comme l'a justement retenu la décision attaquée. Le moyen est rejeté.

286. Cette analyse est sans préjudice des conséquences qui pourront être tirées des incertitudes et de l'ambivalence des administrations qui ont été associées aux travaux du CIVA, dont il sera tenu compte au stade de l'appréciation de la gravité des pratiques.

III. SUR LA DURÉE DE PARTICIPATION DU CIVA AUX PRATIQUES VISÉES PAR LE GRIEF N° 1

287. La décision attaquée a retenu que le CIVA, l'AVA et le GPNVA ont participé à une entente unique, complexe et continue, correspondant aux pratiques relatives au prix du raisin (grief n° 1), jusqu'au 16 novembre 2017.

288. Elle a plus précisément considéré qu'il ressortait des pièces du dossier que le CIVA avait joué un rôle de premier plan dans l'organisation, la gestion et la coordination des différentes composantes de l'entente jusqu'à la fin de l'année 2012, ce point n'est pas discuté devant la Cour.

289. Elle a ensuite estimé qu'après cette date, les concertations s'étaient également poursuivies dans d'autres enceintes mais toujours en présence de représentants du CIVA (discussions sur les méthodes d'indexation au sein de la commission paritaire du CIVA, discussions sur le prix des raisins dans le cadre de la commission économique du CIVA et du conseil de direction du CIVA, représentants du CIVA également membres du GPNVA (§ 283) et étaient ainsi présents lors des discussions intervenues sur le montant du prix du raisin). Elle en a déduit que la participation du CIVA à cette infraction continue était établie jusqu'en novembre 2017.

290. Le CIVA soutient qu'il a cessé de participer aux pratiques à compter de 2013. Il invoque à cet égard :

Les propos tenus en audition par les directeur et président de l'AVA qui ont indiqué que « sur le prix du raisin, depuis 2013, les grilles de recommandation syndicales sont faites uniquement au sein de l'AVA » ;

Les termes du compte-rendu du conseil d'administration de l'AVA du 15 novembre 2012 faisant état d'un « désengagement du CIVA sur les prix de raisins » et du fait que si, à la différence des autres régions qui ont un accord, « l'interprofession alsacienne n'en veut pas, la Production pourra s'en charger » ;

Les constats opérés aux § 90 et suivants de la décision qui relate le fait qu' « à la suite de l'échec des négociations lors de la réunion de la commission paritaire du 14 novembre 2012, c'est l'AVA qui prend l'initiative des discussions relatives au prix du raisin » et admet ainsi, selon lui, que le CIVA n'a plus directement participé aux pratiques après cette date.

291. Il ajoute que le fait que le président du CIVA soit présent à certaines réunions de l'AVA, en tant que président de la sous-région de [Localité 9] (c'est-à-dire en tant que membre de l'AVA et non en tant que président du CIVA), ne saurait suffire à établir la participation du CIVA, qui constitue une personne morale distincte de l'AVA. Il rappelle que le CIVA n'est pas lui-même membre de l'AVA (à la différence de l'AVA qui est membre du CIVA) et le fait que son président ait eu d'autres mandats de représentation lui conférant la qualité de membre de l'AVA ne permet pas de retenir qu'il représente l'interprofession à une réunion du conseil d'administration.

292. Il relève, concernant le tableau 3 de la décision attaquée, que son contenu démontre que l'immense majorité des réunions retenues « à charge » par l'Autorité concernent l'AVA et le GPNVA, tandis que les sept réunions qui concernent le CIVA (réunions de la Commission paritaire et du conseil de direction du CIVA listées aux pages 37 et 38 de la décision attaquée) ne comportent pas d'élément à charge contre lui. Il estime que l'Autorité a ainsi méconnu le principe constitutionnel de personnalité des peines, issu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.

293. L'Autorité relève, en premier lieu, que la décision attaquée a constaté qu'à la suite de l'échec des négociations lors de la réunion de la commission paritaire du CIVA du 14 novembre 2012, l'AVA avait pris l'initiative des discussions relatives au prix du raisin, mais n'a jamais constaté le défaut de participation du CIVA aux pratiques sur la période 2013-2017. Elle estime, en second lieu, que le tableau 3 de la décision attaquée ne laisse place à aucune ambiguïté quant à la participation directe du CIVA à l'infraction sanctionnée après novembre 2012 et renvoie à différents comptes rendus établissant son implication concrète dans la fixation du prix du raisin. Elle relève également que la commission paritaire, la commission économique et le conseil de direction du CIVA ont servi, à de nombreuses reprises, de lieu de concertation sur le prix du raisin (§ 278 et 279 de la décision attaquée) et que le CIVA était informé en amont des recommandations syndicales envisagées, comme l'illustre le compte rendu du comité du GPNVA du 16 mai 2017 ayant pour ordre du jour « Prix des raisins suite aux échanges dans le cadre de la Commission Économique du CIVA ». Elle souligne également que la circonstance que les représentants du CIVA présents lors des réunions de l'AVA et du GPNVA étaient également membres desdites organisations ne remet pas en cause le constat qu'ils étaient bien représentants de l'interprofession.

294. Le ministre chargé de l'économie partage cette analyse.

295. Le ministère public, après avoir rappelé que les pratiques relatives au prix du raisin s`inscrivent dans le cadre d`un plan d'ensemble caractérisant une infraction unique complexe et continue, souscrit également aux motifs de la décision attaquée.

Sur ce, la Cour

296. Pour retenir la participation du CIVA aux concertations sur le prix du raisin, après avoir constaté (§ 90) qu'à la suite de l'échec des négociations lors de la réunion de la commission paritaire du 14 novembre 2012 l'AVA avait pris l'initiative de ces discussions, la décision attaquée s'est fondée, tout d'abord, sur le procès-verbal du conseil d'administration de l'AVA de novembre 2012 selon lequel « ['] le débat a lieu au conseil d'administration de l'AVA où sont présentes toutes les familles professionnelles ».

297. Cette formulation, très vague, ne suffit toutefois pas à établir que le CIVA y était officiellement représenté. Il ne fait que renvoyer au fait que le conseil d'administration de l'AVA réunit « toutes les familles professionnelles » puisqu'il regroupe les représentants des appellations (AOC, Crémant, Grand cru et Gewurztraminer) mais aussi « les représentants des catégories professionnelles (viticulteurs coopérateurs, metteurs sur le marché, négoce, vendeurs de raisins, vendeurs de vin en vrac, jeunes viticulteurs, pépiniéristes) » comme cela ressort du § 32 de la décision attaquée.

298. La décision a retenu, ensuite, que le CIVA, en tant que personne morale, avait été représenté au sein du conseil d'administration et de l'assemblée générale de l'AVA dès lors que « le président du CIVA depuis 2016 en est membre en tant que président de la sous-région de [Localité 9] ».

299. Toutefois, il se déduit du rapprochement des § 92 et 95 de la décision attaquée, d'une part, que c'est en application d'un autre mandat (celui de président de la sous-région de [Localité 9]) que cette personne physique a, à partir de 2016, siégé au Conseil d'administration de l'AVA, d'autre part, selon les termes mêmes du procès-verbal du 22 juin 2015, cité au § 95, que si le conseil d'administration a considéré que « le Président du CIVA doit être invité au Conseil d'administration de l'AVA » il a été relevé qu'en l'espèce « M. [O] [S] [Président du CIVA] a été invité à ce Conseil, mais qu'il n'a pas donné de nouvelles ».

300. L'existence du seul cumul de mandats au bénéfice d'une même personne physique, intervenu au demeurant à compter de 2016, est ainsi insuffisante pour établir :

D'une part, que le CIVA qui n'est pas membre de l'AVA a assisté, en tant qu'organisation interprofessionnelle, aux conseils d'administration et aux assemblées générales de cette association entre 2013 et 2016 ;

D'autre part, que le président de la sous-région de [Localité 9] y est explicitement intervenu en sa qualité de président du CIVA en 2016 et 2017.

301. En revanche, la Cour constate, avec l'Autorité, qu'il ressort des pièces du dossier, non seulement que les représentants du CIVA disposant d'un double mandat étaient perçus lors des réunions tenus au sein de l'AVA, par les autres participants, comme représentant le CIVA (nonobstant leur qualité de membres de ce syndicat), mais également que des représentants du CIVA y étaient fréquemment présents en qualité d'invité comme le confirment l'émargement des listes de présence et le récapitulatif des présences par année.

302. À titre d'illustration, le compte rendu de réunion du conseil d'administration de l'AVA du 17 août 2017, cité page 32 de la décision attaquée, au cours duquel ont eu lieu des discussions sur le prix du raisin, fait état d'une intervention de M. [L] [Z] comme « Président du CIVA » (cote 1725), alors même qu'il figure dans la liste de présence sous sa seule qualité de représentant de la sous-région de [Localité 9] (étant membre de l'AVA au titre de la présidence de cette sous-région) (cote 1737). Le directeur du CIVA, M. [R] [P] y apparaît pour sa part dans la rubrique « invités », son nom étant suivi du sigle « CIVA » (cote 1738).

303. La Cour relève également que la participation du CIVA aux concertations litigieuses est également établie par un ensemble d'éléments.

304. Le contenu du tableau 3 figurant en pages 24 à 38 de la décision attaquée, confirme en effet que des concertations se sont bien poursuivies jusqu'en 2017, y compris en dehors de la commission paritaire, même si elles n'ont pas toujours abouti à un consensus parfait, auxquelles le CIVA a été associé et dont il ne s'est pas publiquement distancié.

305. À cet égard, la Cour observe que s'il est fait état à l'occasion du conseil d'administration précité de novembre 2012 (tableau 3, page 24 de la décision attaquée), d'un « désengagement du CIVA sur les prix de raisins » et du fait que si l'interprofession alsacienne ne veut pas d'un accord en la matière « la Production pourra s'en charger », le contenu d'autres compte-rendu révèle qu'il a néanmoins continué à être associé aux concertations et y a pris part.

306. Ainsi, les comptes rendus de réunions de la commission paritaire et du conseil de direction du CIVA, reproduits en page 37 établissent, en premier lieu, qu'entre 2014 et 2016 les participants ont commencé à prendre conscience de la nature litigieuse des pratiques qui continuaient de s'y dérouler, sans pour autant y renoncer totalement et que de nouvelles modalités ont été trouvées pour poursuivre ces concertations dans un autre cadre :

Compte rendu du conseil de direction du CIVA du 10 janvier 2014, il est demandé au président du CIVA de réunir la commission paritaire pour soutenir le Riesling : « Le Conseil de Direction approuve cette demande et ajoute qu'il faudra aussi aborder le sujet de l'indexation. » ;

Compte rendu du conseil de direction du CIVA du 19 décembre 2014 : « M. [WW] [V] [...] [Représentant du négoce] appelle lui-aussi à la prudence. Il fait part d'un courrier qui a été envoyé par la DGCCRF récemment au Négoce du Val de Loire [...] Selon lui, le principal grief qui est fait au Syndicat, c'est d'entamer des discussions qui sont susceptibles de mettre en cause la libre fixation des prix par les opérateurs individuellement. Il faudra selon lui être très prudent sur la manière de communiquer aussi bien au niveau de nos familles respectives qu'entre familles. » ;

Compte rendu de la commission paritaire du 19 janvier 2015 : « le prix syndical est un prix "rémunérateur" proposé chaque année par l'AVA, pour pallier le fait qu'il n'est plus possible au sein de la Commission Paritaire de s'entendre sur des prix comme par le passé [...] » ; « En conclusion, M. [O] [S] [Président du CIVA] note, comme proposé par J. [T], qu'il est convenu la constitution d'une commission mixte économique chargée de se pencher sur ce dossier et de faire des propositions » ;

Compte rendu de la commission paritaire du 3 août 2015 : après mention de l'information par le représentant du négoce de la publication de son communiqué par l'AVA, il est indiqué « Il appartient maintenant selon lui à chaque entreprise de jouer le jeu en se basant sur ces prix et pour certains en allant sans doute au-delà. » (Soulignements ajoutés par la Cour).

307. Les comptes rendus relatifs aux autres mis en cause confirment, en deuxième lieu, que les concertations sur les prix se sont bien poursuivies en y associant le CIVA sur toute la période de référence.

308. Le compte rendu de la réunion du comité du GPNVA du 22 août 2014 (décision attaquée, page 34) indique ainsi que « Monsieur [WW] [V] [Vice-Président du CIVA] fait part au comité des prix proposés pour la campagne 2014 » et précise également que « Monsieur [WW] [V] évoque la possibilité de revoir la politique de rémunération des raisins. L'idée serait d'appliquer un prix fixe du litre avec des retenues. M. [O] [S] [Président du CIVA] se propose de relayer cette proposition au CIVA. ».

309. Le compte rendu de la réunion du conseil d'administration de l'AVA du 16 avril 2015 (extraits pages 28 et 29 de la décision attaquée, sous la référence des cotes 1408 et 1410) est tout aussi éclairant. Il fait état des remarques adressés par le GPNVA, ainsi que des échanges intervenus avec le directeur du CIVA. S'il en ressort l'existence de tensions (« Le CIVA se moque de la Production [...] Le Directeur du CIVA propose des pistes qui vont à l'encontre des intérêts des producteurs », il est également question des négociations en cours (« [...] au niveau du CIVA. Il n'y a aucune stratégie claire et surtout aucune volonté de construire. Leur proposition en termes de prix fixés annuellement est du grand "n'importe quoi" »). Il y est également question du fait qu'un membre élu de l'AVA « propose que l'AVA rédige un courrier à l'attention du Président du GPNVA et qu'on informe le CIVA que l'accord ne sera reconduit que pour un an et que la Production attend des propositions concrètes du Négoce pour le prochain accord, qui devra être signé avant le 27 avril 2016 ».

310. De même, le compte rendu de la réunion du conseil d'administration de l'AVA du 16 juillet 2015 (extraits page 29 de la décision attaquée) fait état du souhait de réunir la Commission Paritaire et mentionne que « L'objectif est de se mettre d'accord sur les orientations des prix et de discuter sur la déconnexion des prix Grands Crus par rapport aux cépages » et celui du 20 août 2015, qui avait pour objet la « commission paritaire » (extraits page 30 de la décision attaquée), expose que « [F] [T] [Membre élu de l'AVA] indique qu'une rencontre avec les membres de la commission paritaire prix de raisins a eu lieu le lundi 3 août 2015. La commission paritaire s'est accordée sur un projet de rémunération en Grand cru, déconnectée du cépage. Concernant le paiement au forfait des Grands crus, la profession a besoin de plus de discussions et de réflexions. Un accord devrait pouvoir être trouvé en temps utile sur l'accord triennal et les contrats. Le Négoce souhaite conserver l'indexation. ».

311. Le procès-verbal du conseil d'administration de l'AVA en date du 13 mars 2017 (extraits page 30 de la décision attaquée), qui rend compte des travaux de la commission économie, mentionne que M. [T], membre élu de l'AVA, a souhaité une rencontre mettant en présence deux représentants du négoce, deux représentants du CIVA et deux représentants de l'AVA et indique que « la rencontre du groupe validation aura lieu le 22 mars 2017. Le négoce sera représenté par [U] [H], [J] [D], le CIVA par [K] [M], [L] [Z] et l'AVA par [F] [T], [X] [C] ». Le compte rendu du conseil d'administration suivant, qui s'est tenu le 13 avril 2017, confirme la tenue de cette rencontre. Au cours de celle-ci a tout d'abord été évoqué le fonctionnement de la commission paritaire des prix de raisins du CIVA, puis rapporté le fait qu' « Au niveau des prix des raisins, ils n'ont pas été choqués par certaines orientations souhaitées du type d'une augmentation de 6 % du prix de base du cépage [...] ».

312. Le compte rendu du comité du GPNVA du 16 mai 2017 (extraits, page 35 de la décision attaquée), dont l'ordre du jour indique « Prix des raisins suite aux échanges dans le cadre de la Commission Economique du CIVA », mentionne que « Depuis plusieurs années l'AVA publie des recommandations syndicales. En Rhône l'administration a récemment condamné la production pour ce type de pratique. Au vu de cette situation, l'AVA est réticente à publier de nouvelles recommandations et souhaiterait davantage trouver un compromis avec le négoce dans le cadre de la commission économique réunie sous l'égide du CIVA ».

313. Il suit de là que le CIVA, parfaitement informé de la teneur des discussions relatives à la fixation de prix recommandés pour la vente du raisin et leur diffusion ultérieure par l'AVA, ne s'en est pas publiquement distancié et y a pris part jusqu'au terme de ces pratiques collectives. C'est donc à juste titre que la décision attaquée a retenu, sans méconnaître le principe de personnalité des peines, que le CIVA avait participé à l'infraction sur toute sa durée, soit jusqu'en novembre 2017. Le moyen est rejeté.

IV. SUR LES SANCTIONS

A. Sur l'appréciation de la gravité des pratiques et du dommage causé à l'économie.

314. La décision attaquée a retenu, s'agissant de la gravité des pratiques, que certaines de leurs caractéristiques permettent de l'atténuer (absence de sophistication, absence de pression ou de représailles à l'encontre des opérateurs qui n'auraient pas respecté les recommandations tarifaires en cause). Elle a en revanche considéré que le motif tiré de la complexité du cadre réglementaire applicable au secteur n'est pas de nature à atténuer la gravité des pratiques dans la mesure où, d'une part, il existe une pratique décisionnelle abondante des autorités de concurrence s'agissant des pratiques de coordination en matière tarifaire et, d'autre part, le cadre réglementaire applicable était dépourvu d'ambiguïté. Elle a également relevé, à supposer que le CIVA ait douté de la légalité des pratiques en cause, qu'il était en mesure de solliciter la Commission européenne avant de les mettre en œuvre afin qu'elle se prononce sur l'application des règles de concurrence aux pratiques en cause, selon les modalités décrites au § 181, ce qu'il n'a pas fait.

315. S'agissant du dommage causé à l'économie, elle a retenu que les pratiques visées par les griefs n° 1 et n° 2 sont à l'origine d'un dommage certain, très limité pour les premières mais « sans doute d'envergure limitée » pour les secondes.

316. Le CIVA et l'AVA dénoncent, tout d'abord, une appréciation exagérément sévère de la gravité réelle des pratiques.

317. Sur ce point, ils invoquent, en premier lieu, l'absence de suivi des recommandations.

318. Le CIVA se prévaut en particulier de la grande disparité de prix pratiqués en Alsace, sur la période de référence. Concernant le grief n° 1, il considère que les recommandations litigieuses n'ont pas été suivies et invoquent les éléments suivants :

Déclaration du président de l'AVA lors d'une commission paritaire tenue en 2013, selon laquelle : « il n'y a pas en Alsace d'entente ou de fixation de prix. Il suffit pour cela de consulter les contrats des entreprises pour constater que le prix n'est pas le même d'un contrat à l'autre » (cotes 1 837 à 1 842) ;

Constatation du GPNVA, à l'occasion de l'assemblée générale de mai 2013, selon laquelle : « les prix affichés par les mercuriales des transactions de vins en vrac sont relativement éloignés des revendications "syndicales" affichées par ce même collège production » (cotes 1 968 à 1 969) ;

Procès-verbal d'audition de l'AVA, qui rappelle qu'« en réalité, il s'agissait d'orientations puisqu'aucune entreprise n'appliquait le même prix » (cote 1 906) ;

Annexes 109 (version confidentielle, cotes 16 499 à 16 501 ) et 111 (version non-confidentielle) établissant la grande disparité de prix.

319. Il fait le même constat concernant le grief n° 2 sur la base des pièces CIVA n° 4 et 5 (extrait des prix moyens et écart-types constatés pour la campagne 2012-2013, analyse de l'évolution des prix moyens par cépage (tous opérateurs confondus), au cours de chaque campagne).

320. Le CIVA et l'AVA invoquent, en deuxième lieu, la bonne foi et la transparence avec laquelle les pratiques ont été mises en œuvre à l'égard des différentes administrations, et notamment de la DRAAF et de la DGCCRF. Concernant le grief n° 1, il rappelle que des agents de ces administration ont participé à quasiment toutes les commissions ou assemblées générales au cours desquelles les recommandations ont été présentées ou évoquées, sans que soit évoqué jusqu'en 2013 leur caractère potentiellement anticoncurrentiel.

321. L'AVA ajoute que le rôle de l'administration doit être pris en compte en l'espèce, au titre d'une circonstance atténuante, non seulement pour la période couvrant 2008 à 2013 mais, en réalité, pour la durée totale du grief au vu de l'ambiguïté et des interférences continues de l'Administration dans ses travaux et réflexions.

322. Ils soutiennent, en troisième lieu, que la DGCCRF a déjà constaté des pratiques de recommandation tarifaire dans le secteur viticole, sans imposer pour autant la moindre sanction pécuniaire privilégiant de simples injonctions ou un règlement transactionnel très limité (Communiqué de presse sur des pratiques relevées dans le secteur de la commercialisation des vins de Savoie, décembre 2013, Communiqué de presse sur des pratiques relevées dans le secteur de la commercialisation des vins de Loire, juin 2015, Communiqué de presse sur des pratiques relevées dans le secteur de la commercialisation des vins du Languedoc, 2015).

323. Ils font tous deux valoir, en quatrième lieu, un contexte réglementaire, relatif à l'élaboration et la diffusion d'indicateurs de prix, difficile à appréhender par les opérateurs et dont la complexité voire l'ambiguïté doivent être prises en compte, comme l'a déjà admis la jurisprudence (CJCE, 16 décembre 1975, aff. Suiker Unie et a. c/ Commission, C-40/73 et a., points 619 et 620 ; CA Paris, 13 mars 2014, Bang & Olufsen, RG n° 13/00714 ; CA Paris, 24 septembre 2015, Sté Nouvelle des yaourts Littee (SNYL) et autres, RG n° 14/16108).

324. Le CIVA et l'AVA conteste, ensuite, l'appréciation du dommage à l'économie le considérant comme inexistant :

La décision attaquée n'établissant pas que les recommandations tarifaires ont été effectivement suivies par les opérateurs concernés (griefs n° 1 et n° 2) ou ont conduit à une augmentation des cours du vin (grief n° 1) ;

Retenant à tort que les pratiques visées par le grief n° 1 concernaient également les coopératives, alors qu'il ressort du dossier d'instruction que les discussions sur le prix des raisins ne concernaient par définition que le négoce, comme le confirme le compte-rendu de la commission paritaire du 27 avril 2010 (cote 1793 : « M. [J] [D], Président du GPNVA souhaite surtout éviter que l'on fasse augmenter artificiellement les prix alors que par ailleurs des entreprises comme notamment les coopératives, qui ne sont pas liées par des contrats d'achats de raisins, peuvent effectivement pratiquer une politique de tarification très différente, fragilisant encore plus les entreprises du Négoce »).

325. L'AVA ajoute que l'Autorité s'est contentée de relever des déclarations de viticulteurs, nonobstant leur caractère contradictoire, sans procéder à une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier.

326. L'Autorité, concernant la gravité des pratiques, estime, en premier lieu, que la circonstance que le ministre chargé de l'économie ait pu, par le passé, prononcer uniquement des injonctions de cesser les pratiques ou parvenir à un règlement transactionnel de faible montant s'agissant de pratiques de recommandations tarifaires dans le secteur viticole ne saurait constituer un élément conduisant à atténuer la gravité des pratiques et ajoute qu'elle n'est pas liée par ses choix. Elle rappelle également les limites de la comparaison dès lors que chaque affaire est appréciée in concreto.

327. En deuxième lieu, elle considère que la bonne foi et la transparence alléguées ne sont pas de nature à atténuer, en tant que telle, la gravité intrinsèque des pratiques et relève que seule la circonstance où l'infraction en cause aurait été autorisée ou encouragée par l'administration, aurait pu justifier une atténuation de la gravité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Elle ajoute que la décision attaquée a relevé (§ 402 , ainsi que procès-verbal de la réunion du 13 mars 2017 du conseil d'administration de l'AVA) qu'à la suite de la mise en garde par l'administration, certaines déclarations tenues lors des réunions litigieuses témoignaient d'une volonté d'organiser les discussions sur le prix du raisin, en dehors de la présence de cette dernière, ce qui permet de contester la prétendue bonne foi des requérants, et, de fait, la transparence des pratiques reprochées.

328. En troisième lieu, elle maintient que le cadre réglementaire applicable à l'époque des faits n'était ni particulièrement complexe, ni particulièrement ambigu au regard de la pratique décisionnelle abondante des autorités de concurrence relative à des pratiques de coordination en matière tarifaire et de règles sectorielles de niveau national et européen dépourvues d'ambiguïté. Elle ajoute, à supposer que le CIVA ait douté de la légalité des pratiques en cause, qu'il était en mesure de solliciter la Commission européenne avant de les mettre en œuvre afin qu'elle se prononce sur l'application des règles de concurrence aux pratiques en cause, selon les modalités décrites au paragraphe 180 de la décision attaquée.

329. S'agissant de l'élaboration et la diffusion des indicateurs de prix, l'Autorité relève que l'ambiguïté alléguée par le CIVA, tirée de l'existence des mécanismes prévus par les dispositions européennes et nationales, ne pourrait constituer une justification de pratiques introduites 33 ans après le début des pratiques.

330. Concernant le dommage à l'économie, elle considère que la décision attaquée a bien procédé à l'appréciation de son existence, s'agissant tant des pratiques relatives au prix du raisin qu'à celles relatives au prix du vin en vrac. Pour retenir un dommage « très limité » concernant le grief n° 1, elle rappelle que la décision attaquée s'est référée à certains contrats de transferts de raisin conclus antérieurement à la fin de l'année 2012 qui faisaient bien référence au prix CIVA, ainsi qu'à certaines déclarations indiquant que dans l'ensemble les recommandations étaient respectées, tout en ayant également pris en compte d'autres déclarations illustrant l'existence d'écarts (§ 416 et 417 de la décision attaquée), ainsi que les limites, en pratique, à la répercussion de la hausse du prix du raisin sur le prix du vin en vrac et du prix des vins en bouteille, compte tenu de certaines déclarations de l'AVA et de la capacité des opérateurs situés en aval (notamment la grande distribution) à exercer des pressions sur les prix (§ 418 à 420 de la décision attaquée).

331. Elle précise que la circonstance que les coopératives ne seraient pas liées par des contrats d'achat de raisin, n'est pas un obstacle à l'effet des pratiques sur les prix effectivement déterminés par les coopératives dès lors que Coop France Alsace est membre de l'AVA et que les coopératives ont pu être incitées à respecter les recommandations litigieuses.

332. S'agissant, ensuite, du second grief, elle estime que l'argument du CIVA tenant à la circonstance que les pratiques litigieuses ne seraient pas assimilables à des recommandations tarifaires se rattache en réalité à la question de la qualification des pratiques, à laquelle il a déjà été répondu.

333. Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent également l'ensemble cette analyse.

Sur ce, la Cour,

334. En application du troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à l'espèce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés et à l'importance du dommage causé à l'économie.

335. S'agissant, en premier lieu, de la gravité des pratiques, il est constant qu'elle s'apprécie au regard de la nature de l'infraction, de ses conditions de mise en œuvre et des circonstances qui lui sont propres.

336. Il ressort des développements qui précèdent que l'infraction constatée, visée par le grief n° 1, a consisté en une concertation entre le CIVA, le GPNVA et l'AVA sur le prix du raisin et qu'en établissant en commun des recommandations tarifaires sur ce prix, ces organismes sont intervenus sur un paramètre essentiel du jeu de la concurrence, ainsi que l'a justement relevé la décision attaquée. Ces recommandations ont faussé l'évolution normale des prix des raisins, et ce nonobstant le fait qu'elles n'avaient pas un caractère impératif. En effet, comme l'a retenu, à juste titre, la décision attaquée, elles fournissaient à chaque entreprise une indication sur les prix attendus par la profession, incitant les concurrents à aligner leur comportement sur celui des autres, sans tenir compte de leurs propres coûts.

337. De la même manière, la pratique visée par le grief n° 2 incitants à coordonner les prix d'entreprises concurrentes est considérée comme relevant des pratiques les plus graves.

338. La durée des pratiques (2008-2017 pour l'une, 1980-2018 pour l'autre) et la qualité de leurs auteurs (organisations professionnelles : syndicales et interprofessionnelle) leur confèrent également une gravité certaine, comme l'a relevé à juste titre la décision attaquée.

339. Ces éléments ont également été justement tempérés par le constat selon lequel les pratiques ont été mises en œuvre dans le cadre du fonctionnement ordinaire des organismes en cause, sans sophistication, et que les recommandations tarifaires n'ont été accompagnées d'aucune pression ou représailles à l'encontre des opérateurs qui ne les auraient pas respectées.

340. Les choix opérés par la DGCCRF concernant la réponse apportée aux pratiques relevées dans le secteur de la commercialisation de vins d'autres régions (injonctions, règlement transactionnel), sur la base des éléments propres à chacune de ces affaires, ne sauraient induire une moindre gravité des pratiques relevées dans le secteur des vins d'Alsace. L'appréciation de la gravité des pratiques, requise au stade de l'évaluation de la sanction, s'opère en effet in concreto pour chaque affaire et non par voie de référence à d'autres situations. C'est donc à juste titre que la décision attaquée a retenu que la circonstance que la DGCCRF n'ait pas prononcé de sanctions pécuniaires concernant des recommandations tarifaires imputables à des organismes professionnels n'est pas de nature à justifier une atténuation de la gravité des pratiques en cause.

341. La Cour relève que la décision attaquée a, en revanche, écarté à tort d'autres circonstances de nature à atténuer la gravité des pratiques, sans tirer les conséquences de ses propres constatations.

342. Concernant le grief n° 1, il convient de souligner, tout d'abord, que si la teneur de certaines déclarations intervenues au cours des années 2015 et 2017 (comptes rendus des réunions du conseil d'administration de l'AVA du 19 février 2015 et du 16 juillet 2015, procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de l'AVA du 13 mars 2017) témoignent d'une volonté d'organiser les discussions sur le prix du raisin en dehors de la présence de l'administration, l'appréciation de la gravité des pratiques ne peut pour autant faire abstraction du positionnement adopté par les représentants des différentes administration lors des réunions de la commission paritaire (notamment la DRAAF). L'attitude adoptée démontre en effet que la légalité des discussions auxquelles ils ont participé n'a suscité aucune réserve jusqu'en 2012. Ce n'est en effet qu'à compter de cette date qu'un représentant du ministère de l'agriculture a mis en garde l'interprofession sur les dangers associés à la diffusion des prix du raisin négociés au sein de la commission paritaire, lors du conseil de direction du CIVA du 23 mars 2012 (compte rendu partiellement reproduit § 118 de la décision attaquée). L'ambiguïté de ce positionnement est également clairement illustrée par le compte rendu de la commission paritaire du 25 juillet 2013, reproduit au § 120 de la décision attaquée, qui indique « (...) que les représentants de la DRAAF ne souhaitent plus s'associer et cautionner des discussions de prix. Ils peuvent cependant continuer à participer aux travaux de la CP mais se verront contraints de quitter la salle en cas de négociation de prix ». (Soulignement ajouté par la Cour). Cette situation révèle que loin d'avoir adopté une attitude passive, l'administration a concouru, jusqu'en 2012 au minimum, à entretenir la confusion sur le sens de la réglementation et les limites posées aux échanges intervenant au sein de la commission paritaire du CIVA. Dans un tel contexte il ne saurait donc être reproché aux requérants de ne pas avoir saisi la Commission européenne dans les conditions rappelées au § 181 de la décision attaquée, dans la mesure où, jusqu'en 2012, l'attitude de l'administration ne les conduisaient nullement à douter de la légalité des pratiques.

343. La Cour relève, ensuite, le contexte d'évolution de la PAC et les contraintes inhérentes aux règles du droit de la concurrence qui rendaient complexe l'articulation de leurs règles respectives, contrairement à ce que la décision attaquée a retenu.

344. Concernant le grief n° 2, la Cour observe que la pratique de l'administration, qui utilise chaque année le « prix indicatif du vin fait » diffusé par le CIVA pour élaborer son propre « indice des fermages », lui-même diffusé par arrêté préfectoral (pièce du CIVA n° 1), conforte encore l'ambiguïté de son positionnement concernant la licéité d'une pratique publique et ancienne, pour avoir débuté en 1980, sans avoir jamais suscité de réserves ou critiques de la part des différentes administrations intervenant à titre consultatif au sein du CIVA, si ce n'est à partir de 2012 au travers des mises en garde suscitées par les négociations relatives au prix du raisin.

345. La Cour ajoute que la nécessité pour la Cour de cassation de saisir, par une décision du 8 décembre 2015, la Cour de justice d'une question préjudicielle concernant l'articulation entre les règles de la PAC et le droit de la concurrence, et la clarification opérée par cette dernière dans l'arrêt qui y a fait suite (CJUE, 14 novembre 2017, aff. APVE e.a., C-671/15), confirment rétrospectivement que la ligne de partage entre les règles de la PAC et de la concurrence, loin d'être facile à appréhender, en particulier par les acteurs du secteur agricole, laissait place à un doute raisonnable et légitime sur le caractère illicite des pratiques en cause au regard des règles de concurrence, en particulier dans le contexte précité (antérieur à 2012).

346. Cette circonstance est de nature à atténuer la gravité des pratiques résultant notamment de leur durée, nonobstant leur caractère anticoncurrentiel par objet. Ces éléments justifient la réformation de la décision attaquée.

347. S'agissant, en second lieu, du dommage causé à l'économie, il est constant que cette notion englobe tous les aspects de la perturbation que la pratique est de nature à causer au fonctionnement concurrentiel des activités, secteurs ou marchés directement ou indirectement concernés, ainsi qu'à l'économie générale et qu'il ne peut se présumer (Com., 7 avril 2010, pourvoi n° 09-65940, Bull IV n° 70). Il résulte également d'une jurisprudence constante que l'appréciation du dommage causé à l'économie requiert, non pas un chiffrage précis, mais seulement une appréciation de son existence et de son importance (Com., 30 mai 2012, pourvoi n° 11-22.144), laquelle peut faire l'objet d'une appréciation déductive lorsqu'il ne peut être quantifié avec précision (Com., 12 juillet 2011, pourvois n° 10-17.482 et a).

348. L'existence d'un dommage causé à l'économie peut ainsi être déduit d'un ensemble d'éléments tirés des contrats recueillis au cours de l'instruction et des comptes-rendus de réunion faisant état de la manière dont les recommandations tarifaires ont pu influencer les professionnels du secteur dans la fixation de leurs prix.

349. Concernant le grief n° 1, il est constant, que les pratiques ont été mises en œuvre sur l'ensemble du territoire national, par trois organismes professionnels qui représentaient, ensemble, la totalité des viticulteurs, vignerons, et négociants professionnels du vignoble alsacien et qu'elles couvraient l'ensemble des cépages alsaciens.

350. Il ressort ensuite des éléments de la procédure que certains contrats de transferts de raisin antérieurs à la fin de l'année 2012 ont fait référence au « prix CIVA » (§ 87 et 88 de la décision attaquée) et certaines déclarations postérieures confirment que les recommandations de prix étaient dans l'ensemble respectées :

Compte rendu du conseil d'administration de l'AVA du 23 octobre 2014, précité : « Il est à noter qu'un grand nombre d'entreprises du vignoble a augmenté les prix d'achat des raisins pour la récolte 2014 et joué le jeu en suivant la recommandation syndicale ».

Compte rendu du conseil d'administration de l'AVA du 13 avril 2017, qui précise également que : « [l'] on se rend compte que la majorité des prix pratiqués rejoignent la recommandation syndicale » ;

Compte rendu du conseil d'administration de l'AVA du 17 août 2017, qui constate encore que « ['] La question du prix du raisin a également été abordée. Beaucoup de négoces sont proches des revendications syndicales. »

Compte rendu du comité du GPNVA du 16 mai 2017 « En comparant les recommandations de l'AVA 2016 avec les prix moyens pratiqués par les membres du GPNVA l'écart est faible ».

351. Enfin, il n'est pas contesté que Coop de France Alsace, qui est la représentation unifiée des coopératives agricoles, est membre de l'AVA, de sorte que celles-ci ont pu être incitées à suivre les recommandations tarifaires sur le prix du raisin. Les propos tenus lors de la commission paritaire du 27 avril 2011 (cote 1793 : « Le Président du GPNVA, a indiqué qu'il « souhaite surtout éviter que l'on fasse augmenter artificiellement les prix alors que par ailleurs des entreprises comme notamment les coopératives, qui ne sont pas liées par des contrats d'achats de raisins, peuvent effectivement pratiquer une politique de tarification très différente[...] ») et le fait que les transactions entre acheteur et vendeurs de raisins portant sur la récolte de raisins ne sont enregistrées par le CIVA que pour ce qui concerne les négociants, et non pour les caves coopératives, ne permettent pas, en conséquence, d'exclure ces dernières du champ des pratiques.

352. À cet égard, la Cour renvoie aux éléments qui en font explicitement état dans la décision attaquée :

§ 103, reproduisant les propos de M. [I] [E], Président de Coop de France Section Alsace, qui constatait lors de l'assemblée générale de l'AVA que : « Coop de France Section Alsace a demandé aux coopératives de suivre l'orientation syndicale et d'appliquer sur les prix de base constatés de la récolte 2011 une majoration de 3 à 5 % » ;

§ 107, où est reproduit « l'édito » de la revue des vins d'Alsace pour les vendanges 2015, dans lequel le vice-président du CIVA a présenté la réflexion de l'AVA sur le prix du raisin en ces termes : « Le travail syndical mené par l'AVA ces dernières années, sur la revalorisation du prix de raisins, porte ses fruits. Je salue les entreprises, coopératives ou négoces qui accompagnent ce mouvement en se calant sur le prix "syndical" ou comme certaines, en faisant mieux encore ». (Soulignements ajoutés par la Cour).

353. Ensuite, la décision attaquée a relevé que les caractéristiques du secteur, notamment l'hétérogénéité des exploitations vinicoles, ont pu limiter l'efficacité de consignes de prix relativement générales, qui n'étaient pas nécessairement adaptées à la situation individuelle des exploitations. Elle a également relevé l'existence d'autres déclarations illustrant l'existence d'écarts (§ 416 et 417 de la décision attaquée) et ainsi tenu compte du fait que les recommandations tarifaires n'étaient pas systématiquement suivies.

354. Le fait qu'il ait pu exister une disparité de prix, élément déjà pris en compte dans la décision attaquée, n'est en conséquence pas de nature à entraîner sa réformation.

355. Concernant le grief n° 2, la décision attaquée a relevé que les pratiques ont été mises en œuvre sur l'ensemble du territoire national, par le CIVA, OI qui regroupe l'ensemble des acteurs de la production et du négoce en vins du vignoble d'Alsace (étant composée de 24 représentants désignés par les organisations les plus représentatives de ces secteurs, incluant l'AVA et le GPNVA) et qu'elles ont couvert l'ensemble des cépages alsaciens.

356. Elle a également justement relevé que ces pratiques, d'une durée exceptionnellement longue (1980-2018), « ont incité, compte tenu notamment du rôle de l'interprofession, les producteurs de vin en vrac à se détourner d'une appréhension directe et personnelle de leurs coûts ». Elle a encore pris en compte, à juste titre, tant le fait qu'il ne pouvait être affirmé sur la base du dossier d'instruction que les recommandations tarifaires avaient été respectées pendant toute la durée des pratiques, que le contexte de l'espèce, tenant aux pressions sur les prix que les opérateurs situés en aval (notamment la grande distribution) étaient en mesure d'exercer, venant atténuer les effets de la concertation en cause.

357. L'existence de disparités de prix d'un opérateur à l'autre n'est en conséquence pas de nature à remettre en cause l'existence, certaine, d'un dommage à l'économie né de recommandations tarifaires, qui ont été diffusées par une organisation interprofessionnelle de façon continue entre 1980 et 2018 et qui bénéficiaient d'un crédit important tant auprès des professionnels du secteur qu'auprès de l'administration qui utilisait le « prix indicatif du vin fait » pour élaborer l'indice des fermages qu'elle diffusait chaque année par arrêté préfectoral. Dans un tel contexte, et dans la mesure où nul ne conteste le fait que le dommage est d'envergure très limité compte tenu des nombreux paramètres qui viennent d'être évoqués (hétérogénéité des producteurs de nature à limiter l'efficacité de consignes de prix relativement générales, ancienneté des pratiques rendant impossible la réunion d'éléments établissant dans quelle proportion les recommandations ont été suivies entre 1980 et 2018, pression exercé par les opérateurs en aval...), il ne saurait être fait grief à l'Autorité, qui a poursuivi une pratique restrictive de concurrence par objet, de ne pas en avoir quantifié les effets (en termes de suivi des recommandations comme en termes de hausse des prix).

358. C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu l'existence d'un dommage certain, compte tenu de la restriction par objet mise en œuvre de 1980 à 2018 et au rôle incitatif inhérent à un organisme interprofessionnel tel que le CIVA, tout en admettant qu'il était « d'envergure très limité ».

359. Il convient, en conséquence, de ne réformer la décision attaquée qu'en ce qui concerne l'appréciation de la gravité des pratiques, en tenant compte de la circonstance atténuante précitée, pour apprécier la proportionnalité du montant des sanctions à infliger.

B. Sur les valeurs de référence servant de calcul aux sanctions

360. La décision attaquée a retenu (§ 386) qu'en tant qu'organisation interprofessionnelle ou syndicat en charge de la représentation et de la défense des intérêts de leurs membres, le CIVA, l'AVA et le GPNVA ne disposent pas eux-mêmes d'un chiffre d'affaires relatif à la production et la commercialisation des vins d'Alsace.

361. Elle en a déduit que celles-ci devaient être déterminées en prenant en compte le montant des cotisations perçues par ces trois organismes.

362. Le CIVA et l'AVA contestent la prise en compte de l'intégralité des cotisations qu'ils perçoivent.

363. L'AVA considère que l'Autorité a évalué le montant de base sans égard pour le point 33 du Communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires qui prévoit que seule la valeur des ventes de l'ensemble des catégories de produits ou de services « en relation avec l'infraction » doit être prise en compte.

364. Elle considère qu'il ne peut être retenu un montant supérieur à un million d'euros en 2018, sans aucune justification (décision § 387), incluant des sommes qui ne relèvent pas directement ou indirectement du périmètre de l'entente en cause.

365. Elle fait valoir que seule la mission syndicale est à l'origine de la pratique litigieuse de sorte qu'elle demande à la Cour de retenir, sur la base de l'année 2016, dernière année complète de la mise en œuvre des pratiques litigieuses, la valeur des cotisations syndicales de 81 338 euros (excluant ainsi les cotisations ODG (894 927 euros), ainsi que les ressources diverses qui comprennent notamment ses activités commerciales).

366. Elle souligne qu'en retenant une sanction de 26 000 euros, l'Autorité lui a infligé une amende excessive correspondant à près de 32 % du montant de ses cotisations syndicales.

367. Le CIVA fait valoir que les cotisations volontaires obligatoires (CVO) ne constituent pas un revenu dont il disposerait librement mais sont exclusivement destinées à financer des actions d'intérêt économique général (conformément aux articles 165 du règlement OCM et de l'article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime).

368. Il estime également que l'assiette retenue ne peut englober toutes ses cotisations, alors que certaines ne présentent aucun lien avec l'activité d'achat de raisin de ses membres (telles que celles destinées à financer des actions de promotion et de recherche et développement des vins d'Alsace qui représentent près de 70 % de son budget annuel).

369. Il considère ainsi que l'Autorité aurait dû prendre en compte une simple fraction de ses cotisations, dans le calcul du montant de la sanction.

370. L'Autorité relève que la décision attaquée a justifié les raisons pour lesquelles elle a considéré qu'elle devait s'écarter de l'application du communiqué sanction (paragraphes 384 à 386 de la décision attaquée) et qu'elle a décidé, au cas d'espèce, de substituer à la méthode décrite dans le communiqué sanctions, un mode de fixation forfaitaire défini en tenant compte des critères prévus par l'article L. 464-2, I, du code de commerce. Elle constate que contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les cotisations visées par l'Autorité au paragraphe 387 de la décision ne constituaient pas une valeur des ventes ou un montant de base pour le calcul des amendes, mais un élément relevé pour les besoins de l'appréciation de la proportionnalité des amendes et, à ce titre, de la capacité des organismes à pouvoir s'en acquitter. Elle ajoute que ce mode de fixation forfaitaire des amendes a déjà été adopté, notamment dans la décision n° 18-D-06 du 27 juillet 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône ou, plus récemment, dans la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations d'architecte.

371. Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent cette analyse.

Sur ce, la Cour,

372. Aux termes du troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du code de commerce « les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre [titre VI du livre IV du code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».

373. L'Autorité a adopté un communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires qui, constituant une directive, au sens administratif du terme, s'impose à elle, sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné (Com., 18 octobre 2016, pourvoi n° 15-10.384, Bull. n° 131).

374. En l'espèce, l'Autorité a précisément relevé que la méthodologie décrite dans ce communiqué devait être écartée en l'absence de « valeur des ventes » susceptibles de servir de base au calcul de la sanction à infliger à des organismes qui ne disposent pas d'un chiffre d'affaires ou d'une valeur de ventes en relation avec le produit ou le service concerné par les pratiques et qui se bornent à représenter les intérêts de leurs membres actifs sur le marché concerné.

375. L'Autorité ayant écarté l'application de son communiqué, pour des motifs qui ne sont pas contestés, c'est à tort que le CIVA et l'AVA revendiquent l'application du point 33 de ce communiqué (valeur des ventes en relation avec l'infraction, durant le dernier exercice complet de participation à l'infraction).

376. C'est donc à juste titre que l'Autorité a pris en compte l'ensemble des ressources de ces organismes, telles qu'elles ressortent des pièces versées à la procédure et qui sont énumérées au § 387 de la décision attaquée, ainsi que la possibilité de faire appel à leurs membres pour lever les fonds nécessaires au paiement de leur sanction, pour en apprécier le montant dans le respect des critères posés par l'article L. 464-2 du code de commerce. Il est donc vain de soutenir que le législateur a prévu un but précis pour l'usage de certaines cotisations dont il ne serait pas possible de disposer librement, dès lors que l'Autorité a, au travers de ces chiffres, principalement évalué la proportionnalité de la sanction appliquée par rapport à l'ordre de grandeur des facultés contributives des organismes en cause, et n'a pas fixé une base arithmétique, telle que celle définie en application de la méthodologie générale décrite dans son communiqué, pour procéder au calcul de la sanction.

377. Le moyen est rejeté.

378. Au regard de l'ensemble des développements qui précèdent, et dans le respect du plafond légal applicable à la procédure simplifiée mise en œuvre en application de l'article L. 463-3 du code de commerce, tenant compte notamment des appréciations portées sur la durée de la participation aux pratiques de l'ensemble des organismes en cause, de la gravité des pratiques, des circonstances atténuantes qui doivent être admises au bénéfice du CIVA et de l'AVA, du dommage très limité causé à l'économie et de la situation des organismes en cause, en particulier des ressources actuelles ou mobilisables dont ils disposent, la Cour retient :

Au titre du grief n° 1, une sanction de :

13 000 euros à l'égard de l'AVA ;

69 500 euros à l'égard du CIVA.

Au titre du grief n° 2 une sanction de 104 500 euros à l'égard du CIVA.

379. La décision attaquée est réformée en ce sens.

V. SUR LES DEMANDES RELATIVES AUX INJONCTIONS

380. La décision attaquée a enjoint au CIVA, à l'AVA et au GPNVA de publier le texte figurant au § 449 de cette décision, dans l'édition papier et sur le site Internet du journal « L'Alsace » ainsi que dans la « revue des vins d'Alsace », selon les modalités détaillées à l'article 5 et de l'envoyer également à leurs membres (article 6), « Compte tenu des faits constatés par la présente décision et des pratiques sanctionnées ».

381. Les articles 5 et 6 précisent que cette publication « pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. Les entités sanctionnées adresseront, sous pli recommandé, au service de la procédure, copie de cette publication [de cet envoi], dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision ».

382. Le texte mentionné au § 449 est ainsi rédigé :

« L'Autorité de la concurrence (ci-après "l'Autorité") a rendu le 17 septembre 2020 une décision par laquelle elle sanctionne deux organisations syndicales, l'Association des Viticulteurs d'Alsace (ci-après "l'AVA") et le Groupement des Producteurs-Négociants du Vignoble Alsacien (ci-après "le GPNVA"), ainsi qu'une organisation interprofessionnelle, le Conseil Interprofessionnel des Vins d'Alsace (ci-après "le CIVA"), pour des pratiques contraires à l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'article L. 420-1 du code de commerce.

Cette décision fait suite à la communication par la DGCCRF de différentes pièces relatives à des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des vins d'Alsace.

En premier lieu, l'Autorité a sanctionné l'AVA, le GPNVA et le CIVA pour avoir participé à une infraction, unique, complexe et continue relative au prix du raisin entre 2008 et 2017.

Ces organismes se sont concertés afin d'établir des recommandations de prix du raisin pour chaque récolte. Sur la base de cette concertation, les recommandations ont été publiées dans la revue des Vins d'Alsace à partir de 2013.

Sont infligées au titre de ces pratiques, les sanctions pécuniaires suivantes :

26 000 euros à l'AVA ;

2 000 euros au GPNVA ; et

139 000 euros au CIVA.

En second lieu, l'Autorité a sanctionné le CIVA, à hauteur de 209 000 euros, pour avoir mis en œuvre entre 1980 et 2018 une entente visant à donner, pour chaque récolte, à ses adhérents, des recommandations tarifaires sur le prix du vin en vrac. Ces recommandations étaient publiées chaque année au mois de décembre, au moment où le vin en vrac devient commercialisable.

En élaborant et diffusant des consignes de prix, un syndicat professionnel ou une organisation interprofessionnelle incite ses adhérents à se détourner d'une appréhension directe de leur stratégie commerciale leur permettant d'établir leur prix de façon indépendante et fausse les négociations avec les clients.

En outre, l'Autorité a indiqué que les pratiques de ces organisations ne pouvaient bénéficier d'une exemption individuelle à la prohibition des ententes dans la mesure où la réalité du progrès économique apporté par ces pratiques n'était pas avérée.

Le texte intégral de la décision de l'Autorité de la concurrence est accessible sur le site www.autoritedelaconcurrence.fr ».

383. Le CIVA, qui précise que « ces mesures sont en cours d'exécution », reproche à l'Autorité d'avoir ainsi prononcé une sanction complémentaire sans l'avoir motivée. Il ajoute que l'Autorité savait qu'a minima son communiqué de presse allait être largement relayé par les médias et considère qu'elle a ainsi entendu prononcer une sanction vexatoire à travers ces injonctions. Il signale que cet écho médiatique a eu un effet délétère auprès des consommateurs de vins d'Alsace dont bon nombre ont cru qu'il s'agissait d'une entente sur les prix finals.

384. Il fait également valoir le fait que les injonctions de publications sont coûteuses pour les agriculteurs.

385. Il demande en conséquence à la Cour d'annuler les injonctions de publication et de communication et d'enjoindre à l'Autorité, en cas d'annulation ou de réformation de la décision attaquée, de publier sur son site internet et, à ses frais, dans les éditions des quotidiens « Les Echos » et « Le Figaro » un exposé des motifs de l'annulation ou de la réformation prononcée par la Cour.

386. L'Autorité estime que l'injonction en cause ajoute à l'exemplarité de la sanction et participe à sa mission de dissuasion et de défense de l'ordre public économique. Elle rappelle qu'elle comporte une motivation reproduite au § 449, ayant été ordonnée « [c]ompte tenu des faits constatés par la ['] décision et des pratiques sanctionnées ». Elle considère que les injonctions en cause étaient adaptées à l'ampleur et à la nature des pratiques, ainsi qu'à leurs circonstances.

387. Sur la demande d'injonctions formulée à son encontre, l'Autorité considère, nonobstant les termes de l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 janvier 2012 (pourvoi n° 11-13067), que le recours exercé contre ses décisions sur le fondement de l'article L. 464-8 du code de commerce ne se prête pas au prononcé de telles injonctions dès lors qu'il n'est pas un recours en responsabilité. Elle fait valoir qu'il s'agit d'un recours objectif de plein contentieux, dans le cadre duquel l'office du juge consiste à examiner la légalité de la décision visée par le recours et, le cas échéant, à réformer ou à annuler cette décision. L'Autorité, étant dépourvue de la personnalité morale, elle considère que les recours en responsabilité mettant en cause les décisions qu'elle prend doivent être dirigés contre l'État et relèvent du seul juge administratif. Elle s'interroge par ailleurs sur le fondement textuel d'une telle injonction de publication de l'arrêt à intervenir dès lors que les dispositions du I in fine de l'article L. 464-2 du code de commerce ne le lui sont pas applicables.

388. Elle en déduit que la demande du CIVA d'injonction de publication devra, à titre principal, être déclarée irrecevable, et à titre subsidiaire, être rejetée, en l'absence de réformation ou d'annulation de la décision.

389. À titre surabondant, l'Autorité relève que la mesure d'injonction sollicitée par le CIVA est, d'une part, sans objet dans la mesure où elle publie systématiquement sur son site les arrêts des juridictions de contrôle rendus sur ses décisions et, d'autre part, irrecevable dès lors qu'elle n'a pas enjoint au CIVA de publier un résumé de la décision dans les quotidiens « Les Echos » et « Le Figaro ». Par suite, elle observe que la condition posée par l'arrêt Tenor de la Cour de cassation tenant à la publication « dans des conditions identiques à celles de la décision réformée » ne serait pas remplie si la Cour devait répondre favorablement à la demande du CIVA.

Sur ce, la Cour,

390. Aux termes de l'article L. 464-2, I, du code de commerce « L'Autorité de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée ».

391. Comme le relève très justement l'Autorité, la faculté qui lui est reconnue par ce texte d'ordonner une publication ou diffusion participe à sa mission de dissuasion et de défense de l'ordre public économique, en permettant d'alerter les acteurs du marché, les consommateurs et les collectivités publiques sur le caractère anticoncurrentiel de certaines pratiques et les inviter à faire preuve de vigilance.

392. En l'espèce, la Cour constate que l'Autorité a motivé cette mesure au regard des faits constatés dans la décision attaquée et des pratiques sanctionnées, lesquelles portent sur des concertations relevant d'une restriction de concurrence par objet, par nature grave.

393. La publication et la diffusion d'un résumé de la décision attaquée participant à l'effectivité du droit de la concurrence, elles sont, en l'espèce, adaptées à la nature des pratiques, ainsi qu'à leurs circonstances, et, dans le contexte d'incertitude qui a prévalu pendant de nombreuses années, particulièrement nécessaires et proportionnées aux objectifs qu'elles poursuivent. Le coût de telles publications n’excède pas, en outre, les ressources mobilisables par les organismes en cause. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande d'annulation des articles 5 et 6.

394. Tirant les conséquences de la réformation intervenue à la suite du présent arrêt, la Cour réforme le texte visé au § 449 de la décision attaquée, dans les termes reproduits au dispositif, et reconduit le délai de trois mois prévus aux articles 5 et 6, à compter de la notification du présent arrêt, pour assurer l'effectivité de ces mesures. Les modalités de publication restent pour leurs parts inchangées.

395. L'Autorité assurant elle-même la mise en ligne des arrêts rendus sur les recours formés contre ses décisions, la demande d'injonction formée par le CIVA est sans objet.

396. La mesure de publication mise à la charge des organismes en cause demeurant justifiée par la confirmation des article 1, 2, 5 et 6 de la décision attaquée, la demande du CIVA tendant à ordonner, aux frais de l'Autorité, une publication dans les éditions des quotidiens « Les Echos » et « Le Figaro », d'un exposé des motifs de l'annulation ou de la réformation prononcée par la Cour est rejetée.

VI. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS

397. Le CIVA demande à la Cour de condamner le ministre chargé de l'économie et l'Autorité aux entiers dépens.

398. Il est également demandé à la Cour de condamner l'Autorité à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile une somme de :

20 000 euros au bénéfice du CIVA ;

26 000 euros au bénéfice de la CNAOC ;

15 000 euros au bénéfice du CNIV.

399. L'AVA et le CIVA succombant partiellement en leur recours, l'équité ne justifie pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

DIT que la Cour ne peut être saisie d'aucun moyen soulevé oralement à l'audience de plaidoirie et juge en conséquences irrecevables tous les moyens développés oralement par le CIVA et l'AVA sans avoir été préalablement intégrés à leurs écritures récapitulatives ;

RELEVANT D'OFFICE l'application du principe de rétroactivité de la loi plus douce aux nouvelles dispositions des articles 210 et 172 ter du règlement (UE) n° 1308/2013 portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits agricoles, issues du règlement (UE) n° 2021/2117 du Parlement européen et du conseil du 2 décembre 2021, dit que leurs conditions d'application ne sont pas réunies ;

RETIENT la compétence matérielle de l'Autorité de la concurrence pour apprécier la légalité des pratiques en cause ;

REJETTE les recours en ce qu'ils tendent à l'annulation de la décision n° 20-D-12 du 17 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des vins d'Alsace ;

RÉFORME les articles 2 et 4 de cette décision, mais seulement en ce qu'ils infligent des sanctions de 26 000 euros à l'Association des Viticulteurs d'Alsace et 139 000 euros au Conseil Interprofessionnel des Vins d'Alsace au titre des pratiques visées à l'article 1er et de 209 000 euros au Conseil Interprofessionnel des Vins d'Alsace au titre des pratiques visées à l'article 3 ;

Statuant à nouveau sur ces points,

INFLIGE, au titre des pratiques visées à l'article 1er de cette décision, les sanctions pécuniaires suivantes :

13 000 euros à l'Association des Viticulteurs d'Alsace ; et

69 500 euros au Conseil Interprofessionnel des Vins d'Alsace.

INFLIGE au Conseil Interprofessionnel des Vins d'Alsace une sanction de 104 500 euros au titre des pratiques visées à l'article 3 de la même décision ;

RAPPELLE que les sommes qui auraient été payées excédant le montant fixé par le présent arrêt devront être remboursées aux organismes concernés, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et, s'il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil ;

RÉFORME, en conséquence, les article 5 et 6 de la décision attaquée, mais seulement en ce qu'ils renvoient au résumé figurant au § 449 de cette décision, et dans les limites suivantes : la première phrase du 4ème paragraphe de ce résumé doit ainsi être remplacée par le libellé suivant : « À la suite de l'arrêt rendu le 12 mai 2022 par la cour d'appel de Paris sur les recours exercés par le CIVA et l'AVA, qui ont été partiellement accueillis, les sanctions pécuniaires suivantes sont infligées : » et les montants qui y figurent à la suite seront remplacés par « 13 000 euros à l'AVA » et « 69500 euros au CIVA ». Le 5ème paragraphe est remplacé par le libellé suivant « En second lieu, l'Autorité a infligé une sanction pécuniaire au CIVA pour avoir mis en œuvre, entre 1980 et 2018, une entente visant à donner, pour chaque récolte, à ses adhérents, des recommandations tarifaires sur le prix du vin en vrac, dont le montant a été réduit à 104 500 euros à la suite de l'arrêt précité rendu le 12 mai 2022 ». Le 8ème paragraphe est remplacé par « Le texte intégral de la décision de l'Autorité de la concurrence et de l'arrêt de la cour d'appel de Paris statuant sur le recours formé contre cette décision sont accessibles sur le site www.autoritedelaconcurrence.fr » ;

DIT que les modalités et délais fixés aux articles 5 et 6 de la décision attaquée sont reconduits à compter de la notification du présent arrêt ;

REJETTE le recours en réformation pour le surplus ainsi que les autres demandes afférentes ;

DIT que le présent arrêt sera transmis à la Commission de l'Union européenne en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

LAISSE à chaque partie la charge de ses dépens.