CJUE, gr. ch., 17 mai 2022, n° C-600/19
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
MA
Défendeur :
Ibercaja Banco (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. K. Lenaerts
Présidents de chambre :
M. A. Arabadjiev, Mme K. Jürimäe, M. C. Lycourgos, M. E. Regan, M. S. Rodin, M. I. Jarukaitis, M. A. Kumin
Juges :
M. M. Ilešič, M. J. C. Bonichot, M. M. Safjan, M. F. Biltgen, M. P. G. Xuereb, M. N. Piçarra, Mme L. S. Rossi
Avocat général :
M. E. Tanchev
Avocats :
Me J. Rodríguez Cárcamo, Me A. M. Rodríguez Conde
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MA à Ibercaja Banco SA au sujet d’une demande de paiement des intérêts dus à l’établissement bancaire en raison de la non-exécution par MA et PO du contrat de prêt hypothécaire conclu entre ces parties.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le vingt-quatrième considérant de la directive 93/13 énonce que « les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ».
4 L’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
5 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit espagnol
6 La Ley 1/2000 de Enjuiciamiento Civil (loi 1/2000 portant code de procédure civile), du 7 janvier 2000 (BOE no 7, du 8 janvier 2000, p. 575), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « LEC »), prévoit, à son article 136, intitulé « Forclusion » :
« Toute partie qui laisse expirer le délai dans lequel un acte de procédure doit être réalisé est forclose et l’acte en question ne peut plus être accompli. Le greffier acte l’expiration du délai, ordonne les mesures opportunes ou avise la juridiction afin que celle-ci statue comme de droit. »
7 Aux termes de l’article 207 de la LEC :
« 1. Sont définitives les décisions qui mettent fin à la première instance et celles qui statuent sur les recours introduits contre ces décisions.
2. Les décisions définitives sont celles contre lesquelles aucun recours ne peut être formé, soit parce que la loi n’en prévoit pas, soit parce que, bien qu’elle en prévoie, les délais légaux ont expiré sans qu’aucune des parties n’ait exercé de recours.
3. Les décisions définitives acquièrent l’autorité de la chose jugée et le tribunal saisi est en toute hypothèse lié par la solution retenue.
4. Lorsque les délais de recours contre une décision ont expiré et que celle-ci n’a pas été attaquée, elle devient définitive et acquiert l’autorité de la chose jugée, et le tribunal saisi est en toute hypothèse lié par la solution retenue. »
8 L’article 222 de la LEC dispose :
« 1. L’autorité de la chose jugée attachée aux jugements définitifs, qu’ils accueillent ou rejettent la demande, exclut, conformément à la loi, toute procédure ultérieure dont l’objet serait identique à celui de la procédure dans laquelle celle-ci est intervenue.
2. L’autorité de la chose jugée s’attache aux conclusions formulées dans la demande principale et dans la demande reconventionnelle ainsi qu’aux points visés à l’article 408, paragraphes 1 et 2, de la présente loi.
Sont considérés comme nouveaux et différents par rapport au fondement des conclusions précitées les faits qui sont postérieurs à l’expiration du délai de présentation des mémoires dans la procédure au cours de laquelle ces conclusions ont été formulées.
3. L’autorité de la chose jugée s’étend aux parties à la procédure dans laquelle elle intervient ainsi qu’à leurs héritiers et ayants droit, et aux personnes qui, sans être parties à la procédure, sont titulaires des droits qui fondent la légitimation active des parties conformément aux dispositions de l’article 11 de la présente loi.
[...]
4. L’autorité de chose jugée d’un jugement définitif clôturant une procédure lie le tribunal saisi d’une procédure ultérieure lorsqu’elle apparaît comme constituant un précédent logique au regard de l’objet de cette dernière procédure, dès lors que les parties aux deux procédures sont les mêmes ou que l’autorité de la chose jugée s’étend à elles par disposition légale. »
9 L’article 517 de la LEC est libellé comme suit :
« 1. L’action exécutoire doit être fondée sur un titre susceptible d’exécution forcée.
2. Seuls sont susceptibles d’exécution forcée les titres suivants :
1° le jugement de condamnation qui n’est plus susceptible de recours ;
[...]
9° les autres décisions procédurales et documents qui, en vertu de la présente loi ou de toute autre loi, sont susceptibles d’exécution forcée. »
10 L’article 552 de la LEC dispose :
« 1. Si le tribunal considère que les modalités et les conditions légalement requises ne sont pas réunies aux fins d’ordonner l’exécution, il rend une ordonnance rejetant l’exécution.
Le tribunal examine d’office la question de savoir si une clause figurant dans l’un des titres exécutoires cités à l’article 557, paragraphe 1, peut être qualifiée d’abusive. Lorsqu’il estime qu’une clause peut être qualifiée comme telle, il entend les parties dans les quinze jours. Celles–ci entendues, il statue dans un délai de cinq jours ouvrables, conformément aux dispositions de l’article 561, paragraphe 1, point 3.
2. Il peut être directement fait appel de l’ordonnance rejetant l’exécution, le recours en appel n’étant traité qu’avec le créancier. Celui–ci peut également, s’il le souhaite, solliciter un réexamen de sa demande par la même juridiction avant le recours en appel.
3. Lorsque l’ordonnance rejetant l’exécution est devenue définitive, le créancier ne peut faire valoir ses droits que dans la procédure ordinaire correspondante, si l’autorité de la chose jugée de l’arrêt ou de la décision définitive sur laquelle la demande d’exécution était fondée n’y fait pas obstacle. »
11 L’article 556 de la LEC, intitulé « Opposition à l’exécution de décisions procédurales ou arbitrales ou des accords de médiation », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Si le titre exécutoire est une décision procédurale ou arbitrale de condamnation ou un accord de médiation, le défendeur à l’exécution peut, dans les dix jours suivant la notification de l’ordonnance d’exécution, s’opposer à celle-ci par écrit en invoquant le paiement ou le respect du dispositif de l’arrêt, de la sentence arbitrale ou de l’accord, ce dont il devra apporter la preuve documentaire.
Il est également possible d’opposer la forclusion de l’action en exécution ainsi que les accords et les transactions qui auraient été conclus pour éviter l’exécution, à condition que ces accords et ces transactions figurent dans un acte notarié.
2. L’opposition formée dans les cas visés au paragraphe 1 ne suspend pas l’exécution. »
12 Aux termes de l’article 557 de la LEC :
« 1. Lorsque l’exécution est ordonnée pour les titres visés à l’article 517, paragraphe 2, points 4, 5, 6 et 7, ainsi que pour d’autres documents ayant force exécutoire visés à l’article 517, paragraphe 2, point 9, le défendeur à l’exécution ne peut s’y opposer, dans les délais et les formes prévus à l’article précédent, que s’il invoque l’un des motifs suivants :
[...]
7° Le titre contient des clauses abusives.
2. Si l’opposition visée au paragraphe précédent est formée, le greffe du tribunal suspend l’exécution par mesure d’organisation de la procédure. »
13 L’article 695 de la LEC dispose :
« 1. Dans les procédures visées au présent chapitre, l’opposition du défendeur à l’exécution n’est accueillie que lorsqu’elle est fondée sur les motifs suivants :
[...]
4° le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement de l’exécution ou ayant permis de déterminer le montant exigible.
2. En cas d’introduction de l’opposition visée au paragraphe précédent, le greffe du tribunal procède à la suspension de l’exécution et convoque les parties à comparaître devant le tribunal ayant rendu l’ordonnance de saisie. La citation à comparaître doit intervenir au moins quinze jours avant la tenue de l’audience en question. Au cours de cette audience, le tribunal entend les parties, examine les documents produits et adopte la décision pertinente, sous la forme d’une ordonnance, au cours de la deuxième journée.
3. L’ordonnance accueillant l’opposition fondée sur les premier et troisième motifs énoncés au paragraphe 1 du présent article prononce un non-lieu à exécution ; l’ordonnance accueillant l’opposition fondée sur le deuxième motif fixe le montant pour lequel il y a lieu de maintenir l’exécution.
Si le quatrième motif est accueilli, le non-lieu à exécution est prononcé lorsque la clause contractuelle constitue le fondement de la saisie. Dans les autres cas, la saisie est poursuivie en écartant l’application de la clause abusive.
4. La décision ordonnant le non-lieu à exécution ou l’inapplication d’une clause abusive ou le rejet de l’opposition pour le motif prévu au paragraphe 1, point 4), du présent article est susceptible d’un recours en appel.
En dehors de ces hypothèses, les ordonnances statuant sur l’opposition visée au présent article ne sont susceptibles d’aucun recours et leurs effets sont limités exclusivement à la procédure d’exécution au cours de laquelle elles sont rendues. »
14 La Ley 1/2013, de medidas para reforzar la protección a los deudores hipotecarios, reestructuración de deuda y alquiler social (loi 1/2013, relative aux mesures visant à renforcer la protection des débiteurs hypothécaires, la restructuration de la dette et le loyer social), du 14 mai 2013 (BOE no 116, du 15 mai 2013, p. 36373, ci-après la « loi 1/2013 »), qui figure au nombre des normes qui ont modifié la LEC, a introduit, parmi les motifs d’opposition, la possibilité d’invoquer le caractère abusif de clauses contractuelles, tant dans le cadre de la procédure d’exécution générale que dans celui de la procédure d’exécution hypothécaire. La quatrième disposition transitoire de la loi 1/2013 énonce :
« 1. Les modifications [de la LEC] introduites par la présente loi s’appliquent aux procédures d’exécution en cours à la date de son entrée en vigueur, uniquement en ce qui concerne les mesures d’exécution restant à prendre.
2. En tout état de cause, dans les procédures d’exécution en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi dans lesquelles le délai d’opposition de dix jours prévu à l’article 556, paragraphe 1, [de la LEC] a expiré, les parties défenderesses à l’exécution disposent d’un délai de forclusion d’un mois pour former opposition par voie incidente extraordinaire en se fondant sur les nouveaux motifs d’opposition prévus à l’article 557, paragraphe 1, point 7, et à l’article 695, paragraphe 1, point 4, [de la LEC].
Le délai de forclusion d’un mois est calculé à partir du jour suivant celui de l’entrée en vigueur de la présente loi, et l’opposition par voie incidente par les parties a pour effet de suspendre la procédure jusqu’à ce qu’il ait été statué sur l’opposition, conformément aux articles 558 et suivants et 695 [de la LEC].
La présente disposition transitoire s’applique à toute procédure d’exécution qui n’a pas abouti à la prise de possession de l’immeuble par l’acheteur conformément à l’article 675 [de la LEC].
3. De même, dans les procédures d’exécution en cours dans lesquelles, à l’entrée en vigueur de la présente loi, le délai d’opposition de dix jours prévu à l’article 556, paragraphe 1, [de la LEC] a déjà commencé à courir, les parties défenderesses à l’exécution disposent du même délai de forclusion d’un mois prévu au paragraphe précédent pour former opposition sur le fondement de l’un quelconque des motifs d’opposition prévus aux articles 557 et 695 [de la LEC].
4. La publicité de la présente disposition vaut communication intégrale et valable aux fins de la notification et de calcul des délais prévus aux paragraphes 2 et 3 du présent article, l’adoption d’une décision expresse à cette fin n’étant en aucun cas nécessaire. [...] »
15 La Ley 5/2019 reguladora de los contratos de crédito inmobiliario (loi 5/2019 sur les contrats de crédit immobilier), du 15 mars 2019 (BOE no 65, du 16 mars 2019, p. 26329), comporte une troisième disposition transitoire, relative au régime spécial des procédures d’exécution en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi 1/2013. En vertu de cette disposition, les parties défenderesses aux procédures d’exécution en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi 5/2019 dans lesquelles le délai d’opposition de dix jours prévu à l’article 556, paragraphe 1, de la LEC était expiré à la date d’entrée en vigueur de la loi 1/2013 disposent à nouveau d’un délai de dix jours pour introduire une demande incidente extraordinaire en opposition en se fondant sur l’existence de clauses à caractère abusif. Le droit qui est ainsi conféré par ladite disposition transitoire s’applique à toutes les procédures en exécution qui n’ont pas abouti à l’entrée en jouissance de l’acquéreur de l’immeuble, pour autant, notamment, que le juge n’ait pas déjà vérifié d’office le caractère abusif des clauses du contrat.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 Par contrat conclu par acte authentique du 6 mai 2005, Ibercaja Banco a consenti à PO et à MA un prêt hypothécaire d’un montant de 198 400 euros, remboursables avant le 31 mai 2040. Ce prêt était garanti par une hypothèque constituée sur un logement unifamilial, évalué à 299 290 euros.
17 Le prêt a été souscrit au taux fixe de 2,75 % par an jusqu’au 30 novembre 2005, puis au taux variable à partir de cette date et jusqu’à la fin du contrat. Conformément à la clause 3 bis de ce contrat, le taux variable résultait de l’addition de la marge constante, ou différentiel constant, au taux de référence et était fixé pour toute la durée du contrat à 0,95 point, ou moins si les conditions objectives de rattachement stipulées étaient réunies. Il a en tout état de cause été convenu que le différentiel minimal appliqué au taux de référence s’élèverait à 0,50 % (ci-après la « clause plancher »). Le taux nominal annuel des intérêts moratoires, prévu par la clause 6 dudit contrat, a été fixé à 19 % (ci-après la « clause relative aux intérêts moratoires »). La clause 6 bis du même contrat stipulait que l’établissement bancaire pouvait réclamer la totalité du prêt en cas de défaut de paiement de tout montant échu (ci-après la « clause d’exigibilité anticipée »).
18 MA et PO n’ayant pas payé le montant des mensualités de remboursement afférentes à la période comprise entre le 31 mai et le 31 octobre 2014, Ibercaja Banco a, le 30 décembre 2014, introduit une demande d’exécution hypothécaire. Elle leur a réclamé la somme de 164 676,53 euros, correspondant au capital et aux intérêts échus et impayés à la date du 5 novembre 2014, majorée de la somme de 49 402 euros, calculée à titre provisionnel, sans préjudice d’une régularisation ultérieure des intérêts moratoires, calculés au taux nominal de 12 % par an à compter de l’arrêté du compte du 5 novembre 2014 et jusqu’à paiement complet.
19 Par ordonnance du 26 janvier 2015, le tribunal compétent a prononcé l’exécution du titre hypothécaire détenu par Ibercaja Banco et a autorisé la saisie à charge de MA et de PO pour le montant réclamé, leur a enjoint de payer et leur a accordé un délai de 10 jours pour s’opposer à l’exécution conformément à l’article 695 de la LEC. Le même jour, le greffe de ce tribunal a demandé au Registro de la propiedad (registre de la propriété, Espagne) la communication d’un certificat de propriété et autres droits réels et d’une attestation de l’existence d’une hypothèque en faveur d’Ibercaja Banco.
20 Ladite ordonnance et ladite demande ont été signifiées à MA et à PO, respectivement, le 9 février 2015 et le 18 février 2015.
21 À la suite du décès de PO, ses héritiers légaux, SP et JK, ont été reconnus comme étant des parties au procès par ordonnance du 9 juin 2016.
22 Par ordonnance du 28 juin 2016, rendue sur demande d’Ibercaja Banco, le tribunal de l’exécution a organisé une vente aux enchères de l’immeuble hypothéqué, lors de laquelle personne n’a enchéri. Ibercaja Banco a demandé que l’immeuble lui soit adjugé pour la somme de 179 574 euros, tout en faisant savoir qu’elle entendait céder les droits d’acquisition du bien à Residencial Murillo SA, avec l’accord de celle-ci. Ibercaja Banco a fourni une preuve de dépôt de la somme susmentionnée, qui correspondait au montant de l’adjudication.
23 Le 25 octobre 2016, Ibercaja Banco a demandé le paiement des dépens, évalués à 2 886,19 euros, et celui des intérêts pour un montant de 32 538,28 euros, lequel montant a été obtenu en appliquant un taux de 12 % conformément aux dispositions de la loi 1/2013. Cette demande a été notifiée à la partie défenderesse à l’exécution.
24 Le 9 novembre 2016, MA a fait opposition écrite à la demande de paiement des intérêts, en invoquant le caractère abusif de la clause relative aux intérêts moratoires et de la clause plancher.
25 Par ordonnance du 8 mars 2017, le Juzgado de Primera Instancia no 2 de Zaragoza (tribunal de première instance no 2 de Saragosse, Espagne), après avoir constaté que la clause d’exigibilité anticipée pouvait être abusive, a, dans le cadre d’une mesure d’organisation du procès, décidé d’examiner le caractère éventuellement abusif des clauses du titre exécutoire. Il a accordé aux parties un délai de quinze jours afin qu’elles puissent présenter leurs observations à cet égard ainsi que sur une éventuelle suspension de la procédure.
26 Ibercaja Banco s’est opposée à la suspension de la procédure et a fait valoir que le caractère abusif des clauses du contrat ne pouvait plus être constaté, au motif que les droits liés à l’adjudication avait été cédés et que les dépens avaient été taxés. Ibercaja Banco a rappelé que, en tout état de cause, elle n’avait pas réclamé le paiement des intérêts moratoires au taux de 19 % et que plusieurs échéances de remboursement n’avaient pas été payées lorsque le compte a été arrêté.
27 Par ordonnance du 20 novembre 2017, le Juzgado de Primera Instancia no 2 de Zaragoza (tribunal de première instance no 2 de Saragosse) a constaté le caractère abusif de la clause d’exigibilité anticipée et a ordonné le non-lieu à l’exécution, sans imputation de dépens. Ibercaja Banco a interjeté appel de cette ordonnance devant l’Audiencia Provincial de Zaragoza (cour provinciale de Saragosse, Espagne).
28 Par ordonnance du 28 mars 2018, la juridiction d’appel a réformé l’ordonnance du 20 novembre 2017 et a ordonné la poursuite de la procédure d’exécution, au motif que le caractère abusif des clauses du contrat de prêt ne pouvait plus être recherché, ce contrat ayant déjà sorti ses effets, la garantie hypothécaire ayant déjà été exécutée et le droit de propriété ayant été transféré. La juridiction d’appel s’est ainsi fondée sur le principe de sécurité juridique des rapports de propriété déjà nés.
29 Par ordonnance du 31 juillet 2018, le Juzgado de Primera Instancia no 2 de Zaragoza (tribunal de première instance no 2 de Saragosse) a rejeté la contestation concernant la détermination du montant des intérêts, et a donc approuvé le montant de 32 389,89 euros, au motif que, la procédure ayant été introduite postérieurement à la loi 1/2013 sans qu’aucune opposition incidente ait été formée, le caractère éventuellement abusif des clauses ne pouvait plus être examiné en raison de l’autorité de chose jugée attachée à l’ordonnance du 26 janvier 2015.
30 MA a interjeté appel de cette ordonnance devant l’Audiencia Provincial de Zaragoza (cour provinciale de Saragosse).
31 Cette juridiction expose que, selon les modalités procédurales de la procédure d’exécution hypothécaire prévues par le droit espagnol, le juge est tenu, lors de la première étape de la procédure, d’examiner d’office, en application de l’article 552 de la LEC, le caractère éventuellement abusif des clauses contenues dans le contrat de prêt hypothécaire formant la base de l’ordre d’exécution. Cet examen impliquerait une appréciation négative, en ce sens que le juge ne fournit dans la décision autorisant l’exécution hypothécaire aucune motivation explicite en ce qui concerne les clauses autres que celles qui sont considérées comme abusives. Les juridictions nationales ne pourraient, par conséquent, relever le caractère abusif des clauses lors d’une étape subséquente de la procédure et, de même, le consommateur qui ne forme pas d’opposition à l’exécution dans le délai prescrit ne pourrait invoquer le caractère abusif des clauses dans la même procédure ou dans une procédure déclarative subséquente. La question se poserait donc de savoir si ces modalités procédurales sont conformes à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 et au principe d’effectivité.
32 En outre, la juridiction de renvoi se demande à partir de quel moment la procédure d’exécution hypothécaire doit être considérée comme close au regard de l’examen du caractère abusif de clauses contractuelles soit par le juge agissant d’office, soit à la demande de la partie visée par l’exécution. Plus précisément, se poserait la question de savoir si la clôture de cette procédure intervient lorsque la garantie hypothécaire a été réalisée, le bien hypothéqué a été vendu et les droits de propriété sur ce bien ont été transférés ou si, au contraire, ladite procédure n’est pas close après le transfert de la propriété et l’examen du caractère abusif de clauses contractuelles demeure possible jusqu’au moment où le débiteur est expulsé du bien, ce qui pourrait conduire à l’annulation de la procédure d’exécution hypothécaire ou affecter les conditions dans lesquelles l’adjudication du bien a eu lieu.
33 C’est dans ces conditions que l’Audiencia Provincial de Zaragoza (cour provinciale de Saragosse) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le principe d’efficacité prévu à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, telle qu’interprétée par la Cour, s’oppose-t-il à une règle de droit espagnol dont il ressort que, lorsqu’une clause abusive déterminée a passé le contrôle juridictionnel d’office initial opéré lors de l’autorisation de l’exécution [– contrôle négatif de validité des clauses –], ce contrôle empêche que la même juridiction puisse ultérieurement apprécier d’office cette même clause lorsque les éléments de fait et de droit [permettant de définir ce caractère abusif] existaient dès le départ, quand bien même le jugement rendu à l’issue de ce contrôle initial n’exprime aucune considération sur la validité des clauses considérées, ni dans son dispositif ni dans sa motivation.
2) La partie défenderesse à l’exécution qui, dans le cadre de l’opposition incidente prévue par la loi, n’invoque pas le caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu avec un consommateur, alors que tous les éléments de fait et de droit définissant ce caractère abusif existaient déjà, peut-elle, après qu’il a été statué sur son opposition incidente, former une nouvelle demande incidente visant à faire trancher le caractère abusif d’une ou de plusieurs autres clauses, alors qu’elle aurait déjà pu invoquer initialement le caractère abusif de ces clauses dans le cadre de la procédure ordinaire prévue par la loi ? En d’autres termes, y-a-t-il un effet de forclusion, qui empêche le consommateur de soulever le caractère abusif d’une autre clause dans le cadre de la même procédure d’exécution et même d’une procédure déclarative postérieure ?
3) Dans l’hypothèse où la Cour jugerait conforme à la directive 93/13 que la partie défenderesse à l’exécution ne puisse pas former une deuxième opposition incidente ou une opposition incidente ultérieure afin de faire valoir le caractère abusif d’une clause qu’elle aurait pu invoquer préalablement, dès lors que les éléments de fait et de droit nécessaires à cette fin étaient déjà définis, la juridiction saisie, informée de ce caractère abusif, peut-elle se servir de cette circonstance pour exercer son pouvoir de contrôle d’office ?
4) Lorsque la meilleure enchère est acceptée, que l’immeuble est adjugé (le cas échéant au créancier lui-même) et que le transfert de la propriété du bien affecté en garantie est déjà réalisé, est-il conforme au droit de l’Union de retenir une interprétation selon laquelle, lorsque la procédure a pris fin après avoir produit les effets recherchés (à savoir la réalisation de la garantie) le débiteur peut introduire de nouvelles demandes incidentes visant à faire constater la nullité d’une clause abusive ayant eu une influence sur la procédure d’exécution, ou la juridiction saisie peut-elle décider, après que le transfert de propriété a eu lieu (le cas échéant en faveur du créancier) et a été inscrit au registre de la propriété, un réexamen d’office entraînant l’annulation de toute la procédure d’exécution ou ayant une incidence sur les sommes garanties par l’hypothèque de nature à affecter les conditions dans lesquels les enchères ont eu lieu ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur les première à troisième questions
34 Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui, en raison de l’effet de l’autorité de la chose jugée et de la forclusion, ne permet ni au juge d’examiner d’office le caractère abusif de clauses contractuelles dans le cadre d’une procédure d’exécution hypothécaire ni au consommateur, après l’expiration du délai pour former opposition, d’invoquer le caractère abusif de ces clauses dans cette procédure ou dans une procédure déclarative subséquente, lorsque lesdites clauses ont déjà fait l’objet, lors de l’ouverture de la procédure d’exécution hypothécaire, d’un examen d’office par le juge de leur caractère éventuellement abusif, mais que la décision juridictionnelle autorisant l’exécution hypothécaire ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de l’existence de cet examen ni n’indique que l’appréciation portée par ce juge à l’issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l’absence d’opposition formée dans ledit délai.
35 Selon une jurisprudence constante de la Cour, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (voir, notamment, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C‑421/14, EU:C:2017:60, point 40 et jurisprudence citée).
36 Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir, notamment, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C‑421/14, EU:C:2017:60, point 41 et jurisprudence citée).
37 Dans ce contexte, la Cour a déjà considéré à plusieurs reprises que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (arrêts du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 46 et jurisprudence citée ; du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 58, ainsi que du 26 janvier 2017, Banco Primus, C‑421/14, EU:C:2017:60, point 43).
38 En outre, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C‑407/18, EU:C:2019:537, point 44 et jurisprudence citée).
39 Si la Cour a ainsi déjà encadré, à plusieurs reprises et en tenant compte des exigences de l’article 6, paragraphe 1, ainsi que de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, la manière dont le juge national doit assurer la protection des droits que les consommateurs tirent de cette directive, il n’en reste pas moins que, en principe, le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère prétendument abusif d’une clause contractuelle, et que celles-ci relèvent, dès lors, de l’ordre juridique interne des États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, notamment, arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C‑407/18, EU:C:2019:537, points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée).
40 Dans ces conditions, il y a lieu de déterminer si ces dispositions requièrent du juge de l’exécution qu’il contrôle le caractère éventuellement abusif de clauses contractuelles nonobstant les règles procédurales nationales mettant en œuvre le principe de l’autorité de la chose jugée à l’égard d’une décision de justice ne reflétant expressément aucun examen sur ce point.
41 À cet égard, il importe de rappeler l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée. En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour l’exercice de ces recours ne puissent plus être remises en cause (voir, notamment, arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, EU:C:2009:615, points 35 et 36, ainsi que du 26 janvier 2017, Banco Primus, C‑421/14, EU:C:2017:60, point 46).
42 Aussi, la Cour a reconnu que la protection du consommateur n’est pas absolue. En particulier, elle a considéré que le droit de l’Union n’impose pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision, même lorsque cela permettrait de remédier à une violation d’une disposition, quelle qu’en soit la nature, contenue dans la directive 93/13 (voir, notamment, arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, EU:C:2009:615, point 37, ainsi que du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 68), sous réserve cependant, conformément à la jurisprudence rappelée au point 39 du présent arrêt, du respect des principes d’équivalence et d’effectivité.
43 En ce qui concerne le principe d’équivalence, il y a lieu de relever que la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute sur la conformité de la réglementation nationale en cause au principal à ce principe. Il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que le droit national permette au juge de l’exécution de réexaminer une décision juridictionnelle revêtue de l’autorité de la chose jugée, même en présence d’une éventuelle violation des règles d’ordre public nationales.
44 En ce qui concerne le principe d’effectivité, la Cour a jugé que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, ainsi que, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêt du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia, C‑485/19, EU:C:2021:313, point 53). La Cour a estimé que le respect du principe d’effectivité ne saurait néanmoins aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné (arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C‑32/14, EU:C:2015:637, point 62).
45 En outre, la Cour a précisé que l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union implique, notamment pour les droits découlant de la directive 93/13, une exigence de protection juridictionnelle effective, réaffirmée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive et consacrée également à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui s’applique, entre autres, à la définition des modalités procédurales relatives aux actions en justice fondées sur de tels droits (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 29 et jurisprudence citée).
46 À cet égard, la Cour a jugé que, en l’absence de contrôle efficace du caractère potentiellement abusif des clauses du contrat concerné, le respect des droits conférés par la directive 93/13 ne saurait être garanti (arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C‑495/19, EU:C:2020:431, point 35 et jurisprudence citée).
47 Il s’ensuit que les conditions fixées par les droits nationaux, auxquelles se réfère l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, ne sauraient porter atteinte à la substance du droit que les consommateurs tirent de cette disposition de ne pas être liés par une clause réputée abusive (arrêts du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 71, ainsi que du 26 janvier 2017, Banco Primus, C‑421/14, EU:C:2017:60, point 51).
48 Dans l’affaire au principal, il ressort de la décision de renvoi que, lors de l’ouverture de la procédure d’exécution, ainsi qu’il a déjà été relevé en partie au point 31 du présent arrêt, le tribunal compétent a examiné d’office la question de savoir si l’une des clauses du contrat en cause pouvait être qualifiée d’abusive. Après avoir considéré que tel n’était pas le cas, il a ordonné l’exécution sans que le contrôle d’office qu’il a pratiqué soit expressément mentionné dans sa décision. Il ressort également de cette décision que, à l’expiration d’un délai de dix jours, qui court à compter de la notification de celle-ci, pour former opposition à l’exécution, le défendeur est forclos à contester l’exécution, y compris pour des motifs tirés du caractère potentiellement abusif de clauses d’un contrat conclu avec un professionnel.
49 Dès lors que la décision par laquelle le tribunal a ordonné l’ouverture de la procédure d’exécution hypothécaire ne comportait aucun motif attestant de l’existence d’un contrôle du caractère abusif des clauses du titre à l’origine de cette procédure, le consommateur n’a pas été informé de l’existence de ce contrôle ni, au moins sommairement, des motifs sur la base desquels le tribunal a estimé que les clauses en cause étaient dépourvues de caractère abusif. Partant, il n’a pu apprécier en toute connaissance de cause s’il y avait lieu d’introduire un recours contre cette décision.
50 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, au point 63 des conclusions, l’obligation du juge national de procéder à un examen d’office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles est justifiée par la nature et l’importance de l’intérêt public sous-tendant la protection que la directive 93/13 confère aux consommateurs. Or, un contrôle efficace du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles, tel qu’exigé par la directive 93/13, ne saurait être garanti si l’autorité de la chose jugée s’attachait également aux décisions juridictionnelles qui ne font pas état d’un tel contrôle.
51 En revanche, il y a lieu de considérer que cette protection serait assurée si, dans l’hypothèse visée aux points 49 et 50 du présent arrêt, le juge national indiquait explicitement, dans sa décision autorisant l’exécution hypothécaire, qu’il a procédé à un examen d’office du caractère abusif des clauses du titre à l’origine de la procédure d’exécution hypothécaire, que cet examen, motivé au moins sommairement, n’a révélé l’existence d’aucune clause abusive et que, en l’absence d’opposition dans le délai fixé par le droit national, le consommateur sera forclos à faire valoir le caractère éventuellement abusif de ces clauses.
52 Il découle de ce qui précède que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui, en raison de l’effet de l’autorité de la chose jugée et de la forclusion, ne permet ni au juge d’examiner d’office le caractère abusif de clauses contractuelles dans le cadre d’une procédure d’exécution hypothécaire ni au consommateur, après l’expiration du délai pour former opposition, d’invoquer le caractère abusif de ces clauses dans cette procédure ou dans une procédure déclarative subséquente, lorsque lesdites clauses ont déjà fait l’objet, lors de l’ouverture de la procédure d’exécution hypothécaire, d’un examen d’office par le juge de leur caractère éventuellement abusif, mais que la décision juridictionnelle autorisant l’exécution hypothécaire ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de l’existence de cet examen ni n’indique que l’appréciation portée par ce juge à l’issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l’absence d’opposition formée dans ledit délai.
Sur la quatrième question
53 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui n’autorise pas une juridiction nationale, agissant d’office ou sur demande du consommateur, à examiner le caractère éventuellement abusif de clauses contractuelles lorsque la garantie hypothécaire a été réalisée, le bien hypothéqué vendu et les droits de propriété à l’égard du bien faisant l’objet du contrat en cause transférés à un tiers.
54 Il y a lieu de rappeler que, au point 50 de l’arrêt du 7 décembre 2017, Banco Santander (C‑598/15, EU:C:2017:945), la Cour a dit pour droit que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’appliquent pas à une procédure introduite par l’adjudicataire d’un bien immeuble à la suite de l’exécution extrajudiciaire de la garantie hypothécaire consentie sur ce bien par un consommateur au profit d’un créancier professionnel et qui a pour objet la protection des droits réels légalement acquis par cet adjudicataire dans la mesure où, d’une part, cette procédure est indépendante de la relation juridique liant le créancier professionnel au consommateur et, d’autre part, la garantie hypothécaire a été exécutée, le bien immobilier a été vendu et les droits réels qui s’y rapportent ont été transférés sans que le consommateur ait fait usage des voies de droit prévues dans ce contexte. En particulier, la Cour a souligné, au point 44 de cet arrêt, que la procédure en question ne concernait pas l’exécution forcée de la garantie hypothécaire et ne reposait pas sur le contrat de prêt hypothécaire.
55 En revanche, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 71 de ses conclusions, la présente affaire s’inscrit dans le contexte d’une procédure d’exécution hypothécaire relative au rapport juridique existant entre un consommateur et un créancier professionnel qui ont conclu un contrat de prêt hypothécaire.
56 Ainsi qu’il ressort de la réponse apportée aux première à troisième questions, lorsqu’une décision juridictionnelle autorisant l’exécution hypothécaire a été prise alors qu’un examen d’office du caractère abusif des clauses du titre à l’origine de cette procédure a été antérieurement effectué par un juge, mais que cette décision ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de l’existence de cet examen ni n’indique que l’appréciation portée par ce juge à l’issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l’absence d’opposition formée dans le délai prévu à cet effet, ni l’autorité de la force jugée ni la forclusion ne sauraient être opposées à un consommateur aux fins de priver ce dernier de la protection contre les clauses abusives qu’il tire de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lors des étapes ultérieures de cette procédure, telles qu’une demande de paiement des intérêts dus à l’établissement bancaire en raison de la non-exécution, par le consommateur, du contrat de prêt hypothécaire en cause ou d’une procédure déclarative subséquente.
57 Cela étant, dans une situation telle que celle au principal, dans laquelle la procédure d’exécution hypothécaire a pris fin et les droits de propriété à l’égard de ce bien ont été transférés à un tiers, le juge, agissant d’office ou sur demande du consommateur, ne peut plus procéder à un examen du caractère abusif de clauses contractuelles qui conduirait à l’annulation des actes transférant la propriété et remettre en cause la sécurité juridique du transfert de propriété déjà opéré envers un tiers.
58 Le consommateur doit néanmoins, dans une telle situation, être en mesure, conformément à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, d’invoquer dans une procédure subséquente distincte le caractère abusif des clauses du contrat de prêt hypothécaire afin de pouvoir exercer effectivement et pleinement ses droits au titre de cette directive, en vue d’obtenir réparation du préjudice financier causé par l’application de ces clauses.
59 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui n’autorise pas une juridiction nationale, agissant d’office ou sur demande du consommateur, à examiner le caractère éventuellement abusif de clauses contractuelles lorsque la garantie hypothécaire a été réalisée, le bien hypothéqué vendu et les droits de propriété à l’égard de ce bien transférés à un tiers, à la condition que le consommateur dont le bien a fait l’objet d’une procédure d’exécution hypothécaire puisse faire valoir ses droits lors d’une procédure subséquente en vue d’obtenir réparation, au titre de cette directive, des conséquences financières résultant de l’application de clauses abusives.
Sur les dépens
60 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui, en raison de l’effet de l’autorité de la chose jugée et de la forclusion, ne permet ni au juge d’examiner d’office le caractère abusif de clauses contractuelles dans le cadre d’une procédure d’exécution hypothécaire ni au consommateur, après l’expiration du délai pour former opposition, d’invoquer le caractère abusif de ces clauses dans cette procédure ou dans une procédure déclarative subséquente, lorsque lesdites clauses ont déjà fait l’objet, lors de l’ouverture de la procédure d’exécution hypothécaire, d’un examen d’office par le juge de leur caractère éventuellement abusif, mais que la décision juridictionnelle autorisant l’exécution hypothécaire ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de l’existence de cet examen ni n’indique que l’appréciation portée par ce juge à l’issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l’absence d’opposition formée dans ledit délai.
2) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui n’autorise pas une juridiction nationale, agissant d’office ou sur demande du consommateur, à examiner le caractère éventuellement abusif de clauses contractuelles lorsque la garantie hypothécaire a été réalisée, le bien hypothéqué vendu et les droits de propriété à l’égard de ce bien transférés à un tiers, à la condition que le consommateur dont le bien a fait l’objet d’une procédure d’exécution hypothécaire puisse faire valoir ses droits lors d’une procédure subséquente en vue d’obtenir réparation, au titre de cette directive, des conséquences financières résultant de l’application de clauses abusives.