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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 12 mai 2022, n° 20/05822

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Hôtel Gril de Sainte Luce (SAS), Ferré Participations (SARL)

Défendeur :

Louvre Hôtels Group (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Muller, Mme De-Naurois

Avocats :

Me Dupuis, Me Bordenave Marzocchi, Me Lafon, Me Mounicq

T. com. Nanterre, 6e ch., du 4 nov. 2020…

4 novembre 2020

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat du 1er janvier 2011, la société Louvre Hôtels Group (ci-après société Louvre Hôtels) a confié à la société Hôtel Gril de Sainte-Luce (ci-après société Sainte Luce) une franchise pour l'exploitation d'un hôtel sous l'enseigne Campanile, situé à Sainte-Luce-sur-Loire pour une durée de dix années.

Selon contrat du même jour, la société Louvre Hôtels s'est engagée à assurer des prestations de services au profit de la société Sainte Luce (assistance dans la gestion et l'exploitation de l'hôtel).

Le 31 mars 2016, la société Sainte-Luce a sollicité l'accord de son franchiseur sur le changement de son mandataire social, avec maintien du contrat de franchise. Dans l'hypothèse d'un agrément du nouveau mandataire social par le franchiseur, la société Sainte Luce sollicitait la résiliation, par anticipation, du contrat de prestation de services.

Par courrier recommandé du 21 avril 2016, la société Louvre Hôtels a notifié à la société Sainte Luce son refus d'agrément du "candidat cessionnaire", la société Ferré Participation.

Par courrier recommandé du 3 juin 2016, la société Sainte-Luce a indiqué qu'elle se résignait à prendre acte de la décision unilatérale de la société Louvre Hôtels de mettre fin au contrat de franchise ainsi qu'au contrat de prestation.

Par courrier du 15 juin 2016, la société Louvre Hôtels a contesté l'imputabilité de la rupture des contrats.

Par courrier recommandé du 19 décembre 2016, la société Louvre Hôtels a mis en demeure la société Sainte-Luce d'avoir à lui verser la somme de 253.459,02 euros au titre de la résiliation anticipée des contrats de franchise et de prestation de service.

Par acte du 4 mai 2018, la société Louvre Hôtels a assigné la société Sainte-Luce et la société Ferré Participation devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de les voir condamnées à lui régler la somme de 253.459,02 euros au titre de la résiliation des contrats de franchise et de prestation de services.

Par jugement du 4 novembre 2020, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Dit que la société Hôtel Gril de Sainte-Luce a engagé sa responsabilité contractuelle provocant la résiliation du contrat de franchise par le franchiseur ;

- Constaté la résiliation du contrat de prestation de services attaché au contrat de franchise du 1er janvier 2011 engageant la responsabilité de la société Hôtel Gril de Sainte-Luce ;

- Condamné la société Hôtel Gril de Sainte-Luce à payer à la société Louvre Hôtels Group la somme de 100.000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 12 juillet 2016 ;

- Débouté la société Louvre Hôtels Group de ses demandes d'indemnité au titre du contrat de prestation de services et de ses autres demandes ;

- Ordonné la capitalisation des intérêts ;

- Condamné in solidum les sociétés Hôtel Gril de Sainte-Luce et Ferré Participation au paiement de la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Condamné la société Hôtel Gril de Sainte-Luce aux dépens.

Par déclaration du 24 novembre 2020, la société Hôtel Gril de Sainte-Luce a interjeté appel du jugement à l'encontre de la seule société Louvre Hotels Group.

Par déclaration du 8 décembre 2020, la société Louvre Hôtels Group a interjeté appel du jugement à l'encontre des sociétés Hôtel Gril de Sainte Luce et Ferré Participation.

Vu l'ordonnance de jonction du 17 juin 2021.

Par ordonnance du 22 juillet 2021, le conseiller de la mise en état a :

- Déclaré recevable en appel la prétention nouvelle formée par la société Louvre Hôtels Group qui tend au paiement de la somme de 26.742,92 euros ;

- Rejeté la demande de communication de pièces ;

- Dit que les dépens de l'incident suivront le sort de l'instance principale.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 17 décembre 2021, les sociétés Sainte-Luce et Ferré Participation demandent à la cour de :

- Déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par la société Sainte-Luce ;

- Déclarer mal fondé l'appel formé par la société Louvre Hôtels ;

- Déclarer recevable et bien fondé l'appel incident formé par les sociétés Sainte-Luce et Ferré Participation ;

A titre principal,

- Débouter de l'ensemble de ses demandes la société Louvre Hôtels ;

- Infirmer partiellement le jugement du 4 novembre 2020 en ce qu'il a :

- Jugé que la société Sainte-Luce avait engagé sa responsabilité contractuelle ;

- Condamné la société Sainte-Luce au paiement de la somme de 100.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 2016, au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ;

- Débouté la société Sainte-Luce de ses autres demandes ;

Et statuant de nouveau,

A titre principal,

- Juger que la société Sainte-Luce a respecté les contrats de franchise et de prestation de services la liant à la société Louvre Hôtels, et n'a donc pas engagé sa responsabilité contractuelle ;

- Juger que la motivation du refus d'agrément par Louvre Hôtels est infondée, abusive et inopposable à la société Sainte-Luce ;

- Juger que les contrats de franchise et de prestation de services liant les parties n'ont pas été résiliés aux torts de la société Sainte-Luce ;

- Débouter la société Louvre Hôtels de l'intégralité de ses demandes ;

- Juger que la société Louvre Hôtels a engagé sa responsabilité en raison du caractère abusif de son refus d'agrément du changement de mandataire social de son franchisé ;

- Juger que la résiliation du contrat de franchise (et du contrat de prestation de services) conséquence du refus d'agrément était abusive, le refus d'agrément étant lui-même abusif et non causé ;

- Juger que la société Sainte-Luce a incontestablement subi un préjudice causé par le refus d'agrément de la société Louvre Hôtels et par la résiliation abusive des contrats précités ;

- Débouter la société Louvre Hôtels de sa demande en paiement de factures ;

En conséquence,

- Condamner la société Louvre Hôtels à payer à la société Sainte-Luce la somme de 11.142 euros en réparation du préjudice par elle subit ;

A titre subsidiaire, si la responsabilité de la société Sainte-Luce devait être retenue,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Jugé que la société Ferré Participation n'a pas engagé sa responsabilité ;

- Jugé que l'indemnité de résiliation prévue à l'article 10.2 du contrat de franchise est une clause pénale ;

- Jugé que la clause pénale prévue au contrat de franchise ne peut avoir comme assiette de calcul que la redevance due au titre du contrat de franchise et que les honoraires dues au titre du contrat de prestation de services ne sont nullement visés pour le calcul de cette indemnité ;

- Jugé que l'indemnité de résiliation en résultant d'un montant de 114.456,64 euros au titre du contrat de franchise est manifestement excessive et par conséquent la réduire ;

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Sainte-Luce à payer à la société Louvre Hôtels la somme de 100.000 euros ;

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé le point de départ des intérêts au 12 juillet 2016 ;

- Juger que la société Louvre Hôtels ne démontre ni la réalité, ni le quantum de son préjudice ;

En conséquence,

- Limiter l'indemnité due à la société Louvre Hôtels à la somme d'un euro symbolique ;

- Fixer le point de départ des intérêts à la date de la signification de l'arrêt à intervenir, leur principe et leur quantum étant incertains jusqu'à l'arrêt de la cour ;

En tout état de cause,

- Condamner la société Louvre Hôtels à payer à chacune des sociétés Sainte-Luce et Ferré Participation la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil ;

- Condamner la société Louvre Hôtels à payer à chacune des sociétés Sainte-Luce et Ferré Participation la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Louvre Hôtels au paiement des entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 31 décembre 2021, la société Louvre Hôtels demande à la cour de :

- Débouter les sociétés Sainte-Luce et Ferré Participation de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- Déclarer recevable et bien fondée la société Louvre Hôtels en son appel incident ;

- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société Sainte-Luce au paiement d'une indemnité contractuelle de résiliation au titre du contrat de franchise ;

- Confirmer que les résiliations du contrat de franchise et du contrat de prestation de services sont intervenues aux torts et griefs exclusifs de la société franchisée, lesdites résiliations lui étant imputables ;

- Réformer le jugement entrepris pour amender la condamnation des premiers juges, et statuant à nouveau de ce chef, la porter à la somme de 114.456,64 euros consécutive à la résiliation anticipée du contrat de franchise, par application de l'article 10.2 du contrat de franchise ;

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté :

- La société Louvre Hôtels de sa demande de condamnation solidaire de la société Ferré Participation au paiement de ladite somme ;

- La société Louvre Hôtels de sa demande de condamnation solidaire des sociétés Sainte-Luce et Ferré Participation par application de l'article 8.2 du contrat de prestation de services, d'une indemnité de 139.002,38 euros ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

- Dire et juger que la société Ferré Participation a engagé sa responsabilité extracontractuelle sur le fondement de l'article 1240 du code civil, caractérisée par des agissements positifs et prémédités de « tiers complice » ;

En conséquence,

- La condamner conjointement et solidairement avec la société Sainte-Luce à verser à la société Louvre Hôtels par application de l'article 10.2 du contrat de franchise, une somme de 114.456,64 euros consécutive à la résiliation anticipée du contrat de franchise ;

- Condamner conjointement et solidairement les sociétés Sainte-Luce et Ferré Participation à payer une somme de 139.002,38 euros en indemnisation du préjudice subi du fait de la résiliation du contrat de prestation de services ;

- Assortir l'ensemble de ces condamnations des intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure du 12 juillet 2016 ;

- Condamner la société Sainte-Luce à payer une somme de 26.742,92 euros à la société Louvre Hôtels au titre de ses factures restées impayées et ce avec intérêt légal ;

- Ordonner la capitalisation des intérêts ;

- Condamner conjointement et solidairement les sociétés Sainte-Luce et Ferré Participation à verser à la société Louvre Hôtels une somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner conjointement et solidairement les sociétés Sainte-Luce et Ferré Participation aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Franck L., avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 janvier 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 - Sur l'imputabilité de la rupture des contrats,

La société Sainte Luce critique le jugement de première instance, et soutient qu'elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité dans la résiliation des contrats. Elle soutient en premier lieu avoir respecté la procédure d'agrément prévue au contrat de franchise. Elle fait valoir que la seule modification portait sur le changement de son mandataire social, M. Didier F. devenant son nouveau président aux lieu et place de M. Steven G.. Elle soutient que la société Louvre Hôtels commet une erreur manifeste sur la qualification de l'opération en soutenant à tort qu'il s'agit d'une cession des droits sociaux la concernant, alors qu'il s'agit d'une cession de droits sociaux de sa société mère, entraînant uniquement un changement de mandataire social. Elle critique notamment la position de la société Louvre Hôtels qui invoque un « changement de contrôle par ricochet ». Elle soutient que le refus d'agrément de la société Louvre Hôtels est totalement infondé et donc abusif.

La société Louvre Hôtels soutient pour sa part que son refus d'agrément de la société Ferré Participations était parfaitement motivé, et que - compte tenu du non-respect de ce refus d'agrément - elle aurait été fondée à résilier de plein droit le contrat de franchise si la société Sainte Luce n'en avait pas pris l'initiative. Elle soutient qu'il n'y a pas eu un simple changement de mandataire social, mais également un changement de contrôle de la société Sainte Luce. Elle fait valoir que son refus d'agrément est conforme à l'article 8.2 du contrat de franchise en ce qu'un changement de contrôle est intervenu, « par ricochet, au sein de la société Franchisée'. Elle soutient que la société Ferré Participation - qu'elle qualifie de 'candidat cessionnaire » - étant devenue le nouvel actionnaire majoritaire de la société mère, détenait ainsi une influence déterminante sur la gestion de la société franchisée. Elle soutient en outre que son refus d'agrément du candidat cessionnaire, en la personne de la société Ferré Participation, reposait sur des motifs parfaitement légitimes dès lors que cette société ne respectait pas, dans un autre hôtel, les normes de la marque Campanille.

* Sur l'application de l'article 8.2 du contrat de franchise relatif à l'agrément du franchiseur.

Il résulte de l'article 8.2 du contrat de franchise intitulé "transmission du contrat" que:

Le Franchiseur aura, selon les termes de l'article 10, un droit de résiliation du présent contrat, sans avoir à verser aucune indemnité au Franchisé, pour toute modification substantielle entraînant un changement de contrôle qui pourrait intervenir au sein de la société franchisée et sur laquelle le Franchiseur n'aurait pas donné son accord préalable écrit, notamment en cas de :

- Modification de la répartition des droits sociaux de la société d'exploitation entraînant un changement du contrôle de son capital.

- Changement de mandataire social dans l'hypothèse où le nouveau mandataire social n'est pas associé de la société d'exploitation de l'Etablissement.

- Cession ou mise en location-gérance du fonds de commerce.

Pour la bonne exécution de cette clause, le Franchisé s'engage à informer au préalable le Franchiseur, par lettre recommandée avec accusé de réception, de tout projet de modification.

Le Franchiseur disposera alors d'un délai de quarante-cinq jours à compter de la date de réception de ce courrier pour donner, par écrit, son accord et agréer les modifications intervenues ou exprimer son veto. En cas de veto, le Franchiseur devra motiver son refus ». (Soulignements ajoutés par la cour).

Dans son courrier du 31 mars 2016, la société Sainte Luce a informé la société Louvre Hôtels en ces termes : en application de l'article 8.2 du contrat de franchise, nous sollicitons par la présente l'accord du franchiseur sur le changement envisagé de mandataire social du franchisé qui interviendrait en conséquence de l'opération décrite ci-dessous, et sur le maintien du contrat de franchise.

La société Euro Eco Hôtels France SAS envisage de céder la totalité des parts sociales composant le capital de la société Euro Eco Hôtels France Investment 1, qui détient 100 % des actions constituant le capital du franchisé, à la société Ferré Participation, SARL au capital de 10.000 euros (...). L'acquéreur [société Ferré Participation] est membre du groupe F. Hôtels qui détient et exploite 24 hôtels économiques sous les enseignes Campanille, Kyriad et Première Classe du Franchiseur, depuis environ une vingtaine d'années. Le projet envisagé aurait pour effet d'entraîner le changement de Président du Franchisé, le Président actuel soussigné [Steven G.] étant remplacé par M. Didier F., le jour de la réalisation de l'opération (...). (souligné par la cour).

Le seul changement dont la société Sainte Luce fait ainsi état dans ce courrier est celui relatif au changement de mandataire social, M. Didier F. devant remplacer M. Steven G. en qualité de Président de la société Sainte Luce.

Le contexte de ce changement de mandataire, tel que décrit dans le courrier, est le suivant : la société Euro Eco Hôtels France SAS envisage de céder à la société Ferré Participation la totalité des parts sociales de sa filiale Euro Eco Hôtels France Investment 1, cette dernière détenant elle-même 100 % des actions de la société franchisée Sainte Luce.

La société Sainte Luce soutient qu'il n'y a eu qu'un changement de mandataire social, à l'exclusion de tout changement de contrôle dès lors que la détention de son capital social n'a pas été modifiée (ce capital étant toujours détenu par la société Euro Eco Hôtels France Investment 1).

S'il est exact qu'il n'était envisagé qu'un changement de mandataire social, force est toutefois de constater que l'article 8.2 précité, qui fait la loi des parties, précise que le franchiseur pourra résilier le contrat : pour toute modification substantielle entraînant un changement de contrôle qui pourrait intervenir au sein de la société franchisée (...) notamment en cas de :

- Modification de la répartition des droits sociaux de la société d'exploitation entraînant un changement du contrôle de son capital.

- Changement de mandataire social dans l'hypothèse où le nouveau mandataire social n'est pas associé de la société d'exploitation de l'Etablissement (...). (Souligné par la cour).

Il résulte de cette disposition que la "modification substantielle" pouvant justifier une résiliation par le franchiseur est contractuellement définie comme s'appliquant "notamment" aux deux hypothèses suivantes :

- La modification de répartition des droits sociaux de la société d'exploitation, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, puisque aucune modification n'est intervenue dans la répartition des droits sociaux de la société d'exploitation, à savoir la société Sainte Luce, dès lors qu'ils sont toujours détenus par sa société mère, la société Euro Eco Hôtels France Investment 1.

- Le changement de mandataire social, ce qui est le cas et n'est pas discuté en l'espèce, étant précisé que le nouveau mandataire n'est pas associé de la société d'exploitation.

La rédaction même de l'article 8.2 ne laisse aucun doute sur le fait que le changement de mandataire social - dans l'hypothèse où le nouveau mandataire social n'est pas associé de la société d'exploitation de l'Etablissement, ce qui est le cas en l'espèce - est contractuellement admis comme constituant une « modification substantielle entraînant un changement de contrôle pouvant intervenir au sein de la société franchisée. »

Il en résulte que la société Louvre Hôtels est fondée à se prévaloir, outre d'un changement de mandataire social qui n'est pas contesté, du fait que ce changement de mandataire, avec l'arrivée de M. Didier F., constitue une modification substantielle entraînant un changement de contrôle de la société franchisée.

* Sur les motifs du refus d'agrément,

La société Louvre Hôtels soutient qu'elle disposait de motifs légitimes pour refuser son agrément à celui qu'elle désigne comme étant le "candidat cessionnaire", à savoir la société Ferré Participation, au motif d'une part que cette dernière s'était vu retirer, quelques années plus tôt, la franchise Campanille sur un hôtel à la Rochelle, d'autre part que le dernier hôtel Campanille exploité par la société Ferré Participation à Laval ne respectait pas les normes Campanille. Elle indique de manière globale que l'enseigne Campanille n'était pas adaptée au "groupe F.". Elle ajoute que la demande d'agrément devait nécessairement prendre en compte tous les éléments concernant le groupe, sans pouvoir se baser exclusivement sur la qualité de M. F. en tant que mandataire social.

La société Sainte Luce soutient que la justification du refus d'agrément - par des motifs concernant uniquement la société Ferré Participation, alors même que l'agrément ne portait que sur la personne du mandataire social, en l'espèce M. Didier F. - équivaut à une absence de motivation du refus d'agrément du nouveau mandataire social. Elle ajoute que le retrait de la franchise sur l'hôtel de la Rochelle résulte d'une résiliation d'un commun accord, sans qu'aucun non-respect des normes n'ait été constaté. S'agissant de l'hôtel Campanille de Laval, elle observe que le seul manquement est celui notifié le 20 avril 2016, la veille du refus d'agrément du 21 avril 2016. Elle soutient donc que le refus d'agrément est abusif.

Il convient de rappeler que l'article 8.2 précité prévoit, in fine : « Le Franchiseur disposera alors d'un délai de quarante-cinq jours à compter de la date de réception de ce courrier pour donner, par écrit, son accord et agréer les modifications intervenues ou exprimer son veto. En cas de veto, le Franchiseur devra motiver son refus ». (souligné par la cour).

Il appartient au juge, afin de contrôler l'absence de tout arbitraire dans le refus d'agrément, de vérifier que ce refus du franchiseur est justifié par des impératifs tenant à la sauvegarde de ses intérêts commerciaux légitimes.

Dans son courrier du 21 avril 2016, la société Louvre Hôtels motive son refus d'agrément de la manière suivante : « la marque Campanille est une marque particulièrement normée à l'identité forte. Or, le Candidat Cessionnaire s'est déjà vu retirer il y a quelques années la franchise sous enseigne Campanile sur un hôtel à la Rochelle du fait du non-respect des normes de la marque. Par ailleurs, le Candidat cessionnaire n'exploite plus qu'un établissement hôtelier sous enseigne Campanile à Laval, pour lequel nous avons constaté de nombreux manquements notamment le non-respect des délais de rénovation, les horaires du restaurant non conformes aux prescriptions de la marque, la non-reprise des logiciels de gestion de l'hôtel permettant au particulier d'interagir avec les systèmes de réservation, de restauration et les outils de fidélité, et le non-respect des directives de la marque en matière de programme de fidélité. Par conséquent, nous sommes fondés à considérer que cette marque n'est pas adaptée au Candidat Cessionnaire et nous ne pouvons donc pas agréer ledit Candidat cessionnaire en vue de la reprise du contrat de Franchise Campanile sur l'hôtel susvisé (...). »

Il a été démontré plus avant que le changement de mandataire social soit assimilé à une « modification substantielle entraînant un changement de contrôle pouvant intervenir au sein de la société franchisée ». Il ne peut donc être reproché à la société Louvre Hôtels de motiver son refus d'agrément par un changement de contrôle dans la société Sainte Luce du fait du changement de mandataire social, et il n'y a donc pas lieu de s'attacher au fait que le refus d'agrément repose sur des motifs incombant à la société Ferré Participation, plutôt qu'à M. Didier F. en particulier.

Le contrôle de l'éventuel abus dans le refus d'agrément ne peut s'apprécier qu'au regard des motifs invoqués dans le courrier du 21 avril 2016, c'est-à-dire les difficultés rencontrées dans les hôtels de la Rochelle et de Laval, les motifs invoqués ultérieurement étant inopérants du fait de leur tardiveté (refus de reprise du contrat de prestation de service, renvois d'appel vers un hôtel Ibis, retards de paiement...).

S'agissant de l'hôtel de la Rochelle, la cour observe en premier lieu que - contrairement à ce qui est soutenu dans le courrier du 21 avril 2016 - la société F. ne s'est pas « vue retirer la franchise du fait du non-respect des normes ». S'il est exact que les compte-rendu de visite de cet hôtel, en 2010, 2011 et 2012 mentionnent quelques dysfonctionnements, ces derniers ne sont pas à l'origine de la résiliation du contrat de franchise - intervenue le 19 février 2013 - à la demande du franchisé, et non pas du franchiseur. Les quelques manquements relevés, qui ne paraissent pas essentiels (cf : synthèse de la visite de mars 2011 plutôt positive après des travaux d'entretien réalisés par le franchisé), sont insuffisants pour justifier le refus d'agrément de la société Ferré Participation. Il n'est en tout état de cause justifié d'aucun retrait de franchise du fait du non-respect des normes, de sorte que ce motif de refus d'agrément est à tout le moins erroné.

S'agissant de l'hôtel de Laval, la société Louvre Hôtels fait état - dans son courrier du 21 avril 2016 - de très nombreux manquements. Force est toutefois de constater que le seul manquement antérieur au 21 avril 2016 est celui faisant l'objet d'un courrier établi la veille, soit le 20 avril 2016, pour trois dépassements de dates limites de consommation. S'il est exact que ce manquement est d'une certaine gravité, en ce qu'il peut avoir des conséquences sur la santé de la clientèle et sur l'image de marque de l'enseigne, force est toutefois de constater qu'il s'agit d'un fait unique. Le courrier de la société Louvre Hôtels du 20 avril 2016 intitulé "alerte hygiène", précise que ce dernier compte sur le franchisé : « pour réagir et pour veiller à ce que de tels faits ne se reproduisent plus ». La société Louvre Hôtels ne produit aucune pièce permettant de justifier des autres manquements qu'elle invoque dans son courrier du 21 avril 2016, à savoir : « non-respect des délais de rénovation, les horaires du restaurant non conformes aux prescriptions de la marque, la non-reprise des logiciels de gestion de l'hôtel permettant au particulier d'interagir avec les systèmes de réservation, de restauration et les outils de fidélité, et le non-respect des directives de la marque en matière de programme de fidélité. »

Les faits postérieurs au 21 avril 2016 ne peuvent être pris en compte pour justifier éventuellement le refus d'agrément.

S'il est certain que le franchiseur dispose du droit de refuser un agrément à un franchisé, ce droit doit être justifié par des impératifs tenant à la sauvegarde de ses intérêts commerciaux légitimes. Les quelques manquements anciens (2010 à 2012) et sans gravité dans l'hôtel de la Rochelle, et l'unique dépassement de date limite de consommation (sur 3 produits) dans l'hôtel de Laval, constaté la veille du refus d'agrément, ne mettaient pas en cause la sauvegarde des intérêts commerciaux légitimes de la société Louvre Hôtels, de sorte qu'en refusant son agrément, la société Louvre Hôtels a abusé de ses droits de franchiseur. Elle n'était donc pas fondée à s'opposer au changement de mandataire social de la société Sainte Luce.

Le jugement sera infirmé de ce chef

Il résulte de l'article 10 du contrat de franchise que : « le contrat pourra également être résilié de plein droit, sans qu'il y ait lieu à mise en demeure préalable, en cas de modification substantielle, telle que définie à l'article 8, de la société du franchisé, effectuée en violation de ce même article. »

Le refus d'agrément ayant été opposé par la société Louvre Hôtels en violation de l'article 8.2 précité, il convient de constater la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société Louvre Hôtels. Le contrat de prestation de services étant l'accessoire du contrat de franchise, sans lequel il se trouve dépourvu d'objet, il convient également de prononcer sa résiliation aux torts de la société Louvre Hôtels.

2 - Sur les conséquences de la résiliation des contrats,

Les contrats de franchise et de prestation de services étant résiliés aux torts du franchiseur, ses demandes en paiement au titre de la résiliation anticipée de ces contrats seront rejetées.

La société Sainte Luce sollicite pour sa part paiement d'une somme de 11.142 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du refus abusif d'agrément de son nouveau mandataire social. Elle fait valoir que la résiliation des contrats a entraîné des frais de communication et d'organisation (changement d'enseigne, de signalétique, changement de logiciel de réservation et facturation), dont elle sollicite paiement.

La société Louvre Hôtels ne forme aucune observation à ce titre.

Du fait du refus abusif d'agrément entraînant la résiliation du contrat de franchise, la société Sainte Luce a été contrainte de procéder au changement d'enseigne, de signalétique et de logiciels. Elle produit aux débats deux factures, l'une relative à l'enseigne et à la signalétique pour un montant de 7.920 euros, l'autre relative aux logiciels de gestion et réservation pour un montant de 3.222 euros, soit un montant global de 11.142 euros.

La société Sainte Luce est ainsi fondée en sa demande en réparation du préjudice en lien de causalité avec la résiliation du contrat aux torts de la société Louvre Hôtels, à hauteur de la somme de 11.142 euros. Cette dernière sera condamnée au paiement de cette somme.

3 - Sur la demande en paiement au titre de factures impayées,

La société Louvre Hôtels sollicite paiement de la somme de 26.742,92 euros au titre de 28 factures que la société Sainte Luce a laissées impayées, au titre tant du contrat de franchise que du contrat de prestation de services. Elle fait valoir que ces sommes ont été facturées conformément aux termes contractuels.

La société Sainte Luce s'étonne que cette demande en paiement soit formée pour la première fois en appel, et soutient que cela suffit à remettre en cause leur bien fondé. Elle fait valoir que ces factures sont insuffisantes à justifier des prestations accomplies, concluant ainsi au débouté des demandes. Elle soulève la prescription quinquennale pour certaines factures correspondant à des prestations réalisées en décembre 2015, janvier 2016 et février 2016 (pour un montant de 824,40 euros), dès lors que la première demande a été formulée dans des conclusions du 4 mars 2021.

Il résulte de l'article 2224 du code civil que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le vendeur devant délivrer sa facture dès la réalisation de la prestation de services, l'obligation au paiement du client prend naissance au moment où la prestation commandée a été exécutée, peu important la date à laquelle le vendeur décide d'établir sa facture.

Les 5 factures de la société Louvre Hôtels portant les numéros de pièce 47/3, 47/9, 47/13, 47/21 et 47/22 portent sur des prestations réalisées jusqu'en décembre 2015, voire janvier ou février 2016. La demande en paiement de ces factures ayant été formulée plus de 5 ans plus tard, par conclusions du 4 mars 2021, elle sera déclarée prescrite, le montant de ces factures s'élevant à la somme de 574,56 euros.

La demande en paiement de la facture du 20 septembre 2016, portant le numéro 47/29 (pour 127,92 euros) n'est pas prescrite dès lors que la date des prestations réalisées n'est pas mentionnée, ni invoquée par la société Sainte Luce.

S'agissant des autres factures, il n'est pas contesté qu'elles sont conformes aux termes des contrats, s'agissant soit de prestations de service (facturation des bulletins de paie, honoraires de gestion, affiliation à certains services dont digital fees, carlson wagons lits..), soit de redevances au titre de la franchise (redevances, participation à la publicité). Le seul fait que la société Louvre Hôtels ait tardé à solliciter paiement de ces factures ne permet pas de remettre en cause la réalité des prestations facturées, cette réalité ne pouvant être sérieusement contestée dès lors que l'ensemble des prestations sont antérieures à la résiliation des contrats.

Il convient donc de faire droit à la demande en paiement à hauteur de la somme de : 26.742,92 euros - 574,56 euros = 26.168,36 euros. La société Sainte Luce sera condamnée au paiement de cette somme, outre intérêts au taux légal, et capitalisation des intérêts.

Il convient d'ordonner la compensation entre les sommes respectivement dues par les parties, ainsi qu'il sera précisé plus avant.

4 - Sur la demande indemnitaire au titre de la procédure abusive.

Les sociétés Sainte Luce et Ferré Participation sollicitent paiement d'une somme de 15.000 euros chacune au motif du caractère abusif de l'action en justice exercée par la société Louvre Hôtels.

Dès lors qu'il est fait droit, même partiellement à l'action introduite par la société Louvre Hôtels, celle-ci ne peut être qualifiée d'abusive, de sorte que la demande formée à ce titre sera rejetée.

5 - Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens, mais infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles.

Chacune des sociétés succombant partiellement en cause d'appel, elle conservera la charge de ses dépens d'appel.

Il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des sociétés la charge des frais irrépétibles qu'elle a dû engager pour faire valoir son droit.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 4 novembre 2020 en ce qu'il a condamné la société Hôtel Gril de Sainte Luce au paiement des dépens.

L'infirme pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

Constate la résiliation des contrats de franchise et de prestation de services aux torts de la société Louvre Hôtels Group.

Condamne la société Louvre Hôtels Group à payer à la société Hôtel Gril de Sainte Luce la somme de 11.142 euros en réparation de son préjudice.

Condamne la société Hôtel Gril de Sainte Luce à payer à la société Louvre Hôtels Group la somme de 26.168,36 euros au titre de factures impayées, outre intérêts au taux légal, et capitalisation des intérêts.

Ordonne la compensation entre les sommes respectivement dues par les parties à hauteur de leur quotité respective.

Rejette toutes autres demandes.

Laisse à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a exposés en cause d'appel.