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Décisions

CJUE, 4e ch., 20 mai 2022, n° C-466/20

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

HEITEC AG

Défendeur :

HEITECH Promotion GmbH, RW

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Lycourgos

Juges :

M. Rodin, M. Bonichot, Mme Rossi, Mme Spineanu Matei

Avocat général :

M. Pitruzzella

Avocats :

Me Ackermann, Me Rohnke, Me Winter, Me Augenstein

CJUE n° C-466/20

19 mai 2022

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2008, L 299, p. 25), ainsi que des articles 54 et 111 du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO 2009, L 78, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant HEITEC AG (ci-après « Heitec ») à HEITECH Promotion GmbH (ci-après « Heitech ») et à RW, au sujet de l’usage, par ces derniers, du nom commercial HEITECH Promotion GmbH et de marques comportant l’élément verbal « heitech ».

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2008/95

3 Le considérant 12 de la directive 2008/95 énonçait :

« Il importe, pour des raisons de sécurité juridique et sans porter atteinte de manière inéquitable aux intérêts du titulaire d’une marque antérieure, de prévoir que ce dernier ne peut plus demander la nullité ou s’opposer à l’usage d’une marque postérieure à la sienne dont il a sciemment toléré l’usage pendant une longue période, sauf si la marque postérieure a été demandée de mauvaise foi. »

4 L’article 4 de cette directive, intitulé « Motifs supplémentaires de refus ou de nullité concernant les conflits avec des droits antérieurs », prévoyait :

« 1. Une marque est refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d’être déclarée nulle :

a) lorsqu’elle est identique à une marque antérieure et que les produits ou services pour lesquels la marque a été demandée ou a été enregistrée sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée ;

b) lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association avec la marque antérieure.

2. Aux fins du paragraphe 1, on entend par “marques antérieures” :

a) les marques dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande de marque, compte tenu, le cas échéant, du droit de priorité invoqué à l’appui de ces marques, et qui appartiennent aux catégories suivantes :

i) les marques [de l’Union européenne],

ii) les marques enregistrées dans l’État membre ou, pour ce qui concerne la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, auprès de l’Office Benelux de la propriété intellectuelle,

iii) les marques qui ont fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans l’État membre ;

b) les marques [de l’Union européenne] qui revendiquent valablement l’ancienneté [...] ;

c) les demandes de marques visées aux points a) et b), sous réserve de leur enregistrement ;

[...]

4. Un État membre peut en outre prévoir qu’une marque est refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d’être déclarée nulle lorsque et dans la mesure où :

a) la marque est identique ou similaire à une marque nationale antérieure au sens du paragraphe 2 et si elle est destinée à être enregistrée ou a été enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque la marque antérieure jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que l’usage de la marque postérieure sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice ;

b) des droits à une marque non enregistrée ou un autre signe utilisé dans la vie des affaires ont été acquis avant la date de dépôt de la demande de marque postérieure ou, le cas échéant, avant la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande de marque postérieure, et que cette marque non enregistrée ou cet autre signe donne à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque postérieure ;

c) l’usage de la marque peut être interdit en vertu d’un droit antérieur autre que les droits mentionnés au paragraphe 2 et au point b) du présent paragraphe, et notamment :

i) d’un droit au nom,

ii) d’un droit à l’image,

iii) d’un droit d’auteur,

iv) d’un droit de propriété industrielle ;

[...] »

5 L’article 9 de ladite directive, intitulé « Forclusion par tolérance », disposait :

« 1. Le titulaire d’une marque antérieure telle que visée à l’article 4, paragraphe 2, qui a toléré, dans un État membre, l’usage d’une marque postérieure enregistrée dans cet État membre pendant une période de cinq années consécutives en connaissance de cet usage ne peut plus demander la nullité ni s’opposer à l’usage de la marque postérieure sur la base de cette marque antérieure pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, à moins que le dépôt de la marque postérieure n’ait été effectué de mauvaise foi.

2. Tout État membre peut prévoir que le paragraphe 1 s’applique au titulaire d’une marque antérieure visée à l’article 4, paragraphe 4, [sous] a), ou d’un autre droit antérieur visé à l’article 4, paragraphe 4, [sous] b) ou c).

3. Dans les cas visés au paragraphe 1 ou 2, le titulaire d’une marque enregistrée postérieure ne peut pas s’opposer à l’usage du droit antérieur bien que ce droit ne puisse plus être invoqué contre la marque postérieure. »

6 La directive 2008/95, qui avait abrogé et remplacé la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), a elle-même été abrogée et remplacée, avec effet au 15 janvier 2019, par la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1). Toutefois, compte tenu de la date des faits à l’origine du litige au principal, la demande de décision préjudicielle doit être examinée au regard de la directive 2008/95.

 Le règlement no 207/2009

7 Aux termes de l’article 8 du règlement no 207/2009, intitulé « Motifs relatifs de refus » :

« 1. Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement :

a) lorsqu’elle est identique à la marque antérieure et que les produits ou les services pour lesquels la marque a été demandée sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée ;

b) lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée ; le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure.

2. Aux fins du paragraphe 1, on entend par “marques antérieures” :

a) les marques dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande de marque [de l’Union européenne], compte tenu, le cas échéant, du droit de priorité invoqué à l’appui de ces marques, et qui appartiennent aux catégories suivantes :

i) les marques [de l’Union européenne],

ii) les marques enregistrées dans un État membre ou, pour ce qui concerne la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, auprès de l’Office Benelux de la propriété intellectuelle,

iii) les marques qui ont fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans un État membre,

iv) les marques qui ont fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans [l’Union européenne] ;

b) les demandes de marques visées au point a), sous réserve de leur enregistrement ;

[...]

4. Sur opposition du titulaire d’une marque non enregistrée ou d’un autre signe utilisé dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale, la marque demandée est refusée à l’enregistrement, lorsque et dans la mesure où, selon la législation [de l’Union] ou le droit de l’État membre qui est applicable à ce signe :

a) des droits à ce signe ont été acquis avant la date de dépôt de la demande de marque [de l’Union européenne] ou, le cas échéant, avant la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande de marque [de l’Union européenne] ;

b) ce signe donne à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente.

[...] »

8 L’article 54 de ce règlement, intitulé « Forclusion par tolérance », disposait :

« 1. Le titulaire d’une marque [de l’Union européenne] qui a toléré pendant cinq années consécutives l’usage d’une marque [de l’Union européenne] postérieure dans [l’Union] en connaissance de cet usage ne peut plus demander la nullité ni s’opposer à l’usage de la marque postérieure sur la base de cette marque antérieure pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, à moins que le dépôt de la marque [de l’Union européenne] postérieure n’ait été effectué de mauvaise foi.

2. Le titulaire d’une marque nationale antérieure visée à l’article 8, paragraphe 2, ou d’un autre signe antérieur visé à l’article 8, paragraphe 4, qui a toléré pendant cinq années consécutives l’usage d’une marque [de l’Union européenne] postérieure dans l’État membre où cette marque antérieure ou l’autre signe antérieur est protégé, en connaissance de cet usage, ne peut plus demander la nullité ni s’opposer à l’usage de la marque postérieure sur la base de la marque antérieure ou de l’autre signe antérieur pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, à moins que le dépôt de la marque [de l’Union européenne] postérieure n’ait été effectué de mauvaise foi.

[...] »

9 L’article 110 dudit règlement, intitulé « Interdiction de l’usage des marques [de l’Union européenne] », prévoyait, à son paragraphe 1 :

« Sauf disposition contraire, le présent règlement n’affecte pas le droit, existant en vertu de la loi des États membres, d’intenter des actions en violation de droits antérieurs au sens de l’article 8 [...], contre l’usage d’une marque [de l’Union européenne] postérieure. Des actions en violation de droits antérieurs au sens de l’article 8, paragraphes 2 et 4, ne peuvent toutefois plus être intentées lorsque le titulaire du droit antérieur ne peut plus, en vertu de l’article 54, paragraphe 2, demander la nullité de la marque [de l’Union européenne]. »

10 L’article 111 du règlement no 207/2009, intitulé « Droits antérieurs de portée locale », disposait :

« 1. Le titulaire d’un droit antérieur de portée locale peut s’opposer à l’usage de la marque [de l’Union européenne] sur le territoire où ce droit est protégé dans la mesure où le droit de l’État membre concerné le permet.

2. Le paragraphe 1 cesse d’être applicable si le titulaire du droit antérieur a toléré l’usage de la marque [de l’Union européenne] sur le territoire où ce droit est protégé, pendant cinq années consécutives en connaissance de cet usage, à moins que le dépôt de la marque [de l’Union européenne] n’ait été effectué de mauvaise foi.

3. Le titulaire de la marque [de l’Union européenne] ne peut pas s’opposer à l’usage du droit visé au paragraphe 1, même si ce droit ne peut plus être invoqué contre la marque [de l’Union européenne]. »

11 Le règlement no 207/2009 a été abrogé et remplacé, avec effet au 1er octobre 2017, par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1). Toutefois, compte tenu de la date des faits à l’origine du litige au principal, la demande de décision préjudicielle doit être examinée au regard du règlement no 207/2009.

 Le droit allemand

12 L’article 21 du Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen (Markengesetz) (loi sur la protection des marques et autres signes distinctifs), du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur les marques »), prévoit :

« 1. Le titulaire d’une marque ou d’un nom commercial n’est pas en droit d’interdire l’usage d’une marque enregistrée postérieure pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée s’il a toléré l’usage de cette marque pendant une période de cinq années consécutives en connaissance de cet usage, à moins que le dépôt de la marque postérieure n’ait été effectué de mauvaise foi.

2. Le titulaire d’une marque ou d’un nom commercial n’est pas en droit d’interdire l’usage [...] d’un nom commercial [...] postérieur s’il a toléré l’usage de [ce nom commercial] pendant une période de cinq années consécutives en connaissance de cette usage, à moins que le titulaire de ce droit ne fût de mauvaise foi à la date de son acquisition.

[...] »

13 Aux termes de l’article 125b, point 3, de la loi sur les marques :

« Si une marque [de l’Union européenne] enregistrée est invoquée contre l’usage d’une marque postérieure enregistrée en vertu de la présente loi, l’article 21, paragraphe 1, [...] s’applique mutatis mutandis. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 La requérante au principal, Heitec, est titulaire de la marque de l’Union européenne verbale HEITEC, déposée le 18 mars 1998 avec revendication d’ancienneté au 13 juillet 1991 et enregistrée le 4 juillet 2005.

15 Elle a été inscrite au registre du commerce en 1984 sous le nom Heitec Industrieplanung GmbH. Sa raison sociale a été modifiée en 1988 pour devenir Heitec GmbH. Depuis l’année 2000, elle exerce son activité sous le nom de Heitec AG.

16 Heitech, dont RW est le gérant, a été inscrite au registre du commerce le 16 avril 2003.

17 Heitech est titulaire d’une marque allemande figurative comportant l’élément verbal « heitech promotion », déposée le 17 septembre 2002 et enregistrée le 4 février 2003, qu’elle utilise depuis le 29 septembre 2004 au plus tard, ainsi que d’une marque de l’Union européenne figurative comportant l’élément verbal « heitech », déposée le 6 février 2008 et enregistrée le 20 novembre 2008, qu’elle utilise depuis le 6 mai 2009 au plus tard.

18 Par courrier du 29 novembre 2004, Heitech a contacté les représentants d’Heitec pour demander si cette dernière consentirait à conclure un accord de coexistence.

19 Le 7 juillet 2008, Heitec a eu connaissance du dépôt de la demande d’Heitech visant l’enregistrement de la marque de l’Union européenne figurative comportant l’élément verbal « heitech ».

20 Par courrier du 22 avril 2009, Heitec a adressé à Heitech une mise en demeure en raison de l’utilisation par cette dernière de son nom commercial et de la marque de l’Union européenne comportant l’élément verbal « heitech ». Dans sa réponse du 6 mai 2009, Heitech a de nouveau proposé de conclure un accord de coexistence.

21 Le 31 décembre 2012, le Landgericht Nürnberg-Fürth (tribunal régional de Nuremberg-Fürth, Allemagne) a reçu, par télécopie, un acte introductif d’instance d’Heitec dirigé contre Heitech et RW. Cet acte portait la date du 15 décembre 2012. Par décision du 4 janvier 2013, Heitec a été invitée à verser une avance sur les frais de procédure.

22 Le 12 mars 2013, cette juridiction a attiré l’attention du représentant d’Heitec sur le fait que cette avance n’avait pas été versée et que les originaux de l’acte introductif d’instance n’avaient pas été déposés.

23 Par courrier du 23 septembre 2013, Heitec a informé Heitech qu’elle refusait de conclure un accord de coexistence, lui proposant de conclure un accord de licence et déclarant avoir engagé une procédure juridictionnelle.

24 Par courrier du 29 décembre 2013, Heitec a informé Heitech de ce qu’elle s’appuyait sur son nom commercial et qu’elle était titulaire de la marque de l’Union européenne HEITEC. Elle a déclaré que la procédure juridictionnelle était en cours.

25 Le 30 décembre 2013, le Landgericht Nürnberg-Fürth (tribunal régional de Nuremberg-Fürth) a reçu des écritures d’Heitec portant la date du 12 décembre 2013, accompagnées d’un chèque au titre des frais de procédure ainsi que d’un nouvel acte introductif d’instance, portant la date du 4 octobre 2013.

26 Le 14 janvier 2014, cette juridiction a attiré l’attention d’Heitec sur le fait qu’il fallait également signifier l’acte introductif d’instance du 15 décembre 2012 et qu’il lui était par conséquent demandé d’en déposer les originaux. Ces originaux sont parvenus à ladite juridiction le 22 février 2014.

27 Le 24 février 2014, la même juridiction a attiré l’attention d’Heitec sur le fait que les chefs de demande présentés dans les originaux de l’acte introductif d’instance reçus le 22 février 2014 ne concordaient pas avec ceux présentés dans l’acte introductif d’instance déposé le 31 décembre 2012.

28 Le 16 mai 2014, le Landgericht Nürnberg-Fürth (tribunal régional de Nuremberg-Fürth) a ouvert la procédure écrite préparatoire et ordonné que soient signifiées aux parties défenderesses au principal des copies, établies par cette juridiction, de l’acte introductif d’instance du 15 décembre 2012. Cette signification a finalement eu lieu le 23 mai 2014.

29 Par son recours juridictionnel, Heitec a présenté, à titre principal, des demandes fondées sur l’atteinte portée aux droits que lui confère son nom commercial HEITEC et, à titre subsidiaire, des demandes fondées sur la contrefaçon de sa marque de l’Union européenne HEITEC. Elle a conclu à ce qu’Heitech soit condamnée à s’abstenir d’identifier son entreprise par le nom commercial HEITECH Promotion GmbH, à s’abstenir d’apposer les éléments verbaux « heitech promotion » et « heitech » sur des produits ainsi que de commercialiser ou de promouvoir des produits ou services sous ces signes, à s’abstenir d’utiliser ou de céder, à des fins commerciales, le site Internet heitech promotion.de et à consentir à ce que sa raison sociale soit radiée du registre du commerce. Heitec a par ailleurs formulé des demandes de renseignements, de constatation d’une obligation à réparation, de destruction de produits et de paiement des frais de mise en demeure.

30 Le Landgericht Nürnberg-Fürth (tribunal régional de Nuremberg-Fürth) a condamné Heitech à verser à Heitec un montant de 1 353,80 euros, majoré d’intérêts, au titre des frais de mise en demeure et a rejeté les autres demandes présentées par Heitec.

31 Heitec a interjeté appel de la décision du Landgericht Nürnberg-Fürth (tribunal régional de Nuremberg-Fürth) devant l’Oberlandesgericht Nürnberg (tribunal régional supérieur de Nuremberg, Allemagne).

32 L’Oberlandesgericht Nürnberg (tribunal régional supérieur de Nuremberg) a considéré que le recours juridictionnel formé par Heitec était dépourvu de fondement, au motif qu’Heitec était forclose. À cet égard, il a exposé qu’Heitech avait utilisé ses signes postérieurs pendant une période ininterrompue d’au moins cinq ans et qu’Heitec avait toléré un tel usage, puisque, tout en ayant connaissance de cet usage, elle n’avait pas pris de mesures suffisantes afin de faire cesser ce dernier.

33 Selon cette juridiction, ce recours juridictionnel n’avait pas interrompu le délai de forclusion, dès lors qu’il n’avait été signifié à Heitech et à RW qu’après l’écoulement de cinq années à compter de la mise en demeure dont ledit recours juridictionnel avait été précédé.

34 Heitec a formé un pourvoi devant la juridiction de renvoi.

35 Cette juridiction constate que l’issue du pourvoi dépend du point de savoir si Heitec est, en application de l’article 21, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les marques ainsi que de l’article 54, paragraphes 1 et 2, et de l’article 111, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, forclose en sa demande en cessation et en ses demandes annexes.

36 Cette juridiction observe que la forclusion des demandes d’Heitec qui visent, en substance, l’usage, par Heitech, de la marque allemande dont cette dernière est titulaire est régie par l’article 21, paragraphe 1, de la loi sur les marques, lu en combinaison avec l’article 125b, point 3, de cette loi pour autant que ces demandes sont fondées sur la marque de l’Union européenne dont Heitec est titulaire.

37 Elle précise que l’article 21, paragraphe 1, de la loi sur les marques transpose dans le droit allemand la forclusion, prévue à l’article 9 de la directive 2008/95, du droit, conféré par des marques (article 9, paragraphe 1, de la directive 2008/95) et par d’autres signes – dont les noms commerciaux – utilisés dans la vie des affaires (article 9, paragraphe 2, de la directive 2008/95), de s’opposer à l’utilisation d’une marque enregistrée.

38 Dans la mesure où Heitec s’oppose à l’usage du nom commercial d’Heitech, la forclusion est, selon les constatations de la juridiction de renvoi, régie par l’article 21, paragraphe 2, de la loi sur les marques. À cet égard, cette juridiction précise que, nonobstant le fait que le contenu normatif de cette disposition va au-delà de celui de la directive 2008/95 et n’est pas non plus reflété par l’article 54 du règlement no 207/2009, il y a lieu de l’interpréter en se fondant sur l’interprétation conforme à cette directive qu’il convient de faire de l’article 21, paragraphe 1, de la loi sur les marques.

39 S’agissant des demandes d’Heitec qui visent l’usage, par Heitech, de la marque de l’Union européenne dont celle-ci est titulaire, la juridiction de renvoi constate que les articles  54 et  110 ainsi que l’article 111, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 sont pertinents.

40 Cette juridiction observe que c’est sans commettre d’erreur de droit que l’Oberlandesgericht Nürnberg (tribunal régional supérieur de Nuremberg) a constaté que l’« usage », au sens de l’article 21, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les marques ainsi que des articles 54 et 111 du règlement no 207/2009 avait existé en l’occurrence à compter du 6 mai 2009 au plus tard et qu’Heitec en avait eu connaissance par le courrier du 6 mai 2009 qu’Heitech lui avait adressé. Il serait, par ailleurs, constant qu’il n’est pas reproché à Heitech d’avoir agi de mauvaise foi.

41 Au vu de ces circonstances, il serait nécessaire de déterminer en quoi consiste exactement la « tolérance », au sens de l’article 9 de la directive 2008/95 ainsi que des articles 54 et 111 du règlement no 207/2009.

42 À cet égard, d’une part, il y aurait lieu de préciser s’il est possible d’exclure une tolérance non seulement lorsqu’il y a introduction d’un recours devant une administration ou une juridiction, mais aussi en cas de mise en demeure. D’autre part, il serait nécessaire de déterminer si, en cas de recours juridictionnel, il convient de se fonder, afin de déterminer si ce recours a été introduit avant la date d’expiration du délai de forclusion, sur la date de dépôt de l’acte introductif d’instance ou sur la date de la réception de cet acte par la partie défenderesse. Il importerait, dans ce contexte, de préciser si le fait que la signification dudit acte se trouve retardée par la faute du titulaire de la marque antérieure est pertinent à cet égard.

43 Il conviendrait, par ailleurs, de déterminer si une forclusion frappe seulement la demande en cessation ou également les demandes annexes ou connexes à cette dernière, telles que celles visant au paiement de dommages et intérêts, à la fourniture de renseignements et à la destruction de produits.

44 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Est-il possible d’exclure la tolérance, au sens de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/95 ainsi que de l’article 54, paragraphes 1 et 2, et de l’article 111, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, non seulement par l’introduction d’un recours devant une administration ou une juridiction, mais aussi par un comportement qui ne fait pas intervenir d’administration ou de juridiction ?

2) En cas de réponse positive à la première question :

Une mise en demeure, par laquelle le titulaire du signe antérieur, avant d’engager une procédure juridictionnelle, exige du titulaire du signe postérieur que celui-ci s’engage à s’abstenir d’utiliser le signe en cause et souscrive à une clause pénale prévoyant une sanction contractuelle en cas de non-respect, constitue-t-elle un comportement qui fait obstacle à une tolérance, au sens de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/95 ainsi que de l’article 54, paragraphes 1 et 2, et de l’article 111, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 ?

3) Pour calculer, dans le cas d’un recours juridictionnel, le délai de forclusion par tolérance de cinq ans visé à l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/95 ainsi qu’à l’article 54, paragraphes 1 et 2, et à l’article 111, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, convient-il de se fonder sur la date de dépôt de l’acte introductif d’instance devant le tribunal ou sur la date de sa réception par le défendeur ? Le fait que la réception par le défendeur se trouve retardée, par la faute du titulaire de la marque antérieure, jusqu’à une date postérieure à la date d’expiration du délai de cinq ans revêt-il à cet égard de l’importance ?

4) La forclusion en vertu de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/95 ainsi que de l’article 54, paragraphes 1 et 2, et de l’article 111, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 affecte-t‑elle, outre la demande en cessation, également les demandes annexes fondées sur le droit des marques, notamment les demandes de dommages et intérêts, de renseignements et de destruction ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première et deuxième questions

45 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9 de la directive 2008/95 ainsi que les articles 54 et 111 du règlement no 207/2009 doivent être interprétés en ce sens qu’un acte, tel qu’une mise en demeure, par lequel le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur s’oppose à l’usage d’une marque postérieure sans pour autant introduire un recours administratif ou juridictionnel est susceptible de mettre fin à la tolérance visée à ces dispositions.

46 Il y a lieu de rappeler que le régime de forclusion par tolérance prévu dans la législation de l’Union en matière de marques s’inscrit dans l’objectif consistant à mettre en balance, d’une part, les intérêts du titulaire d’une marque à sauvegarder la fonction essentielle de celle-ci et, d’autre part, les intérêts d’autres opérateurs économiques à disposer de signes susceptibles de désigner leurs produits et services (voir, en ce sens, arrêts du 27 avril 2006, Levi Strauss, C‑145/05, EU:C:2006:264, point 29, ainsi que du 22 septembre 2011, Budějovický Budvar, C‑482/09, EU:C:2011:605, point 34).

47 En particulier, par l’instauration d’un délai de forclusion par tolérance de cinq années consécutives en connaissance de l’usage de la marque postérieure, le législateur de l’Union a voulu assurer que la protection conférée par une marque antérieure à son titulaire demeure limitée aux cas où celui-ci se montre suffisamment vigilant en s’opposant à l’utilisation par d’autres opérateurs de signes susceptibles de porter atteinte à cette marque (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2006, Levi Strauss, C‑145/05, EU:C:2006:264, point 30).

48 Plus spécifiquement, ainsi que cela est souligné au considérant 12 de la directive 2008/95, la règle de la forclusion par tolérance vise à préserver la sécurité juridique. Lorsque le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur, au sens de la directive 2008/95 ou du règlement no 207/2009, a sciemment « toléré », pendant une période ininterrompue de cinq années, l’usage d’une marque postérieure déposée de bonne foi, il convient que le titulaire de cette dernière marque acquière la certitude juridique que cet usage ne peut plus être mis en cause par le titulaire de cette marque antérieure ou de cet autre droit antérieur.

49 Aux fins de l’application de cette règle, la notion de « tolérance », qui a le même sens dans la directive 2008/95 et dans le règlement no 207/2009, signifie que le titulaire de ladite marque antérieure ou dudit autre droit antérieur reste inactif alors qu’il a connaissance de l’usage d’une marque postérieure auquel il aurait la possibilité de s’opposer. Celui qui « a toléré » s’est abstenu de prendre les mesures dont il disposait pour remédier à cette situation (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2011, Budějovický Budvar, C‑482/09, EU:C:2011:605, points 35 et 44).

50 Il résulte de ces éléments que le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur devient forclos pour demander la nullité ou pour s’opposer à l’usage d’une marque postérieure déposée de bonne foi s’il s’est, pendant une période de cinq années consécutives en connaissance de cet usage, abstenu d’accomplir un acte qui exprime clairement sa volonté de s’opposer audit usage et de remédier à la prétendue atteinte à ses droits.

51 Une telle interprétation de l’article 9 de la directive 2008/95 ainsi que des articles 54 et 111 du règlement no 207/2009 vaut également pour l’article 110 de ce règlement, ce dernier article n’étant certes pas mentionné dans les questions posées, mais étant susceptible d’être pertinent dans une situation telle que celle en cause au principal. Il y a lieu d’observer, à cet égard, que la règle de la forclusion par tolérance dès la date d’expiration d’un délai de cinq années consécutives en connaissance de l’usage de la marque postérieure, énoncée à l’article 9 de la directive 2008/95, figure, pour ce qui concerne la marque de l’Union européenne, dans les articles 54, 110 et 111 du règlement no 207/2009.

52 S’agissant du point de savoir dans quelles conditions le titulaire de la marque antérieure ou d’un autre droit antérieur doit être considéré comme ayant accompli un acte qui produit les effets visés au point 50 du présent arrêt et interrompt, dès lors, le délai de forclusion, la Cour a jugé que, en tout état de cause, l’introduction d’un recours administratif ou juridictionnel avant la date d’expiration de ce délai met fin à la tolérance et empêche par conséquent la forclusion (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2011, Budějovický Budvar, C‑482/09, EU:C:2011:605, point 49).

53 En effet, par l’introduction d’un tel recours, le titulaire de la marque antérieure ou d’un autre droit antérieur exprime sans ambiguïté sa volonté de s’opposer à l’usage de la marque postérieure et de remédier à la prétendue atteinte à ses droits.

54 Lorsque, comme en l’occurrence, l’introduction de ce recours a été précédée d’une mise en demeure à laquelle le titulaire de la marque postérieure ne s’est pas conformé, cette mise en demeure est susceptible d’interrompre le délai de forclusion par tolérance à condition que, à la suite de la réponse insatisfaisante à ladite mise en demeure, le titulaire de la marque antérieure ou de l’autre droit antérieur continue à manifester son opposition à l’usage de la marque postérieure et prend les mesures à sa disposition pour faire valoir ses droits.

55 En revanche, si le titulaire de la marque antérieure ou d’un autre droit antérieur, tout en ayant exprimé son opposition à l’usage de la marque postérieure par une mise en demeure, n’a, après avoir constaté le refus du destinataire de cette mise en demeure de se conformer à celle-ci ou d’entamer des négociations, pas poursuivi ses efforts dans un délai raisonnable pour remédier à cette situation, le cas échéant par l’introduction d’un recours administratif ou juridictionnel, il doit en être déduit que ce titulaire s’est abstenu de prendre les mesures dont il disposait pour faire cesser la prétendue atteinte à ses droits.

56 Toute interprétation de l’article 9 de la directive 2008/95 ainsi que des articles 54, 110 et 111 du règlement no 207/2009 selon laquelle l’envoi d’une mise en demeure suffit, en tant que tel, pour interrompre le délai de forclusion permettrait au titulaire de la marque antérieure ou d’un autre droit antérieur de contourner le régime de forclusion par tolérance en envoyant itérativement, à des intervalles de près de cinq ans, une lettre de mise en demeure. Or, une telle situation porterait atteinte aux objectifs du régime de forclusion par tolérance, rappelés aux points 46 à 48 du présent arrêt, et priverait ce régime de son effet utile.

57 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’article 9 de la directive 2008/95 ainsi que les articles 54, 110 et 111 du règlement no 207/2009 doivent être interprétés en ce sens qu’un acte, tel qu’une mise en demeure, par lequel le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur s’oppose à l’usage d’une marque postérieure sans pour autant faire le nécessaire afin d’obtenir une solution juridiquement contraignante ne met pas fin à la tolérance et, par conséquent, n’interrompt pas le délai de forclusion visé à ces dispositions.

 Sur la troisième question

58 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9 de la directive 2008/95 ainsi que les articles 54 et 111 du règlement no 207/2009 doivent être interprétés en ce sens que peut être considérée comme empêchant la forclusion par tolérance visée à ces dispositions l’introduction d’un recours juridictionnel par lequel le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur demande la nullité d’une marque postérieure ou s’oppose à l’usage de celle-ci, lorsque l’acte introductif d’instance, tout en ayant été déposé avant la date d’expiration du délai de forclusion, n’a, en raison d’un manque de diligence de la partie requérante, été signifié à la partie défenderesse qu’après cette date.

59 Ainsi qu’il a été rappelé au point 52 du présent arrêt, l’introduction d’un recours administratif ou juridictionnel avant la date d’expiration de ce délai met fin à la tolérance et empêche par conséquent la forclusion.

60 S’agissant du point de savoir à quelle date un recours juridictionnel doit être réputé introduit, la Cour a, dans le cadre de son interprétation de règles adoptées dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile, constaté que cette date peut être celle du dépôt de l’acte introductif d’instance, la juridiction concernée ne pouvant toutefois être réputée saisie à cette date qu’à la condition que la partie requérante n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’elle était tenue de prendre pour que cet acte soit notifié ou signifié à la partie défenderesse (voir, notamment, arrêts du 6 octobre 2015, A, C‑489/14, EU:C:2015:654, point 32, et du 4 mai 2017, HanseYachts, C‑29/16, EU:C:2017:343, point 29).

61 Si ces règles adoptées en matière de coopération judiciaire en matière civile ne sont pas formellement applicables en l’occurrence, leur contenu est néanmoins pertinent aux fins de répondre à la troisième question. En effet, le délai de forclusion frappe directement et immédiatement la possibilité du titulaire de la marque antérieure ou de l’autre droit antérieur de se prévaloir de cette marque ou de ce droit en justice, à l’encontre du titulaire de la marque postérieure. La partie requérante n’est dès lors pas forclose tant que le recours est introduit dans ce délai de cinq ans.

62 À cet égard, il y a lieu de considérer que, ainsi que M. l’avocat général l’a observé au point 53 de ses conclusions, le dépôt de l’acte introductif d’instance reflète normalement l’intention sérieuse et non équivoque de la partie requérante de faire valoir ses droits, ce qui suffit, en principe, pour mettre fin à la tolérance et pour interrompre, par conséquent, le délai de forclusion.

63 Le comportement de cette partie peut néanmoins, dans certains cas, soulever des doutes quant à cette intention et au caractère sérieux de l’action entreprise devant la juridiction saisie. Tel est notamment le cas lorsque, en raison d’un manque de diligence de la part de la partie requérante, l’acte introductif d’instance, alors qu’il ne répond pas aux exigences formelles requises par le droit national aux fins de sa signification à la partie défenderesse, n’est pas régularisé en temps utile.

64 En effet, dans de telles circonstances imputables à la partie requérante, cette dernière ne saurait prétendre avoir mis un terme à la tolérance de l’usage de la marque postérieure par le dépôt de l’acte introductif d’instance. Ce n’est que par la régularisation de cet acte, selon les exigences du droit national applicable, qu’il y a lieu de considérer que la partie requérante a manifesté de manière non équivoque l’intention claire et sérieuse de faire valoir ses droits et que, par conséquent, le recours peut être réputé effectivement introduit.

65 En l’occurrence, il ressort des éléments exposés dans la décision de renvoi et résumés aux points 22 à 28 du présent arrêt que la juridiction auprès de laquelle Heitec avait déposé, le 31 décembre 2012, un acte introductif d’instance, a itérativement contacté le représentant d’Heitec pour attirer l’attention sur des irrégularités qui empêchaient la signification, à Heitech et à RW, tant de cet acte que du nouvel acte introductif d’instance ultérieurement déposé par Heitec. En définitive, l’acte introductif d’instance semble avoir été régularisé entre le 24 février 2014, date du dernier rappel adressé par la juridiction saisie à Heitec, et le 16 mai de la même année, date à laquelle cette juridiction a ouvert la procédure écrite préparatoire.

66 Il ressort également de cette décision que, selon les appréciations du juge du fond dont la juridiction de renvoi prend acte, la prise de connaissance de l’usage de la marque postérieure a eu lieu le 6 mai 2009.

67 Dans ces conditions, il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier la date à laquelle l’acte introductif d’instance a été régularisé de manière à permettre à la juridiction saisie d’entamer la procédure et de signifier cet acte aux parties défenderesses au principal. Si la régularisation n’avait eu lieu qu’après l’expiration du délai de forclusion par tolérance, il incomberait à la juridiction de renvoi d’apprécier si cette circonstance a été principalement due à un comportement de la partie requérante au principal pouvant être caractérisé comme étant un manque de diligence. Si cette juridiction devait estimer que tel a été le cas, il lui incomberait de conclure que, en raison du manque de diligence d’Heitec, celle-ci doit être considérée comme étant forclose.

68 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 9 de la directive 2008/95 ainsi que les articles 54, 110 et 111 du règlement no 207/2009 doivent être interprétés en ce sens que ne peut être considérée comme empêchant la forclusion par tolérance visée à ces dispositions l’introduction d’un recours juridictionnel par lequel le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur demande la nullité d’une marque postérieure ou s’oppose à l’usage de celle-ci, lorsque l’acte introductif d’instance, tout en ayant été déposé avant la date d’expiration du délai de forclusion, ne remplissait pas, en raison d’un manque de diligence de la partie requérante, les exigences du droit national applicable aux fins de signification et n’a été régularisé qu’après cette date pour des motifs imputables à la partie requérante.

 Sur la quatrième question

69 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9 de la directive 2008/95 ainsi que les articles 54 et 111 du règlement no 207/2009 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur, au sens de ces dispositions, est forclos pour demander la nullité d’une marque postérieure et pour demander la cessation de l’usage de celle-ci, cette forclusion l’empêche également de formuler des demandes annexes ou connexes, telles que des demandes visant à l’octroi de dommages et intérêts, à la fourniture de renseignements ou à la destruction de produits.

70 Ainsi qu’il a été exposé dans le cadre de l’examen des première et deuxième questions, le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur qui, tout en ayant pris connaissance de l’usage d’une marque postérieure déposée de bonne foi, s’abstient, pendant une période ininterrompue de cinq ans, d’agir d’une manière qui exprime sans ambiguïté sa volonté de s’opposer à cet usage et de remédier à la prétendue atteinte à ses droits est forclos pour mettre en cause l’usage de cette marque postérieure.

71 Il serait, ainsi que M. l’avocat général l’a observé au point 64 de ses conclusions, contraire aux objectifs du régime de forclusion par tolérance, à savoir, notamment, la préservation de la sécurité juridique, de permettre, dans une telle situation, à ce titulaire d’introduire, après la fin de cette période de cinq années consécutives, un recours contre le titulaire de cette marque postérieure afin de faire condamner celui-ci au paiement de dommages et intérêts ou de lui faire imposer des injonctions.

72 Si un tel recours ou de telles demandes pouvaient aboutir après la date d’expiration du délai de forclusion, cela reviendrait à laisser intacte, au-delà de cette date, la possibilité de faire constater que l’usage de la marque postérieure porte atteinte à la marque antérieure ou au droit antérieur et de faire imputer, sur ce fondement, une responsabilité non contractuelle au titulaire de la marque postérieure. Or, une telle interprétation du régime de forclusion par tolérance porterait atteinte à la finalité, poursuivie par ce régime, de conférer, à l’issue de ce délai, la certitude au titulaire de la marque postérieure que l’usage de celle-ci ne peut plus être contesté, par quelque voie de droit que ce soit, par celui l’ayant sciemment toléré pendant une période ininterrompue de cinq années.

73 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 9 de la directive 2008/95 ainsi que les articles 54, 110 et 111 du règlement no 207/2009 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur, au sens de ces dispositions, est forclos pour demander la nullité d’une marque postérieure et pour demander la cessation de l’usage de celle-ci, cette forclusion l’empêche également de formuler des demandes annexes ou connexes, telles que des demandes visant à l’octroi de dommages et intérêts, à la fourniture de renseignements ou à la destruction de produits.

 Sur les dépens

74 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1) L’article 9 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, ainsi que les articles 54, 110 et 111 du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire, doivent être interprétés en ce sens qu’un acte, tel qu’une mise en demeure, par lequel le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur s’oppose à l’usage d’une marque postérieure sans pour autant faire le nécessaire afin d’obtenir une solution juridiquement contraignante ne met pas fin à la tolérance et, par conséquent, n’interrompt pas le délai de forclusion visé à ces dispositions.

2) L’article 9 de la directive 2008/95 ainsi que les articles 54, 110 et 111 du règlement no 207/2009 doivent être interprétés en ce sens que ne peut être considérée comme empêchant la forclusion par tolérance visée à ces dispositions l’introduction d’un recours juridictionnel par lequel le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur demande la nullité d’une marque postérieure ou s’oppose à l’usage de celle-ci, lorsque l’acte introductif d’instance, tout en ayant été déposé avant la date d’expiration du délai de forclusion, ne remplissait pas, en raison d’un manque de diligence de la partie requérante, les exigences du droit national applicable aux fins de signification et n’a été régularisé qu’après cette date pour des motifs imputables à la partie requérante.

3) L’article 9 de la directive 2008/95 ainsi que les articles 54, 110 et 111 du règlement no 207/2009 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque le titulaire d’une marque antérieure ou d’un autre droit antérieur, au sens de ces dispositions, est forclos pour demander la nullité d’une marque postérieure et pour demander la cessation de l’usage de celle-ci, cette forclusion l’empêche également de formuler des demandes annexes ou connexes, telles que des demandes visant à l’octroi de dommages et intérêts, à la fourniture de renseignements ou à la destruction de produits.