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Décisions

Cass. com., 13 avril 2022, n° 20-18.175

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Avocats :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, SCP Waquet, Farge et Hazan

Paris, du 28 mai 2020

28 mai 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 mai 2020), la société Alves Export Agency (la société Alves) a, en qualité d'agent, conclu un contrat d'agent commercial avec la société Filtral GmbH, devenue la société Sicara Fashion Accessoires (la société Sicara), filiale de la société The Fantastic Company (la société TFC). Cette dernière a racheté la Société de gestion des marques (la société Sogema), qui était une concurrente de la société Sicara.

2. A compter du printemps 2014, la société Alves s'est plainte de retards de livraison, puis de rupture de stocks, et courant septembre 2014 de n'avoir aucune information sur les nouvelles collections 2015. S'estimant victime de fautes de gestion et créancière de factures impayées de la part de son mandant, la société Alves a assigné la société Sicara, le 27 octobre 2014, et les sociétés Sogema et TFC, les 10 et 13 novembre 2014, aux fins de voir dire justifiée la rupture de son contrat d'agent commercial sans exécution d'un préavis pour fautes graves de gestion, d'obtenir la réparation de son préjudice financier et le paiement de ses créances.

3. Par un jugement du 27 octobre 2014, un tribunal a ouvert la liquidation judiciaire de la société Sicara, la société Coudray-[S] étant désignée liquidateur. Celle-ci, devenue la société [B] [S], a été assignée à son tour, ès qualités, le 18 décembre 2014.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi principal, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Alves fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les assignations des 27 octobre et 18 décembre 2014 et en conséquence irrecevables les demandes formées contre le liquidateur, alors « que le jugement d'ouverture de la procédure collective n'interrompt ou n'interdit que les actions en justice qui tendent soit à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, soit à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ; qu'en l'espèce, l'action engagée par la société Alves Export Agency à l'encontre de la société Sicara Fashion Accessoires tendait, aux termes de l'assignation du 27 octobre 2014, à voir "dire et juger que la rupture du contrat d'agent commercial de la société Alves est justifiée par les fautes graves de gestion de la société Sicara", "dire et juger bien fondée la notification par la société Alves de la rupture de son contrat sans préavis" et en conséquence condamner la société Sicara Fashion Accessoires au paiement d'une somme de 97 000 euros en réparation de son préjudice financier et diverses autres sommes au titre de factures impayées ; que la demande principale en constatation de la rupture du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la société Sicara Fashion Accessoires ne tendait ainsi pas à la résolution du contrat litigieux pour défaut de paiement imputable au mandant et n'était en conséquence pas interdite par le prononcé du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire intervenu le 27 octobre 2014 ; qu'en jugeant néanmoins que "la société Alves était irrecevable dans son action à son encontre tendant au paiement de sommes d'argent introduite (?) par l'assignation du 27 octobre 2014" car cette assignation était postérieure "à la mise en liquidation judiciaire de la société Sicara prononcée le 27 octobre 2014", cependant que l'action en constatation de la rupture du contrat litigieux à la suite du comportement fautif de la société Sicara Fashion Accessoires, qui ne tendait pas à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, ni en elle-même au paiement d'une somme d'argent, ne tombait pas sous le coup de l'arrêt des poursuites individuelles attaché au jugement d'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel a violé les articles L 622-21 et L 641-3 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L 622-21, I, du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article L 641-3, alinéa 1er, du même code :

6. Selon ce texte, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

7. Pour déclarer irrecevables les assignations délivrées à la société Sicara et à son liquidateur, l'arrêt retient que la société Alves est irrecevable dans son action tendant au paiement de sommes d'argent introduite tant par l'assignation du 27 octobre 2014 que celle du 18 décembre 2014 car ces actes sont postérieurs à la mise en liquidation judiciaire de la société Sicara prononcée le 27 octobre 2014 et effective dès zéro heure.

8. En statuant ainsi, alors que la société Alves demandait que soit jugée imputable à la société Sicara la rupture du contrat d'agent commercial conclu avec elle pour fautes graves de gestion et que soit jugée bien fondée sa demande, par voie judiciaire, de rupture de ce contrat sans exécution du préavis, et que cette demande ne tendait pas à la condamnation de la société Sicara au paiement d'une somme d'argent, ni à la résolution du contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

9. La cassation prononcée ne concerne que la demande de la société Alves dirigée contre la société Sicara et son liquidateur tendant à la résolution du contrat d'agent commercial pour fautes graves de gestion et tendant à ce que soit jugée bien fondée sa demande, par voie judiciaire, de rupture de ce contrat sans exécution du préavis, et non les demandes relatives à l'admission au passif de la société Sicara de créances déclarées par la société Alves au titre de l'indemnité de rupture, de factures impayées, et de factures sur invendus, dont l'irrecevabilité n'est pas critiquée par le moyen et qui ne se rattachent pas par un lien de dépendance avec le chef de dispositif atteint par la cassation.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief du pourvoi principal ni sur les pourvois incidents qui ne sont qu'éventuels, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il déclare irrecevables les assignations du 27 octobre et du 18 décembre 2014 en ce qu'elles comprennent une demande de la société Alves Export Agency dirigée contre la société Sicara Fashion Accessories et la société [B] [S], en qualité de liquidateur de celle-ci, tendant à la résolution du contrat d'agent commercial pour fautes graves de gestion et tendant à ce que soit jugée bien fondée sa demande, par voie judiciaire, de rupture de ce contrat sans exécution du préavis, l'arrêt rendu le 28 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.