CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 24 avril 2019, n° 16/01207
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Me Seroc, Me Simon
LA COUR
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 1er juin 2015, M. O E a acquis auprès de Mme X F un fonds de commerce exploité 2 route Hubert Delisle à Montvert Les Hauts de Saint Pierre.
Un concurrent réalisait des travaux d'installation aux fins d'exploitation d'un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie à proximité du local litigieux.
Se prévalant d'un dol commis par le vendeur, M. E a saisi le 29 octobre 2015 le tribunal de commerce de Saint Pierre afin d'obtenir la nullité de la vente et l'octroi de dommages et intérêts.
Par jugement du 24 mai 2016, le tribunal a :
-prononcé la nullité pour dol de la vente du fonds de commerce de vente de pâtisseries, viennoiseries, sandwichs, repas à emporter divers et autres consentie par acte du 1er juin 2015 par Mme X F à M. O E,
-condamné Mme X F à rembourser à M. O E le prix de vente, soit la somme de 30.000 outre intérêts au taux légal à compter du 29 octobre 2015,
-condamné Mme X F à verser à M. O E la somme de 10.000 à titre de dommages et intérêts,
-condamné Mme X F à verser à M. O E la somme de 1.200 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné Mme X F aux dépens.
Par déclaration formulée par voie électronique le 7 juillet 2016 au greffe de la Cour d'appel, Mme F a relevé appel de cette décision.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 16 mars 2018, Mme F demande à la Cour de :
-infirmer la décision du 24 mai 2016,
- constater l'absence de dol de sa part dans la vente du fonds de commerce intervenue par acte du 1er juin 2015,
-dire et juger la vente régulière,
-annuler sa condamnation à verser des dommages et intérêts à M. E,
-condamner M. E au paiement d'une somme de 3.000 en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner M. E aux dépens.
A l'appui de ses prétentions, Mme F fait valoir :
-que M. E est de mauvaise foi, ayant tenté de négocier avec elle une somme de 35.000 tout en conservant le bien objet du litige,
-que cette manœuvre lui aurait permis de percevoir une somme de 43.000 en lieu et place de la somme de 40.000 allouée par le tribunal mixte de commerce compte tenu de la valeur du fonds de commerce estimé par M. E à 8.000 ,
que, même en pleine connaissance de l'existence de la boulangerie «'Le Gallopain'» M. E aurait contracté la vente puisqu'il désire encore aujourd'hui en rester propriétaire et qu'il ne semble pas se trouver dans l'impossibilité d'exploiter le fonds,
-que M. E avait désigné un mandataire pour le représenter qui devait connaître l'ouverture d'une nouvelle boulangerie-pâtisserie et qu'il devait lui-même le savoir puisqu'il résidait déjà à la Réunion au moment de la signature du compromis le 18 mars 2015,
-qu'elle-même ne savait pas qu'un concurrent allait s'installer aux abords de son commerce,
-que M. E ne démontre pas qu'une boulangerie se soit ouverte à moins de 250 mètres, celle exploitée par M. V n'ayant pas changé d'adresse depuis janvier 2006 et le Kbis précisant qu'il s'agit d'une activité ambulante,
-que cette boulangerie existe depuis depuis plusieurs années et se situe à 1,2 km du commerce,
-que M. E ne démontre pas que les personnes ayant attesté en sa faveur sont des commerçants sur Mont Vert,
-qu'elle verse des attestations de personnes qui n'avaient nullement connaissance d'une éventuelle installation d'une boulangerie-pâtisserie près de son commerce,
-que M. E ne démontre pas une baisse de son chiffre d'affaires.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 10 novembre 2016, M. E demande à la Cour de :
-confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de vente du fonds de commerce intervenue le 1er juin 2015 et condamné l'intimée à restituer le prix de vente avec intérêt au taux légal,
-le réformer sur les dommages et intérêts et, statuant à nouveau, condamner Mme F au
paiement d'une somme de 30.000 à titre de dommages et intérêts,
-subsidiairement,
-ordonner la restitution du prix de vente du fonds de commerce à 8.000 ,
-condamner le vendeur à répéter la somme de 22.000 sous astreinte de 100' par jour de retard et assorti des intérêts au taux légal à compter de la décision,
-confirmer la décision en ce qu'elle a condamné Mme F au paiement d'une somme de 1.200 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et y ajoutant, la condamner au paiement d'une somme de 3.000 de ce même chef ainsi qu'aux dépens.
M. E réplique essentiellement :
-que, résidant en métropole, son beau-père qui habitait la Réunion, l'avait informé qu'un fonds de commerce de boulangerie était à vendre,
-qu'il avait signé le compromis de vente sur la foi des documents et affirmations de Mme F, que le contrat était signé le 1er juin 2015 pour un total de 30.000 , (20.000 pour le matériel et 10.000 pour les éléments incorporels),
-qu'il déménageait avec sa famille le 24 juin 2015 et que le bail commercial était signé le 2 juillet 2015,
-que Mme W C, représentant sa mère, Mme U C, la bailleresse, lui avait indiqué après la vente être surprise de cette vente compte tenu de l'installation d'un concurrent direct et avait ajouté que Mme F lui avait demandé expressément de ne pas en informer les futurs acquéreurs,
-que plusieurs personnes lui ont confirmé qu'une boulangerie ayant la même activité que lui allait s'installer à quelques mètres du fonds de commerce objet de la vente,
-qu'il a saisi un expert près la cour d'appel de Saint Denis de la Réunion qui, compte tenu de l'installation d'un concurrent à quelques mètres, a établi que le prix de vente était disproportionné et pouvait entraîner une réduction de l'ordre de 80% de l'activité vente de pains frais, gâteaux, point chaud viennoiseries, et concluait à une perte de valeur du fonds de commerce de 8.000 , tandis que le matériel était évalué à 6.000 ,
-que la proposition transactionnnelle n'a aucune incidence sur la réalité des conditions dolosives dans lesquelles le fonds a été vendu et que le dol doit s'apprécier au moment de la vente,
-que le dol suppose des manoeuvres de la part de l'une des parties, que ces manoeuvres peuvent résulter d'un simple silence, que le dol repose sur une faute intentionnelle pour tromper le cocontractant et que l'erreur provoquée a déterminé le consentement,
-que Mme F était au courant de l'arrivée d'un concurrent, qu'elle a gardé le silence et a demandé au bailleur de ne pas révéler cette future situation de concurrence au nouveau locataire,
-que, s'il avait connu cette situation, il n'aurait pas acheté le fonds de commerce au prix fixé, que les caractères du dol sont remplis et qu'il sollicite la nullité de la vente,
-qu'il a déménagé de métropole pour venir s'installer à la Réunion, qu'il subi un préjudice exceptionnel comprenant des conséquences matérielles et psychologiques du fait de l'échec du
projet, qu'il sollicite une somme de 30.000 à titre de dommages et intérêts,
-subsidiairement, il sollicite la somme de 8.000 au titre de la nullité de la vente outre la somme de 22.000 au titre de répétition avec intérêts au taux légal à compter du versement.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 avril 2018.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur le dol':
En application de l'article 1116 ancien du code civil applicable à l'espèce, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.
M. E verse des attestations de plusieurs commerçants exerçant à Mont Vert Les Hauts déclarant savoir qu'une boulangerie allait s'installer près du commerce vendu par Mme F à M. E. Ainsi, M. B a attesté savoir qu'une boulangerie-pâtisserie allait ouvrir prochainement. Il tenait l'information de M. V, l'exploitant du nouveau commerce, et de l'ancien locataire, Mme F. Mme H épouse B a témoigné qu'une boulangerie-pâtisserie allait s'ouvrir à quelques mètres de la boulangerie objet du litige. M. M a indiqué que depuis plusieurs mois, tous les commerçants du quartier de Mont Vert Les Hauts étaient au courant de l'ouverture d'une boulangerie-pâtisserie dans les anciens locaux de la poste de Mont Vert Les Hauts. M. N a confirmé l'existence d'un projet de création d'une boulangerie-pâtisserie à côté de la mairie annexe de Mont Vert Les Hauts. Cette prochaine ouverture d'une boulangerie-pâtisserie était encore confirmée par Mme K et M. I. M. V, l'exploitant de cette nouvelle boulangerie, précisait que le quartier était au courant de ce projet et que Mme F le savait parfaitement pour en avoir parlé avec elle. M. J a indiqué être au courant du projet d'ouverture d'une boulangerie-pâtisserie à Mont Vert Le Haut depuis plus d'un an. Enfin, la fille de la bailleresse, Mme W C, connaissait ce projet et souhaitait en parler avec le nouveau locataire. Cependant, Mme F a refusé de lui donner les coordonnées de M. E.
Malgré les attestations versées par Mme F de personnes ne sachant pas qu'une boulangerie allait ouvrir ses portes près de son fonds de commerce, les témoignages ci-dessus confirment qu'elle avait bien connaissance de l'implantation d'une nouvelle boulangerie à proximité de la sienne et s'est abstenue d'en informer M. E avant la vente. Elle a encore refusé de donner les coordonnées de celui-ci à Mme C qui voulait l'en avertir.
Ces éléments caractérisent une réticence dolosive de la part de Mme F qui a sciemment caché cette future concurrence à son cocontractant. M. E n'aurait pas contracté s'il avait connu cette concurrence à proximité du fonds de commerce qu'il était en train d'acquérir à ce prix, le chiffre d'affaires attendu ne pouvant être celui relaté dans l'acte de vente. La tentative de transaction de M. E, postérieure à l'acte de vente, ne peut avoir aucune incidence sur la réalité des manoeuvres dolosives qui doivent s'analyser au moment de la conclusion du contrat.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existance d'un dol, annulé la vente du fonds de commerce et condamné Mme F à rembourser à M. E la somme de 30.000 avec intérêts au taux légal à compter du 29 octobre 2015.
Sur les dommages et intérêts :
M. E est venu s'installer à la Réunion dans le cadre de ce projet professionnel avec toute sa famille. Il a engagé des frais de billets d'avion ainsi que des frais de déménagement, puis, des frais de retour. Il a dû en outre assumer des frais de location de voiture lors de son retour en métropole. Il a encore effectué de nombreuses démarches en raison de ses changements de domicile et a dû justifier de ses différentes situations au regard de Pôle emploi. Il a dû faire face à cet échec professionnel. En conséquence, M. E a subi un préjudice matériel et moral qu'il convient d'évaluer à la somme de 10.000 .
Sur les dépens :
Mme F qui succombe sera tenue aux dépens de la procédure d'appel.
Sur les frais irrépétibles :
Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de M. E les frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer la somme de 2.000' au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort, par mise à disposition au Greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du Code de procédure civile,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
CONDAMNE Mme X F aux dépens d'appel,
CONDAMNE Mme X F à verser à M. O E la somme de 2.000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Le présent arrêt a été signé par Madame R L, Conseillère, et par Madame Nathalie D, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.