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Décisions

CJUE, 1re ch., 1 décembre 2011, n° C-446/09

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Question préjudicielle

PARTIES

Demandeur :

Röhlig Belgium NV (Sté), Nokia Corporation (Sté)

Défendeur :

Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. A. Tizzano

Juges :

M. E. Levits, M. Berger

Avocat général :

M. Cruz Villalon

Avocats :

M. Kegels, M. Turner, M. Saunders, M. Harris, M. Carboni, M. Seeboruth

CJUE n° C-446/09

30 novembre 2011

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation du règlement (CE) n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant certaines mesures concernant l’introduction dans la Communauté et l’exportation et la réexportation hors de la Communauté de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (JO L 341, p. 8), tel que modifié par le règlement (CE) n° 241/1999 du Conseil, du 25 janvier 1999 (JO L 27, p. 1), ainsi que du règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (JO L 196, p. 7).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, Koninklijke Philips Electronics NV (ci-après «Philips») à Lucheng Meijing Industrial Company Ltd, établie à Wenzhou (Chine) (ci-après «Lucheng»), à Far East Sourcing Ltd, établie à Hong Kong (Chine) (ci-après «Far East Sourcing)», ainsi qu’à Röhlig Hong Kong Ltd et à Röhlig Belgium NV (ci-après, ensemble, «Röhlig») au sujet de l’entrée sur le territoire douanier de l’Union européenne de marchandises portant prétendument atteinte à des modèles et à des droits d’auteur dont est titulaire Philips (C‑446/09) et, d’autre part, Nokia Corporation (ci-après «Nokia») aux Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs (autorités douanières du Royaume-Uni, ci-après les «Commissioners») au sujet de l’entrée sur ledit territoire douanier de marchandises portant prétendument atteinte à une marque dont est titulaire Nokia (C‑495/09).

 Le cadre juridique

 Le code des douanes

3 Les règles de base de l’Union en matière douanière énoncées dans le règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1), ont été abrogées et remplacées par le règlement (CE) n° 450/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, établissant le code des douanes communautaire (code des douanes modernisé) (JO L 145, p. 1).

4 Le règlement n° 450/2008 est entré en vigueur le 24 juin 2008 pour ce qui concerne ses dispositions octroyant des compétences pour arrêter des mesures d’application, l’entrée en vigueur des autres dispositions du même règlement ayant été fixée au 24 juin 2009 au plus tôt et au 24 juin 2013 au plus tard. Dès lors, compte tenu de la date des faits des litiges au principal, ceux-ci demeurent régis par les règles énoncées dans le règlement n° 2913/92, tel que modifié, pour ce qui concerne l’affaire C‑446/09, par le règlement (CE) n° 2700/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2000 (JO L 311, p. 17), et, pour ce qui concerne l’affaire C-495/09, par le règlement (CE) n° 648/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (JO L 117, p. 13) (ci-après le «code des douanes»).

5 L’article 4 du code des douanes dispose:

«Aux fins du présent code, on entend par:

[…]

15) destination douanière d’une marchandise:

a) placement de la marchandise sous un régime douanier,

b) son introduction dans une zone franche ou un entrepôt franc,

c) sa réexportation hors du territoire douanier de la Communauté,

d) sa destruction,

e) son abandon au profit du Trésor public;

16) régime douanier:

a) la mise en libre pratique,

b) le transit,

c) l’entrepôt douanier,

d) le perfectionnement actif,

e) la transformation sous douane,

f) l’admission temporaire,

g) le perfectionnement passif,

h) l’exportation;

[…]

20) mainlevée d’une marchandise: la mise à la disposition, par les autorités douanières, d’une marchandise aux fins prévues par le régime douanier sous lequel elle est placée;

[…]»

6 L’article 37 du même code énonce:

«1. Les marchandises qui sont introduites dans le territoire douanier de la Communauté sont, dès cette introduction, soumises à la surveillance douanière. […]

2. Elles restent sous cette surveillance aussi longtemps qu’il est nécessaire pour déterminer leur statut douanier et, s’agissant de marchandises non communautaires […], jusqu’à ce qu’elles soit changent de statut douanier, soit sont introduites dans une zone franche ou un entrepôt franc, soit sont réexportées ou détruites […]»

7 Les articles 48 à 50 du code des douanes sont libellés comme suit:

«Article 48

Les marchandises non communautaires présentées en douane doivent recevoir une des destinations douanières admises pour de telles marchandises.

Article 49

1. Lorsque les marchandises ont fait l’objet d’une déclaration sommaire, elles doivent faire l’objet des formalités en vue de leur donner une destination douanière dans les délais suivants:

a) quarante-cinq jours à compter de la date du dépôt de la déclaration sommaire en ce qui concerne les marchandises acheminées par voie maritime;

b) vingt jours à compter de la date du dépôt de la déclaration sommaire en ce qui concerne les marchandises acheminées par une voie autre que maritime;

[…]

Article 50

En attendant de recevoir une destination douanière, les marchandises présentées en douane ont, dès que cette présentation a eu lieu, le statut de marchandises en dépôt temporaire. […]»

8 L’article 56, première phrase, du code des douanes prévoit:

«Lorsque les circonstances l’exigent, les autorités douanières peuvent faire procéder à la destruction des marchandises présentées en douane.»

9 L’article 58 dudit code prévoit:

«1. Sauf disposition contraire, les marchandises peuvent à tout moment, aux conditions fixées, recevoir toute destination douanière […]

2. Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à l’application des interdictions ou restrictions justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé, de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique, ou de protection de la propriété industrielle et commerciale.»

10 L’article 59, paragraphe 1, du même code précise que «[t]oute marchandise destinée à être placée sous un régime douanier doit faire l’objet d’une déclaration pour ce régime douanier».

11 Aux termes de l’article 75 du code des douanes:

«Toutes les mesures nécessaires, y compris la confiscation et la vente, sont prises en vue de régler la situation des marchandises:

a) qui n’ont pu donner lieu à mainlevée:

[…]

– soit parce que les documents à la présentation desquels est subordonné leur placement sous le régime douanier déclaré n’ont pas été produits,

[…]

– soit parce qu’elles sont soumises à des mesures de prohibition ou de restriction;

[…]»

12 L’article 84, paragraphe 1, sous a), du même code dispose:

«Aux articles 85 à 90:

a) lorsque le terme ‘régime suspensif’ est utilisé, il s’entend comme s’appliquant, dans le cas de marchandises non communautaires, aux régimes suivants:

– le transit externe,

– l’entrepôt douanier,

– le perfectionnement actif […]

– la transformation sous douane

et

– l’admission temporaire».

13 L’article 91, paragraphe 1, dudit code énonce:

«Le régime du transit externe permet la circulation d’un point à un autre du territoire douanier de la Communauté:

a) de marchandises non communautaires sans que ces marchandises soient soumises aux droits à l’importation et aux autres impositions ni aux mesures de politique commerciale;

[…]»

14 L’article 92 du même code énonce:

«1. Le régime du transit externe prend fin et les obligations du titulaire du régime sont remplies lorsque les marchandises placées sous le régime et les documents requis sont présentés au bureau de douane de destination, conformément aux dispositions du régime concerné.

2. Les autorités douanières apurent le régime du transit externe lorsqu’elles sont en mesure d’établir, sur la base de la comparaison des données disponibles au bureau de départ et de celles disponibles au bureau de douane de destination, que le régime a pris fin correctement.»

15 L’article 98, paragraphe 1, du code des douanes prévoit:

«Le régime de l’entrepôt douanier permet le stockage dans un entrepôt douanier:

a) de marchandises non communautaires sans que ces marchandises soient soumises aux droits à l’importation ni aux mesures de politique commerciale;

[…]»

 Les règlements nos 3295/94 et 1383/2003

16 Le règlement n° 3295/94 a été abrogé, avec effet au 1er juillet 2004, par le règlement n° 1383/2003. Compte tenu de la date des faits, le litige au principal dans l’affaire C‑446/09 demeure régi par le règlement n° 3295/94, tel que modifié par le règlement n° 241/1999. En revanche, le litige au principal dans l’affaire C‑495/09 est régi par le règlement n° 1383/2003.

17 Le deuxième considérant du règlement n° 3295/94 énonçait:

«considérant que la commercialisation de marchandises de contrefaçon de même que la commercialisation de marchandises pirates porte un préjudice considérable aux fabricants et négociants respectueux des lois ainsi qu’aux titulaires des droits d’auteur et droits voisins et trompe les consommateurs; qu’il convient d’empêcher, dans toute la mesure du possible, la mise sur le marché de telles marchandises et d’adopter à cette fin des mesures permettant de faire face efficacement à cette activité illégale sans pour autant entraver la liberté du commerce légitime; […]»

18 Les deuxième et troisième considérants du règlement n° 1383/2003 sont libellés comme suit:

«(2) La commercialisation de marchandises […] enfreignant les droits de propriété intellectuelle [porte] un préjudice considérable […] aux titulaires de droits et [trompe] les consommateurs en leur faisant courir parfois des risques pour leur santé et leur sécurité. Il convient dès lors d’empêcher, dans toute la mesure du possible, la mise sur le marché de telles marchandises et d’adopter à cette fin des mesures […] sans pour autant entraver la liberté du commerce légitime. […]

(3) Dans les cas où les marchandises de contrefaçon, les marchandises pirates et, d’une manière générale, les marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle sont originaires ou proviennent de pays tiers, il importe d’interdire leur introduction dans le territoire douanier de la Communauté, y compris leur transbordement, leur mise en libre pratique dans la Communauté, leur placement sous un régime suspensif ou leur placement en zone franche ou entrepôt franc et de mettre en place une procédure appropriée permettant aux autorités douanières de faire respecter cette interdiction le plus rigoureusement possible.»

19 L’article 1er du règlement n° 1383/2003 énonce:

«1. Le présent règlement détermine les conditions d’intervention des autorités douanières lorsque des marchandises sont soupçonnées d’être des marchandises portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle dans les situations suivantes:

a) quand elles sont déclarées pour la mise en libre pratique, l’exportation ou la réexportation […]

b) quand elles sont découvertes à l’occasion d’un contrôle de marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté ou en sortant conformément aux articles 37 et 183 du [code des douanes], placées sous un régime suspensif au sens de l’article 84, paragraphe 1, point a), dudit [code], en voie de réexportation moyennant notification […] ou placées en zone franche ou en entrepôt franc […]

2. Le présent règlement détermine également les mesures à prendre par les autorités compétentes lorsqu’il est établi que les marchandises visées au paragraphe 1 portent atteinte aux droits de propriété intellectuelle.»

20 L’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 3295/94, dans sa version résultant du règlement n° 241/1999 (ci-après le «règlement n° 3295/94»), qui est applicable au litige au principal dans l’affaire C‑446/09, était libellé en des termes analogues à ceux de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 1383/2003.

21 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 1383/2003, il convient d’entendre par «marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle»:

«a) les ‘marchandises de contrefaçon’, à savoir:

i) les marchandises […] sur lesquelles a été apposée sans autorisation une marque […] identique à la marque […] valablement enregistrée pour le même type de marchandises ou qui ne peut être distinguée dans ses aspects essentiels de cette marque […] et qui, de ce fait, porte atteinte aux droits du titulaire de la marque en question, en vertu du droit communautaire et notamment du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire [(JO 1994, L 11, p. 1)] ou en vertu du droit interne de l’État membre dans lequel la demande d’intervention des autorités douanières est introduite;

[…]

b) les ‘marchandises pirates’, à savoir les marchandises qui sont, ou qui contiennent, des copies fabriquées sans le consentement du titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin ou du titulaire d’un droit relatif au dessin ou modèle […] dans les cas où la réalisation de ces copies porte atteinte au droit en question en vertu du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires [(JO 2002, L 3, p. 1)] ou en vertu du droit interne de l’État membre dans lequel la demande d’intervention des autorités douanières est introduite;

c) les marchandises qui, dans l’État membre dans lequel la demande d’intervention des autorités douanières est introduite, portent atteinte:

i) à un brevet prévu par le droit interne de cet État membre;

ii) à un certificat complémentaire de protection […]

iii) à un droit à la protection nationale des obtentions végétales […]

iv) aux appellations d’origine et aux indications géographiques […]

v) aux dénominations géographiques […]»

22 L’article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 3295/94 était libellé en des termes analogues à ceux de l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 1383/2003.

23 L’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 1383/2003 dispose:

«Dans chaque État membre, le titulaire du droit peut introduire auprès du service douanier compétent une demande écrite visant à obtenir son intervention lorsque des marchandises se trouvent dans l’une des situations visées à l’article 1er, paragraphe 1 (demande d’intervention).»

24 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du même règlement:

«Lorsque, au cours d’une intervention des autorités douanières, dans une des situations visées à l’article 1er, paragraphe 1, et avant qu’une demande du titulaire du droit ait été déposée ou acceptée, il existe des motifs suffisants de soupçonner que l’on se trouve en présence de marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités douanières peuvent suspendre la mainlevée ou procéder à la retenue de la marchandise […] afin de permettre au titulaire du droit de déposer une demande d’intervention conformément à l’article 5.»

25 Les articles 3, paragraphe 1, et 4 du règlement n° 3295/94 avaient un contenu analogue à celui, respectivement, des articles 5, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, du règlement n° 1383/2003.

26 Les articles 9 et 10 du règlement n° 1383/2003, lesquels relèvent du chapitre III de celui-ci, intitulé «Conditions d’intervention des autorités douanières et de l’autorité compétente pour statuer», disposent:

«Article 9

1. Lorsqu’un bureau de douane auquel la décision faisant droit à la demande du titulaire du droit a été transmise […] constate, au besoin après consultation du demandeur, que des marchandises se trouvant dans l’une des situations visées à l’article 1er, paragraphe 1, sont soupçonnées de porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle couvert par cette décision, il suspend la mainlevée ou procède à la retenue desdites marchandises.

[…]

3. Pour déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété intellectuelle […], le bureau de douane ou le service qui a traité la demande communique au titulaire du droit, à sa demande et si elles sont connues, les coordonnées du destinataire, de l’expéditeur, du déclarant ou du détenteur des marchandises […]

[…]

Article 10

Les dispositions de droit en vigueur dans l’État membre sur le territoire duquel les marchandises se trouvent dans l’une des situations visées à l’article 1er, paragraphe 1, sont applicables pour déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété intellectuelle au regard du droit national.

[…]»

27 De manière analogue, l’article 6 du règlement n° 3295/94 énonçait:

«1. Lorsqu’un bureau de douane, auquel la décision donnant droit à la demande du titulaire du droit a été transmise […] constate, le cas échéant après consultation du demandeur, que des marchandises se trouvant dans l’une des situations visées à l’article 1er paragraphe 1 point a) correspondent à la description des marchandises visées à l’article 1er, paragraphe 2, point a), contenues dans ladite décision, il suspend l’octroi de la mainlevée ou procède à la retenue desdites marchandises.

[…] le bureau de douane ou le service qui a traité la demande informe le titulaire du droit, à sa demande, des nom et adresse du déclarant et, s’il est connu, du destinataire afin de lui permettre de saisir les autorités compétentes pour statuer au fond. […]

[…]

2. Les dispositions en vigueur dans l’État membre sur le territoire duquel les marchandises se trouvent dans l’une des situations visées à l’article 1er paragraphe 1 point a) sont applicables pour:

a) la saisine de l’autorité compétente pour statuer au fond et pour l’information immédiate du service ou du bureau de douane visé au paragraphe 1 de la réalisation de cette saisine […]

b) l’établissement de la décision à prendre par cette autorité. En l’absence d’une réglementation communautaire en la matière, les critères à retenir pour l’établissement de cette décision sont les mêmes que ceux qui servent à déterminer si des marchandises produites dans l’État membre concerné violent les droits du titulaire. […]»

28 L’article 16 du règlement n° 1383/2003 dispose:

«Les marchandises reconnues comme des marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle au terme de la procédure prévue à l’article 9 ne peuvent être:

– introduites sur le territoire douanier de la Communauté,

– mises en libre pratique,

– retirées du territoire douanier de la Communauté,

– exportées,

– réexportées,

– placées sous un régime suspensif, ou

– placées en zone franche ou en entrepôt franc.»

29 De manière analogue, l’article 2 du règlement n° 3295/94 énonçait:

«Sont interdits l’introduction dans la Communauté, la mise en libre pratique, l’exportation, la réexportation, le placement sous un régime suspensif ainsi que le placement en zone franche ou en entrepôt franc de marchandises reconnues comme des marchandises visées à l’article 1er, paragraphe 2, point a), au terme de la procédure prévue à l’article 6.»

30 L’article 18 du règlement n° 1383/2003 prévoit que «[c]haque État membre définit les sanctions applicables en cas de violation du présent règlement. Ces sanctions doivent avoir un caractère effectif, proportionné et dissuasif». L’article 11 du règlement n° 3295/94 était libellé en des termes similaires.

 La réglementation internationale

31 L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l’«accord ADPIC»), qui constitue l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1), énonce à son article 69:

«Les Membres conviennent de coopérer en vue d’éliminer le commerce international des marchandises portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle. À cette fin, ils établiront des points de contact au sein de leur administration et en donneront notification et ils se montreront prêts à échanger des renseignements sur le commerce de ces marchandises. En particulier, ils encourageront l’échange de renseignements et la coopération entre les autorités douanières en matière de commerce de marchandises de marque contrefaites et de marchandises pirates portant atteinte au droit d’auteur.»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C-446/09

32 Le 7 novembre 2002, dans le port d’Anvers (Belgique), les autorités douanières belges ont inspecté une cargaison de rasoirs électriques provenant de Chine et ressemblant à des modèles de rasoirs développés par Philips. Ces modèles étant protégés en vertu d’enregistrements conférant un droit exclusif à Philips dans plusieurs États, y compris le Royaume de Belgique, lesdites autorités ont soupçonné que les produits inspectés constituent des marchandises pirates. Elles ont, dès lors, suspendu la mainlevée au sens de l’article 4 du règlement n° 3295/94.

33 Le 12 novembre 2002, Philips a, conformément à l’article 3 du même règlement, déposé une demande d’intervention.

34 À la suite de cette demande, laquelle a été acceptée le 13 novembre 2002, les autorités douanières belges ont communiqué certaines informations à Philips, telles qu’une photographie desdits rasoirs et l’identité des entreprises impliquées dans la production et la commercialisation de ceux-ci, à savoir Lucheng, qui est le fabricant, Far East Sourcing, le transporteur, ainsi que Röhlig, l’expéditeur.

35 Le 9 décembre 2002, lesdites autorités ont procédé à la retenue des marchandises au sens de l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 3295/94.

36 Le 11 décembre 2002, Philips a engagé une procédure à l’encontre de Lucheng, de Far East Sourcing et de Röhlig devant le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen (tribunal de première instance d’Anvers) visant, notamment, à ce qu’il soit jugé que ces entreprises ont porté atteinte au droit exclusif conféré par les modèles de rasoirs de Philips ainsi qu’à certains droits d’auteur de cette dernière. Parmi d’autres demandes, Philips sollicite, d’une part, la condamnation desdites sociétés à lui verser des dommages-intérêts et, d’autre part, la destruction des marchandises retenues.

37 Il a été établi devant le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen que lesdites marchandises avaient initialement fait l’objet d’une déclaration sommaire d’entrée leur conférant le statut de marchandises en dépôt temporaire et, le 29 janvier 2003, d’une déclaration en douane de la part de Röhlig par laquelle celle-ci a, en l’absence de certitude sur la destination de ces marchandises, demandé d’assigner à celles-ci le régime d’entrepôt douanier.

38 Philips soutient devant ladite juridiction qu’il y a lieu, en vue d’établir l’existence de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle invoqués, de se fonder sur une fiction selon laquelle des marchandises telles que celles en cause, se trouvant dans un entrepôt douanier situé sur le territoire du Royaume de Belgique et y étant retenues par les autorités douanières belges, sont censées avoir été fabriquées dans cet État membre. À l’appui de cette argumentation, Philips invoque l’article 6, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 3295/94.

39 En revanche, Far East Sourcing, seule défenderesse ayant comparu devant le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen, soutient devant ce dernier que des marchandises ne sauraient être retenues et, par la suite, être qualifiées de marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle en l’absence d’une quelconque preuve qu’elles seront mises en vente dans l’Union.

40 C’est dans ces circonstances que le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 6, paragraphe 2, sous b), du [règlement n° 3295/94] constitue-t-il une règle de droit communautaire uniformisée qui s’impose à la juridiction de l’État membre saisie […] par le titulaire du droit et cette règle emporte-t-elle que la juridiction ne peut pas tenir compte, pour statuer, du statut de dépôt temporaire ou du statut de transit et qu’elle doit appliquer la fiction selon laquelle les marchandises ont été fabriquées dans cet État membre, et que, par conséquent, elle doit se prononcer par application du droit de cet État membre sur la question de savoir si les marchandises concernées portent atteinte au droit [de propriété intellectuelle] en question?»

 L’affaire C-495/09

41 Au cours du mois de juillet 2008, à l’aéroport de Londres Heathrow (Royaume-Uni), les Commissioners ont inspecté une cargaison de téléphones mobiles ainsi que d’accessoires à ceux-ci en provenance de Hong Kong (Chine) et à destination de la Colombie. Ces marchandises étaient revêtues d’un signe identique à une marque communautaire dont Nokia est titulaire.

42 Soupçonnant qu’ils étaient en présence de produits d’imitation, les Commissioners ont, le 30 juillet 2008, envoyé des échantillons à Nokia. Après vérification de ces derniers, Nokia a informé les Commissioners qu’il s’agissait effectivement d’une imitation et leur a demandé s’ils étaient disposés à saisir ladite cargaison en application du règlement n° 1383/2003.

43 Le 6 août 2008, les Commissioners ont répondu à Nokia que, eu égard au fait que la cargaison était destinée à la Colombie et en l’absence de preuve qu’elle serait détournée vers le marché de l’Union, il ne saurait être conclu à la présence de «marchandises de contrefaçon» au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), i), du règlement n° 1383/2003. La cargaison ne pouvait donc, selon eux, être retenue.

44 Le 20 août 2008, Nokia a introduit une demande au sens de l’article 9, paragraphe 3, du règlement n° 1383/2003, visant à obtenir la communication des noms et adresses de l’expéditeur et du destinataire ainsi que de l’ensemble des documents relatifs aux marchandises en cause. Les Commissioners ont fourni les informations en leur possession, mais, après examen de celles-ci, Nokia n’a pas été en mesure d’identifier l’expéditeur ni le destinataire de ces marchandises et elle a considéré que ces derniers ont entrepris des démarches pour dissimuler leur identité.

45 Le 24 septembre 2008, Nokia a envoyé une lettre de mise en demeure aux Commissioners les informant de son intention d’introduire un recours contre la décision de ne pas saisir ladite cargaison. Le 10 octobre 2008, ces derniers ont répondu que, selon leur pratique instaurée à la suite de l’arrêt de la Cour du 9 novembre 2006, Montex Holdings (C‑281/05, Rec. p. I-10881), des marchandises soupçonnées de porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle ne doivent pas être retenues dans des cas comme celui de l’espèce, lorsqu’il n’est pas démontré que les marchandises en cause seront probablement détournées vers le marché de l’Union.

46 Le 31 octobre 2008, un recours contre les Commissioners a été introduit par Nokia devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, lequel a été rejeté par cette dernière par jugement du 29 juillet 2009. Nokia a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi.

47 Cette dernière constate, d’une part, que lesdits téléphones sont des imitations de produits de la marque dont Nokia est titulaire et, d’autre part, qu’il n’existe aucun indice de nature à laisser supposer que ces marchandises seront mises en vente dans l’Union. Compte tenu du recours introduit, dans des circonstances similaires, par Philips devant le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen ainsi que des divergences d’interprétation dans la jurisprudence des États membres, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les marchandises non communautaires revêtues d’une marque communautaire qui sont soumises à la surveillance douanière dans un État membre et qui sont en transit en provenance d’un État tiers et à destination d’un autre État tiers peuvent-elles constituer des ‘marchandises de contrefaçon’ au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1383/2003 s’il n’y a pas de preuve suggérant que ces marchandises seront mises sur le marché dans la Communauté européenne soit conformément à un régime douanier, soit au moyen d’un détournement illicite?»

48 Par ordonnance du président de la première chambre de la Cour du 11 janvier 2011, les affaires C-446/09 et C-495/09 ont été jointes aux fins des conclusions et de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

49 Par leurs questions, qu’il convient d’examiner ensemble, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si des marchandises provenant d’un État tiers et constituant une imitation d’un produit protégé dans l’Union par un droit de marque ou une copie d’un produit protégé dans l’Union par un droit d’auteur, un droit voisin, un modèle ou un dessin peuvent être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» au sens du règlement n° 1383/2003, et, avant l’entrée en vigueur de ce dernier, au sens du règlement n° 3295/94, du seul fait qu’elles sont introduites sur le territoire douanier de l’Union, sans y être mises en libre pratique.

50 Selon la définition des termes «marchandises de contrefaçon» et «marchandises pirates» figurant aux articles 1er, paragraphe 2, du règlement n° 3295/94 et 2, paragraphe 1, du règlement n° 1383/2003, ces notions visent des atteintes portées à une marque, à un droit d’auteur ou un droit voisin ou encore à un modèle ou un dessin, qui s’applique en vertu de la réglementation de l’Union ou en vertu du droit interne de l’État membre dans lequel la demande d’intervention des autorités douanières est introduite. Il s’ensuit que sont uniquement visées des atteintes à des droits de propriété intellectuelle tels que conférés par le droit de l’Union et le droit national des États membres.

51 Dans les affaires au principal, il n’est pas contesté que les rasoirs retenus dans le port d’Anvers pourraient, le cas échéant, être qualifiés de «marchandises pirates» au sens du règlement n° 3295/94 s’ils étaient mis en vente en Belgique ou dans l’un des autres États membres où Philips jouit des droits d’auteur et bénéficie de la protection pour les modèles qu’elle invoque ni que les téléphones mobiles inspectés à l’aéroport de Londres Heathrow porteraient atteinte à la marque communautaire invoquée par Nokia et constitueraient donc des «marchandises de contrefaçon» au sens du règlement n° 1383/2003 s’ils étaient mis en vente dans l’Union. En revanche, les parties au principal ainsi que les États membres ayant présenté des observations à la Cour et la Commission européenne sont en désaccord sur la question de savoir si lesdites marchandises peuvent porter atteinte auxdits droits de propriété intellectuelle en raison de la seule circonstance qu’ils ont fait l’objet, sur le territoire douanier de l’Union, d’une déclaration sollicitant l’un des régimes suspensifs mentionnés à l’article 84 du code des douanes, à savoir, dans l’affaire C‑446/09, un entrepôt douanier et, dans l’affaire C‑495/09, un transit externe.

52 En invoquant notamment le risque d’un détournement frauduleux vers les consommateurs dans l’Union de marchandises déclarées sous un régime suspensif, ainsi que les risques pour la santé et la sécurité que présentent souvent les produits d’imitation et de copie, Philips, Nokia, les gouvernements belge, français, italien, polonais, portugais et finlandais, ainsi qu’International Trademark Association, soutiennent que des produits d’imitation et de copie découverts en phase d’entrepôt ou de transit dans un État membre doivent être retenus et, le cas échéant, éliminés du commerce sans qu’il soit nécessaire de disposer d’éléments suggérant ou démontrant que ces marchandises sont ou seront mises en vente dans l’Union. De tels éléments de preuve étant en règle générale difficiles à rassembler, la nécessité de les fournir priverait les règlements nos 3295/94 et 1383/2003 de leur effet utile.

53 Pour que les règlements nos 3295/94 et 1383/2003 soient appliqués d’une manière effective, Philips et le gouvernement belge proposent d’admettre l’existence d’une fiction, selon laquelle les marchandises déclarées en entrepôt ou en transit et faisant l’objet d’une demande d’intervention au sens de ces règlements sont censées avoir été fabriquées dans l’État membre où cette demande est introduite, alors même qu’il est constant que la fabrication a eu lieu dans un État tiers (fiction de fabrication).

54 Far East Sourcing, les gouvernements du Royaume-Uni et tchèque ainsi que la Commission, tout en reconnaissant les problèmes liés au trafic international d’imitations et de copies, estiment que des marchandises ne sauraient être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ni de «marchandises pirates» au sens desdits règlements lorsqu’il n’existe aucun indice laissant supposer que les produits en cause seront mis en vente dans l’Union. L’interprétation contraire étendrait indûment la portée territoriale des droits de propriété intellectuelle conférés par le droit de l’Union ainsi que par le droit national des États membres et aurait pour conséquence d’entraver, dans de nombreux cas, des opérations légitimes de commerce international de produits transitant par l’Union.

 Sur la retenue provisoire de marchandises placées sous un régime douanier suspensif

55 Les régimes de transit et d’entrepôt douanier se caractérisent respectivement, ainsi qu’il découle des articles 91, 92 et 98 du code des douanes, par la circulation de marchandises entre des bureaux de douane et le stockage de marchandises dans un entrepôt placé sous surveillance douanière. De toute évidence, ces opérations ne sauraient, en tant que telles, s’analyser comme une mise en vente de marchandises dans l’Union (voir, s’agissant d’opérations de transit intracommunautaire, arrêts du 23 octobre 2003, Rioglass et Transremar, C‑115/02, Rec. p. I‑12705, point 27, ainsi que Montex Holdings, précité, point 19).

56 La Cour a itérativement déduit de cette circonstance que les marchandises placées sous un régime douanier suspensif ne sauraient, du seul fait de ce placement, porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle applicables dans l’Union (voir notamment, en ce qui concerne des droits relatifs à des dessins et modèles, arrêt du 26 septembre 2000, Commission/France, C‑23/99, Rec. p. I‑7653, points 42 et 43, ainsi que, pour ce qui concerne des droits conférés par des marques, arrêts Rioglass et Transremar, précité, point 27; du 18 octobre 2005, Class International, C‑405/03, Rec. p. I‑8735, point 47, ainsi que Montex Holdings, précité, point 21).

57 En revanche, il peut y avoir atteinte auxdits droits lorsque, pendant leur placement sous un régime suspensif sur le territoire douanier de l’Union, voire même avant leur arrivée sur ce territoire, des marchandises provenant d’États tiers font l’objet d’un acte commercial dirigé vers les consommateurs dans l’Union, tel qu’une vente, une offre à la vente ou une publicité (voir arrêts Class International, précité, point 61, ainsi que du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C‑324/09, non encore publié au Recueil, point 67).

58 Eu égard au risque, déjà constaté par la Cour (arrêt du 6 avril 2000, Polo/Lauren, C‑383/98, Rec. p. I‑2519, point 34), d’un détournement frauduleux vers les consommateurs dans l’Union de marchandises entreposées sur le territoire douanier de cette dernière ou transitant par celui-ci, il convient de relever que, outre l’existence d’un acte commercial d’ores et déjà dirigé vers ces consommateurs, d’autres circonstances peuvent également conduire à une retenue provisoire, par les autorités douanières des États membres, de marchandises constituant des imitations et des copies déclarées sous un régime suspensif.

59 Ainsi que l’ont souligné les gouvernements français, italien et polonais, le placement de marchandises en provenance d’États tiers sous un régime suspensif est fréquemment sollicité dans des circonstances où la destination des marchandises est soit inconnue, soit déclarée de manière peu fiable. Eu égard, en outre, au caractère dissimulé des activités des trafiquants de marchandises d’imitation et de copie, la retenue par les autorités douanières de marchandises qu’elles ont identifiées comme étant des imitations ou des copies ne saurait, sauf à affaiblir l’effet utile des règlements nos 3295/94 et 1383/2003, être subordonnée à la preuve que ces marchandises ont déjà fait l’objet d’une vente à des consommateurs de l’Union ou d’une offre à la vente ou d’une publicité dirigée vers ces derniers.

60 Au contraire, l’autorité douanière ayant constaté la présence en entrepôt ou en transit de marchandises imitant ou copiant un produit protégé, dans l’Union, par un droit de propriété intellectuelle peut valablement intervenir lorsqu’elle dispose d’indices selon lesquels l’un ou plusieurs des opérateurs impliqués dans la fabrication, l’expédition ou la distribution des marchandises, tout en n’ayant pas encore commencé à diriger ces marchandises vers les consommateurs dans l’Union, est sur le point de le faire ou dissimule ses intentions commerciales.

61 S’agissant des indices dont doit disposer ladite autorité afin d’opérer une suspension de mainlevée ou une retenue de marchandises au sens des articles 6, paragraphe 1, du règlement n° 3295/94 et 9, paragraphe 1, du règlement n° 1383/2003, il suffit, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 96 et 97 ainsi que 110 et 111 de ses conclusions, qu’il existe des éléments de nature à faire naître un soupçon. Peuvent notamment constituer de tels éléments le fait que la destination des marchandises n’est pas déclarée alors que le régime suspensif sollicité exige une telle déclaration, l’absence d’informations précises ou fiables sur l’identité ou l’adresse du fabricant ou de l’expéditeur des marchandises, un manque de coopération avec les autorités douanières ou encore la découverte de documents ou d’une correspondance à propos des marchandises en cause suggérant qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union est susceptible de se produire.

62 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 106 de ses conclusions, un tel soupçon doit, dans tous les cas, découler des circonstances de l’espèce. En effet, si ledit soupçon et l’intervention en résultant pouvaient se fonder sur la simple considération abstraite qu’un détournement frauduleux vers les consommateurs dans l’Union ne peut par hypothèse être exclu, toute marchandise se trouvant en transit externe ou en entrepôt douanier pourrait, sans le moindre indice concret d’irrégularité, être retenue. Une telle situation risquerait de rendre les interventions des autorités douanières des États membres aléatoires et excessives.

63 Il importe de considérer, à cet égard, que les marchandises d’imitation et de copie provenant d’un État tiers et transportées vers un autre État tiers peuvent être conformes aux normes en matière de propriété intellectuelle en vigueur dans chacun de ces deux États. Au regard de l’objectif principal de la politique commerciale commune, énoncé aux articles 131 CE ainsi que 206 TFUE et consistant dans le développement du commerce mondial par la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux, il est essentiel que ces marchandises puissent transiter, via l’Union, d’un État tiers vers un autre sans que cette opération soit entravée, même par une retenue provisoire, par les autorités douanières des États membres. Or, une telle entrave serait précisément créée si les règlements nos 3295/94 et 1383/2003 étaient interprétés en ce sens qu’il est loisible de retenir des marchandises en transit sans le moindre indice de nature à laisser supposer qu’elles pourraient faire l’objet d’un détournement frauduleux vers les consommateurs dans l’Union.

64 Cette considération est, au demeurant, corroborée par le deuxième considérant desdits règlements, lequel énonce que l’objectif du législateur de l’Union se limite à éviter «la mise sur le marché» de marchandises portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle et à adopter à cette fin des mesures efficaces «sans pour autant entraver la liberté du commerce légitime».

65 S’agissant, enfin, de marchandises pour lesquelles il n’existe aucun indice au sens du point 61 du présent arrêt, mais à propos desquelles pèsent des soupçons d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle dans l’État tiers de destination supposé, il convient de relever qu’il est loisible aux autorités douanières des États membres où ces marchandises sont en transit externe de coopérer, en vertu de l’article 69 de l’accord ADPIC, avec les autorités douanières dudit État tiers en vue d’éliminer, le cas échéant, les marchandises du commerce international.

66 C’est au regard des précisions qui précèdent qu’il incombera à la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division), pour apprécier si le refus opposé à Nokia par les Commissioners est conforme à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1383/2003, d’examiner si ces derniers disposaient d’indices de nature à faire naître un soupçon au sens de cette disposition, les obligeant par conséquent à procéder, en vertu de ce règlement, à une suspension de mainlevée ou à une retenue des marchandises afin d’immobiliser celles-ci dans l’attente de la décision à prendre par l’autorité compétente pour statuer sur le fond. Les éléments factuels invoqués par Nokia et mentionnés dans la décision de renvoi, relatifs notamment à l’impossibilité d’identifier l’expéditeur des marchandises en cause, seraient, s’ils devaient s’avérer exacts, pertinents à cet égard.

 Sur la décision sur le fond consécutive à la retenue provisoire de marchandises placées sous un régime douanier suspensif

67 À la différence de la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division), appelée à régler le litige entre Nokia et les Commissioners au sujet de leur refus de retenir des marchandises, le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen devra, dans l’affaire introduite par Philips, déterminer, conformément à l’article 6, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 3295/94, devenu l’article 10, premier alinéa, du règlement n° 1383/2003, si des marchandises déjà retenues par les autorités douanières en vertu du paragraphe 1 dudit article 6 portent effectivement atteinte aux droits de propriété intellectuelle invoqués.

68 Or, contrairement à la décision prise par l’autorité douanière de retenir provisoirement les marchandises au moyen de la retenue mentionnée aux articles 6, paragraphe 1, du règlement n° 3295/94 et 9, paragraphe 1, du règlement n° 1383/2003, la décision sur le fond au sens des articles 6, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 3295/94 et 10, premier alinéa, du règlement n° 1383/2003 ne saurait être prise sur la base d’un soupçon, mais doit se fonder sur un examen de la question de savoir s’il existe une preuve d’atteinte au droit invoqué.

69 Il y a lieu de considérer, à cet égard, que, dans le cas où l’autorité juridictionnelle ou autre, compétente pour statuer sur le fond, constate une violation du droit de propriété intellectuelle invoqué, la destruction ou l’abandon des marchandises en cause constituent les seules destinations douanières que celles-ci ont vocation à recevoir. Cela découle des articles 2 du règlement n° 3295/94 et 16 du règlement n° 1383/2003, lus conjointement avec l’article 4 du code des douanes, les articles 11 et 18 respectivement desdits règlements précisant par ailleurs que des sanctions effectives et dissuasives doivent être prévues pour les infractions constatées sur le fondement de ces règlements. Il est manifeste que les opérateurs concernés ne sauraient subir une telle dépossession et de telles sanctions sur le seul fondement d’un risque de fraude ou sur la base d’une fiction telle que celle proposée par Philips et le gouvernement belge.

70 Par conséquent, ainsi que le soutiennent à bon droit les gouvernements du Royaume-Uni et tchèque ainsi que la Commission, l’autorité compétente pour statuer sur le fond ne saurait qualifier de «marchandises de contrefaçon» et de «marchandises pirates» ou, plus généralement, de «marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle» des marchandises à propos desquelles une autorité douanière éprouve un soupçon d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle applicable dans l’Union, mais pour lesquelles il n’est pas prouvé, après examen au fond, qu’elles sont destinées à une mise en vente dans l’Union.

71 S’agissant des éléments de preuve dont doit disposer l’autorité compétente pour statuer sur le fond afin de constater que des marchandises d’imitation ou de copie introduites sur le territoire douanier de l’Union sans y être mises en libre pratique sont susceptibles de porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle applicable dans l’Union, il convient de relever que peuvent notamment constituer de tels éléments l’existence d’une vente des marchandises à un client dans l’Union, l’existence d’une offre à la vente ou d’une publicité adressée à des consommateurs dans l’Union, ou encore l’existence de documents ou d’une correspondance à propos des marchandises en cause démontrant qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union est envisagé.

72 L’interprétation fournie au point précédent au sujet de la charge de preuve devant l’autorité compétente pour statuer sur le fond n’est pas infirmée par les observations soumises à la Cour par certaines parties au principal et certains gouvernements selon lesquelles toute omission, résultant de cette exigence relative à la charge de preuve, de destruction de marchandises d’imitation et de copie découvertes sur le territoire douanier de l’Union porte atteinte à l’effet utile des règlements nos 3295/94 et 1383/2003 et méconnaît, en outre, le fait que, dans de nombreuses branches du commerce, y compris celles concernant les appareils électriques, de telles marchandises présentent des risques pour la santé et la sécurité des consommateurs.

73 En ce qui concerne, d’une part, l’effet utile desdits règlements, il y a lieu de considérer que l’efficacité de la lutte contre des opérations illicites n’est pas affaiblie par la circonstance que l’autorité douanière ayant retenu des marchandises est obligée de mettre fin à cette intervention chaque fois que l’autorité compétente pour statuer sur le fond constate qu’il n’est pas dûment prouvé que les marchandises sont destinées à une mise en vente dans l’Union.

74 Il importe de relever, à cet égard, que la cessation d’une retenue de marchandises opérée en vertu des règlements nos 3295/94 et 1383/2003 n’implique aucunement que ces marchandises échappent dorénavant à la surveillance douanière. En effet, il ressort de l’article 37 du code des douanes et des dispositions d’application de celui-ci que chaque étape d’un régime suspensif, tel que celui afférent au transit externe, doit être strictement suivie et répertoriée par les autorités douanières des États membres et que toute dérogation significative aux données indiquées sur la déclaration douanière peut donner lieu à une intervention desdites autorités sur les marchandises.

75 La lutte contre des opérations illicites n’est pas non plus entravée par la circonstance, déjà constatée par la Cour, qu’il est impossible au titulaire du droit de propriété intellectuelle de saisir l’autorité compétente pour statuer sur le fond lorsque les opérateurs responsables de la présence des marchandises en cause sur le territoire douanier de l’Union ont dissimulé leur identité (arrêt du 14 octobre 1999, Adidas, C‑223/98, Rec. p. I‑7081, point 27). Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le droit douanier de l’Union consacre le principe selon lequel toute marchandise destinée à être placée sous un régime douanier doit faire l’objet d’une déclaration (arrêt du 15 septembre 2011, DP grup, C‑138/10, non encore publié au Recueil, point 33). Ainsi qu’il ressort de l’article 59 du code des douanes et des dispositions d’application de celui-ci, une déclaration non identifiable, en raison du fait qu’elle est entachée d’une dissimulation du nom ou de l’adresse du déclarant ou des autres opérateurs pertinents, aura pour conséquence que la mainlevée des marchandises aux fins prévues par le régime douanier sollicité ne peut valablement être donnée. Par ailleurs, si l’absence d’informations fiables sur l’identité ou l’adresse des opérateurs responsables perdure, les marchandises sont, en vertu de l’article 75 du même code, susceptibles d’être confisquées.

76 Pour ce qui concerne, d’autre part, les risques pour la santé et la sécurité des consommateurs que peuvent parfois présenter des produits d’imitation et de copie, il résulte du dossier ainsi que du deuxième considérant du règlement n° 1383/2003 que ces risques sont amplement documentés et que leur existence est reconnue par le législateur de l’Union. Par ailleurs, ainsi que l’ont relevé, notamment, Nokia et le gouvernement portugais, des considérations de précaution peuvent militer en faveur d’une saisie immédiate de marchandises identifiées comme présentant de tels risques, et cela indépendamment du régime douanier dans lequel celles-ci se trouvent. En effet, la question de savoir si les opérateurs responsables de la fabrication et de la distribution de ces marchandises dirigent ces dernières vers des consommateurs dans l’Union ou dans des États tiers est, dans un tel contexte, dépourvue de pertinence.

77 Force est toutefois de constater que les règlements nos 3295/94 et 1383/2003, dont l’interprétation est sollicitée par les juridictions de renvoi, ne concernent que la lutte contre l’introduction dans l’Union de marchandises portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle. Dans l’intérêt d’une correcte gestion des risques pour la santé et la sécurité des consommateurs, il importe de préciser que les pouvoirs et obligations des autorités douanières des États membres par rapport aux marchandises présentant de tels risques doivent être appréciés sur la base d’autres dispositions du droit de l’Union, telles que les articles 56, 58 et 75 du code des douanes.

78 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que les règlements nos 3295/94 et 1383/2003 doivent être interprétés en ce sens que:

– des marchandises provenant d’un État tiers et constituant une imitation d’un produit protégé dans l’Union par un droit de marque ou une copie d’un produit protégé dans l’Union par un droit d’auteur, un droit voisin, un modèle ou un dessin ne sauraient être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» au sens desdits règlements en raison du seul fait qu’elles sont introduites sur le territoire douanier de l’Union sous un régime suspensif;

– ces marchandises peuvent, en revanche, porter atteinte audit droit et donc être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» lorsqu’il est prouvé qu’elles sont destinées à une mise en vente dans l’Union, une telle preuve étant fournie, notamment, lorsqu’il s’avère que lesdites marchandises ont fait l’objet d’une vente à un client dans l’Union ou d’une offre à la vente ou d’une publicité adressée à des consommateurs dans l’Union, ou lorsqu’il ressort de documents ou d’une correspondance concernant ces marchandises qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union est envisagé;

– pour que l’autorité compétente pour statuer sur le fond puisse utilement examiner l’existence d’une telle preuve et des autres éléments constitutifs d’une atteinte au droit de propriété intellectuelle invoqué, l’autorité douanière saisie d’une demande d’intervention doit, dès qu’elle dispose d’indices permettant de soupçonner l’existence de ladite atteinte, suspendre la mainlevée ou procéder à la retenue desdites marchandises, et que

– parmi ces indices peuvent figurer, notamment, le fait que la destination des marchandises n’est pas déclarée alors que le régime suspensif sollicité exige une telle déclaration, l’absence d’informations précises ou fiables sur l’identité ou l’adresse du fabricant ou de l’expéditeur des marchandises, un manque de coopération avec les autorités douanières ou encore la découverte de documents ou d’une correspondance concernant les marchandises en cause de nature à laisser supposer qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union est susceptible de se produire.

 Sur les dépens

79 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant les juridictions de renvoi, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Le règlement (CE) n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant certaines mesures concernant l’introduction dans la Communauté et l’exportation et la réexportation hors de la Communauté de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, tel que modifié par le règlement (CE) n° 241/1999 du Conseil, du 25 janvier 1999, et le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, doivent être interprétés en ce sens que:

– des marchandises provenant d’un État tiers et constituant une imitation d’un produit protégé dans l’Union européenne par un droit de marque ou une copie d’un produit protégé dans l’Union par un droit d’auteur, un droit voisin, un modèle ou un dessin ne sauraient être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» au sens desdits règlements en raison du seul fait qu’elles sont introduites sur le territoire douanier de l’Union sous un régime suspensif;

– ces marchandises peuvent, en revanche, porter atteinte audit droit et donc être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» lorsqu’il est prouvé qu’elles sont destinées à une mise en vente dans l’Union européenne, une telle preuve étant fournie, notamment, lorsqu’il s’avère que lesdites marchandises ont fait l’objet d’une vente à un client dans l’Union ou d’une offre à la vente ou d’une publicité adressée à des consommateurs dans l’Union, ou lorsqu’il ressort de documents ou d’une correspondance concernant ces marchandises qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union est envisagé;

– pour que l’autorité compétente pour statuer sur le fond puisse utilement examiner l’existence d’une telle preuve et des autres éléments constitutifs d’une atteinte au droit de propriété intellectuelle invoqué, l’autorité douanière saisie d’une demande d’intervention doit, dès qu’elle dispose d’indices permettant de soupçonner l’existence de ladite atteinte, suspendre la mainlevée ou procéder à la retenue desdites marchandises, et que

– parmi ces indices peuvent figurer, notamment, le fait que la destination des marchandises n’est pas déclarée alors que le régime suspensif sollicité exige une telle déclaration, l’absence d’informations précises ou fiables sur l’identité ou l’adresse du fabricant ou de l’expéditeur des marchandises, un manque de coopération avec les autorités douanières ou encore la découverte de documents ou d’une correspondance concernant les marchandises en cause de nature à laisser supposer qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union européenne est susceptible de se produire.