CA Limoges, ch. civ., 17 janvier 2018, n° 17/00287
LIMOGES
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocat :
Me Mora
LA COUR
EXPOSE DU LITIGE
Madame H J, commerçante, et Monsieur L K, titulaire
d'un droit au bail commercial sur un immeuble situé à Collonges la Rouge (19), se sont rapprochés
quant à la cession du droit au bail.
Maître E, notaire à VAYRAC, a rédigé courant 2013 un projet d'acte de cession de droit au
bail entre les parties pour le prix de 10 000 euros.
Le 29 octobre 2013, il a informé Madame J que le bail avait été cédé à Monsieur
A.
Par acte d'huissier du 23 février 2015, Madame J a assigné Monsieur K en
dommages et intérêts pour rupture fautive des relations contractuelles devant le tribunal d'instance de
Brive-la-Gaillarde.
Par jugement du 24 novembre 2016, le Tribunal d'instance de Brive-la-Gaillarde a :
- débouté Madame J de ses demandes ;
- condamné Madame J aux dépens.
Dans ses conclusions déposées le 24 mai 2017, Madame J demande à la Cour de :
- condamner Monsieur K à lui verser la somme de 8 500 euros pour sa perte
d'exploitation ;
- condamner Monsieur K à lui payer la somme de 2 000 euros au titre du préjudice
moral ;
- condamner Monsieur K aux dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 1 500 euros sur
le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile .
Au soutien de ses demandes faites au visa de l'article 1134 du Code civil, Madame J
soutient que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, les parties avaient dépassé la phase des
pourparlers puisqu'une date de signature de l'acte de cession chez le notaire a été fixée par deux fois
le 24 septembre puis le 29 octobre, rendez-vous auxquels elle s'est présentée et où elle a appris que
Monsieur K avait en réalité cédé à un autre acquéreur après avoir mené des doubles
négociations dans le but d'obtenir un complément de prix occulte de 15 000 euros en espèce.
Ainsi, elle estime que la rédaction du projet notarié caractérise l'accord sur la chose et le prix et que
c'est Monsieur K qui a rompu ses engagements en mettant par deux fois la vente en
échec, ce dont il aurait fait l'aveu judiciaire dans ses précédentes écritures.
Elle indique qu'il était initialement prévu une mise à disposition du local le 25 septembre 2013 au
plus tard, que son propre bail expirait au 30 septembre 2013 et qu'elle s'est retrouvée trois mois sans
fonds à exploiter.
Elle expose avoir dû déménager en urgence et trouver un local pour entreposer son matériel
Dans ses conclusions déposées le15 juin 2017, Monsieur K demande à la Cour de
confirmer la décision déférée et de condamner Madame J aux dépens.
Il soutient que les parties se trouvaient en période précontractuelle au moment des faits et que seul
l'abus de la liberté de rompre les pourparlers peut être sanctionné sur le fondement de l'ancien article
1382 du Code civil.
Il prétend ne pas avoir été à l'initiative de la rupture des négociations, ayant reçu un message du
compagnon de Madame J, financier de l'opération, l'informant d'un désaccord sur le
prix, ce qui l'avait conduit a accepté la proposition de Monsieur A.
S'il admet avoir suspendu les pourparlers fin septembre 2013, en annulant le premier rendez-vous
prévu chez le notaire le 24 septembre 2013, après avoir été informé que le compagnon de Madame
J aurait exercé des pressions sur des personnes intéressées par le droit au bail, il indique
avoir repris rapidement les pourparlers courant octobre 2013 n'ayant pas obtenu confirmation de ces
rumeurs.
Il indique que la reprise des négociations portaient sur un alignement de Madame J sur
le prix de 10 000 euros outre 15 000 euros en espèces, demande que Madame J
reconnaît dans ses écritures avoir rejetée.
Il fait valoir qu'il ne peut lui être reproché d'avoir cherché à tirer le meilleur profit de son bien.
Il ajoute que même s'il était considéré à l'origine de la rupture des pourparlers, celle-ci n'apparaîtrait
pas abusive compte tenu de leur courte durée ( septembre à octobre 2013) et de la manière dont elle
est intervenue.
Il conteste que Madame J ait découvert cette rupture en se présentant le 29 octobre 2013
à la signature de l'acte de cession. Il explique en effet avoir informé le notaire du désistement de
Madame J dès le 22 octobre 2013 en indiquant souhaiter maintenir le rendez-vous pour
un autre acquéreur.
Enfin, il soutient que même dans le cas d'une rupture fautives des pourparlers, Madame
J ne peut solliciter l'indemnisation d'une perte de chance de réaliser les gains espérés à la
conclusion pour lesquels elle ne produit en outre aucune pièce comptable.
MOTIFS
En application de l'ancien article 1101 du Code civil ( dans sa rédaction applicable avant le 1er
octobre 2016), le contrat n'est formé que lors de la rencontre des volontés des parties et leur accord
sur leurs obligations réciproques .
En raison du principe de liberté contractuelle, les parties sont libres de contracter et du choix de leur
contractant, la seule exigence étant que les négociations préalables à la formation du contrat soient
menées de bonne foi.
La rupture des pourparlers n'est susceptible d'engager la responsabilité délictuelle de celui à qui elle
est imputable qu'en cas d'abus.
- sur la qualification de la phase précédant la rupture des relations entre les parties
En l'espèce, si les parties ne précisent pas à quelle date les négociations pré-contractuelles ont
débuté, il est constant qu'un projet d'acte notarié a été adressé par Maître E aux parties le
16 septembre 2013 portant sur la cession du bail pour un prix de 10 000 euros ( pièce 1bis de
l'appelante) et qu'un rendez-vous chez le notaire était prévu le 24 septembre 2013 lequel a été annulé
par Monsieur K.
Il est également constant qu'un second rendez-vous a été fixé chez le notaire le 29 octobre 2013.
Cependant, la seule rédaction d'un projet notarié, par définition susceptible d'être modifié jusqu'au
jour de la signature, et la fixation d'un rendez-vous chez le notaire ne permet pas d'établir un accord
parfait intervenu au préalable sur le prix et la chose.
Or, Madame J ne verse aucun autre élément permettant de considérer qu'un accord
définitif était intervenu entre les parties, et ce d'autant plus qu'elle indique elle-même dans ses
écritures que Monsieur K tentait en réalité d'obtenir un complément de prix en espèces
de 15 000 euros , ce qu'elle refusait .
Le courrier de M.K que l'appelante produit, que Monsieur K reconnaît
avoir glissé dans la boîte aux lettres de Madame J en octobre 2013 sans que la date ne
soit connue, mentionne : « H Guy, je retiens votre alignement à 10 000 + 15 000 espèces [']
sauf contre ordre de votre part, je téléphone au notaire E lundi pour signature en ce début
de semaine selon disponibilité. Clés vous seront remises dans la foulée ['] Prévoir si possible
coupures de 100, voire 50. I ». Cette pièce ne fait que corroborer qu'il existait
effectivement des désaccords quant au prix initialement fixé dans le projet d'acte notarié à 10 000
euros. Il n'a d'ailleurs été rédigé aucun nouveau projet d'acte notarié alors que le premier projet était
obsolète puisque prévoyant une cession du bail à compter du 1er octobre 2013.
Il doit donc être considéré que les parties se trouvaient dans la phase des pourparlers au moment des
faits.
- sur le caractère fautif de la rupture des pourparlers
Monsieur K reconnaît être seul à l'origine de la suspension des pourparlers le 23
septembre 2013, affirmant qu'il aurait eu connaissance de pressions exercées par le compagnon de
Madame J sur d'éventuels autres acquéreurs faussant ainsi le jeu de la concurrence, sans
toutefois n'apporter aucun élément de preuve en ce sens.
Si Madame J a manifestement accepté de reprendre le cours des négociations peu de
temps après, elle souligne que son bail en cours se terminait au 30 septembre 2013 et qu'elle avait
besoin de trouver rapidement un nouveau local.
Elle verse par ailleurs les attestations de deux amis et de son beau-frère relatant qu'ils l'ont aidée à
déménager son magasin fin septembre.
Monsieur K explique la rupture finale des pourparlers en octobre 2013 par la réception
d'un message du compagnon de Madame J l'informant qu'ils n'étaient finalement plus
d'accord sur le prix de cession.
Il ne produit pas ce message mais verse le mail qu'il a adressé à Maître E dès le 22 octobre
2013 indiquant que Madame J se désistait mais qu'il maintenait le rendez-vous du mardi
29 octobre 2013 car un autre acquéreur, dont il fournit dans le mail les coordonnées, s'était
manifesté.
Cependant, outre que Monsieur K ne démontre pas l'existence du désistement de
Madame J, il ne démontre pas l'avoir informée de l'annulation de leur rendez-vous chez
le notaire prévu le 29 octobre 2013.
Au contraire, Madame J produit un courrier que son conseil a adressé le 28 octobre 2013
à Maître E pour lui demander si le rendez-vous du lendemain était bien maintenu ( pièce
n°2 de l'appelante).
Maître E a d'ailleurs attesté que Madame J s'est présentée à son office le 29
octobre 2013 à l'heure du rendez-vous.
Monsieur K s'appuie sur les écritures de Madame J sur son désaccord
quant au complément de prix de 15 000 euros noté dans sa lettre manuscrite glissée dans la boîte aux
lettres de l'appelante pour en déduire que la rupture des pourparlers serait nécessairement imputable
à Madame J.
Néanmoins, il ne peut qu'être relevé que, dans les écritures qu'il a lui même rédigées devant le
Tribunal d'instance, Monsieur K évoque que la référence aux 15 000 euros et aux
petites coupures relevaient en réalité de l'humour et qu'il a d'ailleurs finalement réalisé la cession du
bail au prix initial de 10 000 euros .
Ainsi, il doit être considéré que Monsieur K a été à l'initiative de la rupture des
pourparlers et que cette rupture a été fautive dans la mesure où Monsieur K, après
avoir déjà suspendu une première fois la signature de l'acte notarié et après avoir cherché à obtenir
d'elle un complément de prix en espèces, a finalement décidé de conclure au dernier moment la
cession du bail avec un autre acquéreur au prix initialement accepté par Madame J sans
informer cette dernière, ne lui laissant ainsi pas la possibilité de maintenir une offre d'achat
équivalente à celle du nouvel acquéreur alors que Madame J avait déjà pris ces
dispositions pour quitter son ancien local commercial.
- sur le préjudice subi
Madame J fait valoir qu'elle n'a pu retrouver un bail commercial que le 2 janvier 2014 se
retrouvant ainsi 3 mois sans pouvoir exploiter son activité commerciale.
Cependant, outre qu'elle ne verse aucun élément comptable pour justifier la somme qu'elle réclame
au titre de sa perte d'exploitation, le préjudice résultant de la rupture fautive des négociations ne peut
consister en la perte des avantages attendus du contrat conclu ou même la perte d'une chance de
réaliser les gains espérés qui n'est pas directement causée par la faute commise.
Madame J sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre de sa
perte d'exploitation.
En revanche, compte tenu du caractère brutal de la rupture des pourparlers , de la déloyauté dont
Monsieur K a pu faire preuve au cours des négociations et des dispositions qu'a dû
prendre Madame J pour procéder en urgence au déménagement de son magasin dans un
local temporaire, Madame J justifie d'un préjudice moral qui sera réparé par une
indemnité de
2 000 euros
.
- sur les dépens et l'article 700
Conformément à l'article 696 du Code de procédure civile, Monsieur K, partie
succombante, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel .
En application de l'article 700 du Code de procédure civile, il sera également condamné à verser à
Madame J la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, en dernier ressort et après
en avoir délibéré conformément à la loi ;
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 novembre 2016 par le Tribunal
d'instance de Brive-la-Gaillarde ;
Statuant à nouveau ,
CONDAMNE Monsieur I K à payer à Madame H J la
somme de DEUX
MILLE ( 2 000)
euros à titre de dommages et intérêts avec intérêt au taux légal à
compter du présent arrêt ;
CONDAMNE Monsieur I K à payer à Madame H J la
somme de MILLE CINQ CENTS ( 1 500) euros sur le fondement de l'article 700 du Code de
procédure civile ;
CONDAMNE Monsieur I K aux dépens de première instance et d'appel.