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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-6, 12 mai 2022, n° 19/14704

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches du Rhône (Sté), Lilly France (SAS), Etablissement Public Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Noël

Conseillers :

Mme Vella, Mme Allard

Avocats :

Me Henry-Volfin, Me Leccia, Me Gouesse, Me Magnan

TGI Tarascon, du 6 sept. 2019, n° 12/003…

6 septembre 2019

FAITS & PROCÉDURE

Le 27/09/2000, M. [G], âgé de 44 ans, a été diagnostiqué comme étant atteint de la maladie de Parkinson, maladie neuro-dégénérative à évolution lente se caractérisant par la destruction progressive des neurotransmetteurs dopaminergiques.

M. [G] indique avoir consulté le docteur [N], médecin neurologue, et s'être fait prescrire le 07/03/2001 un traitement médicamenteux agissant sur les symptomes de la maladie à base de Sinemet 100® (traitement par levodopa, producteur de dopamine) et de Celance® (traitement par agoniste dopaminergique, agissant sur les récepteurs de la dopamine). Le Celance® a été produit par la SAS Lilly France et distribué du 13/02/1995, date de son autorisation de mise sur le marché par l'AFSSAPS, jusqu'au 02/05/2011, date de son retrait en raison de son rôle dans certaines valvulopathies.

M. [G] soutient que le Celance® lui a occasionné, au-delà de graves troubles alimentaires et sexuels, une addiction aux jeux d'argent : entre 2001 et 2006, il a fréquenté assidûment les casinos de la région PACA et joué en ligne. Il soutient avoir perdu 1.750.000,00 € en six ans. Il a, de fait, ponctionné la trésorerie de ses sociétés pour financer son addiction au jeu.

Le 25/06/2007, le professeur [Z] a fait état d'un lien entre ces troubles et la prise de ce médicament et a prescrit l'arrêt du Celance®, ce qui a été acquis le 31/07/2007.

Le 01/03/2010, M. [G] a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) de Languedoc-Roussillon de demandes d'indemnisation dirigées contre le docteur [N], médecin prescripteur, et la SAS Lilly France. Par décision du 05/10/2010, la CCI a commis le [I] [E], neurologue, et le docteur [I] [J], professeur de pharmacologie.

Leur rapport, déposé le 11/07/2011, admet :

- Que M. [G] a vraisemblablement souffert de troubles compulsifs aux jeux de hasard à partir du mois de mars 2001 et de façon continue jusqu'à juillet 2007.  

Et,

- Que ces troubles sont liés à la prise d'un médicament agoniste dopaminergique, le Celance®.

Ces experts ont retenu un déficit fonctionnel temporaire partiel de 20 % entre le 01/03/2001 et le 31/07/2007, et des souffrances endurées de 3/7. Par décision du 06/10/2010, la CCI s'est déclarée incompétente au regard des critères de gravité du dommage pour statuer conformément à l'article L. 1142-8 du code de la santé publique.

Par assignation des 13 et 14/02/2012, M. [G] a saisi le tribunal de grande instance de Tarascon d'une action en réparation dirigée contre la SAS Lilly France et l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections (ONIAM) au visa des articles 1386-1 et suivants du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur à l'ordonnance du 10/02/2016.

Par jugement contradictoire du 18/09/2015, le tribunal de grande instance de Tarascon a :

- Déclaré non prescrite l'action de M. [G] au regard des articles 1386-16 et 1386-17 du code civil, comme ayant été engagée dans les trois ans suivant la date de connaissance du dommage, et dans les dix ans suivant la commercialisation du produit.

- Réservé sa décision sur l'admission du bien-fondé de l'action, et ordonné avant dire droit deux mesures d'instruction aux fins :

D'examen médical : le docteur [D] a été désigné et substitué par le docteur [F] ;

D'expertise comptable : M. [R] a été désigné puis substitué par Mme [K] (rapport déposé le 13/03/2018).

Le docteur [F] a déposé son rapport le 22/07/2016.

Mme [K] a déposé son rapport le 28/02/2018.

Par acte d'huissier de justice du 06/09/2018, M. [G] a assigné la caisse primaire d'assurance-maladie des Bouches- du-Rhône.

Par ordonnance du 28/06/2018, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des instances.

Par jugement réputé contradictoire du 06/09/2019, le tribunal judiciaire de Tarascon a débouté M. [G] de ses demandes à l'encontre de la SAS Lilly France et de l'ONIAM, et l'a condamné aux dépens de l'instance.

Pour statuer ainsi, le premier juge n'a pas explicitement statué sur le fondement juridique et sur le bien-fondé de l'action indemnitaire dirigée contre la SAS Lilly France. Il a estimé en revanche que l'imputabilité du dommage invoqué au caractère défectueux du produit n'était pas caractérisée. Il a débouté par ailleurs M. [G] de ses demandes contre l'ONIAM, l'existence d'un dommage répondant aux seuils de gravité des articles L. 1142-1 et D. 1142-1 du code de la santé publique n'étant pas démontrée.

Par déclaration du 19/09/2019 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, M. [G] a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Tarascon du 06/09/2019 en ce qu'il l'a débouté de ses demandes à l'égard de la SAS Lilly France et de l'ONIAM, dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il l'a condamné aux dépens de l'instance.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions d'appelant notifiées par RPVA le 19/12/2019, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens par application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [G] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

À titre principal,

- Constater que M. [G] a fait l'objet d'un traitement par Celance® de mars 2001 à juin 2007.

- Constater que dès la première prise de Celance®, M. [G] a subi des troubles comportementaux addictifs.

Notamment aux jeux d'argent, qui ont progressivement cessé ensuite de la diminution et l'arrêt du Celance® à compter de juin 2007.

- Constater qu'au cours des années 2001 à 2007, la notice du médicament Celance® n'était pas renseignée sur les risques d'addiction aux jeux, au sucre et à l'hypersexualité.

- Dire qu'en conséquence le Celance® avait le caractère d'un produit défectueux au sens des dispositions des articles 1386-1 et suivants du code civil.

À titre subsidiaire, juger qu'en ne renseignant pas les patients sur le risque "soupçonné depuis 1996, puis avéré" de troubles comportementaux addictifs entre 2000 et 2007, la SAS Lilly France a commis une faute directement responsable des préjudices subis par M. [G] du fait de la prise du produit Celance®.

En conséquence,

- Dire que la SAS Lilly France est entièrement responsable des conséquences dommageables subis par M. [G], consécutives aux troubles du comportement qu'il a présenté en relation directe de cause à effet avec la prise du médicament Celance®.

En conséquence,

- Condamner la SAS Lilly France à payer à M. [G] les sommes de :

1.700.000,00 € à titre principal, et 507.000,00 € à titre subsidiaire, au titre du préjudice économique subi avant consolidation.

50.000,00 € au titre du déficit fonctionnel temporaire. 50.000,00 € au titre des souffrances endurées.

30.000,00 € au titre du préjudice d'agrément.

Avec intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure du conseil de M. [G] en date du 08/02/2010.

À titre infiniment subsidiaire, et si par extraordinaire, la cour devait ne pas retenir la responsabilité de la SAS Lilly France du fait de la défectuosité du Celance®.

- Condamner l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, à indemniser les préjudices subis par M. [G] du fait de l'accident médical causé par la prise de Celance®, à savoir :

1.700.000,00 € à titre principal, et 507.000,00 € à titre subsidiaire, au titre du préjudice économique subi avant consolidation.

50.000,00 € au titre du déficit fonctionnel temporaire. 50.000,00 € au titre des souffrances endurées.

30.000,00 € au titre du préjudice d'agrément.

Avec intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure du conseil de M. [G] en date du08/02/2010.

En tout état de cause,

- Condamner la SAS Lilly France, ou à défaut tout succombant, à payer à M. [G] la somme de 30.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la SAS Lilly France ou tout succombant aux entiers dépens, en ce compris les frais des deux expertises médicales et financières ordonnées par le premier juge, dont distraction au profit de Maître Clémentine Henry-Volfin sur ses affirmations de droit.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 17/03/2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens par application de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS Lilly France demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [G] de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de Lilly France ;

Pour ce faire :

- Juger que M. [G] entend se prévaloir à titre principal du régime de responsabilité spécifique issu des dispositions des articles 1245 et suivants du code civil et, à titre subsidiaire, du régime de responsabilité civile de droit commun ;

- Juger que le défaut de sécurité qui caractériserait la faute de la SAS Lilly France au sens des dispositions de    l'article 1240 du code civil correspond en réalité au défaut de sécurité au sens des dispositions des articles 1245 et suivants ;

Dès lors,

- Juger que M. [G] n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions qui encadrent la responsabilité civile de droit commun ;

- Juger que le présent litige sera envisagé en considération des seules dispositions des articles 1245 et suivants encadrant la responsabilité du fait des produits défectueux ;

En considération des dispositions encadrant la responsabilité du fait des produits défectueux,

- Juger que le dommage financier allégué par Monsieur [G] n'a pas pu être caractérisé de son fait puisqu'il a refusé de communiquer les éléments relatifs à ses habitudes de consommation avant et après le traitement allégué ;

- Juger que Monsieur [G] ne rapporte pas la preuve à ce stade d'un dommage indemnisable, ni n'en justifie a fortiori dans son quantum ;

Par conséquent,

- Confirmer le jugement et débouter purement et simplement M. [G] de l'intégralité de ses demandes ;

- Si la cour considérait que Monsieur [G] rapporte la preuve d'un dommage indemnisable.

- Juger que M. [G] ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité direct et certain entre l'administration du produit incriminé et sa pathologie ;

- Juger, en considération des mentions de la notice et du résumé des caractéristiques du Celance® que cette spécialité ne peut en aucun cas être regardée comme défectueuse ;

- Juger que M. [G] ne rapporte pas plus la preuve que le défaut allégué du Celance® serait causal d'un dommage indemnisable ;

Dans ces conditions,

- Confirmer le jugement et débouter purement et simplement M. [G] de l'intégralité de ses demandes ;

Subsidiairement, si la cour considérait que Monsieur [G] établit les éléments de preuve de nature à engager la responsabilité de la SAS Lilly France.

- Juger que la SAS Lilly France a tout mis en œuvre auprès des autorités compétentes pour rester fidèle à l'état des connaissances scientifiques disponibles, alors même qu'à l'époque des faits incriminés, elle ne pouvait avoir connaissance du risque pathologique allégué ;

Dès lors,

- Juger que la SAS Lilly France est fondée à se prévaloir d'une exonération totale de sa responsabilité au titre du risque de développement visé aux dispositions de l'article 1245-10-4° du code civil ;

- Confirmer le jugement et débouter purement et simplement M. [G] de l'intégralité de ses demandes. Plus subsidiairement, sur le fait de Monsieur [G] :

- Juger que, malgré la connaissance par M. [G] et ses proches de ses troubles du comportement dès 2002, il n'en a pas fait état aux professionnels de santé qui le suivaient ;

Dès lors,

- Juger que le comportement de M. [G] est constitutif d'une faute qui est la cause de son dommage et dont la SAS Lilly France peut se prévaloir, conformément aux dispositions de l'article 1245-12 du code civil ;

- Dans ces conditions, confirmer le jugement et débouter purement et simplement M. [G] de l'intégralité de ses demandes ;

À titre infiniment subsidiaire, l'évaluation des préjudices allégués,

- Juger que la preuve du préjudice patrimonial allégué n'est pas rapportée ni celle d'un lien de causalité avec le traitement par Celance® ;

- Confirmer le jugement et débouter Monsieur [G] de sa demande sur ce point ;

Si la cour considérait que de tels préjudices sont caractérisés et qu'est rapportée la preuve d'un lien de causalité entre les préjudices extrapatrimoniaux et le traitement par Celance®.

- Fixer une indemnité dans la limite d'une juste mesure et en considération de la jurisprudence applicable; En tout état de cause.

- Condamner M. [G] à verser à la SAS Lilly France la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner M. [G] aux entiers dépens.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 16/03/2020 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens par application de l'article 455 du code de procédure civile, l'ONIAM demande à la cour de :

- Juger que les conditions d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies.

- En conséquence :

- Confirmer le jugement du 06/09/2019 du tribunal de grande instance de Tarascon.

- Condamner la partie succombant aux entiers dépens.

* * *

La clôture a été prononcée le 01/03/2022.

Le dossier a été plaidé le 15/03/2022 et mis en délibéré au 12/05/2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nature de la décision rendue :

Assignée à personne habilitée le 01/11/2019, par acte d'huissier contenant dénonce de l'appel, la CPAM des Bouches-du-Rhône n'a pas constitué avocat.

L'arrêt rendu sera réputé contradictoire, conformément à l'article 474 du code de procédure civile.

Sur le fait générateur de la responsabilité de la SAS Lilly France :

L'article 1386-1 du code civil dans sa rédaction applicable à l'époque des faits dispose que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit lié ou non par un contrat avec la victime. L'article 1386-4 "précise utilement la notion de défaut": un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, et ne pas porter atteinte à la sécurité des personnes. Il est constant qu'engage sa responsabilité sur ce fondement le laboratoire pharmaceutique qui connaît la nocivité ou la possibilité d'effets nocifs d'un médicament au moment où elle le commercialise.

C'est par rapport à ce seul texte que s'apprécie la responsabilité de la SAS Lilly France. En effet, le droit commun de la responsabilité civile qu'invoque M. [G], de façon il est vrai subsidiaire, ne peut prospérer dans la mesure où il développe une argumentation sensiblement identique au soutien des deux actions en responsabilité, et ne caractérise pas de faute civile du fabricant réellement dissociable de la commercialisation d'un produit défectueux. L'optionnalité de l'article 1386-18 du code civil ne peut donc recevoir application.

S'agissant de la période au titre de laquelle la responsabilité éventuelle de la SAS Lilly France doit s'apprécier, M. [G] invoque comme point de départ un courrier du 07/03/2001 de son neurologue, le docteur [N], aux termes duquel après en avoir parlé avec M. [G], le traitement suivant a été engagé : 3 cp de Sinemet® 100, associés progressivement à 3 cp de Celance® à 0,25 mg (page 8 du rapport du docteur [F]). Toutefois, ce dernier admet expressément n'avoir de preuve objective de l'administration de Celance® au vu des feuilles de soins produites qu'à compter du 12/12/2003 (page 25). Le docteur [F] conclut à l'absence de preuve formelle d'administration du Celance® entre le 07/03/2001 et le 12/12/2003 (page 28). La période maximum d'appréciation de la responsabilité du producteur est donc circonscrite du 12/12/2003 au 31/07/2007, date non contestée d'arrêt total et définitif du Celance®.

Partant du double constat selon lequel :

a) Le professeur [Z] a proposé le 25/06/2007 à M. [G] de mettre un terme au Celance® au motif que les agonistes dopaminergiques ont posé de graves problèmes comportementaux avec des troubles impulsifs, compulsifs au sucre, aux jeux, et des troubles sexuels. [']. Ces troubles des conduites impulsives sont maintenant très régulièrement décrits et sont imputables semble-t-il aux agonistes dopaminergiques et en particulier chez l'homme jeune.

Et,

b) L’interruption de l'administration du Celance® a eu pour corollaire, suivant compte rendu d'hospitalisation du 17 au 19/10/2007 au centre hospitalier de la Timone, une nette amélioration des troubles du contrôle de l'impulsivité après arrêt du Celance® durant l'été 2007.

La cour doit :

1/ D'une part, établir l'existence d'un lien de cause à effet entre « l'administration du Celance® et l'existence de risques d'effets indésirables relatifs à des comportements addictifs au sexe ou aux jeux d'argent. M. [G] observe à juste titre que la cour de cassation assimile au défaut de sécurité du produit de santé non seulement ses effets secondaires, mais aussi le défaut ou la simple insuffisance d'information sur ces éventuels effets secondaires » ;

2/ D'autre part, établir l'antériorité de la connaissance de ce lien de cause à effet par la SAS Lilly France, par rapport à la date de commercialisation du Celance®.

Concernant le premier point, le docteur [F] admet l'existence d'un lien direct et certain entre la prescription d'agonistes dopaminergiques et la pathologie dont M. [G] est atteint.

L'expert indique, sur le fondement d'une enquête menée aux États-Unis et au Canada sur un échantillon de 3.090 personnes, que le développement de troubles du contrôle des impulsions est de 2 à 3,5 fois plus élevé chez les parkinsoniens traités aux agonistes dopaminergiques que chez ceux qui ne le sont pas.

Ce point n'est d'ailleurs pas contesté par la SAS Lilly France qui justifie avoir saisi le 07/04/2006 l'AFSSAPS d'une demande de modification de la notice du Celance®, devenue effective le 22/05/2007.

Concernant le second point, M. [G] invoque au soutien de sa démonstration :

Un précédent judiciaire : par arrêt du 28/11/2012, la cour d'appel de Rennes a en effet admis la responsabilité du laboratoire GSK en ce qu'il aurait eu connaissance des effets secondaires d'un autre agoniste dopaminergique, le Requip® (prescrit en l'occurrence en mars 2003 à un patient), avant de le commercialiser. Ce précédent n'a pas la portée que lui prête M. [G] dans la mesure où la preuve de la connaissance des effets secondaires du Requip® résultait de documents internes relatifs à des essais cliniques que GSK avait communiqués par erreur à son adversaire ;

L'évolution de la connaissance médicale en neurologie : M. [G] soutient que le lien entre agonistes dopaminergiques et trouble du contrôle des impulsions s'est peu à peu imposé dans le milieu médical à la faveur de plusieurs articles parus dans diverses publications anglo-saxonnes en 1996 et en 2000, soit bien avant le 07/03/2001.

Le docteur [F] en relativise néanmoins la fiabilité en raison de la faible représentativité de l'échantillon étudié et de l'imprécision de la méthode statistique employée, et ne date en réalité la prise de conscience de l'existence de ce lien de cause à effet qu'à partir de l'article du docteur [V] [A] portant sur un échantillon représentatif de 272 sujets : on peut donc considérer qu'à partir de cet article de juillet 2006 le lien entre agonistes dopaminergiques et troubles du contrôle des impulsions est scientifiquement établi. Et le docteur [F] de souligner que ce lien n'a été mentionné dans le dictionnaire Vidal que dans l'édition 2008. M. [G] invoque enfin une conférence médicale de consensus du 03/03/2000 tenue à l'hôpital de la [6] qui aurait admis l'existence du lien entre agonistes et hypersexualité : la SAS Lilly France souligne toutefois sans être contredite que le pergolide, principe actif du Celance®, ne figurait pas parmi la liste des agonistes dopaminergiques à l'ordre du jour de la conférence.

Les conclusions du docteur [F] corroborent nettement celles des experts missionnés par la CRCI de Languedoc- Roussillon, selon lesquels les premiers cas de troubles compulsifs et répétitifs du comportement après la prise de médicaments dopaminergiques ont été rapportés dans la littérature médicale au début des années 2000, mais la diffusion de cette information n'a commencé à se faire dans les milieux professionnels qu'au cours des années 2006-2007. [']. En mars 2001, année pendant laquelle ces troubles surviennent chez M. [G], aucun cas n'a encore été publié dans la littérature. En 2006, seule une dizaine de cas était rapportée.

In fine, la période au titre de laquelle la responsabilité de la SAS Lilly France du fait d'un produit de santé défectueux est susceptible d'être retenue ne court en définitive que de juillet 2006 à juillet 2007.

Sur l'imputabilité du préjudice patrimonial à la défectuosité du produit :

L'article 1386-9 du code civil dispose que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

Mme [K] a admis une perte financière liée aux jeux de hasard de 2003 à juillet 2007 d'un montant de 496.406,09 €, après imputation des gains (10.540,65 €) sur les pertes (506.946,74 €). Ne doit être analysée que l'imputabilité du préjudice subi de juillet 2006 à juillet 2007.

Les tableaux récapitulatifs de Mme [K] pour les années 2006 (page 25) et 2007 (page 27) établissent que les montants perdus au jeu de juillet 2006 à juillet 2007 sont de 22.430,10 € de juillet à décembre 2006, et de 1.167,75 € de janvier à juillet 2007, soit un total de 23.597,85 € auquel a vocation à s'ajouter une partie de la somme de 158.356,00 € dépensée en ligne (Casino on net) par M. [G] de 2003 à 2007 (page 29).

Cependant, Mme [K] a également établi que M. [G] avait joué environ 800,00 € par mois en janvier et en février 2001, c'est-à-dire avant même la date invoquée par l'intéressé comme constituant le point de départ du traitement au Celance®. M. [G] a admis en outre devant Mme [K] qu'il avait continué à jouer environ 10.000,00 € par an après l'interruption du traitement le 31/07/2007.

La démonstration de l'imputabilité de l'addiction à la consommation de Celance® s'en trouve rendue plus difficile, ce d'autant que toute addiction est généralement multifactorielle et interagit avec un contexte, une structure de personnalité et une histoire personnelle et familiale. Qui plus est, les experts [J] et [E] précisent, dans leur rapport d'expertise du 16/06/2011 destiné à la CCI, que la maladie de Parkinson elle-même peut être la cause de troubles du contrôle des impulsions. La cour observe cependant que ne s'est pas prononcé sur ce point le docteur [F].

M. [G] ayant établi une distinction entre le jeu (addictif) dû au Celance® et le jeu (ludique, et maîtrisé) qu'autorise son haut niveau de revenus, Mme [K] l'a invité à produire tous documents bancaires, y compris ceux antérieurs à 2001 et ceux postérieurs à 2007, afin de pouvoir corréler l'évolution de la part relative des dépenses de jeu rapportée au montant du total des dépenses, et la période au titre de laquelle sa maladie de Parkinson a été traitée au Celance®.

M. [G] n'a pas produit les justificatifs bancaires concernant la période antérieure à 2001. En outre, Mme [K] a observé une modification notable du mode de fonctionnement du compte Banque Populaire de M. [G] après 2007, et conclu que la baisse très importante du total des dépenses ne permet pas de conclure à un arrêt des dépenses ou à une baisse significative des dépenses liées aux jeux de hasard. En effet, l'existence d'un autre compte appartenant à M. [G] reste tout à fait envisageable.

Ainsi peut s'expliquer le fait que, contre toute attente, l'évolution du ratio dépenses de jeu / dépenses totales n'évolue pas à la hausse sur sept ans mais à la baisse (après rectification des erreurs de calcul de pourcentage de l'expert judiciaire, soulignées à juste titre par la SAS Lilly France) de 2001 à 2007 :

- Année 2001 : 60.034,00 € / 570.419,00 €, soit 10,52 %

- Année 2002 : 58.396,00 € / 693.931,00 €, soit 8,41 %

- Année 2003 : 55.130,00 € / 863.839,00 €, soit 6,38 %

- Année 2004 : 108.322,29 € / 2.917.424,41 €, soit 3,71 %

- Année 2005 : 38.098,91 € / 963.684,321 €, soit 3,95 %

- Année 2006 : 27.442,98 € / 534.246,23 €, soit 5,14 %

- Année 2007 : 1.167,75 € / 51.160,92 €, soit 2,28 %

L'expert judiciaire n'a pu mener sa mission à son terme et a déposé son rapport d'expertise en l'état, sans que l'imputabilité au Celance® des pertes de jeu de 2006 à 2007 puisse être réellement caractérisée en définitive. La demande de M. [G] tendant à la réparation du préjudice patrimonial ne peut être accueillie.

Sur l'imputabilité du préjudice extra-patrimonial à la défectuosité du produit :

Les addictions au sucre et au sexe que M. [G] invoque au soutien de ses demandes indemnitaires ne sont pas précisément documentées. La cour n'est pas en mesure d'apprécier l'existence et l'étendue desdites addictions entre juillet 2006 et juillet 2007. L'imputabilité du dommage n'est pas démontrée. Les demandes de M. [G] au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice d'agrément ne peuvent prospérer.

Sur la responsabilité de l'ONIAM :

Il résulte de l'article L. 1142-1 § II du code de la santé publique que lorsque la responsabilité d'un producteur de produits n'est pas engagée, une affection iatrogène ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret.

Quoique la responsabilité de la SAS Lilly France ne soit pas engagée, M. [G] n'est recevable à demander réparation que s'il démontre l'anormalité et la gravité du préjudice subi.

La question de savoir si l'administration du Celance® a eu pour M. [G] lui des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci est ouverte, dans la mesure où les docteurs [E] et [J], experts désignés par la CRCI du Languedoc-Roussillon, ont indiqué que la maladie de Parkinson peut elle- même être à l'origine des troubles du contrôle des impulsions que M. [G] impute au Celance®.

En tout état de cause, les docteurs [E] et [J] n'ont retenu aucun déficit fonctionnel permanent et un déficit fonctionnel temporaire partiel limité à 20 % du 01/03/2001 au 31/07/2007. Soit un préjudice se situant en deçà des seuils de gravité que l'article D. 1142-1 du code de la santé publique fixe à 24 % pour le déficit fonctionnel permanent et, s'agissant du déficit fonctionnel temporaire, à 50 % au moins pendant six mois consécutifs ou non consécutifs sur une période de douze mois.

* * *

Les demandes indemnitaires de M. [G] au titre du préjudice économique subi avant consolidation, du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice d'agrément sont donc irrecevables tant au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux qu'au titre de la solidarité nationale en matière d'infections iatrogènes. Le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les demandes  annexes :

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

M. [G] qui succombe dans ses prétentions supportera la charge des entiers dépens d'appel et ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité ne justifie pas d'admettre la SAS Lilly France et l'ONIAM au bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

 PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions.

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [L] [G] aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE  PRÉSIDENT