CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 25 mai 2022, n° 20/00505
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Lignières
Avocats :
Me Régnier, Me Benoît, Me Ohana-Zerhat, Me Singer
FAITS ET PROCEDURE
La société EK France, filiale de la coopérative allemande EK/service group, anime et développe sur le territoire national le réseau " Ambiance & Styles" dont l'objet est de permettre à des commerçants indépendants, membres du réseau, de vendre au détail des éléments de décoration, d'articles de la table et d'ustensiles de cuisine sous cette enseigne et de bénéficier de différents services.
En juin 2013, les époux [R], tous deux militaires de carrière (Mme [R] étant en reconversion professionnelle), se sont rapprochés de la société EK France en vue d'adhérer à son réseau.
Le 3 juin 2014, Mme [R] a envoyé à la société EK France un dossier de candidature pour l'implantation d'un magasin dans le centre commercial "Les promenades de [Localité 19]" à [Localité 9] . Le 24 juin 2014, la société EK France a informé les époux [R] que le comité projet réuni le 12 juin 2014 avait émis un avis favorable concernant leur candidature et leur a envoyé un document d'information précontractuelle.
Le 23 septembre 2014, Mme [R], agissant au nom et pour le compte de la société LTJC en formation, a conclu un bail commercial portant sur un local d'environ 360 m2 situé au rez de chaussée bas du centre commercial "Promenade de [Localité 19]".
Les époux [R] ont ensuite créé la sarl LTJC, Mme [R] étant désignée gérante.
Par contrat du 29 avril 2015, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Aquitaine a accordé à la société LTJC un prêt de 300.000 €, pour le remboursement duquel M. et Mme [R] se sont portés cautions solidaires, chacun à hauteur de 97.500 €; le 26 novembre 2015, elle lui accordera un nouveau prêt de 50.000 €, garanti par la caution solidaire des époux [R], chacun à hauteur de 16.250 €.
Le 6 juillet 2015, la société EK France a signé un contrat de partenariat avec la société LTJC, d'une durée de 4 ans renouvelable par tacite reconduction, lui concédant le droit d'utiliser sa marque "Ambiance et Styles"dans le cadre d'une activité d'art de la table exercée dans le point de vente situé dans le centre commercial " Promenade de [Localité 19]".
Le point de vente a été ouvert le 9 octobre 2015.
Le 25 juillet 2016, se trouvant en difficultés et n'ayant plus de trésorerie, la société LTJC a demandé à la société EK France de lui trouver un repreneur. Le 13 janvier 2017, elle a averti la société EK France qu'elle se trouvait en état de cessation des paiements et que sa responsabilité était engagée dans cette situation.
Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société LTJC le 8 février 2017, puis sa liquidation judiciaire a été prononcée le 17 mai 2017, la selarl [Y] - [E] étant désignée en qualité de liquidateur.
Le 3 mai 2018, le liquidateur judiciaire de la société LTJC et les époux [R] ont fait assigner la société EK France devant le tribunal de commerce de Paris pour voir prononcer la nullité du contrat de partenariat ou, subsidiairement, constater sa résiliation aux torts exclusifs de la société LTJC et obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement rendu le 29 octobre 2019, le tribunal de commerce de Paris a:
- débouté la selarl [Y] - [E], ès- qualités de liquidateur judiciaire de la société LTJC, ainsi que M. et Mme [R] de leur demande tendant à voir constater la nullité du contrat de partenariat du 6 juillet 2015,
- débouté la selarl [Y] - [E], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société LTJC de sa demande de résiliation du contrat de partenariat conclu le 6 juillet 2015 avec EK France et de toutes ses demandes de condamnation pécuniaire de ce chef à son encontre,
- condamné in solidum la selarl Malzemat-Prat - [E], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société LTJC, ainsi que M. et Mme [R] aux dépens et à payer à EK France la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'appel relevé par la selarl Malzemat-Prat - [E], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société LTJC, par M. [R] ainsi que par Mme [R] et leurs dernières conclusions notifiées le 3 décembre 2021 par lesquelles ils demandent à la Cour, au visa des articles 1108, 1109, 1110, 1134,1147,1149 et 1382 anciens du code civil, ainsi que des articles L 330-3 et R 330-1 du code de commerce, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- juger que la société EK France a commis des fautes qui engagent sa responsabilité en se trompant dans le choix du site d'implantation de sa partenaire, en établissant des comptes prévisionnels irréalistes majorant de plus de 47 % le potentiel réel de la zone commerciale, en n'ayant pas respecté son obligation d'assistance à l'égard de la société LTJC,
- prononcer la nullité du contrat de partenariat du 6 juillet 2015 ou, subsidiairement, constater sa résiliation aux torts exclusifs de la société EK France à la date du 17 mai 2017,
en conséquence :
- débouter la société EK France de toutes ses demandes,
- condamner la société EK France à payer à la selarl Malzemat-Prat - [E], ès-qualités, la somme de 503.271 € (sauf à parfaire) au titre de la remise en état et, subsidiairement, la somme de 492.885 € (sauf à parfaire) au titre des pertes subies et celle de 41.000 € au titre du gain manqué,
- condamner la société EK France à payer à chacun des époux [R] :
' la somme de 5.000 € en remboursement du capital investi dans la société,
' la somme de 80.000 € chacun dans l'hypothèse où ces sommes ne seraient pas reversées à la société LJTC au titre de la remise en état des parties,
- condamner la société EK France à garantir chacun des époux [R] et à les relever de toute demande de paiement formulée par la banque à leur encontre en leur qualité de cautions de la société LTJC,
- condamner la société EK France à payer la somme de 30.800 € à Mme [R] au titre de la perte de chance de percevoir une rémunération pour l'exploitation de la société LTJC,
- condamner la société EK France à payer la somme de 50.000 € à Mme [R] et celle de 20.000 € à M. [R] pour préjudice moral,
- condamner la société EK France à payer à chacun des époux [R] la somme de 50.000 € au titre de la perte de chance de faire une meilleure utilisation de leurs fonds,
- condamner la société EK France aux dépens et à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 10.000 € à la selarl [Y] - [E], ès-qualités, ainsi que celle de 2.000 € à chacun des époux [R],
Vu les dernières conclusions notifiées le 17 juin 2020 par la société EK France qui demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- y ajoutant, condamner conjointement et solidairement la selarl Malzemat-Prat - [E], en sa qualité de liquidateur de la société LTJC, Mme [R] et M. [R] aux dépens et à lui payer la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
SUR CE, LA COUR
Sur les demandes des appelants tendant à la nullité du contrat de partenariat ou, subsidiairement, à sa résiliation aux torts exclusifs de la société EK France :
Les appelants font valoir que la société EK France a commis des fautes engageant sa responsabilité en se trompant dans le choix du site d'implantation de sa partenaire, en établissant des comptes prévisionnels irréalistes majorant de plus de 47% le potentiel réel de la zone commerciale et en n'ayant pas respecté son obligation d'assistance. Sur le fondement des articles 1108, 1109, 1110,1134,1135,1147,1149,1382 anciens du code civil ainsi que des articles L.330-3 et R330-1 du code de commerce, ils sollicitent le prononcé de la nullité du contrat de partenariat du 6 juillet 2015 ou subsidiairement de constater la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société EK France au 17 mai 2017 et demandent le versement de diverses sommes au titre 'de la remise en état', de différentes pertes de chance et préjudice moral.
Les appelants soutiennent pour l'essentiel :
- que la société EK France s'était engagée à sélectionner un emplacement adapté pour l'implantation du magasin et que ce choix est primordial dans la réussite d'un commerce de détail,
- qu'elle est intervenue dans le choix et la validation du local, étant souligné que M. [D] et [K], respectivement directeur concepts et développements au sein de EK France et chargé d'expansion au sein de cette société, avaient un contact direct avec le bailleur et que sans eux ce dernier n'aurait pas loué le local aux époux [R] dépourvus de toute expérience commerciale,
- que l'emplacement sélectionné et validé par EK France était inadapté au concept parce que situé au niveau bas du centre commercial, peu accessible depuis la rue et consacré à la restauration sauf deux enseignes dont l'une a fermé quelques mois avant le magasin de la société LTJC, la majorité des enseignes du niveau haut du centre s'adresse à une clientèle jeune et/ou de classe sociale populaire, alors que la cible de "Ambiance et Styles" offre des produits positionnés dans le moyen-haut de gamme et s'adresse à une clientèle à 90 % féminine de 35 à 55 ans de catégorie socio-professionnelle moyenne et supérieure, le magasin n'était presque pas visible du niveau haut, ni du niveau bas.
- que si la loi ne met pas à la charge de la tête de réseau l'établissement de comptes prévisionnels, il n'en reste pas moins que lorsqu'un tel document est communiqué, l'article L.330-3 du code de commerce ainsi que l'obligation générale de contracter de bonne foi propre au droit commun des contrats, imposent qu'ils soient établis avec sérieux (Com. 13 septembre 2017, n°15-19.740),
- qu'en l'espèce, l'important écart (47.6%) entre les prévisions et la réalité révèle le caractère grossièrement erroné des comptes d'exploitation prévisionnels fournis par EK France,
- que EK France a établi avec une légèreté blâmable les comptes d'exploitation prévisionnels et a manifestement surestimé le potentiel du concept sur l'emplacement envisagé,
- que EK France a seulement saisi l'opportunité d'implanter un magasin Ambiance&Styles dans le plein centre de [Localité 9] sans aucun égard pour la concurrence déjà existante sur le marché local qu'elle n'a pas pris la peine d'étudier, et n'a pas pris au sérieux l'étude de marché de la CCI réalisée par les époux [R],
- que dans ces conditions EK France n'a pas respecté son obligation de moyens d'établir des prévisionnels sérieux et objectifs sur lesquels les époux [R] ont déterminé leur consentement au contrat de partenariat,
- que EK France a sous-évalué le coût des travaux à entreprendre,
- qu'aucune faute ou négligence expliquant le manque de chiffre d'affaires du magasin ne peut être reprochée à la société LTJC,
- que la responsabilité d'EK France dans le choix de l'emplacement pour sa partenaire et dans l'établissement des comptes prévisionnels est indéniable et que le consentement de la société LTJC a été vicié,
- que EK France n'a pas apporté d'assistance à la société LIJC alors même que le faible chiffre d'affaires réalisé a rapidement mis en péril sa partenaire et EK France n'a pas adapté sa politique commerciale au contexte commercial du magasin situé dans le centre commercial, alors que c'est EK France qui déterminait l'assortiment du point de vente.
La société EK France demande la confirmation du jugement et fait valoir l'absence de vice de consentement et le respect de l'obligation d'assistance. A cet effet, elle soutient pour l'essentiel :
- qu'en octobre 2013, les époux [R] lui avaient fait connaître leur intérêt pour une implantation à [Localité 13] et [Localité 11], qu'une proposition leur avait été faite dans cette dernière ville, que par courriel du 6 novembre 2013 ils avaient déclaré ne pas donner suite à cette proposition et évoqué les villes de [Localité 18], [Localité 8] et [Localité 9] et que le 18 novembre 2013, ils avaient écarté la ville de [Localité 8] et transmis de la documentation sur la ville de [Localité 9],
- que le 12 décembre 2013, les époux [R] ont fait part de leur intérêt pour quatre zones dans la ville de [Localité 9], dont les centres commerciaux de Saint Christoly, [Localité 12] Soleil et celui de [Localité 19] en cours de construction ,
- que le 9 janvier 2014, elle a organisé une visite de ces trois centres commerciaux et que par la suite, les époux [R] ont orienté leur choix à titre principal sur le centre [Localité 19],
- que les époux [R] étaient assistés de leur conseil dans le cadre des négociations relatives au bail,
- qu'elle les a assistés dans leurs recherches et ne leur a imposé aucun choix,
- que les époux [R] ne peuvent invoquer un vice du consentement alors qu'ils ont disposé de larges informations émanant d'autres membres du réseau, ont procédé à des investigations en termes de concurrence, ont fait établir une étude de marché, et ont bénéficié d'informations particulièrement exhaustives de la part du franchiseur outre un temps long de réflexion,
- que les comptes prévisionnels ont été établis avec sérieux et sincérité sur la base d'élément de comparaison objectif et que le caractère irréaliste ne peut être déduit du seul chiffre d'affaires réellement réalisé pour un projet dans un centre commercial en construction sans donnée de comparaison,
- que les époux [R] étaient particulièrement investis dans l'élaboration de leur projet,
- que la société EK France a respecté son rôle d'assistance au regard du parrainage mis en place avant l'ouverture, du recrutement, des formations et des déplacements des animateurs.
Sur ce,
Les époux [R] exposent, sans être contredits, qu'ils ont fait le choix pour leur projet d'ouverture d'un commerce de s'adresser au réseau coopératif Ambiance&Styles animé par la société EK France pour bénéficier d'un accompagnement spécifique dans l'étude d'implantation du futur point de vente, la négociation et l'évaluation de la qualité financière du projet, et ce tel que proposé par le réseau dans la presse spécialisée et présenté dans la trame de dossier bancaire Ambiance&Styles (pièces [R] n° 5,6,7).
Il ressort de l'ensemble des échanges de courriels entre les parties que les époux [R] ont effectivement bénéficié dès la fin de l'année 2013 d'un accompagnement renforcé de la part de collaborateurs de la société EK France tant pour le choix d'un emplacement de magasin à [Localité 9] que pour la négociation du bail au sein du centre commercial choisi, pour l'élaboration du compte prévisionnel et la présentation de leur projet aux banques pour obtenir un financement
En outre, il résulte des nombreux échanges entre les parties (notamment pièces n°12 EK, n°40 [R]) et de l'historique du projet ( dossier bancaire pièce n°26 EK) que les époux [R] ont demandé à se faire communiquer diverses informations sur les chiffres des autres adhérents et ont été en mesure d'échanger avec différents gérants de l'enseigne et de visiter les magasins de [Localité 20], [Localité 10], [Localité 15], [Localité 18],[Localité 21], [Localité 5], [Localité 17] et [Localité 6], pour se fixer sur la ville de [Localité 9] puis dans le centre commercial en cours de construction '[Adresse 16]'.
Ensuite plusieurs comptes d'exploitations prévisionnels (pièces [R] n°13 à 18) ont été élaborés par la société EK France entre janvier et juin 2014 au gré des négociations avec le bailleur du centre commercial et des échanges entre les parties, pour retenir au final un chiffre d'affaires prévisionnel pour la première année de 750 000 euros HT, soit 900 000 euros TTC, pour une surface de 360 m2 (dont 300 m2 de vente) et une zone de chalandise affinée de 337 909 . Pour établir ce prévisionnel, la société EK France a fourni des tableaux (pièces EK n° 11-2, 57 ) répertoriant un panel de magasins du réseau, avec leur date d'ouverture, leur lieu d'implantation (centre-ville et zone commerciale), taille de la zone de chalandise, leur surface, chiffres d'affaires TTC en 2013, pour en déduire un chiffre d'affaires moyen par m2 . Il en ressort que le chiffre d'affaires prévisionnel retenu pour la société LTJC était du même ordre de grandeur que celui effectivement réalisé par plusieurs autres magasins ouverts en 2013, de surface comparable dans des agglomérations plus petites que [Localité 9]. Il était par ailleurs fait remarquer que le magasin sous l'enseigne 'Culinarion' du groupe EK ouvert le 10 novembre 2012 dans le centre de [Localité 9] et exploitant une surface de 100m2 avait réalisé dès sa première année un chiffre d'affaire de 666 522 euros TTC, soit un rendement au m2 de 5554 euros (pour une moyenne de 4000 €/m2 retenu pour le projet [R]), sachant que le concept Culinarion ne commercialise que l'univers des ustensiles de cuisine soit 40% du chiffre d'affaires d'un Ambiance&Style (pièce EK n°57 et [R] n°15).
Le projet des époux [R] a été examiné le 12 juin 2014 en Commission projet du réseau Ambiance &Styles à l'issue de laquelle les époux [R] ont bénéficié de la remise d'un document d'information précontractuelle (DIP) le 24 juin 2014. Ce document comportait l'ensemble des éléments obligatoires prévus aux articles L.330-3 et R330-1 du code de commerce et notamment l'état et les perspectives de développement du marché concerné. Si sur ce dernier point, le DIP était quelque peu succinct, il ressort néanmoins des pièces versées aux débats, notamment de la présentation au comité de projet du 12 juin 2014 (pièce EK n° 30-2, 32), du dossier bancaire (pièce EK n°26) et de l'étude du marché local réalisé à la demande des époux [R] en juin 2014 ( pièce [R] n°36), qu'avec l'aide des collaborateurs de la société EK France, les époux [R] avaient collecté des informations détaillées sur le marché national et local, sur les pôles commerciaux environnants le centre de [Localité 9], sur le comportement commercial dans ces zones, sur la zone de chalandise avec les classes sociales de la population s'y trouvant et de la concurrence locale.
Cependant, dans une étude réalisée en juin 2014 à la demande des époux [R], la chambre de commerce et d'industrie de Bordeaux avait estimé de son côté que le chiffre d'affaires pour un établissement de surface semblable, soit 300 m2, se situerait plutôt entre 450.000 et 660.000 € ( à comparer au prévisionnel EK de 750 000HT); elle indiquait que, au vu du lieu d'implantation, le chiffre d'affaires se situerait plutôt dans la fourchette haute, le loyer et les charges fixes étant toutefois à prendre en considération et à rapporter au chiffre d'affaires anticipé. Elle énumérait les points positifs : zone commerciale attractive, population en augmentation, niveau de richesse supérieure à la moyenne départementale et nationale, consommation nationale en légère augmentation, mais aussi les points négatifs: offre relativement importante en centre ville et nouveau centre commercial n'ayant pas encore fait ses preuves. A la réception de cette étude, les époux [R] avaient confié à la société EK France, par courriel du 4 juin 2014, que les prévisions de chiffre d'affaires étaient loin de ce qui était prévu et estimé, et remettait en question leur projet d'ouverture de commerce (pièce [R] n°36).
Les époux [R] ont néanmoins poursuivi leur projet tout en essuyant les premiers refus des banques, et écrivaient aux collaborateurs de EK France début septembre 2014 ' nous avons eu un net refus de prêt du Crédit Mutuel du Sud Ouest ce vendredi 5 septembre pour diverses raisons telles que le loyer trop important, le chiffre d'affaires trop élevé, le point mort trop haut (surement à cause du loyer) et l'emplacement sur lequel ils ne sont pas prêt à miser'.
Sur la base de l'ensemble de ces éléments, Mme [R], assistée de ses conseils (expert-comptable, avocat et architecte) et agissant au nom et pour le compte de la société LJTC, a conclu le 23 septembre 2014 un bail commercial portant sur un local d'environ 360m2 situé au rez de chaussée bas du centre commercial '[Adresse 16]', puis a obtenu le 29 avril 2015 un financement auprès du Crédit Agricole.
Les parties ont ensuite signé un contrat de partenariat le 6 juillet 2015 ayant pour objet l'agrément par EK France de Mme [R] et la société LTJC comme membre du réseau Ambiance&Styles permettant notamment le droit d'usage de la marque et de l'enseigne en contrepartie d'un certain nombre d'obligations pour le partenaire, dont une obligation d'assortiment et d'achat. Ce contrat ne prévoyait pas de paiement de droit d'entrée ou de redevance. Un forfait accompagnement et suivi d'ouverture de magasin a néanmoins été signé entre les parties le 9 juillet 2015 pour un montant de 3400 euros.
Pendant et après l'ouverture du magasin en octobre 2015, il n'est pas contesté que la société LTJC a bénéficié d'un parrainage, que Mme [R] a participé entre mars et juillet 2015 à des journées de formation et a bénéficié d'une aide au recrutement, que son point de vente a fait l'objet de nombreuses visites des animateurs du réseau EK France (pièce n° 75 à 80), que la société EK France est intervenue auprès du bailleur pour le problème de visibilité du point de vente du fait de l'installation de parasols en terrasse par les enseignes de restauration (pièces n°77 à 79) et que le point de vente de [Localité 9] a également bénéficié d'une assistance particulière courant octobre et novembre 2016 (pièces n°87 à 89). Si un incident d'approvisionnement est apparu courant janvier 2016, il a été régularisé par la société EK France (pièces n°85 et 86). La société LTJC n'apporte pas d'élément probant pour étayer son allégation suivant laquelle la politique commerciale de la société EK France n'était pas adaptée au contexte commercial du magasin de [Localité 9].
Il est cependant certain qu'après l'ouverture du magasin en octobre 2015, les premières mois d'exploitation ont été conformes aux prévisions, mais sur la première année pleine d'exploitation, de janvier à décembre 2016, la société LTJC n'a réalisé qu'un chiffre d'affaires de 393 322 euros HT, soit 47% du chiffre d'affaires prévisionnel, sans qu'il soit établi de faute de gestion particulière dans l'exploitation du magasin. Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société LTJC le 8 février 2017 transformée en liquidation judiciaire le 17 mai 2017.
Les appelants ne remettent pas en cause la performance globale de l'enseigne, mais attribuent l'échec de leur projet au choix de l'emplacement du magasin dans le centre commercial et de l'inadéquation manifeste du compte prévisionnel d'exploitation au potentiel de cet emplacement.
Ils relèvent, sans être sérieusement contredits par la société EK France, que le magasin situé au niveau bas du centre commercial où étaient présentes essentiellement des enseignes de restauration, s'est avéré peu accessible et visible du chaland dès lors que la place centrale était occupée par les terrasses des restaurants protégées été comme hiver par de grands parasols masquant la vitrine Ambiance&Styles (pièce n°56). Par ailleurs, au niveau haut du centre commercial se trouvaient principalement des enseignes de prêt à porter mais attirant une clientèle jeune et/ou de classe sociale populaire (panier moyen 20 €) ne correspondant pas à la clientèle de l'enseigne Ambiance&Styles (panier mayen 40€). Si les pièces versées aux débats par chacune des parties, ne permettent pas d'établir comment s'est opéré le processus de choix de la cellule, entre les propositions du promoteur, les contraintes de prix du bail, et l'évolution du plan de commercialisation du centre '[Adresse 16]' depuis la signature du bail en septembre 2014, il en ressort néanmoins que la société EK France, sans imposer de choix aux époux [R], était le principal interlocuteur du promoteur et bailleur du centre commercial en cours de construction ( notamment pièces EK France n° 5 à 17, 36 et suivantes, 46 ; pièces [R] n°64 et 65). Le plan de commercialisation et de visibilité du magasin de la société LTJC tel que présenté par les collaborateurs de la société EK France au comité projet en juin 2014 (pièce EK France 30-2, 32) s'est révélé bien différent de la situation effective en 2016 (pièce [R] n°56).
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la Cour constate qu'au moment de la signature du contrat de partenariat, même s'ils ont été mis en confiance par l'optimisme des collaborateurs de EK France sur les potentialités du projet et de la validation de leur projet par le comité du réseau, les époux [R] disposaient néanmoins d'un ensemble d'information suffisamment clair et complet pour connaître les points forts et faibles de leur projet, en particulier l'incertitude liée à l'implantation dans un centre commercial en cours de réalisation et donc sans historique de commercialité et d'activité, et d'un temps de réflexion suffisamment long pour prendre leur décision de s'engager dans un tel projet, étant précisé qu'il n'est pas établi de manquement particulier aux obligations d'information de la société EK France au regard des dispositions L.330-3 du code de commerce empêchant les époux [R] et la société LTJC de s'engager en connaissance de cause.
L'écart manifeste entre le chiffre d'affaires prévisionnel communiqué par la société EK France et le chiffre réalisé par LTJC, ne constitue pas à lui seul une preuve de manque de sérieux ou d'irréalisme de la prévision, dès lors qu'il ne ressort pas des constatations qui précèdent que la méthode choisie par la société EK et les informations communiquées pour établir ce prévisionnel procèdent d'une légèreté blâmable au regard de la spécificité du projet d'ouverture de magasin dans un centre commercial en cours de construction sans historique d'activité. Il est ajouté que l'écart entre l'estimation initiale des travaux (430K€) et leur coût définitif après finalisation des négociations avec le promoteur (500KE), qui n'est pas dans des proportions inhabituelles, ne peut être spécifiquement reproché à la société EK France, étant précisé que pendant toute la durée de négociation avec le bailleur les époux [R] étaient assistés de leurs propres conseils.
Dès lors la Cour retient que le consentement de la société LTJC, représentée par Mme [R], pour la signature du contrat de partenariat n'a pas été vicié et qu'il n'y a pas lieu de prononcer la nullité du contrat de partenariat. De même, il n'est pas établi de manquement suffisamment grave de la part de la société EK France dans ses obligations pendant l'exécution de ce contrat de partenariat pour prononcer sa résiliation aux torts exclusifs de la société EK France.
Cependant, il est établi que dans le processus spécifique d' accompagnement des époux [R] dans le choix de l'emplacement du magasin, la société EK France s'est méprise sur la potentialité réelle de cet emplacement au regard du chiffre d'affaires prévisionnel tel qu'élaboré avec les époux [R], leur faisant perdre une chance de faire une meilleure utilisation de leurs fonds, et d'engager ainsi à leur égard sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil.
En conséquence, au regard des sommes investies par les époux [R] pour la société LTJC à titre personnel ou en qualité de caution, la société EK France sera condamnée à payer à Mme [O] [R] et M. [T] [R] la somme de 40 000 euros chacun en réparation de leur préjudice de perte de chance de faire une meilleure utilisation de leurs fonds. Le jugement sera infirmé sur ce point.
La société [Y]-[E], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société LTJC est déboutée de sa demande d'annulation ou de résiliation aux torts exclusifs de la société EK France du contrat de partenariat, et de toutes ses demandes subséquentes en paiement de sommes au titre de la remise en état ou des pertes subies et de gain manqué. Les époux [R] sont également déboutés de leurs demandes subséquentes au titre de 'la remise en état des parties', de garantie de caution, perte de chance de percevoir une rémunération pour Mme [R] et de préjudice moral. Le jugement sera confirmé sur ces points.
Sur les dépens et l'application du code de procédure civile
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné in solidum la société [Y]-[E] ès-qualités et M et Mme [R] aux dépens de première instance et à payer à la société EK France la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code civil.
La société EK France, succombant partiellement, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société EK France sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à M et Mme [R] la somme de 2 000 euros chacun.
La société [Y]-[E] ès-qualités, succombant en ses demandes, sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
- débouté M et Mme [T] et [O] [R] de leur demande de dommages-intérêts pour perte de chance de meilleure utilisation de leurs fonds,
- condamné in solidum la société [Y]-[E] ès-qualités et M et Mme [R] aux dépens de première instance et à payer à la société EK France la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code civil,
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société EK France à payer à M et Mme [T] et [O] [R] chacun la somme de 40 000 euros au titre de la perte de chance d'une meilleure utilisation de leurs fonds,
Condamne la société EK France aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la société EK France à payer à M et Mme [T] et [O] [R] chacun la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société [Y]-[E] ès-qualités de la société LTJC de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.