CA Bourges, ch. civ., 11 juillet 2019, n° 19/00442
BOURGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Selarl JSA (ès qual.), Skwirrel (SAS)
Défendeur :
Total Direct Energie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Foulquier
Conseillers :
M. Perinetti, Mme Ciabrini
Exposé :
La société SKWIRREL, qui exerçait une activité de vente de produits, conseils et services dans le domaine de l'énergie et des fluides et était mandatée par des fournisseurs d'énergie pour réaliser des travaux d'économie d'énergie donnant droit à des certificats d'économie d'énergie (CEE), a été placée en liquidation judiciaire selon décision rendue le 4 mars 2019 par le tribunal de commerce de Nevers.
Par contrats en date des 22 septembre et 7 novembre 2017, la société DIRECT ENERGIE s'était engagée à acheter auprès de la société SKWIRREL un volume de 500 et 3000 Gwh de CEE.
Par requête du 25 mars 2019, la société DIRECT ENERGIE a assigné la SELARL JSA ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SKWIRREL devant le juge des référés du tribunal de commerce de Nevers afin de faire procéder par tout huissier de justice à la mise sous séquestre de tous documents en format papier ou informatique relatifs aux certificats d'économie d'énergie financés par ses soins.
La SELARL JSA ès qualités s'est opposée à cette demande et a conclu à titre principal à l'incompétence du juge des référés au profit du tribunal de commerce de Paris.
Par ordonnance du 2 avril 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Nevers a fait droit à la demande présentée par la société DIRECT ENERGIE et a désigné à cet effet la SELARL QUALIJURIS, huissier de justice à Nevers ainsi que Me G., huissier de justice à Paris, au besoin avec assistance d'un expert en informatique afin de prendre et garder sous séquestre tous les documents originaux et toutes les copies de documents ainsi que tous fichiers informatiques relatifs aux certificats d'économie d'énergie financés par DIRECT ENERGIE, a autorisé la société DIRECT ENERGIE à se rendre dans les locaux de l'huissier de justice désigné afin de vérifier et de prendre connaissance des dossiers et documents la concernant, a fait interdiction à la société SKWIRREL d'utiliser ou de céder sans autorisation expresse de DIRECT ENERGIE tous documents qui comporteraient le nom, le logo ou un signe distinctif de la société DIRECT ENERGIE et a dit que la mise sous séquestre sera effectuée aux frais exclusifs de la société DIRECT ENERGIE.
Le juge des référés a considéré, en effet, que la société DIRECT ENERGIE, dans l'intérêt de laquelle avait été stipulée la clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce de Paris, avait la possibilité d'y renoncer et que selon la convention de partenariat conclue entre celle-ci et la société SKWIRREL, la documentation informatique et papier dont DIRECT ENERGIE demande le séquestre et l'accès sont sa propriété, dès lors que les données n'ont pas fait l'objet d'une validation et qu'il n'y a donc pas transfert de propriété au profit de la société SKWIRREL.
La SELARL JSA ès qualités de liquidateur de la société SKWIRREL a interjeté appel de cette décision le 8 avril 2019.
Dûment autorisée à cette fin, elle a fait assigner la société DIRECT ENERGIE par acte du 26 avril 2019 à jour fixe devant la cour, à laquelle elle demande d'infirmer la décision entreprise et, à titre principal, de dire que le président du tribunal de commerce de Nevers est incompétent au profit du président du tribunal de commerce de Paris pour statuer sur les demandes de la société DIRECT ENERGIE et, à titre subsidiaire, de rejeter l'ensemble des demandes formées par la société DIRECT ENERGIE et de la condamner à lui verser une indemnité de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelante fait valoir que le premier juge a fait un contresens flagrant s'agissant de l'article 4 du contrat intitulé «transfert de propriété», qui prévoit que la propriété des CEE ne sera réalisée au profit de l'acheteur qu'au jour de la validation du volume de CEE, l'acheteur étant en l'espèce la société DIRECT ENERGIE.
Elle estime, dès lors, que les dossiers de CEE qui n'ont pas été validés par l'administration restent la propriété de la société SKWIRREL.
La SELARL JSA ès qualités estime, en outre, que la clause attributive de compétence a été stipulée dans l'intérêt des deux parties, qui avaient toutes deux leur siège à Paris, de sorte que la société DIRECT ENERGIE ne pouvait y renoncer unilatéralement.
À titre subsidiaire, la SELARL JSA ès qualités conclut à l'irrecevabilité des demandes en raison du non-respect du délai de 2 mois pour la tentative de règlement amiable prévu à l'article 14 du contrat et rappelle que le jugement d'ouverture de la procédure collective interdit toute saisie même à titre conservatoire en application de l'article L 622 - 21 du code de commerce.
La société TOTAL DIRECT ENERGIE conclut pour sa part, au visa des articles 872 du code de procédure civile et 1961 du Code civil ainsi qu'au visa des dispositions du code de l'énergie, à la confirmation en toutes ses dispositions de l'ordonnance entreprise et à la condamnation de la SELARL JSA ès qualités à lui verser une indemnité de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; elle demande par ailleurs qu'il soit dit que le séquestre subsistera jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur la propriété de la documentation revendiquée.
SUR QUOI :
Attendu qu'il paraît dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des instances enrôlées au répertoire général sous les numéros 19/00442 et 19/00549 ;
Attendu qu'il résulte des pièces versées au dossier par les parties que :
- par contrat en date du 22 septembre 2017, la société SKWIRREL s'est engagée à vendre à la société DIRECT ENERGIE un volume de 500 GWh,
- par contrat en date du 7 novembre 2017, la société DIRECT ENERGIE a confié à la société SKWIRREL une mission globale relative à l'intégralité des démarches administratives et techniques nécessaires à la délivrance des CEE et s'est engagée à lui acheter un volume de 3000 GWh ;
Que si la SELARL JSA ès qualités de liquidateur de la société SKWIRREL soutient en premier lieu que les articles 10 et 14 de ces deux contrats prévoient que «tout différend entre les parties (') sera de la compétence exclusive des tribunaux de Paris», il y a lieu de remarquer que la société SKWIRREL ayant, au jour de l'assignation, son siège social à Nevers, ladite clause a été stipulée dans le seul intérêt de la société DIRECT ENERGIE, qui a son siège social à Paris, de sorte que cette dernière, conformément à une jurisprudence constante, dispose de la faculté de renoncer au bénéfice de cette clause attributive de compétence ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que le premier juge s'est estimé territorialement compétent pour connaître de la demande qui lui était soumise ;
Attendu, par ailleurs, que si l'article 14 du contrat précité du 7 novembre 2017 prévoit, «à défaut de solution amiable dans un délai de 2 mois suite à la survenance du litige», la «compétence exclusive des tribunaux de Paris» pour «tout différend entre les parties relatif à la convention, incluant son interprétation, sa formation, son exécution et sa cessation et, plus généralement, tout différend entre les parties de nature contractuelle ou délictuelle», une telle clause de règlement amiable n'apparaît pas applicable à la demande sollicitant du président du tribunal de commerce en référé le bénéfice d'une mesure conservatoire, de sorte que la SELARL JSA ès qualités ne peut utilement se prévaloir de l'existence de cette clause pour s'opposer aux prétentions formées par la société DIRECT ENERGIE ;
Attendu que la SELARL JSA ès qualités conclut par ailleurs à l'irrecevabilité de la demande de mise sous séquestre en invoquant, d'une part, le principe de l'arrêt des poursuites découlant des dispositions de l'article L 622-7 du code de commerce ainsi que les dispositions de l'article L 622-21 du même code, selon lesquelles le jugement ouvrant la procédure collective emporte de droit interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes, et inopposabilité du droit de rétention conféré par le 4° de l'article 2286 du Code
civil pendant la période d'observation et l'exécution du plan ainsi qu'interdiction de toutes procédures d'exécution de la part des créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ;
Mais attendu qu'il convient d'observer que la demande de la société DIRECT ENERGIE est fondée sur les dispositions du deuxième alinéa de l'article 1961 du Code civil concernant le séquestre «d'un immeuble ou d'une chose mobilière dont la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes», et non sur les dispositions du premier alinéa de ce texte concernant «les meubles saisis sur un débiteur» ;
Qu'en outre, une mesure de séquestre en application de ce texte constitue une mesure conservatoire et provisoire sollicitée par celui dont il s'agit de préserver les intérêts, ce qui empêche de la considérer comme constituant une voie d'exécution prohibée par les textes du code de commerce précités ; qu'au surplus, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L 622-7 du code de commerce relatives à l'inopposabilité du droit de rétention conféré par le 4° de l'article 2286 du Code civil concernent la seule période d'observation et l'exécution du plan et n'apparaissent donc pas applicables au cas d'espèce ;
Qu'il s'ensuit que le liquidateur ne peut utilement invoquer les dispositions précitées pour s'opposer aux demandes formées par la société DIRECT ENERGIE ;
Attendu en outre que la SELARL JSA ès qualités conclut à l'infirmation de l'ordonnance entreprise en faisant valoir que le premier juge s'est mépris sur les dispositions de l'article 4 du contrat du 7 novembre 2017 aux termes duquel la propriété des CEE ne sera réalisée au profit de l'acheteur qu'au jour de la validation du volume de CEE sur le compte de celui-ci auprès du registre EMMY, dès lors que «l'acheteur» désigné par cet article correspond, non pas à la société SKWIRREL, mais à la société DIRECT ENERGIE ;
Attendu qu'il convient de rappeler que l'article 4 de ce contrat, intitulé «transfert de propriété» énonce que : «la propriété des CEE, tels que définis à l'article 2 ci-dessus, sera réalisée au profit de l'acheteur au jour de la validation du volume de CEE sur le compte de l'acheteur auprès du registre EMMY, sous réserve du paiement intégral des CEE par l'acheteur dans les conditions définies à l'article 3» ;
Attendu que la demande de séquestre formée par la société DIRECT ENERGIE concernant, non pas les CEE proprement dits, mais la documentation permettant d'aboutir à ces derniers et permettant au Pôle National de vérifier la conformité de l'opération à la réglementation et de valider ainsi le nombre de CEE, la clause précitée relative à la propriété des seuls CEE, ne saurait faire obstacle à une mesure conservatoire de séquestre de la documentation permettant d'aboutir à ces derniers ;
Attendu que selon l'article R 221-7 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue du décret numéro 2015 - 1825 du 30 décembre 2015, en cas de défaillance du délégataire, les obligations individuelles définies en application des articles R 221-4 et R 221-4-1 sont remises à la charge de chaque délégant ; lorsqu'il est mis fin par les parties au contrat de délégation, l'obligation individuelle revient au délégant et le délégataire n'est plus considéré comme une personne soumise à une obligation d'économie d'énergie ; que la société DIRECT ENERGIE, sur laquelle pèsent donc les obligations précitées, se trouve dans l'impossibilité, en l'absence de documents, de faire débloquer les CEE qui doivent lui être attribués ; qu'elle dispose donc d'un intérêt légitime à solliciter le séquestre de la documentation pour pouvoir y avoir accès et ainsi débloquer ses dossiers auprès du Pôle National CEE ;
Qu'il apparaît ainsi, et indépendamment de la motivation erronée retenue par le premier juge, que l'ordonnance rendue le 2 avril 2019 devra être confirmée en toutes ses dispositions ;
Qu'il conviendra par ailleurs d'ajouter à l'ordonnance entreprise en disant que le séquestre subsistera jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur la propriété de la documentation revendiquée par l'intimée ;
Attendu que l'équité commandera, enfin, d'allouer à la société TOTAL DIRECT ENERGIE une indemnité de 1 500 € au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente instance ;
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
- Ordonne la jonction des instances enrôlées au répertoire général sous les numéros 19/00442 et 19/00549 ;
- Confirme, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 2 avril 2019 par le président du tribunal de commerce de Nevers ;
Y ajoutant,
- Dit que le séquestre subsistera jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur la propriété de la documentation revendiquée par la société TOTAL DIRECT ENERGIE ;
- Condamne la SELARL JSA, ès qualités de liquidateur de la société SKWIRREL, à verser à la société TOTAL DIRECT ENERGIE une indemnité de 1 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel et dit qu'il pourra être fait application des dispositions de l'article 699 du même code.