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Décisions

Cass. com., 25 avril 2006, n° 04-15.995

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Paris, 4e ch. sect. A, du 17 mars 2004

17 mars 2004

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 17 mars 2004), que MM. X et Y, copropriétaires de deux brevets, français et européen, couvrant des équipements de sécurité en cas d'incendie, en ont concédé l'exploitation pour l'Allemagne à la société Y, qui a elle-même confié la fabrication des dispositifs brevetés à la société française Mealik, devenue par la suite la société Y SA ; que, reprochant à celle-ci de commercialiser ces dispositifs en France, sans autorisation et sans verser de rémunération aux inventeurs, M. X a consenti à la société Stik industries une licence exclusive des deux brevets pour le territoire français, puis assigné la société Y SA en contrefaçon ; que M. Y et la société Stik industries étant volontairement intervenus aux débats, M. Y a formé à l'encontre de cette dernière une demande d'annulation du contrat de licence et poursuivi sa condamnation pour contrefaçon de brevet ; que la cour d'appel a accueilli ces différentes actions, prononcé condamnation au paiement de provisions, et ordonné une expertise afin d'examiner les préjudices respectifs ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Y SA et M. Y font grief à l'arrêt d'avoir accueilli l'action en contrefaçon à l'encontre de la société Y SA, alors, selon le moyen :

1°) que toute personne qui était en possession de l'invention, objet du brevet, à la date du dépôt ou de priorité de ce dernier, a droit, à titre personnel, d'exploiter l'invention ; que par "possession" de l'invention, la loi entend toute connaissance conceptuelle ou technique, tout savoir-faire permettant la réalisation du produit objet du brevet ; qu'en se bornant à considérer que la société Y SA ne justifiait pas de cette possession, motif pris de ce que l'existence d'une commercialisation des produits, objets des brevets litigieux, n'était pas démontrée, sans rechercher si la société Y SA ne détenait pas tous les éléments conceptuels et techniques ainsi que le savoir-faire permettant la réalisation des produits objets des brevets, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 613-7 du Code de la propriété intellectuelle ;

2°) que dans leurs conclusions d'appel la société Y SA et M. Y faisaient valoir que la société Y SA, anciennement dénommée société Mealik, avait, dès sa création en 1974, centré son activité sur la recherche et le développement de concepts et de produits destinés à assurer la sécurité en cas d'incendie, et que M. Y et M. X avaient mis au point leur invention et déposé les deux brevets litigieux avec le concours et le savoir-faire ainsi que la réalisation techniques de la société Y ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, déterminant en ce qu'il mettait en exergue le fait que la société Y SA était en possession, dès avant le dépôt ou la date de priorité des brevets, de l'intention litigieuse, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

3°) que toute personne morale ou physique qui a la possession de l'invention, avant la date de dépôt ou de priorité du brevet, a le droit d'exploiter cette invention à titre personnel ; que la possession s'entend de la connaissance des concepts techniques ou savoir-faire permettant la réalisation de l'invention, quels que soient les rapports de droit unissant le possesseur et l'inventeur ; que la cour d'appel, par motifs adoptés des premiers juges, relève que la société Y SA, anciennement dénommée société Mealik, est "intervenue au stade des essais et des mises au point des prototypes" ayant permis de réaliser le produit objet de l'invention ; qu'en refusant néanmoins de reconnaître à la société Y SA la qualité de "possesseur" de l'invention objet des deux brevets litigieux, au motif inopérant que ces essais et mise au point avaient été effectués par la société Y SA "pour le compte des inventeurs", M. Y et M. X, la cour d'appel a violé l'article L. 613-7 du Code de la propriété intellectuelle ;

4°) que toute personne qui, de bonne foi, est en possession de l'invention, objet du brevet, à la date de dépôt ou de priorité de ce dernier, est en droit d'exploiter cette invention ; que la cour d'appel relève que la société Y SA a réalisé des essais et des prototypes identiques à ceux des produits objets des brevets litigieux ; qu'en déniant néanmoins à la société Y SA la qualité de possesseur, motif pris de ce que ces essais avaient été réalisés pour le compte des inventeurs, sans relever en quoi cette circonstance était de nature à entacher de mauvaise foi la connaissance par la société Y SA des inventions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 613-7 du Code de la propriété intellectuelle ;

5°) que l'invocation de la possession de l'invention, objet du brevet, constitue une défense à l'action en contrefaçon, cette possession constituant en effet un élément justifiant l'exploitation par un tiers de l'invention litigieuse ; qu'en l'espèce, il est constant que, jusqu'à l'action en contrefaçon intentée en 1995 par M. X, la société Y SA exploitait l'invention objet des deux brevets en cause, et que c'est pour défendre à cette action que la société Y SA avait invoqué la possession qu'elle avait de cette invention antérieurement au dépôt des brevets ; que la cour d'appel a considéré que l'absence de revendication de toute possession sur l'invention par la société Y pendant quinze ans attestait l'absence de toute possession antérieure au brevet ; qu'en statuant ainsi, alors que jusqu'en 1995 la société Y SA exploitait l'invention litigieuse et n'avait pas de raison d'invoquer ou de revendiquer une quelconque possession de ce chef, la cour d'appel a violé l'article L. 613-7 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu qu'en constatant, par motifs propres et adoptés, que la société Y SA n'a eu accès à l'invention qu'en raison de ses relations contractuelles avec le futur breveté, pour le compte duquel elle avait réalisé les essais et mis au point des prototypes, la cour d'appel a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées, et statué à bon droit en écartant l'exception de possession personnelle de bonne foi opposée par cette société, abstraction faite des motifs erronés, mais surabondants, critiqués par les première et cinquième branches du moyen ; que celui-ci n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société Y SA et M. Y font encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°) que l'action en contrefaçon sanctionne l'exploitation industrielle ou commerciale faite par un tiers d'une invention objet du brevet, sans l'autorisation du ou des inventeurs ; qu'en cas de copropriété du brevet, l'un des copropriétaires peut, à son profit, autoriser un tiers à exploiter l'invention, sauf à indemniser l'autre copropriétaire ; qu'en l'espèce, il est constant que M. Y et M. X sont copropriétaires des brevets français et européen litigieux ; que la cour d'appel relève, par motifs propres et adoptés des premiers juges, que M. Y, président-directeur général de la société Y, et M. X, actionnaire et administrateur de cette société, ont autorisé l'exploitation par la société Y SA de leur invention et que ce n'est qu'en décembre 1992 que M. X a, seul, retiré son autorisation ; qu'en considérant qu'à compter de décembre 1992, la société Y SA avait commis des actes de contrefaçon en continuant d'exploiter les inventions, objets des brevets, alors que l'un des copropriétaires, M. Y, continuait à autoriser cette exploitation, et qu'ainsi l'action en contrefaçon n'était pas caractérisée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard des articles L. 613-29 et L. 615-1 du Code de la propriété intellectuelle ;

2°) qu'en toute hypothèse, l'action en contrefaçon n'est pas caractérisée dès lors que l'un des copropriétaires de l'invention autorise un tiers à exploiter cette dernière ; qu'en l'espèce, la cour d'appel relève que, jusqu'en décembre 1992, M. X et M. Y, copropriétaires des inventions litigieuses, et respectivement administrateur et président directeur général de la société Y SA, avaient tacitement autorisé la société Y SA à exploiter leurs inventions protégées par les brevets litigieux ; qu'en considérant qu'à compter de décembre 1992, la société Y SA avait commis des actes de contrefaçon en continuant à exploiter les inventions, par le seul fait que M. X aurait retiré son autorisation d'exploitation, sans rechercher si M. Y, coinventeur, avait lui aussi interdit toute exploitation à la société Y SA, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 613-29 et L. 615-1 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que la société Y SA et M. Y n'ayant pas soutenu dans leurs conclusions d'appel que l'autorisation d'un seul des copropriétaires conservait sa validité à l'accord de licence non exclusive, le moyen est nouveau, et, mélangé de fait et de droit, irrecevable en ses deux branches ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que la société Y SA et M. Y font enfin le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que le droit du breveté est épuisé dès lors que le produit, objet du brevet a été mis dans le commerce dans l'espace intracommunautaire, par le breveté lui-même ou avec son consentement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel relève, par motifs adoptés des premiers juges, que les deux coinventeurs des brevets litigieux, M. Y et M. X, ont concédé à la société allemande Y une licence d'exploitation des inventions brevetées ; qu'ainsi, le monopole d'exploitation des deux brevets en cause était épuisé et qu'aucune action en contrefaçon ne pouvait valablement être intentée dans les pays membres de la Communauté ; qu'en considérant néanmoins que la société Y SA avait commis des actes de contrefaçon à compter des années 1994 et 1995, alors que le droit d'exploitation inhérent aux brevets était épuisé, la cour d'appel a violé l'article 31 du Traité CE et l'article L. 613-6 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que si la mise sur le marché communautaire, par le breveté ou avec son consentement, de produits mettant en oeuvre l'invention, implique l'épuisement de ses droits au regard de chacun de ces produits, elle n'a pas pour effet d'épuiser son droit de brevet lui-même, qui demeure opposable à tout opérateur procédant, sans autorisation de sa part, à la mise sur ce marché de produits utilisant cette invention ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.