Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-17.639
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Donne acte à M. X, ès qualités, de ce qu'il s'associe aux pourvois incident et provoqué ;
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. X que sur le pourvoi incident relevé par la société CDR participation et le pourvoi provoqué de la SCP Deschamps et Bouju et la Chambre départementale des notaires de Seine-maritime :
Attendu, selon l'arrêt déféré (Caen, 16 mai 2000) rendu après cassation (Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation, 3 février 1998, pourvois n° T 94-20.310 et K 94-20.786), que les syndics de la liquidation des biens des sociétés Caillard et SNR, MM. Y et Z, ont vendu le 27 novembre 1981 trois immeubles, par cession à forfait, à la société Ateliers français de l'Ouest (société AFO) ; que cette société ayant été mise en liquidation des biens le 29 mars 1985, le nouveau syndic de la liquidation des biens des sociétés Caillard et SNR, Mme A, a produit au passif de la liquidation des biens de la société AFO, le 17 septembre 1987, une créance d'un certain montant "à titre privilégié hypothécaire" ; que le tribunal ayant autorisé, les 3 avril 1985 et 14 mars 1987, la cession à forfait de deux des trois immeubles (immeubles numéros 1 et 3 ) à la société CIFAC Loire aux droits de laquelle est venue la société CDR participation (société CDR), leur vente a été effectuée par acte notarié du 15 mars 1988 ; que le dernier immeuble (immeuble numéro 2) a été vendu par la société AFO à la société Transcosatal immobilier puis par celle ci à la société Sogébail par actes de MM. Deschamps et Bouju, notaires, en date des 20 décembre 1989 et 2 et 8 juillet 1991 ; que le syndic de la liquidation des biens de la société AFO, M. X, et la société CIFAC Loire ont demandé au tribunal de grande instance de prononcer la nullité des inscriptions de privilège du vendeur prises par les sociétés Caillard et SNR sur les immeubles 1 et 2 et d'en ordonner la radiation ; que Mme A a formé une action en résolution de la vente des trois immeubles pour défaut de paiement du prix de vente ; que la cour d'appel a confirmé le jugement ayant déclaré la vente immobilière du 27 novembre 1981 résolue aux torts et griefs de la société AFO pour défaut de paiement du prix, dit que les trois immeubles reviendront dans l'actif des sociétés Caillard et SNR et ordonné l'expulsion des sociétés AFO et Cifac Loire et de tous occupants de leur chef ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident relevé par la société CDR participation :
Attendu que la société CDR Participation fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le syndic des sociétés Caillard et SNR bénéficiait d'un privilège de vendeur et d'une action résolutoire régulièrement inscrit, d'avoir déclaré la vente immobilière réalisée par acte notarié du 27 novembre 1981 résolue aux torts et griefs de la société AFO pour défaut de paiement du prix en ce qu'elle portait sur les trois immeubles, et en conséquence ordonné l'expulsion de la société Cifac Loire et de tous occupants de son chef, alors, selon le moyen :
1°) que l'acte notarié du 27 novembre 1981 emportait explicitement quittance sans réserve du paiement libératoire du prix de vente par la seule remise des obligations, s'identifiant à l'obligation prévue comme extinctrice de la dette du prix de vente ; qu'aucune clause expresse ni tacite ne faisait du remboursement ultérieur des obligations, négociables par le vendeur les ayant reçues, une modalité ou une condition du paiement libératoire ; qu'au contraire, quittance sans réserve avait été donnée du paiement libératoire, du seul fait de la remise des obligations ; que la cour d'appel, en affirmant que la remise des obligations ne pouvait être séparée de leur remboursement, qui constituait le prix payable, et que c'était l'ensemble de cette opération de remise et de remboursement d'obligations que les syndics des sociétés Caillard et SNR avaient accepté comme bon et valable paiement libératoire, a dénaturé l'acte notarié du 27 novembre 1981 et violé l'article 1134 du Code civil ;
2°) que le privilège du vendeur ne garantit que le paiement du prix de vente ; qu'un tel paiement n'a pas à être nécessairement fait en argent, et peut parfaitement prendre la forme que décident librement les parties ; que dès lors qu'a été remise la chose prévue au contrat de vente comme valant paiement valable, le paiement produit son effet satisfactoire et extinctif, en particulier du privilège du vendeur ; qu'en l'espèce, les parties avaient convenu d'un paiement par remise d'obligations ; que la remise des obligations, non contestée, avait donc réalisé définitivement le paiement, et l'extinction de toute obligation du débiteur ; que la cour d'appel, qui a fait du remboursement de ces obligations une condition du paiement pour considérer que le privilège garantissant le paiement garantissait aussi ce remboursement, et en déduire le bien fondé de l'action résolutoire, a partant, violé les articles 1235 et suivants, 2103-1 et 2108 du Code civil ;
Mais attendu, qu'interprétant souverainement les termes ambigus de l'acte de vente du 27 novembre 1981, l'arrêt retient que le paiement du prix de cession des immeubles n'était réalisé que par le remboursement des obligations et que c'était l'ensemble de l'opération de remise et de remboursement des obligations qui avait été accepté par les syndics, comme bon et valable paiement libératoire ; que c'est à bon droit et sans dénaturation, que la cour d'appel a pu en déduire que Mme A, ès qualités, bénéficiait du privilège du vendeur sur les immeubles 1 et 3 ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses trois branches :
Attendu que M. X, syndic à la liquidation des biens de la société AFO, fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande aux fins de radiation des inscriptions de privilège prises sur les immeubles numéros 1 et 3 et d'avoir, en conséquence, déclaré la vente immobilière du 27 novembre 1981 résolue pour défaut de paiement du prix, en ce qu'elle portait sur ces deux immeubles, alors, selon le moyen :
1°) que l'obligation faite aux créanciers de produire au passif du règlement judiciaire ou de la liquidation des biens de leur débiteur leur impose d'indiquer dans le délai légal s'ils prétendent bénéficier d'un privilège, d'une hypothèque ou d'un nantissement ; qu'en l'espèce, il résultait des propres constatations de l'arrêt que Mme A, syndic des sociétés Caillard et SNR, n'avait déclaré sa créance au passif de la liquidation des biens de la société AFO qu'à titre hypothécaire ; que dans ces conditions, le syndic ayant omis de se prévaloir du privilège de vendeur d'immeuble au passif de la liquidation des biens de la société AFO avait perdu le bénéfice de ce privilège, devenu caduc, et ne pouvait, en conséquence, exercer l'action résolutoire y étant attachée ; qu'en retenant dès lors, pour néanmoins accueillir l'action résolutoire de Mme A sur les immeubles cadastrés section GF n° 43 et n° 29, 30, 31 et 33, que cette omission constituait une erreur sans conséquence, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi l'article 40 de la loi du 13 juillet 1967, ensemble l'article 45 du décret du 22 décembre 1967 et l'article 2108, alinéa 2, du Code civil ;
2°) qu'en se déterminant aux motifs inopérants que le privilège du vendeur est premier et que c'est le caractère privilégié des créances qui était mis en exergue dans la déclaration de créance, dès lors que l'absence de précision de la nature exacte du privilège assortissant la créance déclarée au passif de la liquidation des biens du débiteur entraîne l'extinction de ce privilège, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 40 de la loi du 13 juillet 1967, ensemble l'article 45 du décret du 22 décembre 1967 et l'article 2108, alinéa 2, du Code civil ;
3°) que, dans ses conclusions, M. X, ès qualités, soutenait que Mme A n'ayant produit au passif de la liquidation des biens de la société AFO qu'une créance à titre hypothécaire et non à titre privilégié spécial " privilège de vendeur sur immeuble", en sorte qu'il avait perdu le bénéfice de son privilège, les inscriptions de privilège prises par les sociétés Caillard et SNR devaient être annulées ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pourtant de nature à établir que le syndic à la liquidation des biens des sociétés Caillard et SNR n'était pas fondé à exercer l'action résolutoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'appréciant souverainement le contenu de la demande d'inscription au passif de la liquidation des biens de la société AFO, la cour d'appel a pu retenir que le caractère privilégié des créances des sociétés Caillard et SNR y était mis en exergue, de sorte que la mention "garantie hypothécaire" qui y figurait par erreur était sans conséquence, et répondant ainsi, en les rejetant, aux conclusions prétendument omises, a, abstraction faite du motif inopérant mentionné à la deuxième branche, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen du pourvoi principal, pris en ses trois branches et le moyen unique du pourvoi provoqué formé par la SCP Deschamps et Bouju et la Chambre départementale des notaires de Seine-Maritime, réunis :
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré la vente immobilière réalisée par acte notarié du 27 novembre 1981, portant sur l'immeuble cadastré section GE n° 57, 70 et 71 (immeuble n° 2), résolue aux torts et griefs de la société AFO, dit que cet immeuble reviendra dans l'actif des sociétés Caillard et SNR et ordonné l'expulsion de la société AFO et tous occupants de son chef, alors, selon le moyen :
1°) que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, Mme A, syndic à la liquidation des biens des sociétés Caillard et SNR, invoquait exclusivement l'action résolutoire appartenant au vendeur privilégié ;
qu'en se fondant dès lors sur les dispositions non invoquées de l'article 1184 du Code civil, après avoir écarté l'application des dispositions de l'article 2108, alinéa 2, du Code civil précisément relatives à l'action résolutoire du vendeur privilégié, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
2°) que le juge doit, en toutes circonstances observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut relever d'office un moyen, fût-il d'ordre public et de pur droit, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ; que dès lors, en relevant d'office, sans provoquer les explications des parties, le moyen tiré de l'application de l'article 1184 du Code civil, en lieu et place de l'article 2108, alinéa 2, du même Code, comme fondement de l'action en résolution de Mme A la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
3°) que, selon l'article 2108, alinéa 2, du Code civil, l'action résolutoire établie par l'article 1654 du Code civil à défaut de paiement du prix ne peut être exercée après l'extinction du privilège du vendeur, ou à défaut d'inscription de ce privilège dans le délai de deux mois imparti, au préjudice des tiers qui ont acquis des droits sur l'immeuble du chef de l'acquéreur et qui les ont publiés ; qu'en l'espèce, il était constant que l'immeuble cadastré section 57, 70 et 71 n'avait fait l'objet d'aucune inscription au titre du privilège du vendeur et qu'il avait été revendu à la société Trancotal immobilier Le Havre par la liquidation des biens de la société AFO par acte du 29 décembre 1989, puis à la société Sogébail par acte du 8 juillet 1991, soit à deux tiers successifs, antérieurement à l'action en résolution formée par Mme A pour non-paiement du prix de vente ; que dès lors, comme le soutenait M. X, en application de l'article 2108, alinéa 2, du Code civil, le vendeur n'était plus recevable à exercer l'action résolutoire de la vente pour défaut du prix ;
qu'en décidant pourtant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
4°) que l'action résolutoire pour défaut de paiement du prix d'une vente ne peut être exercée après l'extinction du privilège ou lorsque le vendeur y a renoncé, au préjudice de tiers qui ont acquis des droits sur l'immeuble du chef de l'acquéreur et qui les ont publiés ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'immeuble numéro 2, cadastré GE 57, 70 et 71 vendu le 27 novembre 1981 par la société Caillard à la société AFO a fait l'objet de deux reventes successives aux sociétés Transcosatal immobilier et Sogébail, le notaire soulignant que la première de ces reventes avait été publiée avant que soit engagée, au nom de la société Caillard, par Mme A, l'action résolutoire fondée sur le défaut de paiement du prix ; qu'en faisant néanmoins droit à cette action résolutoire, en prononçant l'expulsion des occupants du chef de la société AFO et en affirmant que la cession qu'elle avait consentie à un sous-acquéreur était inopposable au vendeur, bien que l'acte du 27 novembre 1981 ait prévu que l'immeuble litigieux serait affranchi du privilège du vendeur qui n'a ainsi pas été inscrit, la cour d'appel a violé l'article 2108, alinéa 2, du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que Mme A sollicitait la résolution de la vente pour défaut de paiement du prix, l'application de l'article 1184 du Code civil était dans le débat ;
que la cour d'appel n'encourt pas les griefs des deux premières branches ;
Attendu, en second lieu, que seuls les tiers ayant acquis des droits sur l'immeuble du chef de l'acquéreur peuvent se prévaloir de la fin de non-recevoir tirée de l'application de l'article 2108, alinéa 2, du Code civil dont les dispositions sont sans incidence sur l'action résolutoire dont dispose le vendeur à l'égard de son acquéreur ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en ses deux dernières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois tant principal qu'incident et provoqué.