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Décisions

Cass. crim., 26 janvier 2022, n° 21-81.822

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Fouquet

Avocat général :

M. Bougy

Avocat :

SCP Poulet-Odent

Paris, du 3 mars 2021

3 mars 2021

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Courant 2015, les salariés de la société de menuiserie [2], qui n'étaient plus payés depuis plusieurs mois, ont dénoncé cette situation à l'inspection du travail, qui, après une enquête administrative, a signalé au procureur de la République des faits susceptibles d'être pénalement qualifiés. Une enquête préliminaire a été ouverte des chefs d'abus de biens sociaux et banqueroute.

3. Par ailleurs, sur saisine du procureur de la République, cette société a été liquidée par jugement du tribunal de commerce du 1er septembre 2015, la cessation des paiements étant fixée au 28 février 2015.

4. A l'issue de l'enquête M. [V] a été cité devant le tribunal correctionnel en qualité de gérant de fait de la société [2] pour avoir notamment d'une part, entre octobre 2014 et le 8 décembre 2015, violé l'interdiction de gérer résultant de la décision du tribunal de commerce de Bobigny du 5 septembre 2006 prononçant à son encontre une faillite personnelle pour une durée de 15 ans avec exécution provisoire, d'autre part entre le 28 février 2015, date de la cessation des paiements de la société [2] et le 1er septembre 2015, commis le délit de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif, en s'abstenant de déclarer la cessation des paiements et de licencier les salariés impayés dès février 2015 et en augmentant la dette locative de la société [2] par la poursuite du contrat de bail du lot n° 8 du [Adresse 1] et la location d'un nouveau local au nom de cette société.

5. Par jugement du 2 décembre 2020, le tribunal correctionnel a déclaré M. [V] coupable notamment de ces faits et l'a condamné à trois ans d'emprisonnement, 75 000 euros d'amende et à titre de peines complémentaires a prononcé une interdiction définitive de gérer et la confiscation de l'intégralité des scellés. Un mandat d'arrêt a été décerné à l'encontre du prévenu.

6. Le prévenu et le procureur de la République ont formé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier moyen pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, deuxième, troisième et cinquième moyens

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. Le moyen, pris en sa première branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [V] coupable du délit d'exercice d'une profession commerciale ou industrielle malgré interdiction judiciaire, alors :

« 1°) que, d'une part, l'article 434-40-1 du code pénal réprime la violation de l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale qui a été prononcée « à titre de peine » sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 131-27 du même code ; que, dès lors, en retenant, pour dire ce délit « établi en tous ses éléments contre le prévenu », que celui-ci avait méconnu l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle résultant d'un jugement en date du 5 septembre 2006 du tribunal de commerce de Bobigny ayant prononcé à son encontre une faillite personnelle pour une durée de quinze ans avec exécution provisoire, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 434-40-1 du code pénal :

9. Selon ce texte constitue un délit puni de deux ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende toute violation d'une interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale prévue au deuxième alinéa de l'article 131-27, lorsqu'elle a été prononcée à titre de peine.

10. Pour dire établi le délit de l'article 434-40-1 du code pénal, l'arrêt attaqué, après avoir retenu que M. [V] avait exercé la gérance de fait des sociétés [2], [3], [4] et [5] au cours de la période de prévention, relève que le tribunal correctionnel de Bobigny a prononcé le 23 novembre 2006 à son encontre une mesure de faillite personnelle pour une durée de quinze ans avec exécution provisoire.

11. En se déterminant ainsi, alors que seule la violation d'une interdiction de gérer prononcée à titre de peine est susceptible de caractériser le délit de l'article 434-40-1 du code pénal, la cour d'appel, qui aurait dû rechercher, après avoir recueilli les observations des parties, si les faits n'étaient pas constitutifs du délit prévu par l'article L. 654-15 du code de commerce qui réprime spécifiquement le fait, pour toute personne, d'exercer une activité professionnelle ou des fonctions en violation des interdictions, déchéances ou incapacité prévues par les articles L. 653-2 du même code, a violé le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

12. La cassation est par conséquent encourue.

Et sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [V] coupable de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif du débiteur, alors :

« 1°) que le délit de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif du débiteur ne peut consister en une simple abstention mais exige un fait positif ayant conduit à l'aggravation du passif ; que, dès lors, en retenant, pour déclarer le prévenu coupable de ce délit, qu'il avait directement contribué à augmenter le passif de la société [2] en s'abstenant de licencier les salariés impayés depuis février 2015 et en poursuivant la location des locaux numéros 7 et 8, la cour d'appel a violé l'article L. 654-2, 3°, du code de commerce ;

2°) que M. [V] a été poursuivi pour avoir commis le délit de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif notamment « en s'abstenant de déclarer la cessation des paiements » ; qu'en confirmant la déclaration de culpabilité de ce chef, sans motiver sa décision sur le défaut de déclaration de cessation des paiements pourtant retenu comme fait constitutif de ce délit, et sans répondre à l'argumentation du prévenu qui soutenait que ce défaut de déclaration ne pouvait lui être imputé dès lors qu'il n'était pas représentant légal de la société [2], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 485, 512, 593 du code de procédure pénale et L. 654-2, 3°, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 654-2, 3°, du code de commerce et 593 du code de procédure pénale :

14. Selon le premier de ces textes, en cas d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, constitue le délit de banqueroute le fait d'avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur.

15. Il résulte du second que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime.

16. Pour dire établi le délit de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif à l'encontre du prévenu, l'arrêt attaqué relève qu'il est établi par la comptabilité que les salaires ont cessé d'être versés au mois de février 2015 et que ce mois là, la situation économique de la société était irrémédiablement compromise et que le personnel et son collaborateur à l'époque sont unanimes pour déclarer l'en avoir personnellement entretenu.

17. Il retient que cependant, aucune démarche n'a été décidée par le dirigeant de fait alors que l'inspection du travail a justifié avoir rappelé à l'employeur ses obligations et que le fait que le prévenu n'était pas le dirigeant de droit, celui-ci étant de pure façade, est indifférent sur le fait qu'en ne donnant aucun conseil ou directive en ce sens, même par le canal de tiers, il a directement contribué à augmenter ce passif par un effet mécanique dû au seul fait que les salariés voyaient leurs créances salariales augmenter à proportion pour finalement avoisiner la somme de 350 000 euros.

18. Les juges ajoutent que tant la poursuite de la location du local du numéro 8 que celle du local numéro 7 a aussi directement contribué à augmenter le passif de la société dans les proportions indiquées au mandement de la citation directe, la cour renvoyant aux pièces et explications du bailleur de ces locaux qui démontrent d'une part, les coûts exposés et, d'autre part, caractérisent l'intervention personnelle du prévenu dans la commission de ces faits ayant directement contribué à l'aggravation du passif.

19. En l'état de ces énonciations, qui ne caractérisent pas l'existence d'un acte tendant à l'augmentation frauduleuse du passif au détriment des véritables créanciers de la société débitrice, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

20. La cassation est par conséquent également encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

21. La cassation sera limitée aux dispositions ayant déclaré M. [V] coupable du délit de violation d'une interdiction de gérer prévu par l'article 434-40-1 du code pénal et du délit de banqueroute par augmentation frauduleuse de passif et relatives aux peines. Les autres dispositions seront donc maintenues.

22. En raison de la cassation prononcée, il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens proposés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 3 mars 2021, mais en ses seules dispositions ayant déclaré M. [V] coupable des délits de violation d'une interdiction de gérer prévu par l'article 434-40-1 du code pénal et de banqueroute par augmentation frauduleuse de passif, et relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.