Cass. com., 23 mars 2022, n° 20-19.174
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
BTSG (SCP)
Défendeur :
Alnève (SARL), Fortis Lease France (SA), Lafayette 06 (SCI), Grumbach immobilier (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rémery
Rapporteur :
Mme Bélaval
Avocat général :
Mme Guinamant
Avocats :
Me Bertrand, SCP Foussard et Froger, SCP Thouin-Palat et Boucard
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juillet 2020), par un jugement du 29 novembre 2017, la société Lafayette 06, dirigée par M. [S], a été mise en liquidation judiciaire, la société BTSG², en la personne de M. [T], étant désignée liquidateur.
2. Par une ordonnance du 7 mai 2019, le juge-commissaire a autorisé la vente de gré à gré d'un immeuble de la société débitrice, situé à [Localité 6], au profit de la société Grumbach immobilier (la société Grumbach), au prix de 720 000 euros. Aucun recours n'a été formé contre l'ordonnance.
3. Mme [D], notaire de la société Grumbach, chargée de la rédaction de l'acte de cession, a notifié le projet de vente à la société Alnève, locataire de locaux commerciaux situés dans l'immeuble, et l'a informée de l'existence à son profit d'un droit de préemption. La société Alnève a confirmé, le 6 juin 2019, qu'elle souhaitait exercer ce droit.
4. Par une requête du 4 novembre 2019, le liquidateur, exposant les difficultés causées par cette notification tandis que le projet d'acte de vente préparé par Mme [D] stipulait une clause selon laquelle la vente portait sur un immeuble vendu dans sa globalité donné pour partie à bail commercial, ce qui constituait, selon le liquidateur, "une exemption au droit de préférence du preneur commercial", en a saisi le juge-commissaire.
5. Par une ordonnance du 18 décembre 2019, le juge-commissaire a rétracté l'ordonnance du 7 mai 2019, ordonné l'ouverture d'un nouvel appel d'offres pour l'acquisition de l'immeuble, et ordonné la notification de l'ordonnance, notamment à la société Alnève et au dirigeant de la société Lafayette 06, M. [S].
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société BTSG² fait grief à l'arrêt d'annuler l'ordonnance du 18 décembre 2019 alors « que le recours devant la cour d'appel contre les ordonnances du juge-commissaire rendues en application de l'article L. 642-18 du code de commerce n'est ouvert qu'aux parties et aux personnes dont les droits et obligations sont affectés par ces décisions, dans les dix jours de leur communication ou notification ; que le droit de préemption dont dispose le locataire commercial en vertu de l'article L. 145-46-1 du code de commerce ne s'applique pas en cas de vente réalisée dans le cadre de la réalisation des actifs d'un débiteur en liquidation judiciaire, en application de l'article L. 642-18 du code de commerce ; que par ordonnance du 7 mai 2019, le juge-commissaire à la liquidation judiciaire de la SCI Lafayette 06 a autorisé la vente de gré à gré au profit de la société Grumbach Immobilier d'un ensemble immobilier appartenant à cette société et comprenant des locaux commerciaux donnés à bail commercial à la société Alnève ; que par ordonnance du 18 décembre 2019, le juge-commissaire a rétracté cette ordonnance et ordonné l'ouverture d'une nouvelle procédure de vente de gré à gré, en précisant que la société locataire ne disposait pas d'un droit de préemption sur le bien objet de la cession ; que saisie d'un recours de la société Alnève, la cour d'appel a annulé pour excès de pouvoir l'ordonnance du 18 décembre 2019, en considérant que le juge-commissaire était dessaisi par le prononcé de l'ordonnance du 7 mai 2019 ayant ordonné la vente de l'immeuble et qu'il ne pouvait rétracter cette décision ; qu'en accueillant ainsi le recours formé par la société Alnève, laquelle ne pouvait se prévaloir d'un droit de préemption sur le bien immobilier vendu dans le cadre de la réalisation des actifs de la société propriétaire en liquidation judiciaire, de sorte que le recours prévu par l'article R. 642-37-1 du code de commerce ne lui était pas ouvert, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble les articles L. 145-46-1 et L. 642-18 du code de commerce, et les articles 31 et 125 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. La société Alnève conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la société BTSG², ès qualités, se serait bornée à demander à la cour d'appel la confirmation de l'ordonnance sans remettre en cause la recevabilité du recours formé devant elle et que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.
8. Cependant, la société BTSG² ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, un tel moyen, qui est de pur droit, peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.
9. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 145-46-1, L. 642-18 et R. 642-37-1 du code de commerce :
10. La vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire est une vente faite d'autorité de justice. Il en résulte que les dispositions du premier de ces textes, qui concernent le cas où le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, ne sont pas applicables et qu'une telle vente ne peut donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption par le locataire commercial. Le recours contre une ordonnance du juge-commissaire rendue en application du second texte, qui doit être formé devant la cour d'appel en application du troisième, n'est ouvert qu'aux tiers dont les droits et obligations sont affectés par la décision.
11. Pour annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance du 18 décembre 2019, l'arrêt retient que le juge-commissaire était dessaisi de son pouvoir dès le prononcé de sa décision du 7 mai 2019, à l'égard de laquelle aucun appel, aucune opposition, tierce-opposition ou recours en révision n'avait été effectué, que le liquidateur ne pouvait faire juger la difficulté tenant à l'application du droit de préemption du locataire que par la voie de l'appel et qu'en rétractant son ordonnance, le juge-commissaire a commis un excès de pouvoir.
12. En statuant ainsi, alors que, la vente de l'immeuble autorisée par le juge-commissaire au titre des opérations de liquidation judiciaire de la société Lafayette 06 ne pouvant donner lieu à l'exercice d'un droit de préemption par la société Alnève, les droits et obligations de celle-ci n'étaient pas affectés par l'ordonnance du 18 décembre 2019 contre laquelle elle n'était donc pas recevable à former un recours, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation de l'arrêt en ce qu'il annule pour excès de pouvoir l'ordonnance du 18 décembre 2019 entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt en ce qu'il dit que la cour d'appel ne dispose pas davantage de pouvoir pour rétracter l'ordonnance, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
14. Ainsi que le propose le demandeur, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
16. Il résulte de ce qui précède que le recours formé devant la cour d'appel par la société Alnève était irrecevable.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [S] de ses demandes de nullité de la déclaration d'appel et de prononcé de sa mise hors de cause, l'arrêt rendu le 2 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare irrecevable le recours formé par la société Alnève contre l'ordonnance du juge-commissaire du 18 décembre 2019.