Cass. crim., 30 mars 2022, n° 21-83.500
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. de Lamy
Avocat général :
Mme Chauvelot
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [E] [T] aurait réalisé, entre le 13 janvier 2006 et le 2 février 2006, des achats de titres [K] en disposant, en dehors de ses fonctions, d'une information privilégiée, qui sera publiée le 24 février 2006, sur les perspectives de la société [K], selon laquelle M. [B] [K] allait céder sa participation dans ladite société.
3. Il aurait également, réalisé des opérations d'achats pour son propre compte ainsi que pour le compte d'autres personnes et permis à des tiers de réaliser une opération privilégiée, sur les actions [4], en disposant d'une information, en dehors de ses fonctions, dont il aurait fait usage avant sa diffusion au public le 8 juin 2012, selon laquelle la société [1] préparait une offre publique d'achat sur la société [4].
4. A l'issue de l'information, M. [T] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de délits d'initié, d'une part, sur le titre [B] [K] et, d'autre part, sur le titre [4].
5. Les juges du premier degré l'ont relaxé du chef d'utilisation d'information privilégiée pour permettre à des tiers de réaliser des opérations sur des instruments financiers et l'ont condamné des autres chefs.
6. M. [T] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, quatrième et cinquième branches, sur le deuxième moyen pris en sa deuxième branche et sur les troisième et quatrième moyens
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur les premier et deuxième moyens pris en leur première branche
Enoncé des moyens
8. Le premier moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré M. [T] coupable des faits d'utilisation d'informations privilégiées pour réaliser une opération sur les actions de la société [K], alors :
« 1°) que la cour d'appel n'a pu, sans méconnaître le droit à la présomption d'innocence, constitutionnellement garanti, de M. [E] [T], se borner à constater que « la détention de cette information privilégiée peut être établie par un faisceau d'indices graves, précis et concordants desquels il résulte que seule la détention de l'information privilégiée peut expliquer les opérations réalisées sans avoir à déterminer précisément les circonstances dans lesquelles l'information privilégiée est parvenue jusqu'à la personne qui l'a utilisée » ; que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'interprétation constante donnée par la Cour de cassation à l'article L. 465-1 du code monétaire et financier, par laquelle un simple faisceau d'indices graves précis et concordants permet de présumer la détention d'une information privilégiée, privera de toute base légale l'arrêt attaqué. »
9. Le deuxième moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré M. [T] coupable des faits d'utilisation d'informations privilégiées pour réaliser une opération sur les actions de la société [4], alors :
« 1°) que la cour d'appel n'a pu, sans méconnaître le droit à la présomption d'innocence, constitutionnellement garanti, de M. [E] [T], se borner à constater que « la détention de cette information privilégiée peut être établie par un faisceau d'indices graves, précis et concordants desquels il résulte que seule la détention de l'information privilégiée peut expliquer les opérations réalisées sans avoir à déterminer précisément les circonstances dans lesquelles l'information privilégiée est parvenue jusqu'à la personne qui l'a utilisée » ; que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'interprétation constante donnée par la Cour de cassation à l'article L. 465-1 du code monétaire et financier, par laquelle un simple faisceau d'indices graves précis et concordants permet de présumer la détention d'une information privilégiée, privera de toute base légale l'arrêt attaqué. »
Réponse de la Cour
10. Les moyens sont réunis
11. Par arrêt du 15 décembre 2021, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, posée par le demandeur et portant sur les dispositions de l'article L 465-1 du code monétaire et financier.
12. En conséquence, les moyens sont devenus sans objet.
Sur les premier et deuxième moyens pris en leur troisième branche
Enoncé des moyens
13. Le premier moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré M. [T] coupable des faits d'utilisation d'informations privilégiées pour réaliser une opération sur les actions de la société [K], alors :
« 3°) que si la preuve de la détention d'une information privilégiée peut résulter d'un simple faisceau d'indices sans qu'il soit nécessaire d'établir avec précision la façon dont cette information est parvenue à l'initié tertiaire, les juges doivent néanmoins caractériser l'existence d'un circuit probable ou plausible de communication de cette information ; qu'en se fondant uniquement, pour condamner M. [T] pour délit d'initié, sur la chronologie de ses investissements, leur rapidité, leur volume significatif, leur impact sur le cours d'un titre peu liquide et ses justifications peu convaincantes sur un titre sur lequel il n'avait jamais investi, mais sans relever aucune source probable ou plausible de communication en sa faveur d'une information privilégiée sur ces titres, la cour d'appel, qui a au surplus admis que l'origine de l'information privilégiée qui lui serait parvenue n'avait pu être déterminée, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier et de l'article 6§2 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
14. Le deuxième moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré M. [T] coupable des faits d'utilisation d'informations privilégiées pour réaliser une opération sur les actions de la société [4], alors :
« 3°) que si la preuve de la détention d'une information privilégiée peut résulter d'un simple faisceau d'indices sans qu'il soit nécessaire d'établir avec précision la façon dont cette information est parvenue à l'initié tertiaire, les juges doivent néanmoins caractériser l'existence d'un circuit probable ou plausible de communication de cette information ; qu'en se fondant uniquement, pour condamner M. [T] pour délit d'initié, sur la chronologie de ses investissements, leur rapidité, leur volume significatif, leur impact sur le cours d'un titre peu liquide et ses justifications peu convaincantes sur un titre sur lequel il n'avait jamais investi, mais sans relever aucune source probable ou plausible de communication en sa faveur d'une information privilégiée sur ces titres, la cour d'appel, qui a au surplus admis que l'origine de l'information privilégiée qui lui serait parvenue n'avait pu être déterminée, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier et de l'article 6§2 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
15. Pour déclarer le prévenu coupable du chef de délits d'initié, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que M. [T] ne s'est jamais intéressé, jusqu'au mois de janvier 2006, au titre [K], période à laquelle l'une de ses connaissances, M. [M], qui travaillait sur ce titre, lui avait expliqué que ce titre avait connu des mouvements inhabituels et qu'il avait su que le PDG de la société rachetait ses propres actions.
16. Les juges relèvent que l'Autorité des Marchés Financiers avait identifié des transactions suspectes sur le titre [K], réalisées entre le 11 et le 19 janvier 2006, par trois clients de la [3] et que l'autorité boursière de ce pays avait précisé que la société [2], dont le bénéficiaire économique était M. [M], avait acquis 80% des titres achetés par cette banque.
17. Les juges retiennent que contrairement à ce que soutient M. [T], l'investissement dans les titres [K] n'était pas une pure coïncidence et l'ensemble des éléments précis, graves et concordants fondés sur la chronologie des investissements, leur rapidité, les modalités de passage des ordres, le volume des achats, les montants conséquents investis au regard des disponibilités, les explications et justifications données par le prévenu à ses interventions, suffisent à établir que seule une information privilégiée, quand bien même son origine exacte n'est pas déterminée, est de nature à expliquer les achats des titres [K] par M. [T].
18. Les juges ajoutent que M. [T] a également réalisé, entre le 18 et le 31 mai 2012, des opérations d'achats sur le titre [4], sur lequel il n'avait jamais investi et qu'il a continué en dépit de la publication, le 30 mai 2012, d'un résultat trimestriel en baisse. M. [T] a acquis pour son propre compte 18 548 actions qu'il a revendues les 11 et 12 juin 2012, avec une plus-value de 304 915 euros, et ce après la reprise de la cotation du titre qui a été suspendue le 8 juin 2012 après que les sociétés [4] et [1] eurent annoncé entrer en négociation.
19. Ils concluent que l'ensemble de ces éléments précis, graves et concordants fondés sur la chronologie des investissements, leur rapidité, le volume significatif des achats, son impact sur le cours d'un titre peu liquide, les justifications peu convaincantes des opérations sur un titre sur lequel il n'avait jamais investi suffisent à établir que seule une information privilégiée, quand bien même son origine n'a pu être déterminée, est de nature à expliquer les achats des titres [4] par M. [T] qui, comme pour le titre [K] ne sauraient être le fruit du hasard ou de ses seules compétences.
20. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen dès lors qu'ayant établi que le prévenu disposait d'une information privilégiée, elle n'était pas tenue de détailler les circonstances par lesquelles elle était parvenue à celui-ci.
21. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
22. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.