Cass. com., 15 mars 2011, n° 09-71.934
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Mandel
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
Me Bertrand, SCP Baraduc et Duhamel, SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, SCP Piwnica et Molinié
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par l'Institut Pasteur, que sur le pourvoi incident relevé par la société Eco-Solution ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 septembre 2009) que M. X est copropriétaire, par moitié, avec l'Institut Pasteur (l'Institut), d'un brevet européen déposé le 2 décembre 1999 à l'Office européen des brevets (brevet GM3) ; que ce brevet mentionne MM. X et Y comme co-inventeurs ; que la société Evologic GMBH a été constituée entre ceux-ci avec pour objet d'exploiter le dispositif GM3 ; que la société Evologic SA constituée par M. Y a conclu le 14 décembre 2000 avec l'Institut une convention de licence exclusive du brevet GM3 ; que cette société a consenti le 14 juin 2001 une sous-licence du même brevet à la société Eco-Solution dans le domaine du traitement des déchets industriels spéciaux ; que le 3 juillet 2003 l'Institut a résilié la licence consentie à la société Evologic SA et le 18 août 2003 a accordé à la société Eco-Solution une licence exclusive du brevet GM3 ; que faisant valoir que cette licence exclusive avait été accordée sans son accord, M. X a assigné l'Institut devant le tribunal de grande instance ; que la société Eco-Solution est intervenue volontairement à l'instance ; que les sociétés Evologic GMBH et Evologic SA ayant été mises en liquidation judiciaire, Mme Z, en sa qualité de liquidateur judiciaire, a été assignée en intervention forcée de même que M. Y ;
Sur la recevabilité du pourvoi contestée par Mme Z, ès qualités :
Attendu que l'Institut a dirigé son pourvoi en cassation contre Mme Z prise en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Evologic GMBH et Evologic SA ;
Attendu que devant la cour d'appel, l'Institut s'est désisté de son appel à l'égard de Mme Z, ès qualités, que celle-ci a accepté ce désistement et que la cour d'appel a constaté l'extinction de l'instance entre l'Institut et Mme Z, ès qualités et dit que conformément à leur accord, chacune des parties conservera la charge de ses frais ;
D'où il suit que le pourvoi est irrecevable en ce qu'il est dirigé contre Mme Z prise en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés Evologic GMBH et Evologic SA ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que l'Institut fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de son exception d'irrecevabilité opposée à l'action engagée par M. X, alors, selon le moyen, qu'en ne répondant pas aux conclusions par lesquelles l'institut avait démontré que M. X, qui avait lui-même autorisé à son insu l'exploitation par un tiers du brevet dont ils étaient copropriétaires, ne pouvait se prévaloir d'un intérêt légitime à agir en réparation des prétendus préjudices causés par la licence concédée par l'Institut à la société Eco-Solution, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que l'action engagée par M. X avait pour objet la protection de son droit privatif de propriété industrielle, la cour d'appel a par là-même répondu aux conclusions prétendument délaissées ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, rédigés en termes identiques, réunis :
Attendu que l'Institut et la société Eco-Solution font grief à l'arrêt d'avoir dit que la société Eco-Solution avait commis des actes de contrefaçon du brevet GM3 engageant sa responsabilité à l'égard de M. X, que l'Institut avait concédé à la société Eco-Solution une licence exclusive d'exploitation du brevet GM3 en violation des droits de copropriété de M. X et d'avoir dit que l'Institut avait l'obligation de garantir la société Eco-Solution des conséquences résultant pour elle de l'impossibilité d'exploiter cette licence, alors, selon le moyen :
1°) que l'exploitation industrielle ou commerciale d'un brevet par un tiers bénéficiant d'une autorisation donnée par l'un des copropriétaires dudit brevet n'est pas de nature à constituer une contrefaçon ; qu'en retenant néanmoins que l'exploitation du brevet GM3 par la société Eco-Solution, en vertu d'une licence concédée par l'Institut Pasteur, copropriétaire dudit brevet, caractérisait une contrefaçon au détriment de M. X, autre copropriétaire du même titre, la cour d'appel a violé les articles L. 613-29 et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;
2°) que l'absence d'accord donné par l'un des copropriétaires d'un brevet d'invention à la concession d'une licence d'exploitation exclusive ne rend pas ce contrat inopposable à l'ensemble des copropriétaires ; qu'en retenant néanmoins que l'absence d'accord donné par M. X à la concession par l'Institut Pasteur d'une licence exclusive d'exploitation au profit de la société Eco-Solution rendait ce contrat inopposable au premier, la cour d'appel a violé l'article L. 613-29 du code de la propriété intellectuelle ;
3°) qu'en l'absence d'accord donné par l'un des copropriétaires d'un brevet d'invention à la concession d'une licence d'exploitation exclusive, seule la clause d'exclusivité lui est inopposable, le contrat produisant, à l'égard de ceux des copropriétaires qui ont donné leur consentement (sic), les effets d'une licence non exclusive ; qu'en retenant néanmoins qu'en l'absence d'accord donné par M. X, copropriétaire pour moitié d'un brevet d'invention appartenant pour le reste à l'Institut Pasteur, à la concession par ce dernier d'une licence exclusive d'exploitation au profit de la société Eco-Solution, le contrat était, dans son ensemble, inopposable à M. X, la cour d'appel a violé l'article L. 613-29 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel qui a relevé que la société Eco-Solution exploitait le brevet GM3 en vertu d'une licence exclusive qui lui avait été concédée sans l'accord de M. X, en a exactement déduit qu'une telle exploitation caractérisait un acte de contrefaçon à l'égard de ce dernier ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt constate que l'Institut a concédé à la société Eco-Solution une licence d'exploitation exclusive du brevet GM3 sans l'accord de M. X et sans autorisation de justice ; qu'il relève que l'Institut n'a rempli aucune des conditions ou formalités prévues par l'article L. 613-29 du code de la propriété intellectuelle pour la concession par un copropriétaire seul d'une licence non exclusive ; qu'en l'état de ces constatations dont il résulte que l'Institut n'a pas respecté les conditions fixées par la loi pour qu'un seul copropriétaire d'un brevet puisse concéder valablement à un tiers une licence exclusive ou non exclusive et, faute de stipulations contractuelles contraires, la cour d'appel en a exactement déduit que le contrat pris dans son ensemble était inopposable à M. X, copropriétaire du brevet ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal :
Attendu que l'Institut fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'il avait l'obligation de garantir la société Eco-Solution des conséquences résultant pour elle de l'impossibilité d'exploiter la licence exclusive qu'il lui avait concédée sur le brevet GM3, alors, selon le moyen, que la concession d'une licence par l'un des copropriétaires d'un brevet d'invention, sans l'autorisation d'un autre titulaire dudit brevet ou une autorisation de justice, n'emporte pas en elle-même éviction du concessionnaire de licence, de sorte que seule la garantie contre l'éviction du fait des tiers peut être mise en oeuvre par ce dernier en cas d'exercice contre lui d'une action en contrefaçon formée par le copropriétaire n'ayant pas donné son accord ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter l'application de la clause exclusive de garantie stipulée dans le contrat de licence conclu entre l'Institut Pasteur et la société Eco-Solution, que dans une telle situation, l'exercice par M. X, copropriétaire du brevet n'ayant pas donné son accord à un tel contrat, d'une action en contrefaçon contre la société Eco-Solution caractérisait une éviction du fait personnel du concédant, la cour d'appel a violé les articles 1719 et 1725 du code civil ;
Mais attendu que c'est par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a retenu que l'éviction de la société Eco-Solution trouvait son origine dans le fait personnel de l'Institut qui, au mépris des droits de copropriété de M. X, avait concédé une licence exclusive du brevet GM3 à cette société et en a déduit que l'Institut était tenu de la garantir en application de l'article 6. 2 du contrat de licence ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen du pourvoi principal :
Attendu que l'Institut fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer à M. X la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice que lui aurait causé l'atteinte à son honneur, à sa réputation et à son image de scientifique, alors, selon le moyen :
1°) qu'en énonçant, pour retenir la responsabilité de l'Institut Pasteur du chef d'une prétendue atteinte à l'honneur, à la réputation et à l'image de scientifique de M. X, que l'Institut Pasteur aurait commis une faute consistant en " des accusations totalement imaginaires, qui attentaient de manière gravissime à son honneur de scientifique et à son honneur tout court, lui imputant même des faits réprimés par la loi pénale " sans vérifier si les conditions particulières de mise en oeuvre de l'action spéciale en réparation des préjudices résultant d'actes de diffamation, régie par la loi du 29 juillet 1881, avaient été respectées, cependant que ce texte d'ordre public est d'application exclusive dès lors qu'est retenue l'existence de propos injurieux ou portant atteinte à l'honneur ou à la considération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard dudit texte ;
2°) qu'en condamnant l'Institut Pasteur à verser à M. X la somme de 50 000 euros au titre de la réparation du dommage qu'il aurait subi du fait d'une prétendue atteinte à son honneur, à sa réputation et à son image de scientifique, après avoir constaté cependant qu'il n'existait aucune preuve de l'existence d'un tel préjudice, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, en conséquence, violé l'article 1382 du code civil ;
3°) que dès lors qu'elle avait relevé que M. X ne produisait aucun élément de nature à lui permettre d'apprécier concrètement l'étendue du préjudice que celui-ci avait subi ni aucune pièce démontrant que sa carrière universitaire ou sa réputation de scientifique aurait eu à en souffrir, la cour d'appel a alloué une indemnité de principe, au lieu de procéder à l'évaluation effective du dommage qu'elle entendait réparer, et ainsi violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt, après avoir relevé que M. X ne démontrait pas que l'attitude de l'Institut serait allée jusqu'à mettre en doute publiquement son rôle dans l'invention, retient que l'atteinte à son honneur a été d'autant plus douloureusement ressentie qu'elle résulte du comportement persévérant d'un organisme aussi réputé que l'Institut qui a cherché de manière délibérée à faire naître un doute sur les qualités d'inventeur de M. X et de celle de copropriétaire du brevet GM3 ; qu'ainsi la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la vérification inopérante, visée par la première branche a constaté l'existence d'un préjudice dont elle a souverainement apprécié le montant ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses première et deuxième branches :
Attendu que la société Eco-Solution fait grief à l'arrêt d'avoir dit que l'Institut lui avait concédé une licence exclusive d'exploitation du brevet GM3 en violation des droits de copropriétaire de M. X, d'avoir dit qu'elle avait commis des actes de contrefaçon en exploitant le brevet GM3, dont elle devait réparation à M. X et de l'avoir condamnée à payer à ce dernier une indemnité provisionnelle, alors, selon le moyen :
1°) qu'une personne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent, dès lors que la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ; qu'ayant constaté que l'Institut Pasteur avait, avec l'accord de M. X, concédé seul une licence exclusive d'exploitation à la société Evologic, que cette dernière avait concédé, toujours avec l'accord de M. X, une sous-licence exclusive à la société Eco-Solution, que la résiliation de la licence octroyée à la société Evologic était intervenue à l'initiative du seul Institut Pasteur et, enfin, que l'article 6-1 du contrat de licence exclusive du 18 août 2003 stipulait que " le concédant déclare et garantit au licencié (…) qu'il est pleinement habilité à lui conférer la licence objet du présent contrat ", la cour d'appel, qui a néanmoins retenu, au vu d'un courrier du 31 juillet 2003 émanant de la société Evologic et faisant allusion à l'existence d'un copropriétaire du brevet appelé à " faire connaître sa position " sur le contrat de licence exclusive envisagé, que la société Eco-Solution n'avait pu légitimement croire aux pouvoirs de l'Institut Pasteur pour conclure le contrat litigieux, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 1984 et 1998 du code civil ;
2°) qu'en toute hypothèse, la lettre recommandée avec avis de réception du 31 juillet 2003, adressée par la société Evologic à la société Eco-Solution indiquait : " Nous faisons suite à votre lettre du 21 juillet 2003 pour vous confirmer que l'Institut Pasteur a en effet pris la décision brusque et abusive de résilier la convention de licence qui le liait à notre société (…). L'initiative de l'Institut Pasteur, qui cause un préjudice considérable à notre société, empêche la poursuite de la collaboration entre nos sociétés dans le cadre de la convention de sous-licence que nous avons conclue et dont il est cosignataire (…). L'Institut Pasteur nous a au contraire informés, avec un empressement surprenant, de sa volonté de concéder directement à votre société un droit d'utilisation du brevet qui était l'objet de la convention de sous-licence conclue entre nos sociétés. Il appartiendra le moment venu au copropriétaire du brevet de faire connaître sa position sur la licence envisagée dont nous considérons que, dans l'hypothèse où elle pourrait être concédée, elle ajouterait au préjudice de notre société " ; qu'en affirmant que ladite lettre " indiquait que les droits du copropriétaire du brevet avaient été méconnus par l'Institut Pasteur lors de la résiliation de la convention de licence exclusive " et " informait la société Eco-Solution de l'existence d'un copropriétaire de brevet dont les droits étaient méconnus ", la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis, en violation de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que c'est par une interprétation rendue nécessaire par l'ambiguïté des termes de la lettre du 31 juillet 2003, antérieure à la conclusion du contrat de licence exclusive entre l'Institut et la société Eco-Solution, que l'arrêt retient que cette dernière avait été informée par la société Evologic SA de l'existence d'un copropriétaire du brevet et de la nécessité de connaître sa position sur la licence envisagée ; qu'ayant ainsi caractérisé les circonstances qui devaient inciter la société Eco-Solution à s'assurer des pouvoirs dont disposait l'Institut pour lui concéder seul un contrat de licence exclusive, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
Déclare irrecevable le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme Z, ès qualités ;
Rejette les pourvois principal et incident ;
Condamne l'Institut Pasteur aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à la société Eco-Solution et à M. X la somme de 2 500 euros chacun ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille onze.