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Décisions

Cass. crim., 14 mai 2014, n° 13-82.180

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Avocat :

SCP Bouzidi et Bouhanna

Amiens, du 15 mars 2013

15 mars 2013

Sur le moyen unique de cassation, proposé pour M. X..., pris de la violation des articles L 626-2, L 626-1, L 626-3, L 626-5, L. 626-6 et L. 626-8 du code de commerce, devenus les articles L 654-1 à L 654-5 du même code, 121-1 et 121-3 du code pénal, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable de banqueroute par détournement d'actif et l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d'amende ;

" aux motifs que, selon l'ordonnance de renvoi rendue par le magistrat instructeur, l'élément matériel de ce délit, reproché à M. Z...en sa qualité d'administrateur, à M. X...en sa qualité de gérant de fait, en réalité gérant de droit comme rappelé dans ses écritures, et à Mme A...en sa qualité de gérant de fait, consiste dans le règlement par la société anonyme des frais de rénovation du château de Francport et, plus généralement, des sommes distinctes de l'objet social, ce qui recouvre en réalité la somme de 345 000 francs remise à M. B...au titre des frais de constitution de la SCI et d'acquisition du château, somme pour laquelle ce dernier a été lui-même renvoyé du chef de recel de banqueroute ; que ce libellé de l'ordonnance de renvoi, visant le règlement de sommes distinctes de l'objet social, exclut de la saisine de la juridiction correctionnelle la cession gratuite du fonds de commerce à la SARL, cet acte consistant, en effet, non pas en un paiement de sommes mais, au contraire, en un potentiel défaut d'encaissement d'un élément d'actif, étant observé, en toute hypothèse, qu'il n'est nullement apporté la preuve que ce fonds, qui n'avait jamais pu faire l'objet d'une exploitation complète et avait généré un important déficit ayant nécessité, dès sa cession, le licenciement de la quasi-totalité du personnel par la SARL, aurait eu une quelconque valeur, fût-ce en y intégrant le montant des immobilisations liées aux travaux ; qu'au fond, l'information a établi que la société anonyme a réglé à M. B..., par chèque tiré le 26 mai 2000 sur son compte de la Société générale, la somme de 345 000 francs au titre des frais de constitution de la SCI et d'acquisition du château et qu'avant même que ce chèque ne soit remis à l'encaissement, la société Saint-Vincent Trust Services a fait virer sur le compte de la société anonyme une somme globale de 399 836, 03 francs ; que, selon le compte rendu du cabinet BDO Gendrot, sur lequel s'appuie M. X...et dont les principales conclusions n'ont pas été remises en cause par le liquidateur lors du procès devant le tribunal de commerce, cette somme de 345 000 francs, portée simultanément au crédit et au débit d'un compte transitoire ouvert dans les livres de la société au nom de M. B..., est sans incidence comptable et financière, de sorte qu'elle ne saurait constituer, malgré le fait incontestable qu'elle ne constitue pas une dette de la société anonyme, un détournement d'actif au préjudice de celle-ci ; qu'il ressort également de l'information que la société anonyme a réalisé pour le compte d'abord de la société Ruislip puis de la société civile immobilière, d'importants travaux de transformation du château du Francport en structure hôtelière de luxe, évalués par les enquêteurs à 1 810 000 francs, dont le financement a été permis grâce à des apports financiers effectués par des sociétés appartenant ou contrôlées par M. X..., eux-mêmes chiffrés à 3 762 000 francs ; que, selon le compte rendu du cabinet BDO Gendrot dont se prévaut M. X..., mais également selon le rapport du cabinet Excom et les constatations des enquêteurs, les travaux ont été facturés à la société anonyme par les différents fournisseurs et ont été portés à l'actif du bilan aux postes immobilisations corporelles et immobilisations en cours, tandis que les sommes « avancées » par les sociétés dans la mouvance de M. X...ont été mentionnées en apports en comptes courants d'associés, encore que lesdites sociétés n'aient pas été des associés au regard des statuts ; que, pour se défendre devant le tribunal de commerce, M. X...a soutenu qu'il existait un mandat de gestion verbal liant les sociétés propriétaires et la société anonyme, expliquant notamment : « les deux parties n'avaient aucune expérience de l'exploitation future de l'établissement pour fixer de manière précise les modalités du mandat de gestion. L'économie de l'opération consistait à ce que dans une phase de démarrage, la société propriétaire consente une franchise ou suspende l'exigence de loyers ou de redevances, en contrepartie de la réalisation de travaux par le locataire, solution classique en matière de relations bailleur/ locataire. De plus, compte tenu des difficultés administratives et donc financières rencontrées dès le démarrage du projet, M. X...ne voulait pas que la société anonyme supporte des obligations financières d'un contrat de gestion ou de bail précaire la conduisant à devoir opérer des reversements (redevances ou loyers quelconques) au propriétaire » ; que devant la juridiction répressive, il invoque tout à la fois une opération de « portage financier » qui aurait été sans incidence préjudiciable pour la société anonyme, voire lui aurait été profitable, et se prévaut également de la passation des opérations dans le cadre d'un groupe de sociétés, ce qui leur retirerait tout caractère délictueux ; que M. X...omet cependant de rappeler que, selon les propres annexes comptables reconstituées à son initiative par le cabinet BDO Gendrot, les comptes courants créditeurs des apporteurs de fonds n'ont pas été débités du montant des travaux facturés à la société anonyme et figurent, sans ce débit, au passif du bilan, au poste « autres dettes », en sorte qu'ils constituent, sur un plan comptable, une créance à l'égard de la société ; que ces travaux n'ont été mis à la charge de la société anonyme ni par un contrat de bail, inexistant en l'occurrence, ni par un mandat de gestion prétendument verbal, dont la réalité ne résulte que des seules affirmations au demeurant contradictoires de M. X...qui ne souhaitait pas que la société anonyme supporte des obligations financières et, dans le même temps, évoquant une réalisation des travaux par le « locataire » en contrepartie d'une franchise de « loyers », ce qui revenait à réintroduire des obligations financières dans les relations contractuelles ; que même si ces travaux ont été portés en immobilisations à l'actif du bilan, leur coût excédant très largement les capacités financières de la société anonyme, dont l'exploitation s'est révélée dès le départ très chaotique et qui ne disposait d'aucune trésorerie pour en assumer le financement ; qu'ainsi, alors qu'ils ne lui incombaient pas contractuellement et auraient dû être supportés par les sociétés propriétaires de l'immeuble, et qu'ils excédaient en outre les capacités financières de la société anonyme, ces travaux réglés par cette dernière, sans imputation comptable aux sociétés de M. X...ayant apporté des fonds, constituent, d'un point de vue strictement comptable, un détournement d'actif au préjudice de la société anonyme dont l'état de cessation de paiement à la date du 1er octobre 1999 a été constaté par le jugement ouvrant sa liquidation judiciaire ; qu'il n'est d'ailleurs pas indifférent de relever qu'une part non négligeable du déficit d'exploitation du premier exercice, tel que reconstitué par BDO, est en rapport avec ces travaux supportés par la société anonyme et que l'opération, en rien assimilable à un « portage financier », comme cela peut être retenu pour les frais dus au notaire B..., est loin d'avoir été profitable à la société anonyme ; que le moyen tiré de ce que les règlements effectués par la société anonyme au profit de la société civile immobilière s'inscrivent dans le cadre d'opérations régulièrement passées au sein d'un groupe de sociétés ne peut qu'être écarté, puisqu'il est avéré que la prise en charge des travaux par la société anonyme excédait les possibilités financières de celle-ci ; que M. X..., qui était le président-directeur général de la société anonyme, par ailleurs propriétaire ou bénéficiaire de l'ensemble des sociétés concernées, revendique pleinement son rôle de dirigeant de droit et doit être déclaré seul responsable du délit de banqueroute par détournement d'actif, étant précisé qu'il n'est pas contestable que son homme de confiance, M. Z..., a toujours agi pour son compte ; que l'élément intentionnel du délit résulte suffisamment de l'extrême désinvolture dont M. X...a fait montre en laissant facturer les travaux au nom de la société anonyme en sachant parfaitement que sa trésorerie était exsangue, et sans prendre la peine de s'assurer de leur affectation comptable aux apporteurs de fonds qui sont ainsi restés créanciers pour la totalité de leurs apports ; qu'il n'est pas non plus inutile de rappeler qu'il a déclaré au magistrat instructeur, lors de sa première comparution, qu'il n'avait jamais consulté les livres de comptes de la société anonyme et se bornait à envoyer l'argent nécessaire par l'intermédiaire des sociétés dépendant de ses trusts, montrant par là que, dans son esprit, il existait une totale confusion de patrimoines entre ces sociétés et la société anonyme, pourtant dotée d'une personnalité juridique distincte ;

" alors qu'en se déterminant par la seule circonstance que la prise en charge du coût des travaux de rénovation du château du Francport ne relevait pas de l'objet social de la SA château du Francport, pour en déduire que les sommes versées à ce titre caractérisent le délit de banqueroute par détournement d'actif, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée par les conclusions d'appel du prévenu, si-nonobstant l'absence de preuve de l'existence d'un bail ou d'un mandat verbal conclu entre la SA SA château du Francport et la SCI SA château du Francport, propriétaire de l'établissement-la prise en charge de ces travaux par la société anonyme n'était pas justifiée et, en définitive, conforme à l'objet social, dès lors qu'elle était la contrepartie d'une renonciation du propriétaire au paiement d'un loyer ou de toute autre somme au titre de l'occupation des lieux par la société anonyme, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour M. Y..., pris de la violation des articles 121-1, 121-3, 226-13 et 226-31 du code pénal, 160 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, 4 et 5 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Y...coupable de violation du secret professionnel ;

" aux motifs que l'article 226-13 énonce que « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende » ; que l'article 160 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991, applicable à l'époque des faits, dispose que « l'avocat, en toute matière, ne doit commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel et doit, notamment, respecter le secret de l'instruction en matière pénale, en s'abstenant de communiquer, sauf à son client pour les besoins de la défense, des renseignements extraits du dossier, ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une information en cours » ; que les dispositions de ce texte de loi ont été reprises par les articles 4 et 5 du décret 2005-790 du 12 juillet 2005 ; qu'en l'espèce, il est établi que M. Y..., qui a assisté Mme A...en cours de garde à vue, avant de devoir renoncer à le faire devant le juge d'instruction en raison d'un conflit d'intérêts, a, d'une part, téléphoné à Me B...qu'il a informé de la garde à vue de Mme A...et de sa présentation au juge d'instruction et, d'autre part, été contacté par MM. Z...et X...qui désiraient savoir ce qu'il se passait et à qui il a expliqué qu'elle était mise en cause pour des faits d'abus de biens sociaux et de blanchiment ; que même si l'information donnée à M. B...peut paraître insignifiante, elle n'était pas moins couverte par le secret professionnel et sa révélation n'était nullement indispensable à la défense de Mme A..., puisque Me Y... pouvait parfaitement demander conseil sur le choix d'un avocat pénaliste dans le ressort de Compiègne sans citer le nom de sa cliente, ni préciser qu'elle avait été placée en garde à vue, mais surtout, que Me Y... a manqué au secret professionnel en acceptant de livrer à MM. Z...et X...l'information selon laquelle Mme A...était mise en cause pour des faits d'abus de biens sociaux et de blanchiment, étant observé qu'il est peu vraisemblable, au demeurant, qu'il ait pu se limiter à cette seule information dès lors que ces derniers l'ont contacté pour savoir ce qu'il se passait et que lui-même n'y a vu aucune malice dans la mesure où il était en charge du dossier civil de M. X...; que comme tout avocat conscient des devoirs de sa charge, il ne pouvait se méprendre sur le caractère absolu du secret professionnel auquel il était tenu, et ne pouvait pas « ne pas se considérer comme le conseil de Mme A..., mais plutôt comme celui de M. X...» ; qu'il y a lieu en conséquence, de réformer le jugement de ce chef, d'entrer en voie de condamnation à l'encontre de M. Y... et de le condamner à une amende de 2 000 euros ;

" 1) alors qu'en relevant que Me Y... a manqué au secret professionnel en acceptant de livrer à MM. Z...et X...l'information selon laquelle Mme A...était mise en cause pour des faits d'abus de biens sociaux et de blanchiment, sans répondre au chef péremptoire de l'argumentation du prévenu, qui faisait valoir qu'il n'avait pas pu assister Mme A...lors de sa première présentation devant le magistrat instructeur, en raison d'un conflit d'intérêt, ce dont il résulte que les informations qu'il aurait rapportées, en cet état, à MM. Z...et X...n'intéressaient pas une « information en cours » au sens de l'article 5 du décret du 12 juillet 2005, puisque les propos litigieux avaient été tenus avant la première comparution et la mise en examen de Mme A..., la Cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

" 2) alors que le délit de violation du secret professionnel est une infraction intentionnelle ; qu'en se bornant à énoncer que l'information donnée à M. B...sur la procédure dont Mme A...faisait l'objet était couverte par le secret professionnel et que sa révélation n'était pas indispensable à la défense de cette dernière, puisque Me Y... aurait pu se borner à demander conseil sur le choix d'un avocat pénaliste sans citer le nom de sa cliente, pour en déduire que le prévenu s'est rendu coupable du délit prévu à l'article 226-13 du code pénal, sans rechercher en quoi cette démarche, à la supposer imprudente, caractérisait la conscience du demandeur de révéler une information couverte par le secret, quand l'intéressé soutenait qu'il avait entendu, en procédant de la sorte, garantir à sa cliente l'assistance d'un avocat spécialisé, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 121-3 du code pénal " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré chacun des prévenus coupable ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze mai deux mille quatorze.