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Décisions

CE, ch. réunies, 25 mai 2022, n° 446692

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Rapporteur :

M. Bendavid

Rapporteur public :

M. Florian Roussel

Avocats :

Sarl Le Prado – Gilbert, SAS Hannotin Avocats

CE n° 446692

25 mai 2022

Vu la procédure suivante :

Mme C... B... et M. A... B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes à leur verser respectivement et à titre provisionnel les sommes de 50 372,25 euros et 3 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis à l'occasion de la prise en charge de Mme B... par cet établissement. Par une ordonnance n° 1902158 du 26 novembre 2019, le président du tribunal administratif de Rennes a condamné le CHU de Rennes à verser, à titre de provision, les sommes de 50 372,25 euros à Mme B... et de 1 000 euros à M. B.... Il a également condamné la société Zimmer GMBH à garantir le CHU de Rennes de ces condamnations.

Par un arrêt n° 20NT00460 du 6 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de la société Zimmer GMBH, annulé cette ordonnance en tant qu'elle condamne cette société à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 novembre et 7 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CHU de Rennes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé-provision, de condamner la société Zimmer GMBH à le garantir des sommes mises, à titre provisionnel, à sa charge par l'ordonnance du 26 novembre 2019 ;

3°) de mettre à la charge de la société Zimmer GMBH la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Joachim Bendavid, auditeur,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier universitaire de Rennes et à la SAS Hannotin avocats, avocat de la société Zimmer GMBH.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 avril 2022, présentée par la société Zimmer GMBH.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... a subi en 2006 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes une intervention chirurgicale consistant en la pose d'une prothèse totale du genou droit. Faisant état de douleurs résiduelles importantes et de troubles fonctionnels, qui ont conduit au remplacement de sa prothèse en juin 2013, elle a, ainsi que son époux, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier au versement d'une provision. Par une ordonnance du 26 novembre 2019, le président du tribunal administratif de Rennes a condamné le CHU de Rennes à verser aux requérants diverses sommes et a, en outre, condamné la société Zimmer GMBH, venant aux droits de la société fabricante de la prothèse, à garantir le centre hospitalier de cette condamnation. Sur appel de la société Zimmer GMBH dirigé contre cette dernière partie de l'ordonnance, la cour administrative d'appel de Nantes a, par l'arrêt du 6 novembre 2020 contre lequel se pourvoit le centre hospitalier, annulé l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif et rejeté la demande de condamnation en garantie dirigée par l'établissement de santé contre la société Zimmer GMBH.

Sur le droit applicable :

2. D'une part, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise, y compris lorsqu'il implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient.

3. D'autre part, aux termes de l'article 1245-15 du code civil, issu de la transposition de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux : «  Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice ». Aux termes de l'article 1245-17 du même code, également issu de cette transposition : « Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. / Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond ».

4. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un établissement de santé a, en raison de ce que sa responsabilité était engagée, en vertu de la règle rappelée au point 2, indemnisé un patient des dommages ayant résulté de l'utilisation, lors de soins pratiqués dans l'établissement, d'un produit de santé défectueux, il a la possibilité de rechercher, à titre récursoire, la responsabilité du producteur de ce produit sur le fondement particulier des dispositions des articles 1245 à 1245-17 du code civil. Il est par ailleurs loisible à l'établissement de santé, s'il s'y croit fondé, d'engager une action récursoire contre le producteur de ce produit en invoquant la responsabilité pour faute de ce dernier.

5. Dans le premier cas, c'est-à-dire lorsqu'elle se fonde sur les articles 1245 à 1245-17 du code civil instaurant le régime spécifique de responsabilité du fait des défauts du produit, il résulte des dispositions citées ci-dessus de l'article 1245-15 du même code que l'action récursoire du centre hospitalier ne peut être exercée contre le producteur du produit que dans un délai de dix ans à compter de la mise en circulation de celui-ci, sauf si la victime a elle-même engagé, dans ce délai, une action visant à la réparation des dommages ayant résulté de l'utilisation de ce même produit.

6. En revanche, lorsque l'établissement de santé engage une action récursoire contre le producteur, non sur le fondement des dispositions des articles 1245 à 1245-17 du code civil, mais sur celui, distinct, de la responsabilité pour faute du producteur, le délai de prescription prévu par l'article 1245-15 du même code ne trouve pas à s'appliquer, ainsi que le rappellent d'ailleurs les termes mêmes de cet article.

Sur le litige :

7. Il résulte des termes de l'arrêt attaqué que, pour juger que la créance du CHU de Rennes contre la société Zimmer GMBH ne présentait pas un caractère non sérieusement contestable, la cour n'a examiné l'engagement de la responsabilité de cette société que sur le fondement des dispositions des articles 1245 à 1245-17 du code civil, c'est-à-dire du régime de responsabilité sans faute du producteur à raison du défaut de son produit.

8. A ce titre, après avoir souverainement relevé que les dommages subis par Mme B... étaient imputables à l'usure prématurée de la prothèse posée en 2006, la cour a jugé que, si cette prothèse comportait ainsi un défaut de nature à ce que la responsabilité de la société Zimmer GMBH soit engagée, à l'égard du centre hospitalier, sur le fondement des dispositions des articles 1245 à 1245-17 du code civil, la créance détenue par cet établissement était prescrite, compte tenu de ce que plus de dix ans s'étaient écoulés depuis la mise en circulation de cette prothèse et de ce que la société n'avait commis aucune faute susceptible de faire obstacle à l'application du délai de prescription de dix ans prévu par l'article 1245-15 du code civil.

9. En recherchant ainsi, pour se prononcer sur l'existence d'une prescription au titre de l'engagement de la responsabilité du producteur sur le fondement des dispositions des articles 1245 à 1245-17 du code civil, si le producteur avait commis une faute de nature à faire obstacle à l'application du délai de dix ans prévu par l'article 1245-15 du même code, alors qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que ni cet article ni aucune autre disposition ne prévoient qu'une faute du producteur puisse, par elle-même, faire obstacle à l'application de la prescription décennale applicable à l'action en responsabilité du fait des défauts du produit, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit. La cour ayant cependant, ainsi qu'il a été dit au point 8, opposé au centre hospitalier la prescription de son action compte tenu de ce que plus de dix ans s'étaient écoulés depuis la mise en circulation de cette prothèse et l'erreur de droit commise ayant ainsi été sans incidence sur la solution retenue, le centre hospitalier n'est pas fondé à soutenir, sans qu'il soit besoin de faire droit à la substitution de motif demandée par la société Zimmer GMBH, que l'arrêt attaqué devrait être annulé en tant qu'il a statué sur l'engagement de la responsabilité de cette société à raison du défaut de son produit.

10. En revanche, en se bornant à rechercher l'existence d'une faute de la société dans le cadre de l'engagement de sa responsabilité à raison du défaut de son produit, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que le centre hospitalier devait être regardé comme demandant par ailleurs, ainsi qu'il lui était loisible de le faire comme il a été dit au point 4, que la responsabilité de la société Zimmer GMBH soit engagée au titre d'une faute, la cour a insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit.

11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, le CHU de Rennes est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il a omis de statuer sur la responsabilité pour faute de la société Zimmer GMBH.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Zimmer GMBH la somme de 3 000 euros à verser au CHU de Rennes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Rennes, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande, au même titre, la société Zimmer GMBH.

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 6 novembre 2020 est annulé en tant qu'il omet de statuer sur la responsabilité pour faute de la société Zimmer GMBH.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 3 : La société Zimmer GMBH versera au CHU de Rennes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi du CHU de Rennes est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la société Zimmer GMBH au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier universitaire de Rennes et à la société Zimmer GMBH.