Cass. crim., 27 octobre 2004, n° 04-81.513
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Ponroy
Avocat général :
M. Finielz
Avocat :
SCP Piwnica et Molinié
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Gilles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9ème chambre, en date du 22 janvier 2004, qui, pour soustraction d'un criminel à l'arrestation ou aux recherches et violation du secret professionnel, l'a condamné à 18 mois d'emprisonnement dont 15 mois avec sursis, 7 000 euros d'amende et 2 ans d'interdiction d'exercice de la profession d'avocat ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4 et 434-6 du Code pénal, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilles X... coupable de soustraction d'un criminel à l'arrestation ou aux recherches ;
" aux motifs qu'il résulte de l'analyse des propos tenus par Me X... à Bernard Y... que le premier communiquait des renseignements destinés à éviter au second son arrestation par les services de police ; que le secret professionnel étant absolu et d'ordre public, Me X... ne pouvait, sans trahir ses obligations professionnelles, révéler à un tiers, (Bernard Y...) fût-ce à la demande de son client (Thierry Z...), le contenu de leur entretien, le rôle de l'avocat, auxiliaire de justice, ne pouvant être assimilé à celui d'un "commissionnaire", alors surtout que sa "mission" consistait en l'espèce à éviter l'arrestation d'un autre délinquant ; il n'est pas sans intérêt de relever à cet égard que Bernard Y..., parlant de Me X..., le surnommait "le chirurgien" et avait tenu à son égard les propos suivants enregistrés au cours d'une écoute téléphonique : "lui, il fait les commissions ; il fait tout" ; que la violation du secret professionnel est donc caractérisée à l'encontre du prévenu ; qu'il résulte en outre des éléments du dossier que, contrairement à ses déclarations, Me X... savait parfaitement que Bernard Y... était impliqué dans la procédure criminelle d'importation en bande organisée de produits stupéfiants qui concernait également Thierry Z... ; qu'en effet, si le dossier qu'il a consulté était incomplet en ce qu'il ne comportait pas le retour de l'ensemble des commissions rogatoires du juge d'instruction, ni le contenu de l'intégralité des écoutes téléphoniques, le réquisitoire supplétif, concernant Thierry Z... qui se trouvait nécessairement au dossier visait expressément le procès-verbal 9601055 de la DRPJ de Versailles (D.190 à D.288), c'est-à-dire l'ensemble des investigations effectuées par les services de police ayant conduit à l'interpellation de Thierry Z..., lesquelles comprenaient notamment : - l'audition de Melle A..., répondant aux policiers qu'elle ne connaissait pas Bernard Y... dont le nom était expressément évoqué par ceux-ci ; - l'audition d'un nommé B..., questionné par les policiers sur un surnommé "Nanard" qui se nommerait Bernard Y... ; - le procès-verbal de perquisition de la Mercédès conduite par Thierry Z... mentionnant qu'un contrat d'assurance concernant une Porsche Carrera dont le conducteur est un nommé Bernard C... avait été trouvé dans la boîte à gants ; - enfin, figurait également dans le dossier la commission rogatoire du 21 novembre 1995 transmise le 11 avril 1996, faisant état d'une réponse de l'OCTRIS sur Bernard Y... et rappelant les antécédents judiciaires de ce dernier ;
qu'il est ainsi démontré qu'une partie des renseignements donnés par Me X... à Bernard Y..., provenait du dossier de l'instruction auquel il a eu accès avant la première comparution de son client devant le juge d'instruction ; en communiquant à un tiers ces informations qui étaient couvertes par le secret de l'instruction, Me X... s'est rendu coupable de violation du secret professionnel et notamment de l'instruction dont le respect s'impose à l'avocat en application de l'alinéa 2 de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991 ; que les éléments ci-dessus relevés révélaient en outre que Bernard Y... était recherché dans le cadre de la procédure criminelle pour laquelle Thierry Z... était lui-même mis en examen ; Me X..., en fournissant à Bernard Y... les éléments dont disposait la police, à son encontre, lui a donné les moyens de se soustraire à son arrestation, laquelle n'est d'ailleurs intervenue qu'en décembre 1997 ;
" 1 ) alors qu'il résulte du principe de la présomption d'innocence qu'une décision de condamnation ne peut reposer que sur des constatations de fait certaines ; que la cour d'appel a déduit l'éventualité de la connaissance par Me X... de l'implication comme auteur ou comme complice d'un fait qualifié crime de Bernard Y..., bénéficiaire des renseignements qu'il lui a donnés par téléphone, de la présence prétendument "nécessaire" dans le dossier qu'il avait été amené à consulter en sa qualité d'avocat de Thierry Z... d'un procès-verbal de police visé par le réquisitoire supplétif mentionnant ce dernier alors que cette présence était purement hypothétique dès lors qu'il était expressément constaté que le dossier n'était pas complet sans que soit au demeurant précisé son contenu précis et qu'ainsi il résulte des propres motifs de l'arrêt attaqué que la cour d'appel a fondé sa décision de condamnation sur une constatation de fait incertaine en violation du principe susvisé ;
" 2 ) alors qu'il résulte des dispositions combinées des articles 111-4 et 434-6 du Code pénal que le délit de soustraction d'un criminel à l'arrestation ou aux recherches par fourniture de renseignements issus d'une procédure pénale par nature secrète n'est constitué à l'encontre d'un avocat en ses éléments matériel et intentionnel qu'autant que les renseignements en cause ont été donnés par cet auxiliaire de justice à une personne dont il savait qu'elle était auteur ou complice d'une infraction déterminée qualifiée crime par la loi et que la cour d'appel, qui constatait expressément qu'à la date à laquelle Me X... avait, en sa qualité d'avocat de Thiery Z..., consulté le dossier incomplet mis à sa disposition par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Versailles, puis en avait communiqué certains éléments à Bernard Y..., ce dossier ne mettait en évidence aucun indice de culpabilité à l'encontre du bénéficiaire des renseignements mais simplement de simples suspicions émanant d'un procès- verbal de police à l'encontre du bénéficiaire des renseignements, essentiellement fondées sur les antécédents judiciaires de celui-ci, insusceptibles en tant que telles de mettre en évidence son éventuelle qualité d'auteur ou de complice d'une infraction qualifiée crime, ne pouvait, sans contredire les éléments du dossier et notamment le contenu de ce procès-verbal de police, affirmer que Me X... savait parfaitement que Bernard Y..., destinataire des renseignements, était impliqué dans la procédure criminelle d'importation en bande organisée de produits stupéfiants qui concernait également Thierry Z... et en déduire qu'en lui donnant les moyens de se soustraire à son arrestation, cet auxiliaire de justice avait commis le délit de recel de malfaiteur " ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4 et 226-13 du Code pénal, 388, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilles X... coupable de violation du secret professionnel ;
" aux motifs qu'il n'est pas contesté que les confidences reçues de Thierry Z... par Me X..., lors de leur entretien avant la première comparution devant le juge d'instruction (au cours de laquelle le mis en examen a demandé un débat différé, le dossier étant incomplet) l'ont été dans le cadre de l'exercice de sa profession d'avocat et sont dès lors soumises au secret professionnel auquel sont tenus les avocats, en application de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991 ; que le secret professionnel étant absolu et d'ordre public, Me X... ne pouvait, sans trahir ses obligations professionnelles, révéler à un tiers (Bernard Y...) fût-ce à la demande de son client (Thierry Z...) le contenu de leur entretien, le rôle de l'avocat, auxiliaire de justice, ne pouvant être assimilé à celui d'un "commissionnaire" alors surtout que sa "mission" consistait en l'espèce à éviter l'arrestation d'un autre délinquant ; qu'il n'est pas sans intérêt de relever à cet égard que Bernard Y..., parlant de Me X..., le surnommait "le chirurgien" et avait tenu à son égard les propos suivants enregistrés au cours d'une écoute téléphonique : "lui, il fait les commissions ; il fait tout " ;
" 1 ) alors que les juges ne peuvent légalement statuer que sur les faits visés dans l'ordonnance de renvoi ou la citation qui les a saisis sauf comparution volontaire du prévenu, dûment constatée par eux, sur des faits distincts ; que l'ordonnance de renvoi reproche à Me X... d'avoir violé le secret de l'instruction pour avoir communiqué à Bernard Y... des données de la procédure pénale qu'il avait consultée en sa qualité d'avocat de Thierry Z... ; que Me X... faisait valoir pour sa défense devant les juges du fond que les informations qu'il avait communiquées provenaient non du dossier de la procédure mais des renseignements que lui avait directement fournis Thierry Z... avant sa première comparution ; que ce moyen de défense n'impliquait pas l'acceptation de comparaître sur le fait distinct de violation du secret professionnel par manquement par avocat de l'obligation de taire les secrets confiés par son client et qu'en entrant dès lors en voie de condamnation à son encontre pour ce fait distinct de celui strictement visé par la prévention, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé et, ce faisant, excédé ses pouvoirs ;
" 2 ) alors que la méconnaissance des règles déontologiques même élémentaires et la violation de l'obligation au secret professionnel par l'avocat sont deux questions distinctes ; que l'obligation de respecter le secret professionnel implique nécessairement la transmission à un tiers d'une information révélée sous le sceau du secret et que par conséquent, la transmission, interdite par le Code de déontologie, par un avocat, à un tiers, d'une information recueillie au cours d'un entretien avec un client pénalement poursuivi mais confiée pour être transmise, se trouve exclue du champ d'application de l'article 226-13 du Code pénal compte tenu du principe de l'application stricte de la loi pénale " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 226-13 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilles X... coupable de violation du secret professionnel par violation du secret de l'instruction ;
" aux motifs qu'il résulte en outre des éléments du dossier que, contrairement à ses déclarations, Me X... savait parfaitement que Bernard Y... était impliqué dans la procédure criminelle d'importation en bande organisée de produits stupéfiants qui concernait également Thierry Z... ;
qu'en effet, si le dossier qu'il a consulté était incomplet en ce qu'il ne comportait pas le retour de l'ensemble des commissions rogatoires du juge d'instruction, ni le contenu de l'intégralité des écoutes téléphoniques, le réquisitoire supplétif, concernant Thierry Z... qui se trouvait nécessairement au dossier visait expressément le procès-verbal 9601055 de la DRPJ de Versailles (D.190 à D.288), c'est-à-dire l'ensemble des investigations effectuées par les services de police ayant conduit à l'interpellation de Thierry Z..., lesquelles comprenaient notamment : - l'audition de Melle A..., répondant aux policiers qu'elle ne connaissait pas Bernard Y... dont le nom était expressément évoqué par ceux-ci ; - l'audition d'un nommé B..., questionné par les policiers sur un surnommé "Nanard" qui se nommerait Bernard Y... ; - le procès-verbal de perquisition de la Mercédès conduite par Thierry Z... mentionnant qu'un contrat d'assurance concernant une Porsche Carrera dont le conducteur est un nommé Bernard C... avait été trouvé dans la boîte à gants ; - enfin, figurait également dans le dossier la commission rogatoire du 21 novembre 1995 transmise le 11 avril 1996, faisant état d'une réponse de l'OCTRIS sur Bernard Y... et rappelant les antécédents judiciaires de ce dernier ;
qu'il est ainsi démontré qu'une partie des renseignements donnés par Me X... à Bernard Y..., provenait du dossier de l'instruction auquel il a eu accès avant la première comparution de son client devant le juge d'instruction ; en communiquant à un tiers ces informations qui étaient couvertes par le secret de l'instruction, Me X... s'est rendu coupable de violation du secret professionnel et notamment de l'instruction dont le respect s'impose à l'avocat en application de l'alinéa 2 de l'article 160 du décret du 27 novembre 1991 ; que les éléments ci-dessus relevés révélaient en outre que Bernard Y... était recherché dans le cadre de la procédure criminelle pour laquelle Thierry Z... était lui-même mis en examen ; Me X..., en fournissant à Bernard Y... les éléments dont disposait la police, à son encontre, lui a donné les moyens de se soustraire à son arrestation, laquelle n'est d'ailleurs intervenue qu'en décembre 1997 ;
" alors qu'il résulte du principe de la présomption d'innocence qu'une décision de condamnation ne peut reposer que sur des constatations de fait certaines ; que le délit de violation du secret professionnel par violation du secret de l'instruction imputé à un avocat suppose que celui-ci ait révélé des informations dont il a eu connaissance par consultation du dossier de l'instruction et que la cour d'appel qui, tout en constatant que le dossier consulté par Me X... était incomplet, a cru pouvoir affirmer qu'une partie des renseignements donnés par lui à Bernard Y... provenait du dossier de l'instruction auquel il avait eu accès avant la première comparution de son client Thierry Z... devant le juge d'instruction, en se fondant sur la double hypothèse de la présence dans le dossier, d'une part, du réquisitoire supplétif concernant Thierry Z... et, d'autre part, du procès-verbal de police n° 9601055 visé par ce réquisitoire, présence qualifiée par elle de "nécessaire" mais ne relevant d'aucune constatation certaine, ne permet pas à la Cour de cassation de s'assurer de la légalité de sa décision" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer Gilles X... coupable de violation du secret professionnel, l'arrêt énonce que cet avocat, qui avait, dans le cadre de l'exercice de sa profession, reçu des confidences de son client ne pouvait, sans trahir le secret professionnel, révéler à un tiers, fût-ce à la demande de son client, le contenu de leur entretien ; que les juges ajoutent qu'en communiquant à un tiers des informations provenant du dossier de l'instruction auquel il avait eu accès, Gilles X... s'est encore rendu coupable de violation du secret professionnel ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance et de contradiction, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel a, sans excéder les limites de sa saisine, caractérisé en tous ses éléments le délit de violation du secret professionnel, dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
Qu'en effet, aux termes de l'article 160, alinéa 1er, du décret du 27 novembre 1991, l'avocat, en toute matière, ne doit commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus.