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Décisions

Cass. com., 14 mai 1996, n° 94-11.124

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Vigneron

Avocat général :

M. Raynaud

Avocat :

Me Foussard, Vuitton

Riom, du 25 nov. 1993

25 novembre 1993

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les époux X... ont fait donation le 19 mai 1984 à leurs 5 enfants et beaux-enfants (les consorts X...) de plusieurs parcelles de terrains ; que M. X... a été placé en novembre suivant en état de règlement judiciaire, ultérieurement converti en liquidation des biens ; que les 7, 12 et 14 octobre 1985 ils ont vendu un autre terrain à leurs enfants ; que le 29 janvier 1987 la procédure collective a été clôturée pour insuffisance d'actif ; que, par assignation du 3 octobre 1991, les receveurs principaux des Impôts de Clermont-Ferrand Nord-Ouest et Sud-Ouest ont demandé que ces mutations leur soient déclarées inopposables sur le fondement de l'article 1167 du Code civil ; que le tribunal de grande instance a déclaré recevables et fondées les demandes ; que le jugement a été confirmé par la cour d'appel en ce qui concerne l'action du receveur principal de Clermont-Ferrand Nord-Ouest, mais infirmé en ce qui concerne le receveur principal de Clermont-Ferrand Sud-Ouest dont la demande a été déclarée prescrite ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident des consorts X... :

Attendu que les consorts X... reprochent à l'arrêt, confirmatif sur ce point, d'avoir accueilli la demande et déclaré inopposable, au receveur principal de Clermont-Ferrand Nord-Ouest les actes de donation et de mutation litigieux, alors, selon le pourvoi, qu'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée ne peut être remise en cause ; qu'en l'espèce, les actes de donation et la vente litigieux ont été autorisés par ordonnance du juge-commissaire de la procédure collective en date du 30 septembre 1985, définitive ; que, dès lors, en révoquant les actes litigieux, l'arrêt attaqué a méconnu l'autorité de la chose jugée de l'ordonnance susvisée, en violation de l'article 1351 du Code civil ;

Mais attendu que l'action paulienne ne porte pas atteinte à l'acte frauduleux qui demeure valable entre le débiteur auteur et le tiers complice de la fraude ; qu'il s'ensuit que l'autorité de l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente ne peut se trouver affectée par la décision d'inopposabilité que prononcera le juge saisi de l'action paulienne ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que les consorts X... reprochent aussi à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait en ce qui concerne la mutation intervenue en octobre 1985, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, lorsque l'objet d'un acte frauduleux a été aliéné, l'action paulienne doit être exercée contre le sous-acquéreur ; que, dès lors, en l'espèce, en estimant que l'attrait en la procédure du sous-acquéreur n'était pas nécessaire, l'arrêt a violé l'article 1167 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en estimant suspecte la différence de prix entre la vente du terrain des parents X... à leurs enfants le 14 octobre 1985 (5 000 francs) et la vente de ce même terrain le 31 décembre 1985 aux époux Y... (75 000 francs), sans répondre à leurs conclusions faisant valoir que la différence de prix était justifiée par le fait que la parcelle, inconstructible lors de la vente du terrain à eux consentie par leurs parents, l'était devenue au moment de sa revente, l'arrêt a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu'en se bornant à relever que leurs parents avaient recherché à rendre inefficaces toutes poursuites à leur encontre, sans rechercher s'ils avaient pu avoir une connaissance suffisante du principe de la créance fiscale, l'arrêt attaqué a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt retient justement que, les demandeurs à l'action ne prétendant pas que les sous-acquéreurs aient été de mauvaise foi et ne réclamant pas la réintégration du bien dans le patrimoine de leur débiteur, la présence à l'instance des époux Y... n'était pas nécessaire ;

Attendu, d'autre part, qu'appelants du jugement qui avait énoncé qu'ils n'avaient produit aucune pièce justifiant un éventuel changement du plan d'occupation des sols ayant affecté la situation juridique du terrain les consorts X... n'ont produit devant la cour d'appel aucune preuve, ni offert en leurs écritures de justifier leurs prétentions sur ce point ;

Attendu, enfin, que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt relève que les consorts X..., enfants majeurs, vivaient au domicile de leurs parents : que leur père faisait alors l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, que le prix de leur achat était " manifestement dérisoire " ; que la revente a été faite à un prix quinze fois plus élevé quelques mois plus tard ; que la vente et la revente ont été passées par deux notaires différents ; que, de ces constatations, la cour d'appel a retenu souverainement que les consorts X... s'étaient rendus complices de la fraude reprochée à leurs parents ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que les consorts X... font enfin grief à l'arrêt d'avoir déclaré inopposable au Trésor la donation du 13 mai 1984, alors, selon le pourvoi, d'une part, que dans leurs conclusions d'appel ils avaient soutenu que les parcelles objet de la donation étaient la propriété de Mme X... ; qu'en conséquence elles ne se trouvaient pas dans le patrimoine du débiteur, les époux étant mariés sous le régime de la séparation de biens ; que, dès lors, en ne répondant pas aux écritures précitées l'arrêt a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'en ne recherchant pas s'ils avaient eu une connaissance suffisante du principe de la créance fiscale, et si la modicité de la valeur des parcelles n'écartait pas l'intention frauduleuse, l'arrêt a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que le jugement avait exclu du cadre de l'action les parcelles qui appartenaient en propre à Mme X..., ne la déclarant fondée que pour celles qui étaient tombées dans la société d'acquêts existant entre les époux ; que dans leurs écritures d'appel les consorts X... n'ont pas soutenu que ces dernières aient également appartenu en propre à leur mère ; que la première branche manque en fait ;

Attendu, d'autre part, que le créancier n'a pas à démontrer la complicité du tiers acquéreur à titre gratuit, celle-ci étant présumée sans que le bénéficiaire de l'acte puisse être admis à faire tomber cette présomption ; que, dès lors, la cour d'appel n'était pas tenue d'effectuer la recherche inopérante dont fait état la seconde branche ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur la recevabilité du pourvoi principal, en tant que formé par le receveur principal de Clermont-Ferrand Nord-Ouest :

Attendu que l'arrêt attaqué n'a pas déclaré prescrite son action ; qu'il s'ensuit qu'il n'a pas d'intérêt à se pourvoir contre cette décision ;

Mais sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi principal, en tant que formé par le receveur principal de Clermont-Ferrand Sud-Ouest :

Vu les articles 1167 et 2262 du Code civil, L 274 et L 275 du Livre des procédures fiscales et 35 de la loi du 13 juillet 1967 ;

Attendu que, pour déclarer prescrite l'action paulienne exercée par le receveur principal de Clermont-Ferrand Sud-Ouest, l'arrêt, après avoir énoncé, exactement, que la suspension des poursuites individuelles ne peut s'appliquer qu'aux actions des créanciers contre le débiteur et non à celles concernant des tiers et que, malgré l'ouverture d'une procédure collective contre le débiteur, les créanciers peuvent agir contre le tiers qui a traité avec celui-ci pour faire déclarer inopposable l'acte frauduleux conclu entre eux, retient que la prescription a commencé à courir à compter de la date à laquelle sont intervenus les actes contestés et que la créance fiscale n'a donné lieu qu'à la délivrance d'un avis à tiers détenteur au centre des chèques postaux le 12 juillet 1990, soit plus de 4 ans après le dernier acte litigieux ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, dès lors que l'action exercée par les créanciers pour attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits est soumise à la prescription trentenaire de droit commun, sans rechercher si, en l'espèce, le droit d'agir de l'Administration, conditionné par l'existence de la créance fiscale et relevant comme tel de la prescription particulière édictée par les articles L 274 et L 275 du Livre des procédures fiscales, n'avait pas bénéficié des causes d'interruption liées aux opérations de la procédure collective ouverte à l'égard du redevable de l'impôt, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi principal mais seulement en tant que formé par le receveur principal de Clermont-Ferrand Nord-Ouest ;

REJETTE le pourvoi incident formé par les consorts X... contre les dispositions de l'arrêt afférentes à la demande du receveur principal de Clermont-Ferrand Nord-Ouest ;

CASSE ET ANNULE, l'arrêt en ce qu'il a déclaré prescrite l'action exercée contre les consorts X... par le receveur principal de Clermont-Ferrand Sud-Ouest, l'arrêt rendu le 25 novembre 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.