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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 1 juin 2022, n° 21/12106

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Mareli (SARL)

Défendeur :

EG Retail France (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bala

Conseillers :

Mme Gil, M. Roulaud

T. com. Paris, du 3 avr. 2017, n° 201306…

3 avril 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La société BP France a conclu en novembre 2004 avec la société EMP, dont les porteurs de parts sont M. et Mme Z., un contrat type pour mise en location-gérance d'une station-service à Marcoussis, comprenant un mandat de distribution de carburant BP et la location-gérance des activités annexes.

Par acte sous seing privé du 12 septembre 2006, la société BP a conclu avec la société Mareli, dont la gérante était Mme Elisabeth Z., un contrat type de mise en location-gérance d'une station-service sise sur [...], comprenant pareillement un mandat de distribution de carburant, et la location gérance des activités annexes.

Le 10 décembre 2012, la société Delek, venant aux droits de la société BP a informé la société Mareli et la société EMP, de son intention de rompre les relations contractuelles. Cette intention était confirmée par courriers le 8 mars 2013.

La société Mareli contestant les conditions financières de cette résiliation, notamment, l'absence de prise en compte des pertes d'exploitation de l'activité de vente de carburants, a assigné la société EFR France (nouvelle dénomination de la société Delek France), devant le tribunal de commerce de Paris, par acte du 6 novembre 2013.

Par jugement en date du 3 avril 2017 le tribunal de commerce de Paris a :

- Dit que les renonciations aux dispositions des articles 1999 et 2000 mentionnées au contrat de location-gérance sont régulières et font la loi des parties;

- Débouté la société Mareli de ses demandes visant les pertes sur mandat;

- Débouté la société Mareli de sa demande au visa de l'article L. 442-6 1 5° du code de commerce;

- Condamné la société Mareli à payer à la société EFR France la somme de 583,55 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date du jugement avec anatocisme, au titre de l'apurement des comptes, et ordonné à la société EFR France, une fois cette somme reçue, de donner mainlevée de la garantie à première demande du Crédit du Nord donnée en début de contrat à la société BP si elle lui a été transférée;

- Dit n'y avoir lieu à appliquer les dispositions de l'article 700 CPC;

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif;

- Ordonné l'exécution provisoire sans caution;

- Condamné la société Mareli aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 153,96 € dont 25,22€ de TVA.

Par déclaration en date du 24 avril 2017, la société Mareli a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt en date du 23 janvier 2019, la cour d'appel de Paris, statuant publiquement et contradictoirement, a :

- Infirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a ordonné à la société EFR France de donner main-levée de la caution à première demande au Crédit du Nord, donnée en début de contrat à la société BP, si elle lui a été transférée;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- Condamné la société EG Retail France anciennement dénommée EFR France à payer à la société Mareli la somme de 12 000 € à titre de dommages intérêts pour rupture brutale de la relation contractuelle,

- Débouté la société Mareli de sa demande de condamnation sous astreinte de la société EG Retail France à donner main levée de la garantie à première demande;

- Débouté la société Mareli de sa demande de condamnation de la société EG Retail France à des dommages-intérêts pour défaut de main-levée de cette garantie à première demande;

- Ordonné à la société Mareli de produire aux débats :

- Les liasses fiscales complètes au titre des exercices clos les 30 septembre 2008, 2009, 2011, et 2012,

- Le PV d'AG d'approbation des comptes annuels au titre des exercices clos les 30 septembre 2008, 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013,

- Les délibérations et/ou décisions du co-associé fixant la rémunération de Mme Elisabeth Z. au sein de la société Mareli au titre des mêmes exercices,

- Tout document utile à établir le montant des rémunérations et avantages en nature (traitement et salaire, rémunération TNS, retraite complémentaire Madelin, versement en comptes-courant d'associés, remboursement de frais) perçues par M. Marek Z. ou Mme Elisabeth Z. ou M. Paul Z. au sein de la société Mareli pour la même période.

- Ordonné une expertise et commis pour y procéder M. Thierry B., expert-comptable, [...] 75008, avec mission de :

- dire si l'exploitation de la station-service donnée en location gérance était déficitaire et préciser depuis quelle date,

- dire s'il existait dans le même temps des pertes d'exploitation sur l'activité de vente de carburants sous mandat et dans l'affirmative, les chiffrer et en déterminer dans la mesure du possible les causes et l'origine (insuffisance des commissions versées, insuffisance du montant du prix des carburants ne permettant pas de faire face à la concurrence, augmentation de la redevance ou fautes éventuelles de gestion),

- faire le compte entre les parties pour la période du 6 novembre 2008 (soit 5 ans avant l'assignation du 6 novembre 2013) au 13 juin 2013 (date de la restitution de la station-service);

- Sursis à statuer sur le surplus des demandes;

- Réservé les dépens.

Sur pourvoi de la société EG Retail France la cour de cassation, par arrêt du 17 mars 2021, a :

- Cassé et annulé, sauf en ce qu'il condamne la société EG Retail France, anciennement dénommée EFR France, à payer à la société Mareli la somme de 12 000€ à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation contractuelle, l'arrêt rendu le 23 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris;

- Remis, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les ont renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée;

- Laissé à chacune des parties la charge de ses dépens;

- En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes.

Selon la cour de cassation,

11. Pour déterminer le montant des pertes financières de la société Mareli liées à la seule vente de carburants et leur imputabilité, l'arrêt, après avoir relevé que les documents fournis par cette société établissent la réalité de telles pertes et énoncé que seules les fautes commises dans leur gestion par les exploitants à l'origine des pertes d'exploitation dans le cadre de l'exécution du mandat sont de nature à exonérer le mandant de sa responsabilité, retient qu'il ne peut sérieusement être reproché aux gérants aucune faute de gestion et qu'il convient d'ordonner une mesure d'expertise pour permettre, notamment, de déterminer si ces pertes sont dues à la politique de prix suivie par la société pétrolière, aux conditions qu'elle lui a imposées ou à une éventuelle faute de gestion de l'exploitant.

12. En statuant ainsi, par des motifs contradictoires, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé.

En raison de l'annulation de l'arrêt, l'expert judiciaire Thierry B. a déposé son rapport en l'état le 6 mai 2021.

Par déclaration de saisine du 21 juin 2021, la Cour a été saisie sur renvoi.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 mars 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Vu les dernières conclusions déposées le 25 février 2022, par lesquelles la Société Mareli, appelante, demande à la Cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à EG Retail France de donner mainlevée de la garantie à première demande au Crédit du Nord.

Statuant à nouveau

- Juger la Société Mareli recevable en ses demandes.

- Juger que la société EG Retail France ne peut pas mettre à la charge de la Société Mareli les pertes du mandat dont cette dernière n'avait pas la maîtrise.

- Juger que EG Retail France ne peut pas se prévaloir de la clause de renonciation aux articles 1999 et 2000 du code civil, dans la mesure où elle conservait la maîtrise de la fixation des prix, horaires d'ouverture de la station, modalités de livraisons, quantités, stockage, moyens de paiement, modalités de reversement de la recette, etc.

En conséquence,

- Condamner EG Retail France à verser à la Société Mareli la somme globale de 832.484 € au titre du cumul des pertes du mandat essuyées pour les exercices 2008/2009 à 2011/2012,

- Juger que ces sommes produiront intérêts légaux avec capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil à compter du 1 er juin 2013, date de réception de la mise en demeure pour les pertes du mandat essuyées pour les exercices 2008 à 2012.

- Condamner EG Retail France à verser à la Société Mareli la somme de 161.216 € au titre des pertes du mandat essuyées pour l'exercice 2012/2013.

- Dire que cette somme produira intérêts légaux avec capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil à compter du 7 novembre 2017.

- Débouter EG Retail France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner EG Retail France à apurer les comptes entre les parties et de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à EFR France de donner mainlevée de la caution donnée par le Crédit du Nord pour le compte de la société Mareli y ajoutant une astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir et de condamner EFR à lui payer la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts à ce titre.

- Condamner EG Retail France à verser à la société Mareli la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du CPC; ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont les frais d'expertise.

- Dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l'article 1154 du Code Civil à compter de la demande.

Vu les dernières conclusions déposées le 11 mars 2022, par lesquelles la S.A.S.U. EG Retail France, intimée, demande à la Cour de :

Sur la demande de remboursement des prétendues pertes au titre du mandat

A Titre Principal

- Juger que la société Mareli a valablement renoncé aux anciens articles 1999 et 2000 du Code civil, lesquels ne sont pas d'ordre public;

- Juger que la renonciation aux anciens articles 1999 et 2000 du Code civil n'est pas en contradiction avec les AIP;

- Juger que la société Mareli n'établit pas que les conditions dont le mandant aurait conservé la maîtrise seraient la cause exclusive des pertes dont la société Mareli ès qualités de mandant demande l'indemnisation;

- Juger que la société Mareli n'est pas fondée à soutenir que ses pertes trouvent leur cause dans une faute qu'aurait commise EG Retail France dans la fixation du prix des carburants;

En conséquence,

- Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 3 avril 2017 en ce qu'il a jugé que les renonciations aux dispositions des anciens articles 1999 et 2000 du Code civil mentionnées dans le Contrat de location-gérance sont régulières et font la loi des parties;

- Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 3 avril 2017 en ce qu'il a débouté la société Mareli de l'ensemble de ses demandes visant les pertes prétendument causées par EG Retail France;

A Titre Subsidiaire

- Juger qu'en refusant de restituer les recettes carburant à la résiliation du contrat de location gérance, la société Mareli a commis des fautes de gestion qui font obstacle à toute indemnisation;

- Juger qu'en poursuivant l'exécution d'un mandat prétendu déficitaire par la prétendue faute exclusive du mandant pour solliciter réparation des pertes rétroactivement sollicitées sur plusieurs années, la société Mareli a commis des fautes de gestion qui font obstacle à toute indemnisation;

- Juger que la société Mareli n'apporte pas la preuve certaine des prétendues pertes cumulées au titre du mandat;

- Juger que le fonds de commerce donné en location-gérance constitue un tout indivisible;

En conséquence,

- Débouter la société Mareli de l'ensemble de ses demandes d'indemnisation des pertes subies par elle au titre de l'exécution du mandat ainsi que le paiement de la prime de fin de contrat;

A Titre infiniment Subsidiaire

- Juger que la société Mareli est mal fondée en ses griefs à l'encontre du rapport de l'Expert judiciaire du 6 mai 2011 et notamment de son chiffrage des pertes liées au mandat à 348.376 € (cf. rapport p. 34);

- Juger EG Retail France bien fondée en sa contestation des montants affectés par l'Expert aux activités diverses;

- Juger bien fondées les contestations de EG Retail France sur les modalités d'imputation à l'activité mandat des postes relatifs au loyer variable, frais bancaires et à la masse salariale;

- Juger EG Retail France bien fondée en ses prétentions relatives aux montants devant être affectés aux activités diverses, à savoir :

- la somme de 144.180,15 € au titre de la masse salariale devant être exclusivement affectée aux activités diverses;

- la somme de 80.124,25 € au titre des loyers devant être affectée exclusivement aux activités diverses;

- la somme de 53 867,90 € au titre des frais relatifs aux traitements des cartes bancaires devant être affectée exclusivement aux activités diverses.

En conséquence,

- Débouter la Société Mareli de sa demande de condamnation à l'encontre de EG Retail France, à titre principal, au paiement de la somme de 832.484 € au titre du cumul des pertes du mandat essuyées pour les exercices 2008 à 2012 et 161.216 € au titre des pertes du mandat essuyées pour l'exercice 2013;

- Arrêter les pertes au titre du mandat à 70.203,70 €;

Sur la demande relative à la restitution de la caution

- Débouter la société Mareli de sa demande de condamnation de EG Retail France à ordonner à EG Retail France de donner mainlevée de la caution donnée par le Crédit du Nord pour le compte de la société Mareli y ajoutant une astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir et de condamner EG Retail France à lui payer la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts à ce titre;

En tout état de cause

- Condamner la société Mareli au paiement de la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

La position des parties peut être résumée comme suit.

Malgré sa renonciation dans le contrat au bénéfice des articles 1999 et 2000 du code civil, la société Mareli affirme que les commissions allouées par les mandants successifs ne permettaient pas de couvrir les charges d'exploitation liées à la vente de leurs carburants de sorte que le principe d'indemnisation des pertes des mandataires ne disposant pas de la liberté de fixer les prix à la pompe doit s'appliquer car elle n'a pas pu renoncer valablement aux pertes du mandat dont elle n'avait pas la maîtrise.

Pour fixer le montant des pertes, la société appelante affirme que l'activité de vente de carburants doit être isolée dans les comptes, des activités de vente annexes, ce qui justifiait une expertise. Le rapport déposé en l'état du fait de l'arrêt de cassation partielle a évalué les pertes du mandat de la société Mareli à la somme globale de 348.376€, ce que l'appelante conteste sur plusieurs points, notamment du fait que l'expert a retenu une clé de répartition de 35% d'affectation au mandat des charges de l'ensemble comprenant la location-gérance. C'est pourquoi, elle propose de retenir la ventilation réalisée par son expert-comptable, soit les commissions imputées à 100%, et les différences en caisse et reprise de provisions à hauteur de 90.89% (ratio des ventes Carburants/Autres). Concernant les charges, elle propose d'imputer à 100% au mandat la redevance pétrolière, les frais de caution, les pertes physiques de carburant, les grivèleries, à 90.89% au mandat les frais financiers, les frais de téléphonie, les différences en caisse en moins, les créances irrécouvrables, à 80% au mandat l'électricité, les produits d'entretien de la station, les salaires et charges afférentes, l'assurance multirisque, à 50% au mandat l'eau, les honoraires comptables et sociaux et à 20% au mandat l'impôt sur les sociétés imputé à en raison de la faiblesse des commissions qui ne représentaient que 35% des revenus de l'exploitant.

La société Mareli soutient qu'il faut procéder à un apurement des comptes car de nombreuses autres sommes viennent se compenser sur le compte de l'exploitant. De plus, l'intimée n'a toujours pas versé la prime de fin de contrat et n'a pas donné mainlevée de la garantie à première demande donnée en début de contrat à BP pour le compte de l'appelante.

La société EG Retail France soutient qu'il est possible de déroger aux articles 1999 et 2000 du code civil et que dans les termes du contrat, la renonciation était en l'espèce claire, précise et non équivoque, avec reproduction des articles, alors au surplus que l'appelante pouvait s'entourer de conseils et vérifier l'objet et la portée de la renonciation, dans un contrat signé après deux années d'exercice de la société E.M.P, dans les mêmes conditions, nullement contraire aux A.I.P.

L'intimée expose que la prétention de la société Mareli suppose, pour être accueillie, qu'elle rapporte la preuve de la réalité des pertes, et de leur montant, et qu'elle démontre que ces pertes sont directement causées par un élément de l'exploitation dont la maîtrise a été conservée par le mandant, et que la politique des prix du mandant ou autre élément dont la maîtrise a manifestement été conservée par le mandant serait la clause exclusive de ces pertes; elle soutient que ce n'est pas le cas en l'espèce, au motif que les pertes mandat revendiquées par la société Mareli ne sont pas établies en ce que l'évaluation unilatérale par son expert-comptable n'est pas recevable, et du fait que les parties ont entendu soumettre leurs relations à un contrat unique, dont l'objet concerne l'exploitation d'un fonds unique de station-service, pris dans son intégralité avec différentes activités imbriquées et interdépendantes, ce qui rend fongibles les éléments qui le composent, sans qu'il y ait lieu de faire une distinction ou séparation entre les activités exercées; elle prétend que la vente de produits dans le cadre d'un mandat ne remet pas en cause l'unité du contrat de location-gérance, n'étant qu'une simple modalité commerciale dans le but d'alléger la trésorerie de l'exploitante, conformément aux A.I.P. qui appréhendent globalement la rémunération du locataire-gérant mandataire. De surcroît, la société intimée affirme qu'il n'y a pas d'éléments de l'exploitation dont la maîtrise était exclusive au mandant, sachant que l'activité de mandat générait moins de 25 % du total du chiffre d'affaire. Elle affirme qu'il n'est pas prouvé que les commissions fixées contractuellement ne permettaient pas de dégager un résultat bénéficiaire, ni que les pertes revendiquées seraient "imputables" exclusivement au mandat et notamment à la politique de prix dont la compagnie pétrolière avait la maîtrise.

La société EG Retail France oppose aussi à la demande les fautes de gestion de la société Mareli, notamment le fait de poursuivre imprudemment une activité déficitaire. Elle lui reproche aussi d'avoir refusé de restituer des recettes-carburants pourtant encaissées pour le compte de EG Retail France, qu'elle a finalement versées après la restitution des lieux.

Concernant l'imputation des charges, la société intimée a recalculé la consommation maximale théorique d'eau qui serait imputable à l'activité de distribution de carburant, en prenant en compte les données de l'année 2019, les ventes de jetons de lavage et les ventes de cartes de lavage, et a considéré que cette charge d'eau doit être imputée à hauteur de 65 % aux activités hors mandat de distribution de carburant ; et elle affirme que les installations energivores sont exclusivement rattachées aux activités hors mandat, comme le prouve la comparaison des contrats de fournitures des stations de Vivonne (uniquement distribution de carburant) et de Bièvres (activité diversifiée), du simple au double. L'intimée propose une affectation de 70 % des frais d'électricité pour les activités hors mandat carburant. Elle propose d'affecter les heures travaillées de jour et de nuit à 35 % pour l'activité carburant. Elle soutient que la quote-part des frais financiers à affecter à l'activité de vente de carburant devrait être de l'ordre de 62 % concernant les frais de cartes bancaires, puisqu'il est peu probable que la totalité des clients carburant paient en carte bancaire, d'autant que de nombreux clients professionnels paient avec des cartes pétrolières.

Subsidiairement, l'intimée affirme que l'indemnisation de la société Mareli ne peut excéder la somme de 70.203,70€ correspondant aux pertes estimées par l'expert judiciaire déduction faite des contestations qu'elle a formulées (348.376 - 278.172,30 = 70.203,70 €).

Concernant la restitution de la caution, la société intimée affirme que la demande est irrecevable du fait de la cassation partielle et indique avoir ordonné à l'établissement de crédit concerné de procéder à la mainlevée de cette garantie le 22 juin 2017.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la saisine de la cour de renvoi

La disposition de l'arrêt qui n'est pas annulée par la Cour de cassation est celle relative à la condamnation de la société EG Retail France à payer à la société Mareli la somme de 12 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de relations contractuelles ; cette disposition n'est donc plus en litige.

Ainsi, toutes les autres dispositions du jugement entrepris sont à nouveau soumises à l'appréciation de la cour d'appel de renvoi :

- les demandes de réparation des pertes sur mandat

- l'apurement des comptes

- la mainlevée de la garantie à première demande

- les frais irrépétibles et les dépens

La Cour est également saisie d'une demande nouvelle en dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait du retard dans la mainlevée de la garantie à première demande

Sur la demande de réparation des pertes sur mandat

Aux termes de l'article 1999 du Code civil, le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a fait pour l'exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu'il en a été promis. S'il n'y a aucune faute imputable au mandataire, le mandant ne peut se dispenser de faire ces remboursements et paiement, lors même que l'affaire n'aurait pas réussi, ni faire réduire le montant des frais et avances sous le prétexte qu'ils pouvaient être moindres.

L'article 2000 du même code précise que le mandant doit aussi indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l'occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable.

Le caractère supplétif de ces dispositions permet d'y renoncer. En l'espèce, le contrat a exclu l'application de ces textes part une clause explicite.

Cependant, les parties ne peuvent pas mettre à la charge du mandataire, par la convention, les pertes de l'exploitation dont la maîtrise a été conservée par le mandant ; or, en l'espèce, les prix des carburants étaient fixés par la société pétrolière, de même que les conditions de restitution des recettes à l'exploitant et plus généralement les amplitudes horaires du service des carburants 24 heures sur 24, fixées par le contrat mais nécessitant une procédure très contraignante pour les modifier, avec baisse des commissions.

Ainsi, en l'espèce, le mandataire doit sortir indemne de sa gestion sauf le cas où une imprudence lui serait imputable, dès lors que les pertes ont pour seule origine la politique des prix pratiqués par le mandant.

En premier lieu, la société EG Retail France n'est pas fondée à reprocher à la société Mareli une faute de gestion qui aurait consisté à poursuivre une exploitation déficitaire, et encore moins à lui opposer le fait qu'elle n'aurait pas précédemment dénoncé les pertes liées à l'exploitation du mandat ; il doit être en effet observé, à partir des données chiffrées du rapport d'expertise, page 12, non critiquées, que les résultats d'exploitation de l'entreprise ont toujours été bénéficiaires, sauf pour le dernier exercice de 9 mois en 2012 / 2013. L'analyse des comptes, au moment de la rupture, a permis de constater des pertes sur l'activité de mandat de distribution de carburant, mais la gestion de l'entreprise dans son ensemble avait permis jusque-là une poursuite d'exploitation bénéficiaire, exclusive de toute faute de l'exploitant.

En deuxième lieu, la restitution tardive de recettes liées au carburant en fin de mandat, au moment de la rupture, doit être appréciée dans le contexte tendu de la rupture des relations contractuelles et des discussions sur l'apurement des comptes ; elle ne constitue pas une faute de gestion dans l'exécution du mandat, qui serait privative du droit d'être indemnisé des pertes.

Enfin, la distribution de dividendes ou le montant de la rémunération des gérants fixé par la société Mareli, alors que ses résultats d'exploitation étaient bénéficiaires, ne constitue à l'évidence pas une faute de gestion pouvant la priver du droit d'être indemnisée de la perte objective liée à l'activité de distribution de carburant sous mandat. Cette question intéresse seulement la preuve de la réalité des pertes litigieuses et de leur montant.

Il résulte des constatations qui précèdent qu'aucune faute de gestion ne peut être imputée à la société Mareli, de sorte que la société EG Retail France sera tenue de l'indemniser du montant total des pertes dont il sera établi qu'elles sont en lien direct et exclusif avec le mandat de distribution de carburant.

Pour apprécier le montant des pertes, la Cour avait ordonné une expertise. Les données du rapport d'expertise déposé en l'état par Monsieur Thierry B. seront utilisées à titre de simple renseignement, puisque l'arrêt de la cour d'appel ayant désigné cet expert a été annulé, étant observé que les parties s'y réfèrent sans réserve, sauf leurs critiques de fond.

Il n'est pas contesté que la station-service est dotée d'un grand espace boutique, d'une installation de lavage, à côté de la vente de carburant. La station-service est ouverte 24 heures sur 24,7 jours sur 7, toute l'année et fonctionne comme une station autoroutière avec un effectif compris entre 11 et 12 salariés en équivalent temps plein, incluant la gérance ; elle est équipée de trois caisses soit deux caisses de jour pour l'encaissement sans distinction des ventes de carburant et de produits de la boutique qui est ouverte de 6 heures à 22 heures, et une caisse dédiée aux ventes de nuit.

L'analyse des chiffres d'affaires pour la période 2008 à 2012 inclus et partiellement sur 2013, révèle un ratio de la contribution aux résultats de l'entreprise de 35 % pour la vente de carburant et 65 % pour la diversification. L'expert a en effet relevé sur la période analysée une grande stabilité de la répartition du chiffre d'affaires, mais également, à partir des achats de marchandises, du pourcentage de marge commerciale réalisée sur les activités de diversification, soit 50 %. Il observe que ces ratios illustrent le modèle d'exploitation de la station-service proche d'une station autoroutière, en raison de l'étendue des services en boutique.

Ces pourcentages ne peuvent cependant pas servir a priori de clé de répartition des charges, et il est nécessaire de déterminer pour chaque poste de charges, à défaut de comptabilité analytique, quel pourcentage affecter au mandat et aux activités de diversification en fonction de leur nature. En revanche, la méthodologie de l'expert doit être approuvée, qui a consisté à déterminer les produits et charges de chacune des deux activités, afin de vérifier la cohérence des résultats.

Les critiques que les parties formulent dans leurs conclusions, après expertise, reproduisent pour l'essentiel les positions exprimées dans les dires suivant la note de synthèse du 20 juillet 2020, que l'expert a analysés, aux pages 18 et suivants de son rapport auquel il convient de se reporter pour une analyse complète.

Le taux des charges de personnel affecté au mandat, variant selon les années entre 44 et 50 % doit être approuvé car c'est bien l'obligation d'ouvrir la station 24 heures sur 24 qui justifie ces charges, et la possibilité anecdotique de vendre à cette occasion quelques produits de la boutique qui est fermée la nuit ne peut pas être prise en considération.

De même l'expert doit être approuvé d'avoir réparti la charge de la redevance de la location-gérance à raison de 50 % pour chacune des activités interdépendantes et qui contribuent également, sur la base d'un contrat unique, à un modèle économique; cela revient en effet à considérer qu'aucune de ces deux activités pourrait avoir été développée dans les mêmes conditions de rentabilité, sans l'autre.

L'expert doit être approuvé d'avoir justifié le taux de 35 % pour l'affectation des charges d'électricité au mandat, qui paraît correspondre arbitrairement à la proportion du résultat économique, mais constitue en réalité un chiffre intermédiaire entre 30 % proposés par EG Retail France sur la base d'une analyse de la puissance des appareils utiles à chaque activité, et 50 % proposés par la société Mareli qui insiste sur la plus grande consommation d'électricité liée à l'éclairage nocturne de la station.

L'avis de l'expert sur la répartition des charges d'eau doit être approuvé, selon sa motivation très détaillée, après analyse précise de l'utilisation d'eau pour la baie de lavage; il convient de s'y reporter. Il en va de même pour la répartition des charges de téléphone ou de ramassage des ordures ménagères.

S'agissant des frais d'expertise comptable, il est logique de les affecter selon le pourcentage du résultat de l'activité liée au mandat, soit 35 %, s'agissant d'une mission globale.

En définitive, l'avis de l'expert sera entièrement adopté, ne faisant pas l'objet de critiques sérieuses, et en ce qu'il repose sur une motivation détaillée que la Cour adopte; il en résulte que des pertes sur l'activité de mandat de vente de carburant sont établies et s'expliquent probablement en tout ou partie par un environnement concurrentiel marqué par la stratégie de la grande distribution en matière de ventes de carburant a bas prix, le positionnement tarifaire de BP sur le marché pouvant conduire à une limitation des ventes ou du ticket moyen par client, l'obligation d'ouverture 24 heures sur 24, coûteuse au regard des ventes réalisées durant la nuit, alors que les niveaux du commissionnement du mandataire et de la redevance locative versée au mandant ne permettent pas de couvrir Ies coûts engagés pour assurer la distribution du carburant.

La perte sur mandat doit être fixée au montant de 348 376 € au cours des exercices 2008/2009 à 2012/2013, selon le détail suivant:

<TABLEAU>

Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance, capitalisés annuellement suivant la demande de la société Mareli.

Sur l'apurement des comptes et la mainlevée de la garantie

Le jugement rendu le 3 avril 2017 par le tribunal de commerce de Paris a condamné la société Mareli à payer à la société EG Retail France la somme de 583,55 euros au titre de l'apurement des comptes, et ordonné à EG Retail, « une fois cette somme reçue, de prononcer la mainlevée de la garantie à première demande donnée par le Crédit du Nord ».

La société Mareli ne conteste pas cette condamnation qu'elle affirme avoir exécutée.

La société EG Retail France ne conteste pas non plus sa condamnation à donner mainlevée de la caution bancaire, qu'elle affirme avoir exécutée.

La disposition du jugement doit en conséquence être confirmée, et la demande d'astreinte est sans objet.

La demande de dommages-intérêts pour mainlevée tardive du cautionnement doit être rejetée à défaut de preuve d'un préjudice et compte tenu de l'absence de faute en l'état de la condamnation prononcée au titre de l'apurement des comptes.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société EG Retail France qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire ; et par application de l'article 700 du code de procédure civile, en équité, la société EG Retail France devra indemniser la société Mareli de ses frais irrépétibles en lui payant la somme de 15 000 €.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme partiellement le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris,

Le confirme en sa disposition par laquelle il a condamné la société Mareli à payer à la société EFR France la somme de 583,55 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date du jugement avec anatocisme, au titre de l'apurement des comptes, et ordonné à la société EFR France, une fois cette somme reçue, de donner mainlevée de la garantie à première demande du Crédit du Nord donnée en début de contrat à la société BP si elle lui a été transférée,

L'infirme pour le surplus, dans les limites de la saisine sur renvoi de cassation, et statuant à nouveau, et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu d'assortir la condamnation précédente d'une astreinte, et déboute la société Mareli de sa demande de dommages-intérêts,

Condamne la société EG Retail France à payer à la société Mareli au titre des pertes en lien direct et exclusif avec le mandat de distribution de carburant, la somme de 348 376 € avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2013, et capitalisation annuelle,

La condamne à lui payer la somme de 15 000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles,

La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et dit qu'ils comprendront les frais d'expertise judiciaire.