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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 juin 2022, n° 20/12790

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Selarl MP Associés (ès qual.), Terres Franche Auto (SAS)

Défendeur :

FMC Automobiles (SAS), FCE Bank PLC (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignières

T. com. Paris, du 20 juill. 2020, n° J20…

20 juillet 2020

Vu le jugement rendu le 20 juillet 2020 par le tribunal de commerce de Paris qui a :

- pris acte de la jonction des causes,

- mis hors de cause la société FMC automobiles,

- dit que la relation entre la société FMC automobiles et la société Terres Franche Auto présente bien le caractère d'une relation commerciale établie,

- dit que le préavis accordé de 3 ans est suffisant et que la rupture des relations n'a pas été brutale,

- débouté la selarl MP associés, représentée par Me Thibaud P., es qualités de mandataire liquidateur judiciaire de la société Terres Franche Auto, de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société FMC automobiles et de la société de droit anglais FCE Bank PLC,

- condamné la sarl MP associés, ès qualités, à payer la somme de 4.000 € à chacune des sociétés FMC automobiles et FCE Bank PLC, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes autres demandes,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la selarl MP associés, es qualités, aux dépens ;

Vu l'appel relevé par la selarl M.P associés représentée par Me P., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Terres Franche autos, ainsi que par la société Terres Franche Autos et leurs dernières conclusions notifiées le 28 février 2022 par lesquelles elles demandent à la cour, au visa de l'article 1382 du code civil, de l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce, de l'article R. 412-47 alinéa 2 du code de la consommation, de l'article L. 420-2 2ème alinéa du code de commerce et de l'article 515 du code de procédure civile, à titre principal, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

1) débouter les sociétés FMC automobiles et FCE Bank de toutes leurs demandes,

2) dire et juger :

- que les demandes de la société Terres Franche Auto sont recevables et bien fondées et, en conséquence, y faire droit,

- que le préavis octroyé par la société FMC automobiles à la société Terres Franche Auto est insuffisant puisqu'il aurait dû être de 4 ans,

- que la société FMC automobiles a rompu sans délai le contrat de concessionnaire en modifiant ce contrat au préjudice de la société Terres France Auto, de manière unilatérale, arbitraire et substantielle,

- que la société FMC automobiles a rompu brutalement, à effet du 22 juillet 2015, la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec la société Terres Franche Auto,

- que la société FORD CREDIT (c'est à dire FCE Bank) a participé directement ou indirectement à la brutalité de la rupture des relations commerciales établies,

- que la société Terres Franche Auto se trouvait dans une situation de dépendance économique à l'égard de la société Ford France,

3) en conséquence :

- condamner solidairement les sociétés FMC automobiles et FORD CREDIT (c'est à dire FCE Bank) à payer à la société Terres Franche Automobiles :

la somme de 926.824 €, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts du fait de la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie,

la somme de 50.000 € en réparation de son préjudice d'image,

la somme de 105.842 € en réparation de son préjudice relatif aux investissements réalisés sur l'exercice 2012 en exécution des contrats de concessionnaire et de réparateur agréé & distributeur de pièces Ford,

la somme de 97.364 €, sauf à parfaire, en réparation de son préjudice relatif aux dépenses publicitaires engagées sur les trois derniers exercices,

la somme de 95.833,29 €, sauf à parfaire, en réparation de son préjudice relatif aux licenciements du personnel,

la somme de 50.000 € en réparation de son préjudice moral,

- condamner la société FMC automobiles à payer à la société Terres Franche Auto la somme de 720.000 €, sauf à parfaire, en réparation de son préjudice relatif à la perte de son fonds de commerce,

4) dire et juger que la société FMC automobiles a commis un abus de dépendance économique à l'encontre de la société Terres Franche Auto,

en conséquence, condamner solidairement les sociétés FMC automobiles et FORD CREDIT (c'est à dire FCE Bank) à payer à la société Terres Franche Auto la somme de 50.000 €, à titre de dommages-intérêts du fait de l'abus de dépendance économique caractérisé,

5) condamner solidairement les sociétés FMC automobiles et FORD CREDIT (c'est à dire FCE Bank) aux entiers dépens et à payer la somme de 20.000 € à la société Terres Franche Auto en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 14 février 2022 par la société FMC automobiles et par la société FCE Bank PLC qui demandent à la cour, au visa des articles L. 420-2, L. 441-7 et L. 442-6-I 5° du code de commerce (dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce), des articles 1210 et 1211 du code civil, de l'article R. 412-47 du code de la consommation et de l'article 32-1 du code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, excepté en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- l'infirmant de ce dernier chef et, statuant à nouveau, condamner solidairement la société Terres Franche Auto et Me P., es qualités, à payer à chacune d'elles la somme de 20.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive,

- condamner solidairement la société Terres Franche Auto et Me P., es qualités, aux entiers dépens et à payer à chacune d'elles la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

SUR CE, LA COUR

La société FMC automobiles, ci-après FMC, assure l'importation de véhicules et de pièces de rechange de la marque Ford qui sont ensuite distribués au travers d'un réseau de concessionnaires indépendants.

A partir de 1986, elle a signé avec la société Terres Franche Auto, ci-après TFA, des contrats qui ont été régulièrement renouvelés.

Le dernier contrat de concessionnaire a été conclu entre ces deux sociétés les 22 et 31 juillet 2011 pour une durée indéterminée ; son article 19 stipulait que chacune des parties pourrait y mettre fin à tout moment par lettre recommandée avec accusé de réception, moyennant un préavis de 2 ans.

Par ailleurs, le société TFA était liée à la société de droit anglais FCE Bank PLC, ci-après FCE, par une convention de paiement des véhicules de FMC, à durée indéterminée, signée le 22 décembre 2003.

Par lettre recommandée du 22 juillet 2015, avec accusé de réception, la société FMC a notifié à la société TFA sa décision de mettre fin au contrat de concessionnaire, lui accordant un préavis de 3 ans et lui précisant que le contrat se terminerait au plus tard le 31 juillet 2018.

Suivant contrat du 1er avril 2016, la société FCE a consenti à la société TFA un prêt de 101.000 €, d'une durée de 12 mois à compter du 1er janvier 2016 et remboursable en une seule fois le 31 décembre 2016.

Par lettre recommandée du 8 juin 2017, la société TFA a reproché à la société FMC, d'une part de lui avoir accordé un préavis insuffisant de 3 ans alors qu'il aurait dû être de 4 ans au minimum, d'autre part d'avoir modifié les conditions contractuelles de façon unilatérale et substantielle depuis le 22 juillet 2015 ; elle lui réclamait alors réparation de ses préjudices.

Le 25 juillet 2017, la société FMC lui a répondu en contestant toute brutalité dans la rupture de leurs relations.

Le 4 octobre 2017, la société TFA a fait assigner la société FMC devant le tribunal de commerce de Paris ; une clause de médiation étant mise en oeuvre, l'affaire a fait l'objet d'une radiation administrative.

Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société TFA le 9 octobre 2018 ; sa liquidation judiciaire a été prononcée le 10 septembre 2019, la selarl M.P associés étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Le liquidateur judiciaire de la société TFA a fait rétablir l'affaire au rôle ; la société TFA et lui ont fait assigner la société FCE en intervention forcée.

Le tribunal de commerce, par le jugement déféré, a :

- débouté la société TFA et la selarl M.P associées, es qualités, de toutes leurs demandes formées contre les sociétés FMC et FCE,

- débouté les sociétés FMC et FCE de leurs demandes de dommage-intérêts pour procédure abusive.

La société TFA et la selarl M.P associés, appelantes, demandent la condamnation solidaire des sociétés FMC et FCE au paiement de dommages-intérêts ; elles font valoir :

- d'une part que le préavis accordé était insuffisant,

- d'autre part que la rupture a été à effet immédiat du fait des importantes modifications substantielles du contrat de concession.

Sur la mise en cause de la société FCE :

Les appelantes soutiennent :

- que dans la convention de paiement, il est précisé que la société FMC a délégué à la société FCE (FORD CREDIT) le soin de définir les modalités dérogatoires au principe du paiement comptant des véhicules prévu au contrat de concessionnaire,

- que cette convention est indivisible du contrat de concessionnaire et que la société FCE est partie à ce contrat dont elle constitue un élément essentiel,

- que la notification par la société FMC, le 22 juillet 2015, de sa décision de mettre un terme au contrat de concessionnaire emportait de facto la résiliation de la convention de paiement conclue avec la société FCE,

- que les deux contrats ne constituent en réalité qu'un seul et même contrat de concessionnaire auquel la société FCE est partie.

Les intimées répliquent :

- qu'elles sont deux entités juridiques distinctes,

- que la société FCE n'est pas partie au contrat de concessionnaire,

- que le contrat de concessionnaire ne nécessitait pas, pour être exécuté, une convention de financement entre les sociétés TFA et FCE et que les deux contrats ne sont pas interdépendants.

Il apparaît que dans le contrat de concessionnaire, le paiement de chaque véhicule par la société TFA devait se faire au comptant au moment de la facturation, lors de la remise du véhicule par la société FMC au transporteur pour expédition et livraison au concessionnaire.

La convention de paiement conclue entre la société FCE et la société TFA rappelle cette disposition et mentionne :

- que la société FMC délègue à la société FCE l'exécution du plan de paiement des véhicules neufs et occasions qu'elle facture à son concessionnaire, que le concessionnaire prend acte de la subrogation et de ses effets et s'engage à payer les factures à la société FCE au plus tard, « soit à leur échéance telle que rappelée aux conditions particulières de la présente convention lorsque le véhicule demeure en stock, soit le jour même de la livraison à client ou utilisateur final »,

- que l'octroi des conditions de règlement des produits facturés et la fixation des lignes d'encours sont arrêtés par la société FCE conjointement avec la société FMC, l'encours étant consenti en fonction de l'appréciation du risque financier qui en résulte mais aussi de l'opportunité commerciale.

Il en résulte que, dans le cadre de l'exécution du contrat de concessionnaire, la société FCE, conjointement avec la société FMC, consentait des délais de paiement et des encours à la société TFA pour le paiement des véhicules. Il existe ainsi une interdépendance entre le contrat de concessionnaire et la convention de paiement, cette dernière ne se justifiant que par l'existence du contrat de concessionnaire dont elle dépend.

Par ailleurs, les appelantes reprochent à la société FCE de ne plus lui avoir accordé d'avance de trésorerie pour l'année 2017.

En conséquence, elles sont recevables en leur appel en intervention forcée à l'encontre de la société FCE.

Sur la durée du préavis accordé :

La société TFA et son liquidateur judiciaire exposent que la rupture des relations commerciales établies est particulièrement brutale eu égard :

- à l'ancienneté des relations,

- à l'imprévisibilité de la rupture, la société FMC ayant retourné à la société TFA un avenant au contrat le 13 mars 2015, soit 4 mois avant la rupture, la maintenant dans la croyance légitime que leurs relations se poursuivraient encore longtemps,

- à l'importance financière des relations, la société TFA réalisant la quasi-totalité de son chiffre d'affaires en exécution du contrat de concession, se trouvant de fait dans une situation d'exclusivité à l'égard de la société FMC,

- à l'état de dépendance de la société TFA en résultant,

- à l'absence de toute possibilité de reconversion pour la société TFA, compte tenu de l'implantation de nombreux autres concessionnaires dans son secteur géographique et de la concurrence sévère qui s'y livre,

- aux très bons résultats enregistrés par la société TFA tout au long de l'exécution des contrats,

- aux investissements très importants réalisés par la société TFA notamment un prêt de 70.000 € du 8 mars 2012 destiné à des travaux de mise en conformité des locaux aux nouveaux standards de la société FMC ainsi qu'à l'achat de matériel informatique par elle imposé, un prêt de 130.000 € du 25 novembre 2013 pour financer l'acquisition de véhicules, un prêt de 100.000 € du 3 mars 2015 afin de poursuivre l'exploitation pérenne de son activité et, le 7 novembre 2016, postérieurement à la rupture une convention de crédit de trésorerie à durée déterminée de 100.000 € faisant suite à la décision de la société FMC, prise de concert avec la société FCE, de ne pas reconduire la convention de trésorerie au titre de l'année 2017 et de solliciter un remboursement immédiat.

Les appelantes soulignent que l'existence d'un préavis contractuel est indifférente dans le cadre de l'application de l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce. Pour revendiquer une durée de préavis de 4 ans, elles invoquent l'article R. 412-47 du code de la consommation et allèguent :

- que le contrat porte bien sur la fourniture de produits sous marque de distributeur,

- qu'au travers de son réseau de concessionnaire, la société FMC organise la vente au détail des produits de sa propre marque,

- que la durée minimale du préavis aurait dû être double de celle applicable si les véhicules n'avaient pas été fournis sous marque de distributeur,

- qu'il était matériellement impossible à la société TFA de vendre ou réparer des véhicules d'autres marques dans ses locaux dont l'intégralité de la surface était exclusivement dédiée à la marque Ford,

- que le délai de 3 ans était insuffisant pour ré-orienter ses activités.

L'article L. 442-6-I 5° du code de commerce dispose : « Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale du préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. »

Les intimées rappellent les termes de l'article R. 412-47 du code de la consommation qui précise : « Est considéré comme produit vendu sous marque de distributeur le produit dont les caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu. »

Elles en déduisent exactement que la société TFA, distributeur, qui assure la vente au détail des véhicules et pièces, mais ne détermine pas leurs caractéristiques ni n'est titulaire ou propriétaire de la marque Ford, est mal fondée à se prévaloir d'un doublement du préavis.

Aux autres arguments développés par les appelantes, elles répliquent justement :

- que conformément à l'article 1211 du code civil, lorsque que le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sauf à respecter un délai de préavis, sans qu'il y ait lieu de prendre en considération les bons résultats obtenus par la société TFA,

- que l'avenant type qui a été envoyé à tous les concessionnaires en mars 2015 n'a pu entretenir la société TFA dans la croyance légitime que les relations se poursuivraient longtemps,

- que la société TFA ne se trouvait pas en état de dépendance puisqu'elle exerçait une activité de vente de véhicules d'occasion de toutes marques et que, en vertu du contrat de distribution sélective, elle restait libre de représenter plusieurs marques sous réserve de respecter les stipulations de l'article 13 du contrat organisant le multi-marquisme et prévoyant, notamment, que la vente des autres marques s'effectue dans des zones séparées de celles où sont exposés les véhicules Ford,

- que la société TFA, qui n'était tenue par aucune clause d'approvisionnement exclusif, avait la possibilité de diversifier ses activités auprès d'autres partenaires, ce qu'elle n'a pas fait et ce qui relève de ses choix de gestion,

- que la société TFA ne démontre pas s'être trouvée dans l'impossibilité de se reconvertir, alors qu'elle bénéficiait déjà d'une clientèle et d'une expertise du secteur, en particulier une zone de chalandise, d'une activité de ventes de véhicules d'occasion toutes marques et de la possibilité de ré-aménager ses locaux en fonction de ses choix et priorités,

- que les investissements engagés par un concessionnaire pour sa mise en conformité avec les standards du concédant ne constituent pas des circonstances exceptionnelles de nature à justifier un préavis plus long et que les prêts invoqués relèvent des décisions de gestion de la société TFA au regard de ses besoins financiers et de sa situation.

Il ressort de ces éléments que le préavis de 3 ans accordé par la société FCE était suffisant pour permettre à la société TFA de réorganiser son activité.

Sur le déroulement de la période de préavis

Les appelantes reprochent à la société FMC et à la société FCE d'avoir apporté des modifications substantielles au contrat de concession pendant la période de préavis de 3 ans, concernant les conditions de commercialisation des véhicules, les conditions de paiement et, plus généralement les conditions d'exécution des contrats, ce qu'ils analysent comme une rupture partielle abusive des relations commerciales.

- La société TFA prétend que la société FMC l'a privée de pouvoir commercialiser les voitures les plus demandées par les clients. Elle cite en ce sens, sans toutefois les analyser, un mailing du 5 décembre 2016 destiné aux concessionnaires du réseau Ford et un courriel du 7 mars 2017. La lecture de ces pièces montre que la commercialisation de la gamme Vignale, haut de gamme, a été étendue à l'ensemble du réseau « FordStore » et « non Fordstore ». Envoyés à l'ensemble des concessionnaires, ces documents ne démontrent aucune modification substantielle du contrat conclu avec la société TFA.

- La société TFA soutient que la société FMC l'aurait asphyxiée financièrement en lui retirant du jour au lendemain son avance de trésorerie tout en lui maintenant son quota de véhicules à acheter et en exigeant un remboursement sur une durée de 6 mois maximum. Elle se réfère à des lettres que la société FCE lui a adressées les 31 octobre 2016, 11 juillet 2016 et 22 décembre 2016.

Il apparaît que par contrat signé le 1er avril 2016, la société FCE a consenti un prêt d'un montant de 101.000 €, correspondant au montant en capital restant dû au titre d'un autre prêt du 1er janvier 2015. Accordé pour une durée déterminée du 1er janvier au 31 décembre 2016, il était remboursable en une seule fois à la date du 31 décembre 2016.

Par lettre du 31 octobre 2016, la société FCE a informé la société TFA que ce prêt de trésorerie annuelle ne serait pas reconduit en 2017 ; puis elle lui a consenti des modalités de remboursement sur 6 mois de janvier à juin 2017.

La société FCE ne s'était aucunement engagée à renouveler le prêt. La société TFA qui indique avoir obtenu un prêt de même montant d'une autre banque (crédit de trésorerie de 100.000 € consenti le 7 novembre 2016 par la Banque Populaire jusqu'au 31 décembre 2017) ne prouve pas l'asphyxie financière qu'elle invoque. Dès lors, elle ne démontre pas que le non-renouvellement du prêt, décidé par la société FCE, constitue un manquement fautif susceptible d'engager la responsabilité des intimées.

- La société TFA soutient encore, page 35 in fine de ses conclusions, que la société FCE aurait contribué à la rupture brutale des relations commerciales établies en supprimant subitement l'ensemble des encours de crédit dont elle bénéficiait.

Mais ce grief doit être écarté. En effet :

la convention de paiement stipulait, concernant les lignes d'encours, que la société FMC et la société FCE pourraient, le cas échéant, après concertation, en retirer le bénéfice ou en modifier les termes,

le 18 janvier 2018, la société FCE a seulement proposé à la société TFA de baisser ses lignes d'encours non utilisées (DPP et véhicules d'occasion),

le 30 janvier 2018, sans réponse ni objection de la part de la société TFA, elle l'a informée qu'à compter du 31 janvier 2018, elle diminuerait ses lignes de crédit (DPP, véhicules d'occasion et véhicules de démonstration au fur et à mesure de ses règlements de manière à ce qu'elles soient nulles lors de la cessation du contrat de concessionnaire,

les autres lignes d'encours, notamment celle des véhicules neufs, n'ont pas été révisées à la baisse,

à la date de cessation du contrat de concessionnaire, soit le 31 juillet 2018, la convention de financement qui y était liée prenait fin et la société TFA était tenue au remboursement des lignes d'encours.

- La société TFA prétend que la société FMC l'a contrainte à payer les véhicules neufs comptant à la date d'immatriculation alors que, avant la notification de la rupture, il était d'usage qu'elle génére ses paiements une fois le véhicule livré et le prix encaissé.

Mais les intimées justifient qu'à partir du 1er janvier 2017 il a été mis en place au sein du réseau Ford un paiement des véhicules entre la société FMC et les concessionnaires à la date d'immatriculation des véhicules et non plus à la date de livraison. Cette modification concernant tous les concessionnaires, il ne s'agit pas d'une modification substantielle qui aurait été imposée à la seule société TFA.

- La société TFA fait valoir que la société FMC l'aurait contrainte à avancer le prix des véhicules vendus directement par celle-ci et à distance, sans son intermédiaire, tout en permettant au client de la payer de manière différée.

Elle se réfère à ses deux courriels du 15 février 2017 dans lesquels elle se plaint de devoir livrer un véhicule pour un hyper Leclerc en devant faire l'avance du prix, alors qu'elle n'avait pas de lignes d'encours DPP (differed payement plan).

Mais la société FMC observe qu'il s'agit d'un seul véhicule, que la société TFA n'avait pas sollicité au préalable et en temps utile de ligne d'encours DPP pour les livraisons à des sociétés ou loueurs qui demandent des délais de paiement supplémentaires et que cette ligne d'encours a été effectivement mise en place le 5 juillet 2017.

- La société TFA reproche à la société FMC d'avoir procédé à deux prélèvements sur son compte pour un montant total de 58.094,35 €, sans son autorisation et au mépris de la nouvelle procédure mise en place, ce dont elle s'est plainte par courriel du 19 avril 2017 adressé à la société FCE ; elle précise qu'il s'agit du prix de la vente de deux véhicules réalisée directement par la société FMC, véhicules non encore livrés aux clients finaux qui pouvaient la payer elle 45 jours plus tard, obérant ainsi sa trésorerie.

Mais les intimés répondent, sans être contredits, que le second prélèvement a été bloqué par la société TFA ; en tout état de cause, cet incident isolé ne constitue pas une modification substantielle des conditions contractuelles.

- Selon la société TFA, des pénalités indues lui auraient été appliquées à tort.

Mais elle n'en précise aucunement le montant et se borne à produire un courriel du 12 avril 2017 dans lequel la société FCE s'excuse pour une anomalie de système intervenue.

- La société TFA fait encore grief à la société FMC de ne jamais l'avoir conviée à la moindre négociation annuelle sur l'exécution et les conditions de leur partenariat, au mépris des dispositions de l'article L. 447-2 du code de commerce (dans sa rédaction applicable en l'espèce).

Mais une telle abstention, à la supposer avérée, ne peut être considérée comme une modification substantielle des conditions contractuelles pendant la durée du préavis.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, les appelantes ne justifient pas d'une modification substantielle des conditions contractuelles pendant la durée du préavis de trois ans ; toutes leurs demandes pour rupture brutale et/ou abusive des relations commerciales établies seront rejetées.

Sur la demande en dommages-intérêts des appelantes pour abus de dépendance économique :

L'article L. 420-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en l'espèce, dispose : « Est en outre prohibée… l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans laquelle se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. »

Il a été dit plus haut que la société TFA ne se trouvait pas en situation de dépendance économique par rapport à la société FMC ; de surcroît, elle ne caractérise aucun abus d'un tel état par la société FMC.

Les appelantes seront donc déboutées de ce chef de demande.

Sur les demandes de dommages-intérêts des intimées pour procédure abusive :

Les intimées font valoir :

- que la société TFA a délivré assignation alors même que le contrat la liant à la société FMC était toujours en cours, confirmant ainsi qu'elle n'avait aucune intention d'entreprendre des démarches pour assurer sa reconversion,

- qu'elle a empilé des postes de préjudice tous plus fantaisistes les uns que les autres pour demander une somme de plus de 2 millions d'euros au titre de la rupture prétendument brutale d'une relation contractuelle qui a continué à s'exécuter normalement jusqu'à son terme,

- que son action opportuniste, motivée par la seule recherche d'un enrichissement indu, constitue une procédure abusive à leur encontre.

Mais les appelants n'ayant pas fait dégénérer en abus leur droit d'agir en justice, les intimées seront déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Les appelants qui succombent doivent supporter les dépens.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer à chacune de des sociétés intimées la somme supplémentaire de 10.000 € et de rejeter la demande des appelants à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a mis hors de cause la SAS FMC Automobiles,

Y ajoutant, condamne solidairement la société Terres Franche Auto et la selarl M.P associés, représentée par Me P., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Terres Franche Auto, à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile :

- la somme de 10.000 € à la société FMC Automobiles,

- la somme de 10.000 € à la société FCE Bank,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne solidairement aux dépens la société Terres Franche Auto et la selarl M. P associée, représentée par Me P., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Terres Franche Auto.