CA Paris, ch. 2, 11 février 2022, n° 21/05519
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brigitte CHOKRON
Conseillers :
Mme Laurence LEHMANN, Mme Agnès MARCADE
Avocat :
Mme Caroline LE P.
Vu la décision rendue le 21 décembre 2020 par le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) rejetant la demande d'enregistrement n°19/4549865 déposée le 9 mai 2019 par la société Mac Cain Foods Ltd ( de droit canadien) portant sur le signe figuratif suivant :
présenté comme destiné à distinguer les produits suivants : Produits de pomme de terre : Produits à base de pommes de terre ; Pommes de terre transformées.
Vu le recours en annulation de cette décision déposé le 19 mars 2021 par la société Mac Cain Foods Ltd et les conclusions au soutien du recours remises au greffe le 16 juin 2021 et, en dernier lieu, le 14 octobre 2021.
Vu les observations écrites du directeur général de l'INPI qui considère la décision bien fondée et conclut au rejet du recours ainsi que de la demande en paiement d'une indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le ministère public ayant été avisé.
Selon la décision attaquée, le signe figuratif ci-dessus représenté, objet de la demande d'enregistrement pour les Produits de pomme de terre : Produits à base de pommes de terre; Pommes de terre transformées, ne peut constituer une marque au sens des dispositions des articles L. 711-1 et L. 711-2 b du code de la propriété intellectuelle en ce qu'il n'est pas apte à distinguer ces produits de ceux d'un autre opérateur économique car il sera appréhendé par le consommateur moyen comme désignant une caractéristique des produits concernés.
La requérante demande l'annulation de cette décision en faisant valoir d'une part, que le signe figuratif en cause possède un caractère distinctif intrinsèque pour désigner les produits de la demande d'enregistrement d'autre part, qu'il a acquis un caractère distinctif du fait de son usage ancien, constant et intense pour désigner les produits de la demande d'enregistrement. Elle observe qu'un tel signe n'est pas imposé par la nature du produit pas plus que par la fonction du produit et qu'il est distinctif en ce qu'il satisfait à l'objectif, de par son esthétique particulière, de retenir l'attention du consommateur et de lui permettre de réitérer son acte d'achat auprès de la société Mac Cain Foods Ltd si le produit lui a plu.
Il est constant que, compte tenu de la date de la demande d'enregistrement, sont applicables en l'espèce les dispositions du code de la propriété intellectuelle dans leur version antérieure à l'ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 en vigueur depuis le 15 décembre 2019.
Le directeur général de l'INPI a visé, pour rejeter la demande d'enregistrement , les articles L. 711-1 et L. 711-2 b qui définissent la marque de fabrique, de commerce ou de service comme un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale (article L. 711-1) et précisent que sont dépourvus de caractère distinctif, les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service (article L. 711-2 b).
En l'espèce, le signe de la demande d'enregistrement est constitué de la représentation d'un disque percé de deux ronds et d'un trait courbe figurant dans une forme stylisée simplissime un visage souriant usuellement dénommé 'smiley'.
Outre que le 'smiley' est d'un usage répandu dans les échanges électroniques pour communiquer un sentiment de joie et à tout le moins de satisfaction, il est couramment utilisé dans le commerce pour accompagner, à titre d'élément décoratif véhiculant un message positif, la présentation à la vente de toutes sortes de produits de consommation courante et en particulier les produits alimentaires. Le directeur général de l'INPI a ainsi relevé, à l'appui de sa décision, l'utilisation de 'smileys' entre 2016 et 2019, soit antérieurement au dépôt du signe en cause, apposés sur des emballages de chips, de bonbons, de burgers, de produits apéritifs, de nuggets à la pomme de terre, de cérérales au miel. Il a en outre justifié d'un article paru le 26 juillet 2018 sur le site communication -agroalimentaire.com, confirmant sous l'intitulé 'Tendance Food - Smileys, emoticônes, emojis...le marketing alimentaire a le smile!', la large diffusion dans le domaine alimentaire d'un tel signe à des fins promotionnelles car il constitue un langage 'positif et souriant', 'universel', 'moderne et tendance', 'adapté à une cible jeune'.
Il suit de ces observations que le consommateur moyen, normalement attentif et raisonnablement avisé des Produits de pomme de terre : Produits à base de pommes de terre; Pommes de terre transformées visés dans la demande d'enregistrement, habitué à rencontrer des 'smileys' sur de nombreux produits alimentaires de consommation courante, d'origines commerciales différentes, ne sera pas enclin à appréhender le signe de la demande d'enregistrement comme un indicateur de l'origine commerciale du produit mais le considérera comme un élément décoratif destiné à présenter favorablement ce produit et à en assurer la promotion.
Contrairement à ce que soutient la requérante, le refus d'enregistrement qui lui a été opposé par le directeur général de l'INPI repose sur un fondement textuel. Il est en effet montré que le signe en cause est dépourvu de caractère distinctif au sens des dispositions de l'article L. 711-2 b du code de la propriété intellectuelle dès lors qu'il sera perçu comme destiné à véhiculer un message selon lequel les produits concernés présenteraient des caractéristiques positives de manière à susciter une opinion favorable quant aux propriétés et aux qualités de ces produits.
En conséquence, le signe en cause n'est pas apte à constituer une marque servant à identifier les produits qui en sont revêtus comme provenant d'une même entreprise et à distinguer ces produits de ceux provenant d'une autre entreprise. Ainsi, il ne satisfait pas à la fonction de la marque telle que définie à l'article L. 711-1 du même code .
Il résulte en outre des motifs qui précèdent que le signe figuratif en forme de smiley, largement utilisé sur le marché à des fins promotionnelles, ne peut faire l'objet d'une appropriation privative au profit de la seule société déposante qui bénéficierait de ce fait d'un avantage injustifié en privant les tiers de la possibilité d'utiliser un tel signe pour la présentation au public de leurs propres produits. Il est donc nécessaire que ce signe puisse rester à la disposition de tous.
La requérante fait valoir que le signe figuratif objet de la demande d'enregistrement avait acquis, antérieurement à cette demande, déposée le 9 mai 2019, un caractère distinctif par l'usage.
C'est cependant à juste raison que le directeur général de l'INPI, au vu des seuls éléments de preuve ayant date certaine, a relevé que le signe de la demande d'enregistrement est toujours présenté sur l'emballage en tant que reproduction d'une croquette de pomme de terre en forme de 'smiley' et en association avec les dénominations 'Mac Caine Kid Smile', lesquelles assurent la fonction d'indication de l'origine commerciale du produit.
La requérante se prévaut en outre d'un sondage réalisé en juillet 2020 dans l'objectif affiché de 'démontrer que le signe a acquis un caractère distinctif par l'usage avant son dépôt du 9 mai 2019" . Or, la valeur probante d'une telle étude, postérieure au dépôt de plus d'un an, et faisant appel à la mémoire des personnes interrogées pour savoir si, antérieurement au dépôt, elles connaissaient le signe en cause comme indicateur d'une origine commerciale déterminée, ne peut qu'être mise en doute.
Il s'ensuit que le directeur général de l'INPI n'est pas critiquable pour avoir retenu qu'il n'est justifié d'aucun usage du signe en cause à titre de marque et que c'est vainement que l'exception de l'acquisition du caractère distinctif par l'usage est invoquée.
En définitive, la décision attaquée du directeur général de l'INPI est bien fondée en ce qu'elle rejette la demande d'enregistrement et le recours en annulation formé à l'encontre de cette décision ne saurait prospérer.
Le directeur général de l'INPI n'est pas partie à la procédure ouverte sur recours en annulation d'une décision de rejet d'une demande d'enregistrement. Il n'y a pas lieu en conséquence à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et la demande formée de ce chef par la requérante doit être rejetée.
Rejette le recours de la société Mac Cain Foods Ltd,
Rejette la demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que le greffe procédera à la notification du présent arrêt par lettre recommandée avec accusé de réception à la société requérante et au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle.