Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-17.553
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Graff-Daudret
Avocats :
SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Thouin-Palat et Boucard
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 avril 2020), par deux actes des 24 janvier 2013 et 19 septembre 2014, la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France (la banque) a consenti à la société Carofftel Gobelins (la société) des prêts garantis par les cautionnements de M. et Mme [L]. La société ayant été mise en redressement judiciaire le 22 mars 2016, la banque a, après l'adoption d'un plan de redressement, assigné les cautions en paiement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi incident, qui est préalable
Enoncé du moyen
2. La banque fait grief à l'arrêt de juger que, dans ses rapports avec M. [L], les versements effectués par la société débitrice principale seraient réputés affectés au principal des prêts souscrits, alors :
« 1°/ que si la banque, à laquelle il est reproché de ne pas avoir informé annuellement la caution en application de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, a versé au débat les lettres d'information, le juge ne peut pas prononcer la déchéance des intérêts contractuels prévue par ce texte sans s'expliquer sur les raisons qui le conduisent à douter de ce que ces lettres ont été bel et bien adressées à la caution ; que pour prononcer contre la banque la déchéance du droit aux intérêts conventionnels envers la caution, la cour d'appel a relevé que la banque produisait les copies de lettres d'information, mais qu'elle ne justifiait pas de leur envoi ; qu'en statuant ainsi, sans expliciter les raisons pour lesquelles elle était fondée à douter de l'envoi de ces courriers, la cour d'appel a violé l'article L. 313-22 du code monétaire et financier ;
2°/ que l'exécution de l'obligation information annuelle instaurée par l'article L. 313-22 du code monétaire et financier constitue un fait juridique, ce dont il s'évince que sa preuve peut être administrée par tous moyens ; que pour prononcer contre la banque la déchéance du droit aux intérêts conventionnels envers la caution, la cour d'appel a dit que le relevé de compte de la société débitrice faisant apparaître un prélèvement d'un montant de 100 euros au titre des frais d'information annuelle de la caution ne permettait en aucun cas de démontrer que la banque avait satisfait à son obligation légale d'information ; qu'en statuant ainsi, sans préciser en quoi ce moyen de preuve qui était admissible était impropre à rapporter la preuve de l'accomplissement de son obligation par la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
3. La seule production de la copie d'une lettre ne suffit pas à justifier de son envoi. Ne fait pas non plus la preuve de cet envoi le prélèvement effectué par la banque sur le compte de la société débitrice d'une somme au titre des frais d'information annuelle de la caution.
4. Ayant relevé que la banque produisait les copies de trois lettres simples d'information dont elle alléguait qu'elles avaient été adressées à M. [L] le 15 mars 2016 et les copies des lettres annuelles prétendument adressées le 20 février 2017 et 13 mars 2018 portant la mention « objet : information annuelle aux cautions-lettre recommandée avec AR » mais sans y joindre les accusés de réception correspondants, ainsi que le relevé de compte bancaire de la société pour la période du 1er mars 2015 au 30 avril 2015 faisant apparaître un prélèvement de 100 euros le 16 avril 2015 au titre de l'information annuelle des cautions, la cour d'appel en a souverainement déduit que ces documents ne permettaient pas à la banque de rapporter la preuve de l'envoi des lettres d'information.
5. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. M. [L] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque diverses sommes, dans la limite de ses engagements, au titre des cautionnements du prêt de 850 000 euros et du prêt de 140 000 euros, alors :
« 1°/ que le jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ne rend pas exigibles les créances non échues à la date de son prononcé ; que la déchéance du terme non encourue par le débiteur principal ne peut être invoquée contre la caution ; que la cour d'appel a elle-même retenu que "la banque ne pouvait, en l'absence de déchéance du terme à l'égard de la caution, la mettre en demeure de régler la totalité des sommes dues au titre des prêts et demander sa condamnation au paiement du solde des prêts", et que la caution n'était "donc redevable que des échéances échues au jour de l'arrêt", "sous réserve de la règle de l'imputation des règlements" résultant de la déchéance des intérêts encourue par la banque en application de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier ; que, pour fixer à la somme de 202 089,13 euros la condamnation prononcée contre la caution au titre du prêt de 850 000 euros n° 9157611, renuméroté 9506645, la cour d'appel a cependant imputé sur le capital restant dû au jour de son arrêt, le 28 avril 2020, les règlements effectués depuis la date à compter de laquelle la banque était déchue des intérêts de ce prêt, soit le 31 mars 2014 ; qu'en procédant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que les échéances à venir au jour de son arrêt n'avaient pas été rendues exigibles, la cour d'appel a violé les articles 2290 du code civil, L. 622-29 et L. 631-14 du code de commerce ;
2°/ que, de même, la cour d'appel a retenu que "la banque ne pouvait, en
l'absence de déchéance du terme à l'égard de la caution, la mettre en demeure de régler la totalité des sommes dues au titre des prêts et demander sa condamnation au paiement du solde des prêts", et que la caution n'était "donc redevable que des échéances échues au jour de l'arrêt", "sous réserve de la règle de l'imputation des règlements" résultant de la déchéance des intérêts encourue par la banque en application de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier ; que, pour fixer à la somme de 27 273,95 euros la condamnation prononcée contre la caution au titre du prêt de 140 000 euros n° 9448484, la cour d'appel a cependant imputé sur le capital restant dû au jour de son arrêt, le 28 avril 2020, les règlements effectués depuis la date à compter de laquelle la banque était déchue des intérêts de ce prêt, soit le 31 mars 2015 ; qu'en procédant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que les échéances à venir au jour de son arrêt n'avaient pas été rendues exigibles, la cour d'appel a violé des articles 2290 du code civil, L. 622-29 et L. 631-14 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 622-29 et L. 631-14 du code de commerce, et l'article L. 313-22 du code monétaire et financier :
7. Il résulte des deux premiers textes que le jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ne rend pas exigibles les créances non échues à la date de son prononcé et que toute clause contraire est réputée non écrite. Dès lors, en l'absence de déchéance du terme tant à l'égard du débiteur principal que de la caution, les paiements effectués par le débiteur principal ne peuvent être imputés que sur le capital exigible de la caution, lorsque l'établissement de crédit est déchu de son droit aux intérêts au taux conventionnel pour défaut d'information annuelle de la caution sur le fondement du troisième texte.
8. Pour condamner M. [L] à payer à la banque les sommes de 202 089,13 euros et 27 273,95 euros au titre des cautionnements, respectivement, des prêts de 850 000 euros et 140 000 euros, après avoir déclaré la banque déchue de son droit aux intérêts contractuels de ces prêts pour les périodes concernées par le défaut d'information annuelle de la caution, la cour d'appel a déduit, pour chacun de ces prêts, les règlements effectués par la société débitrice principale du capital restant dû au 28 avril 2020, jour du prononcé de son arrêt.
9. En statuant ainsi, quand une partie du capital restant dû au 28 avril 2020 n'était pas échue à cette date et n'était donc pas exigible, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [L] à payer à la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France, dans la limite de ses engagements de caution, la somme de 202 089,13 euros au titre du cautionnement du prêt de 850 000 euros n° 9157611 renuméroté 9506645, et la somme de 27 273,95 euros au titre du cautionnement du prêt de 140 000 euros n° 9448484, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, avec capitalisation, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 28 avril 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.