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Décisions

ADLC, 7 juin 2022, n° 22-D-11

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Relative à une demande de mesures conservatoires

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Olivia Pingret, et M. Henri de Baudoüin, rapporteurs

ADLC n° 22-D-11

7 juin 2022

Résumé

L’Autorité s’est saisie d’office, comme le lui permet désormais l’article L. 464-1 du code de commerce, en vue d’examiner le bien-fondé du prononcé de mesures conservatoires concernant des pratiques mises en œuvre par la société Commissaires-Priseurs Multimédia (ci-après « CPM »).

CPM, dont le capital social est exclusivement détenu par des commissaires-priseurs judiciaires, exploite une plateforme de ventes aux enchères généraliste qui propose une large gamme de biens meubles, sous un site Internet unique dénommé Interencheres.

Entre 2016 et 2020, CPM a engagé des réflexions pour renforcer les conditions exigées pour l’adhésion à Interencheres. L’élaboration de ces nouveaux critères d’adhésion est concomitante à l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l’égalité des chances économiques (« loi Macron »), qui a modifié les modalités d’accès au statut de commissaire-priseur judiciaire, dans l’objectif de favoriser la création de nouveaux offices et de fusionner, à terme, les professions de commissaire-priseur judiciaire et d’huissier de justice au sein d’une profession unique de commissaire de justice.

Plusieurs adhérents de CPM ont déclaré que le durcissement des conditions d’adhésion à la plateforme Interencheres était susceptible d’avoir eu pour objectif véritable de limiter l’accès des commissaires-priseurs judiciaires nouvellement nommés dans le cadre de la loi Macron et des futurs commissaires de justice à la plateforme Interencheres, en rendant plus complexe leur adhésion, afin d’atténuer le risque que leur arrivée induise une intensification de la concurrence dans le secteur des ventes aux enchères publiques de biens meubles. 

Au regard des éléments réunis par les services d’instruction, il n’est pas exclu que, tout en prétendant vouloir élever le niveau de qualité des services proposés par Interencheres, les membres du conseil de surveillance de CPM aient cherché à préserver leurs propres activités de ventes aux enchères publiques de biens meubles, et celles des autres actionnaires de CPM, des conséquences de l’arrivée de nouveaux professionnels dans ce secteur (qu’ils soient opérateurs de ventes volontaires, commissaires-priseurs judiciaires nouvellement nommés dans le cadre de la loi Macron ou, à partir de juillet 2022, commissaires de justice). Après analyse des éléments réunis à ce stade de l’instruction, l’Autorité a décidé de poursuivre l’instruction au fond de ce dossier, mais a estimé que les conditions du prononcé de mesures conservatoires n’étaient pas remplies.

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Les services d’instruction de l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») ont ouvert une enquête, répertoriée sous le numéro 18/0187 E, concernant les conditions d’installation des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires. L’ouverture de cette enquête faisait suite à des signalements de plusieurs commissaires-priseurs judiciaires nommés dans le cadre de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l’égalité des chances économiques (ci-après la « loi Macron »).

2. Par décision n° 21-SO-16 du 28 septembre 2021, enregistrée sous les numéros 21/0078 F et 21/0079 M, l’Autorité s’est saisie d’office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations de services à destination des opérateurs de ventes aux enchères publiques, judiciaires ou volontaires, de biens meubles et de l’examen du bien-fondé du prononcé de mesures conservatoires dans ce même secteur.

B. LE SECTEUR CONCERNE

1. L’ACTIVITE DE VENTE AUX ENCHERES PUBLIQUES

3. L’article L. 320-2 du code de commerce définit la vente aux enchères publiques comme une vente « faisant intervenir un tiers, agissant comme mandataire du propriétaire ou de son représentant, pour proposer et adjuger un bien au mieux-disant des enchérisseurs à l'issue d'un procédé de mise en concurrence ouvert au public et transparent […] ». Elle se distingue donc des ventes de gré à gré.

4. La loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques a établi une distinction au sein de la catégorie des ventes aux enchères publiques, celles-ci pouvant relever soit de l’autorité publique, soit de la liberté du marché. Dans le premier cas, les ventes sont désignées sous l’appellation de ventes « judiciaires » (prononcées dans le cadre de liquidations judiciaires, de ventes sous saisies ou encore de ventes des biens des personnes protégées) et, dans le second, de ventes « volontaires ».

5. Les premières sont prescrites par la loi ou les décisions de justice et relèvent de la seule compétence des officiers publics ou ministériels, nommés par le ministre de la Justice, que sont les commissaires-priseurs judiciaires et, dans certaines circonstances, les huissiers de justice ainsi que les notaires.

6. Les secondes résultent, quant à elles, du libre choix du propriétaire du bien et sont confiées à des opérateurs de ventes volontaires, déclarés auprès du Conseil des ventes volontaires (ci-après « CVV »)2.

7. Les commissaires-priseurs judiciaires peuvent exercer une activité de ventes volontaires, à condition qu’elle intervienne au sein d’une structure juridique – dite « structure de ventes volontaires » – distincte de celle assurant les ventes judiciaires3. À ce jour, les offices de commissaires-priseurs judiciaires sont, dans leur quasi-intégralité, adossés à des structures de ventes volontaires4, l’activité judiciaire procurant en général un produit inférieur à l’activité de ventes volontaires (de l’ordre de 20 % à 40 % des recettes cumulées)5. Les liens entre ventes volontaires et judiciaires sont également illustrés par les données communiquées par le CVV. À titre d’exemple, en 2019, 76 % des opérateurs de ventes volontaires (317) étaient adossés à des études judiciaires6.

8. Les ventes aux enchères publiques de biens meubles peuvent, par ailleurs, s’exercer selon trois modes différents.

9. Le premier mode, qui constitue le mode historique, prend place au sein d’une salle des ventes (« ventes sur place » ou « ventes physiques »). L’enchérisseur est tenu d’être présent physiquement dans la salle des ventes pour enchérir. Toutefois, les enchérisseurs peuvent enchérir à distance par téléphone ou en confiant un ordre d’achat au commissaire-priseur en charge de la vente.

10. Les deux autres modes de vente sont liés au développement d’Internet :

- les ventes aux enchères publiques dites « Live » [en direct] permettent aux opérateurs de réaliser leurs ventes par le biais de plateformes numériques ou de leur propre site Internet, mais doivent toujours être adossées à une vente physique ;

- les ventes aux enchères publiques dites « Online » [en ligne] ne sont reliées à aucune vente physique et sont soumises aux mêmes règles que les ventes aux enchères publiques en salle7.

11. Les commissaires-priseurs judiciaires ne peuvent, au jour de la présente décision, organiser des ventes judiciaires selon la modalité « Online », pour des raisons à la fois techniques et réglementaires8.

12. Selon les données du CVV, en 2021, plus de 3 milliards d’euros ont été adjugés par Internet (à l’occasion de ventes « Live » et « Online »), soit 75 % du montant total des ventes aux enchères de biens meubles9. S’agissant des ventes numériques, c’est le montant adjugé lors des ventes « Live » qui a augmenté le plus (75 % en 2021, après une augmentation de 190 % en 2020 par rapport à 2019) et celui qui apporte l’essentiel des recettes des ventes numériques en valeur absolue (820 millions d’euros sur un total de 1,049 milliard d’euros)10. Les ventes « Live » et « Online » ont représenté respectivement 63 % et 37 % du montant total adjugé aux enchères au travers de plateformes sur Internet en 2021, tous secteurs confondus11.

13. Une autre spécificité du secteur des ventes aux enchères publiques de biens meubles tient à la variété des produits offerts à la vente. Dans les usages, les biens meubles vendus aux enchères sont répartis en trois grandes catégories principales : (i) les mobiliers et objets d’art ; (ii) les matériels professionnels et véhicules d’occasion ; et (iii) les chevaux (bien que cette dernière activité représente un chiffre d’affaires marginal).

14. Selon le CVV, concernant les ventes volontaires réalisées en 2021, la catégorie « Mobilière objets d’art » représentait un montant d’adjudication de 1 050 millions d’euros pour l’activité en « Live » contre 144 millions d’euros pour celle en « Online ». La catégorie « Véhicules d’occasions et matériels professionnels » représentait,   quant   à   elle,   739 millions d’euros pour l’activité en « Live » contre 944 millions d’euros pour celle en « Online ».

15. Il faut  préciser  que  les  ventes  « Online »  sont  très  majoritairement  celles  du   secteur « Véhicules d’occasion et matériel industriel ». Cette particularité tient à la standardisation des biens proposés, à la normalisation des descriptifs des véhicules (description précise et détaillée accompagnée d’un large éventail de photographies présentant les biens sous tous les angles), ainsi qu’à la nature de la clientèle elle-même, majoritairement composée de professionnels qui traitent des volumes importants de véhicules.

16. En outre, les opérateurs de ventes volontaires peuvent être soit généralistes, soit spécialisés dans une des catégories précitées. À cet égard, le CVV distingue les maisons de ventes par secteur d’activité ou type de spécialisation. Ainsi, en 2021, en France, selon le CVV, 220 maisons de ventes relevaient du secteur « Art et objets de collection », 117 étaient généralistes, 30 appartenaient au secteur « Véhicules d’occasion et matériel industriel » et 7 relevaient du secteur « Chevaux »13.

2. L’EVOLUTION DU CADRE JURIDIQUE DU SECTEUR CONCERNE

17. Au 1er juillet 2022, le cadre juridique applicable aux ventes judiciaires de biens meubles aux enchères publiques sera sensiblement modifié par la fusion des professions de commissaire- priseur judiciaire et d’huissier de justice en une profession unique de commissaire de justice14. Cette fusion aura également un impact sur les ventes volontaires, puisque les commissaires de justice, qu’ils aient été précédemment commissaires-priseurs judiciaires ou huissiers de justice, pourront « organiser et réaliser des ventes, inventaires et prisées correspondants relevant de l'activité d'opérateur de ventes volontaires mentionnée à l'article L. 321-4 du code de commerce, dans les conditions de qualification requises par cet article »15.

18. Au jour de la présente décision, les huissiers de justice peuvent, à titre accessoire et sous certaines conditions détaillées ci-dessous, être habilités à réaliser des ventes volontaires, en application de l’article L. 321-2 du code de commerce, sans pour autant bénéficier du statut d’opérateur de ventes volontaires. Ils sont dispensés du diplôme national en droit exigé par le 3° de l’article R. 321-18 du code de commerce16, mais doivent avoir suivi une formation d'une durée de soixante heures portant sur la réglementation, la pratique et la déontologie des ventes aux enchères, en application de l’article R. 321-18-1 du code de commerce.

19. À compter du 1er juillet 2022, ces dispositions seront remplacées par celles du décret n° 2019-1185 du 15 novembre 2019 relatif à la formation professionnelle des commissaires de justice. Dès lors, qu’ils soient anciennement commissaires-priseurs judiciaires ou huissiers de justice, les commissaires de justice qui souhaiteront pratiquer des ventes volontaires seront dispensés des diplômes, de l’examen et du stage17 s’ils justifient avoir subi un module de perfectionnement en art, une formation d’un an (enseignement théorique sur la réglementation, la pratique et la déontologie des ventes volontaires aux enchères publiques et pratique chez un opérateur de ventes volontaires), et avoir réussi, à l’issue de cette formation, un examen d’aptitude à la profession d’opérateur de ventes volontaires, en application des articles 37 et 38 du décret du 15 novembre 2019 précité.

20. Les articles 39 et 40 de ce même décret prévoient, en outre, des dispenses de la formation théorique et pratique d’un an susmentionnée sous réserve de justifier :

- avant le 1er juillet 2022, de la condition tenant à la formation de 60 heures précitée et de la réalisation d’au moins six ventes volontaires par an ou de l’organisation et de la réalisation de ventes volontaires d’un produit total supérieur à 60 000 euros depuis l’accomplissement de cette formation (article 39, alinéa 1) ;

- avant le 1er juillet 2022, de cette même condition de formation de 60 heures sans justifier de la réalisation des ventes précitées, sous réserve de justifier, au plus tard le 30 juin 2026, de l’organisation et de la réalisation d’au moins 10 ventes volontaires auprès d’un opérateur de ventes volontaires (article 39, alinéa 2) ;

- de l’organisation et de la réalisation d’au moins huit ventes volontaires par an depuis le 1er janvier 2016 ou de l’organisation et de la réalisation de ventes volontaires d’un produit total supérieur à 80 000 euros par an depuis le 1er janvier 2016 (article 40).

21. Enfin, l’article 7 de la loi n° 2022-267 du 28 février 2022 visant à moderniser la régulation du marché de l’art a créé une nouvelle voie de dispense, en sus de celles déjà prévues par les dispositions précitées du décret de 2019. En effet, le commissaire de justice qui justifiera avoir réalisé – entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2021 et pendant une période d'au moins trois années consécutives – soit au moins 24 ventes volontaires, soit des ventes volontaires dont le produit total est supérieur à 230 000 euros, sera réputé disposer de la qualité d’opérateur de ventes volontaires pour organiser et réaliser des ventes volontaires dans le cadre d’une structure de ventes volontaires.

3. LES SERVICES A DESTINATION DES OPERATEURS DE VENTES AUX ENCHERES PUBLIQUES

22. Afin de permettre aux opérateurs de ventes aux enchères publiques, judiciaires ou volontaires, de biens meubles, d’exercer leur activité, plusieurs plateformes, françaises ou étrangères, ont développé des services de rediffusion en « Live » et/ou de ventes dématérialisées. En parallèle, ces plateformes proposent généralement un service de publication en ligne d’annonces des ventes aux enchères (volontaires et judiciaires, sans distinction), offrant ainsi aux opérateurs de ventes une meilleure visibilité. Ce service peut être proposé seul – c’est-à-dire dissocié de l’utilisation des services de retransmission « Live » et/ou de ventes « Online » – ou, au contraire, rattaché à l’utilisation de ceux-ci.

23. Les plateformes « généralistes » proposant de tels services aux opérateurs de vente aux enchères publiques en ligne (a) peuvent être notamment distinguées d’autres plateformes, plus « spécialisées » (b).

a) Les plateformes généralistes

24. Les opérateurs de ventes, qu’ils soient généralistes ou spécialisés (voir supra paragraphe 16), peuvent avoir recours aux services de plateformes généralistes, en complément de leurs propres sites de ventes en ligne. Ces plateformes disposent, en effet, d’une plus large audience qu’un site individuel de maison de ventes.

25. Les principales plateformes françaises sont celles de :

- DROUOT (exploitée par la société DROUOT SI) : drouotonline.com et lemoniteurlive.com18 ;

- INTERENCHERES (exploitée par la société Commissaires-Priseurs Multimédia, ci-après « CPM »).

26. DROUOT SI est une société commerciale détenue par Drouot Patrimoine. Elle a pour objet de vendre ses services à tous les opérateurs de ventes, volontaires ou judiciaires, sans distinction ni conditions d’adhésion particulières. Les services qu’elle propose incluent la publication de catalogues de ventes aux enchères publiques et des informations sur les sites Internet drouotonline.com et lemoniteurlive.com, la gestion informatique et la retransmission en direct de ventes « Live », ainsi que des ventes « Online ». En complément de ces services, Drouot SI édite une revue papier et numérique, « La Gazette Drouot »19.

27. La publication de catalogues de ventes peut concerner toutes les modalités de ventes (en salle des ventes, « Live » ou « Online »), le service de « Live » et le service « Online » étant mis à disposition des vendeurs qui le souhaitent. Cette offre de services est proposée même lorsque les ventes sont retransmises en ayant recours à la solution « Live » d’un concurrent.

28. Sans distinction entre les ventes volontaires et judiciaires, la plateforme drouotonline.com est davantage spécialisée dans la catégorie « Mobiliers et Objets d’art », sans pour autant y être exclusivement dédiée, alors que celle du moniteurlive.com est davantage tournée vers les catégories « Véhicules » et « Matériels professionnels ».

29. CPM exploite, quant à elle, une plateforme généraliste qui propose une large gamme de produits, sous un site Internet unique dénommé Interencheres : mobiliers et objets d’art, matériel professionnel et véhicules d’occasion.

30. Elle offre à ses « adhérents-annonceurs » (334 selon la dernière transmission de CPM20), sous conditions d’adhésion, un service de publication en ligne d’annonces de leurs ventes aux enchères publiques de biens meubles à venir (judiciaires ou volontaires) et un service de retransmission de leurs ventes physiques en direct (i.e. « Live ») au travers d’Interencheres. Depuis octobre 202121, un service de vente « Online » est également disponible sur la plateforme.

31. En 2020, CPM a fait l’acquisition de la société Auction, exploitante du site Auction.fr, spécialisé dans les ventes de « Mobilier et Objets d’art » proposées par une multiplicité d’annonceurs (maisons de ventes, antiquaires, galeries, ou sites de courtage) sous la forme de retransmission « Live » et dématérialisée (« Online »). La plateforme dispose d’un portefeuille de 280 annonceurs (dont 90 sont également des annonceurs sur Interencheres)22.

32. Les plateformes Drouot et Interencheres ont une portée géographique s’étendant à l’ensemble du territoire français. Elles disposent également, toutes deux, d’une audience internationale :

- la plateforme drouotonline.com compte près de 50 % d’opérateurs de ventes situés hors de France, tandis que près d’un quart des enchérisseurs sur cette plateforme sont étrangers 23 ;

- la plateforme Interencheres dispose d’une audience d’enchérisseurs étrangers qui s’élève à près de 10 %24 et l’ensemble de ses adhérents-annonceurs sont établis en France25.

b) Les plateformes spécialisées

33. Le secteur des prestations de services à destination des opérateurs de ventes aux enchères publiques, judiciaires ou volontaires, de biens meubles comporte une variété d’autres intervenants, français et étrangers, mais il existe des distinctions entre eux, qui sont liées aux types de services proposés en ligne et à leur spécialisation.

34. Drouot et CPM, qui sont des opérateurs généralistes, ont identifié, dans leurs réponses aux questionnaires des services d’instruction, plusieurs plateformes étrangères concurrentes proposant un service de retransmission « Live » et/ou « Online » accessible aux opérateurs de vente et aux enchérisseurs français, qui sont toutes spécialisées : Invaluable.com (États-Unis), The-saleroom.com (Royaume-Uni), Artsy.net (États-Unis) et Lot-tissimo.com (Allemagne), pour les principales26. Toutes ces plateformes sont spécialisées dans la catégorie « Mobilier et objets d’art ».

35. Drouot estime également que d’autres plateformes spécialisées seraient ses concurrentes27. CPM a aussi précisé que de nombreuses maisons de ventes spécialisées proposent un service de vente « Live » et/ou « Online » au travers de leurs propres sites internet28. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs adhérentes de sa plateforme29. Drouot, comme CPM, ont souligné l’existence d’autres plateformes spécialisées ou généralistes, telles que Catawiki, Ebay ou Idealwine, mais ne les comptent pas parmi leurs concurrents respectifs, les vendeurs n’étant pas des mandataires mais des marchands, vendant des biens meubles pour leur propre compte30.

36. Enfin, concernant l’activité de publication d’annonces en ligne de ventes aux enchères publiques, si Drouot et CPM acceptent la publication de catalogues sans services transactionnels associés (i.e., uniquement à des fins publicitaires), d’autres concurrents, au contraire, la refusent. CPM et Drouot n’ont d’ailleurs pas identifié d’autres plateformes concurrentes de ventes aux enchères publiques actives en France et proposant une offre de publication des ventes dissociée de l’utilisation de services de « Live » et/ou de « Online ». Selon ces acteurs, cependant, les principales plateformes étrangères concurrentes proposeraient un service de publication31. Selon Drouot, celles-ci n’autoriseraient pas la publication de « catalogues secs »32.

C. L’ENTREPRISE CONCERNEE

37. CPM est une société anonyme à directoire et conseil de surveillance. Le capital social de CPM  est   exclusivement   détenu   par   des   commissaires-priseurs   judiciaires33. Le 20 janvier 2022, la société comptait 324 actionnaires personnes physiques, dont quatre sont issus d’une nomination en application de la loi Macron34. La participation au directoire et au conseil de surveillance de CPM est également assurée uniquement par des commissaires-priseurs judiciaires.

38. À ce jour, seuls les professionnels détenant le statut de commissaire-priseur judiciaire peuvent adhérer à Interencheres, sous réserve d’exercer également la profession d’opérateur de ventes volontaires, dans une structure distincte de leur office ministériel, comme il sera expliqué ci-après.

39. Ainsi qu’il est exposé plus en détail aux paragraphes 29 et suivants ci-avant, CPM a développé le site Internet Interencheres sous la forme d’une place de marché qui met en relation des annonceurs et des acheteurs-enchérisseurs.

D. LES PRATIQUES CONSTATEES

40. Entre 2016 et 2020, CPM a engagé des réflexions visant à renforcer les conditions exigées pour l’adhésion à Interencheres. L’élaboration de ces nouveaux critères d’adhésion est concomitante à la prochaine entrée en vigueur de la loi Macron (1).

41. Plusieurs adhérents de CPM ont déclaré que le durcissement des conditions d’adhésion à la plateforme Interencheres était susceptible d’avoir pour objectif véritable de limiter l’accès des commissaires-priseurs judiciaires nouvellement nommés et des futurs commissaires de justice à la plateforme Interencheres, en rendant plus complexe leur adhésion, et, par ce biais, d’atténuer le risque que leur arrivée induise une intensification de la concurrence dans le secteur des ventes aux enchères publiques de biens meubles (2).

1.   L’EVOLUTION DES CRITERES D’ADHESION D’INTERENCHERES

42. En réponse à une demande des services d’instruction, CPM a précisé, s’agissant de l’évolution des critères d’adhésion à Interencheres : « […] les différentes trames [des conditions générales d’Interencheres] qui se sont succédées (sic) part(aient) d’une première version sommaire intitulée "Charte d’utilisation du site Interencheres", pour devenir les "Conditions générales Interencheres" le 6 décembre 2016, dont une deuxième version entrera en vigueur le 15 mars 2018, une troisième le 2 juillet 2018, puis une quatrième le 30 octobre 2018 et une cinquième le 12 décembre 2018 »35.

43. Avant le 6 décembre 201636, un document, dénommé « charte d’utilisation du site Interencheres », limitait l’utilisation des services de la plateforme à deux types d’opérateurs : « (i) à toute personne physique ou morale exerçant l'activité de commissaire-priseur judiciaire » ou « (ii) à toute société de vente volontaire détenue à plus de 50 % par un ou plusieurs commissaire-priseur judiciaire »37. Ainsi, aux termes de cette charte, seuls les commissaires-priseurs judiciaires et les structures de ventes volontaires adossées à l’office judiciaire d’un commissaire-priseur judiciaire pouvaient accéder aux services d’Interencheres. Hormis cette condition liée au statut de commissaire-priseur judiciaire, aucun autre critère ni formalisme spécifique n’était imposé par CPM.

44. À compter du 6 décembre 2016, la charte d’utilisation du site Interencheres a été remplacée par les « Conditions générales Interencheres » (« CGI ») créant un article 3.1.1 relatif à la qualité d’« Adhérent-Annonceur ». Celle-ci était alors reconnue « à une ou plusieurs personnes physiques, exerçant la profession de commissaire-priseur judiciaire ou assimilé, et assurant le contrôle d'une ou plusieurs structure(s) de ventes : a) au moins une de ces structures de ventes doit être : une entreprise individuelle, une société d'exercice libéral, une société civile de moyens, ou toute autre forme équivalente dont l’objet social consiste à exercer l’activité de commissaire-priseur judiciaire ou assimilé. b) La ou les autres structure(s) de ventes éventuelles doit (doivent) être : une ou plusieurs société(s) commerciale(s), opérateur(s) de ventes volontaires déclarée(s) auprès du Conseil des ventes volontaires, et dont le(s) capital (aux) social{aux) est(sont) majoritairement détenu(s), en direct ou par l’intermédiaire de structures de contrôle, par un ou plusieurs Adhérents-Annonceurs »38.

45. Dès lors, la qualité d’adhérent, qui pouvait préalablement être reconnue à un commissaire-priseur judiciaire (sans condition de contrôle) ou à sa structure de ventes volontaires (à condition qu’il la détienne majoritairement), a été limitée aux commissaires-priseurs judiciaires personnes physiques contrôlant, cette fois, une structure judiciaire.

46. Les CGI ont été modifiées le 15 mars 2018, mais les clauses relatives à la qualité de l’adhérent-annonceur n’ont pas été modifiées.

47. Lors d’une réunion du 10 avril 2018, le directoire de CPM a présenté à son conseil de surveillance un nouveau projet de modification des CGI prévoyant d’ajouter un critère d’ancienneté pour adhérer à la plateforme. Le directoire de CPM a alors proposé aux membres de son conseil de surveillance : « que nous intégrions dans nos conditions d’adhésion une exigence d’existence juridique et d’activité de plus de quatre ans […] »39.

48. Cette  proposition  s’est  traduite  par  l’adoption  d’une  nouvelle  version  des  CGI  le  2 juillet 2018, dans laquelle l’article 3 relatif à la qualité d’adhérent-annonceur prévoyait, uniquement pour les offices de commissaires-priseurs judiciaires : « cette structure de vente de commissaire-priseur judiciaire ou assimilé doit impérativement avoir une activité effective d’une durée supérieure à 3 ans de façon à garantir qu’elle dispose des infrastructures matérielles et des moyens humains nécessaires pour garantir aux consommateurs internautes une très grande qualité de service »40.

49. Le 30 octobre 2018, une troisième version des CGI est entrée en vigueur, imposant aux adhérents d’exercer à la fois en qualité de commissaire-priseur judiciaire et d’opérateur de ventes volontaires, au sein de deux structures distinctes, et de satisfaire à un ensemble de critères dits « qualitatifs », regroupés dans un « référentiel des moyens et infrastructures requis en vue d’une adhésion à Interencheres » (ci-après le « Référentiel »)41. L’article 3.1. a ainsi été modifié en ces termes : « La qualité d'Adhérent-Annonceur est reconnue à une ou plusieurs personnes physiques, exerçant conjointement dans au moins deux structures de ventes, la profession de commissaire-priseur judiciaire ou assimilé, et la profession de commissaire-priseur habilité à diriger des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques »42.

50. A également été ajouté un nouvel article 3.3 prévoyant :

« Afin de garantir aux consommateurs internautes une très haute qualité de service l’Adhérent-Annonceur doit, au travers de ses structures de ventes : (i) Disposer d’un ensemble de moyens et d’infrastructures et les maintenir pendant la durée de son adhésion,

(ii) Satisfaire dans son exploitation à des indicateurs de qualité exigés par CPM et qui permettent à cette dernière d’assurer la cohérence de l’offre présentée sur ses Sites. A la signature des Conditions Générales INTERENCHERES, l’Adhérent-Annonceur produit l’ensemble des justificatifs listés dans l’Annexe "Référentiel des moyens, infrastructures et des exigences requis en vue d'une adhésion à Interencheres". Il doit pouvoir en justifier à tout moment de son adhésion »43.

51. Ces évolutions avaient vocation à supprimer toute référence à un nombre d’années requis pour lui préférer un référentiel. Ainsi, à la condition d’antériorité a été substituée l’obligation de fournir un ensemble de pièces44, répondant, selon CPM, à sa définition d’une « très haute qualité de service »45. En complément, il était désormais exigé que l’adhérent exerce cumulativement l’activité de commissaire-priseur judiciaire et d’opérateur de ventes volontaires, là où, initialement, une structure de ventes volontaires « adossée » pouvait demander un accès aux services d’Interencheres uniquement au titre de sa propre activité de ventes volontaires. En d’autres termes, l’adhésion était rattachée à la personne physique du commissaire-priseur judiciaire, par ailleurs opérateur de ventes volontaires, qui dispose, à ce double titre, d’un accès aux services d’Interencheres pour exercer ses activités de vente judiciaires et volontaires.

52. Il faut noter que les CGI46 (et plus spécifiquement l’article 3 et le Référentiel) ont été ensuite modifiés le 12 décembre 2018, puis en septembre 202047, mais sans que les critères d’adhésion aient évolué sur le fond, à l’exception de celui concernant les structures de ventes volontaires de véhicules d’occasion, qui sont désormais acceptées sur Interencheres48. À cette même période, CPM a également adopté un Référentiel « adapté et remis en forme »49.   Dans   cette   version50, communiquée    aux    services    d’instruction    le   15 décembre 2020, le Référentiel exigé pour les candidats à l’adhésion51 apparaît identique au précédent.

53. Aux termes de cette dernière version52, les critères d’adhésion sont les suivants :

- détenir, par le commissaire-priseur judiciaire, le contrôle de la structure de ventes volontaires appelée à publier sur le site Interencheres ;

- avoir établi le siège de la structure de ventes volontaires au siège de l’office de commissaire-priseur judiciaire, dans une commune limitrophe ou située dans le ressort du tribunal judiciaire dont dépend l’office ;

- avoir accompli au moins 50 ventes aux enchères judiciaires ou volontaires (hors ventes « Online ») ;

- ne pas avoir dépassé, sur la part des ventes volontaires, plus de 50 % d’invendus des lots présentés au cours des 50 dernières ventes volontaires ;

- ne pas avoir fait l’objet dans son parcours professionnel au cours des 3 dernières années d’une sanction pénale, disciplinaire, administrative ou commerciale ;

- disposer de locaux professionnels adaptés à la réception du public ;

- disposer d’un lieu de vente habituel adapté à la réception du public loué ou mis à disposition à temps complet ou occasionnellement ;

- disposer d’au moins 2 personnes à temps plein (y compris le commissaire-priseur judiciaire titulaire ou la personne habilitée à diriger les ventes) au siège de l'office judiciaire ;

- disposer d’une couverture financière des sommes détenues pour le compte des vendeurs à l'issue des 50 dernières ventes accomplies, tant pour l’activité judiciaire que volontaire ;

- disposer d'un contrat de cautionnement pour garantir la représentation des fonds détenus pour le compte des tiers ;

- avoir souscrit une police d’assurance couvrant la responsabilité civile professionnelle et les objets confiés ;

- disposer d’une adresse email et d’un téléphone permettant l’échange avec les tiers ; et respecter les temps d’expédition sous 10 jours ouvrés après réception du règlement d’un acheteur.

54. Le président du directoire de CPM a déclaré que le Référentiel mis en place fin 2018 diffère entre les « non encore adhérents » souhaitant accéder aux services d’Interencheres et ceux « déjà adhérents » pour lesquels s’applique un « référentiel simplifié »53. Ainsi, pour ces derniers, « les pièces justificatives à fournir sont les mêmes que pour les commissaires-priseurs judiciaires non-adhérents, à l’exception de certaines d’entre-elles relatives à des informations dont nous avons déjà connaissance en raison des relations préétablies »54.

55. Si tous les adhérents doivent en apparence fournir les mêmes informations, le formalisme du dossier à compléter repose, en pratique, sur un mode purement déclaratif pour les seuls anciens adhérents, qui se contentent de remplir et signer deux attestations sur l’honneur, prenant la forme de simples formulaires avec des cases à cocher, alors que les candidats à l’adhésion doivent accompagner leur déclaration d’un ensemble d’attestations et de pièces justificatives.

2. LES DECLARATIONS RECUEILLIES PAR LES SERVICES D’INSTRUCTION

56. Dès 2012, des discussions ont eu lieu au sein de CPM sur un projet d’ouverture « raisonnée » et « maîtrisée » d’Interencheres à d’autres professionnels que les commissaires-priseurs judiciaires. Cette initiative avait été abandonnée car « très mal accueillie par la majorité des CPJ [commissaires-priseurs judiciaires] adhérents »55.

57. Les motifs de ce rejet ont été rappelés en ces termes par M. X..., lors d’une réunion du conseil de surveillance de CPM qu’il présidait le 5 septembre 2017 :

« La force de l’affectio societatis entre CPJ [commissaires-priseurs judiciaires] qui est en totale opposition avec l’idée d’ouverture, l’idée de CPM étant de constituer un site d’annonces de ventes mutualisé au service exclusif et immédiat des CPJ [commissaires-priseurs judiciaires]. Le succès du site, faisant d’Interencheres un outil de communication incontournable et donc un atout vital pour les confrères dans leur exercice professionnel quotidien et à moindre coût. La précarisation de notre profession (du fait de la concurrence accrue et de la chute de la valeur des biens mobiliers) […]. Le terme d’ouverture a créé de vives crispations »56.

58. La proposition initiale d’instaurer une condition d’existence juridique et d’activité de plus de quatre ans visait à permettre aux commissaires-priseurs judiciaires déjà adhérents d’Interencheres, et pour la plupart actionnaires de CPM, de se préserver de cette nouvelle concurrence pendant une durée équivalente (soit quatre ans). La fin de cette période de quatre ans aurait coïncidé avec l’intégration à venir de la profession de commissaire-priseur judiciaire dans celle des commissaires de justice, prévue pour juillet 2022.

59. La seconde proposition, qui consistait à instaurer un référentiel en lieu et place de cette condition d’antériorité de quatre ans et qui a été adoptée en décembre 2018, est présentée par CPM comme un dispositif « objectif » de sélection des adhérents à Interencheres.

60. Toutefois, elle a été perçue, par plusieurs membres du conseil de surveillance de CPM, comme une barrière à l’entrée, ceux-ci évoquant une « logique de fermeture avec l’application de ce référentiel »57 ou encore que « l’application de ce référentiel aura pour effet de créer une cassure avec les jeunes "CPJ Macron" [commissaires-priseurs judiciaires nouvellement nommés] »58. Dans le même sens, un membre a mentionné ne pas vouloir « exclure ces derniers et en préférant leur donner une chance de faire leur preuve plutôt que de les priver d’Interencheres d'entrée de jeu. […] une telle attitude est contraire à l'accueil des jeunes et avoue ne pas comprendre la philosophie de ce référentiel »59 (éléments entre crochets ajoutés).

61. Sur ce point, Me Y..., président du Syndicat des officiers priseurs vendeurs aux enchères de meubles (ci-après « SOPVEN ») à l’époque de son audition, a indiqué: « On peut penser que ces nouveaux critères ont été mis en œuvre pour empêcher l’arrivée des CPJ Macron [commissaires-priseurs judiciaires nouvellement nommés] dans la profession »60. Il a ajouté que, selon lui, le Référentiel aurait été érigé pour faire « barrage à la venue de certains professionnels qui ne rempliraient pas des conditions suffisantes de qualité. Il est toutefois clair que cela [i.e. le Référentiel] a aussi été mis en place comme obstacle aux CPJ Macron et aux huissiers » (soulignements ajoutés)61. Pour illustrer son propos, Me Y... a mentionné que « [l]ors de la mise en œuvre du référentiel, j’ai été approché par plusieurs jeunes confrères issus d’offices créés par la loi Macron et qui se voyant refuser l’accès à Interencheres m’ont contacté pour s’en plaindre. »62.

62. De son côté, Me Z... ([commissaire-priseur judiciaire nommé à XX le XX 2018) s’est aussi interrogé sur la concomitance du renforcement des critères d’adhésion à Interencheres par CPM et la mise en œuvre de la loi Macron : « Que fait-il qu’il est devenu urgent de changer les conditions d’adhésion en ce sens, avec un durcissement certain ou un niveau d’exigence tel (avant, on rappelle que la seule condition était d’être commissaire-priseur judiciaire)»63 (soulignement ajouté).

63. À la question relative à l’allongement du délai d’adhésion des nouveaux adhérents provoqué par la mise en place par CPM du Référentiel, Mme B..., ancienne salariée de l’entreprise, a répondu lors de son audition : « Oui, il l’a allongé considérablement. Avant, une adhésion pouvait être mise en place dans la journée. Aujourd’hui en termes de conversion, cela peut prendre des mois, notamment pour réunir les pièces »64 (soulignements ajoutés).

64. Différentes déclarations recueillies auprès de nouveaux adhérents à Interencheres, également commissaires-priseurs judiciaires nouvellement nommés, corroborent cette affirmation. Cela a notamment été le cas de Me A... : « […] comme je ne remplissais pas toutes les conditions, j’ai pendant un temps laissé en suspens ma demande d’adhésion. Au total, il m’a donc fallu plus d’un an pour être en mesure de déposer un dossier complet, correspondant aux nouveaux critères d’Interencheres » (soulignements ajoutés)65. Me C... a de même déclaré : « J’ai effectué ma première demande en 2018, vers l’été, et je n’ai pas reçu de réponse dans un premier temps. J’ai refait ma demande en février 2019 et j’ai eu l’accès vers le 15 mai 2019 »66. Me D... a aussi dû attendre près d’une année pour avoir accès aux services d’Interencheres. Elle a ainsi mentionné lors de son audition : « ma première demande a été faite quand j’ai été nommée en septembre 2018, par téléphone. J’ai obtenu mon accès effectif en octobre 2019 »67. Me Z... a enfin souligné que : « 4 mois et demi ont été nécessaires pour accéder à la plateforme Interencheres. À l’inverse, pour le Moniteur Online, il aura fallu environ 15 jours »68.

65. Le CVV a également remis en cause la pertinence de plusieurs critères qualitatifs mis en place par CPM.

66. Ainsi, en ce qui concerne l’obligation, faite aux adhérents d’Interencheres, que la structure de ventes volontaires soit contrôlée par un professionnel exerçant cumulativement les professions d’opérateur de ventes volontaires et de commissaire-priseur judiciaire, le président du CVV a indiqué lors de son audition :

« Nous ne voyons pas de rapport entre la qualité et cette condition. Cela n’est pas là que se situe le sujet. Cela n’a pas de rapport avec le service rendu au client mais plutôt à des questions de pouvoir interne. La vraie qualité c’est l’application des règles déontologiques. C’est évidemment l’emballage, le transport, la présentation des œuvres, qui sont fondamentales pour la qualité du service. Il faut qu’il y ait des photographies, une possibilité d’agrandissement de celles-ci, une description détaillée. Nous avons d’ailleurs des recommandations sur ce point »69.

67. S’agissant du critère de la réalisation d’au moins 50 ventes volontaires ou judiciaires (hors ventes « Online »), le président du Conseil du CVV a précisé qu’un tel nombre était « beaucoup », car « une maison de ventes de province [en] fait en moyenne 2 par mois donc environ 24 par an. Il faudrait donc attendre deux ans pour accéder à Interencheres »70.

68. À cela s’ajoute la difficulté de l’obtention de cette preuve par un commissaire-priseur judiciaire nouvellement nommé auprès de son ancien employeur, ce dernier pouvant se montrer réticent à l’idée de fournir cette information à un concurrent potentiel. Les propos recueillis auprès de quatre commissaires-priseurs judiciaires nouvellement nommés dans un office illustrent cette difficulté :

- « […] le CPJ [commissaire-priseur judiciaire] est soumis au bon vouloir de son ancien employeur, car celui-ci peut faire traîner les choses ou tout simplement ne pas avoir cette liste dans leurs priorités »71 ;

- « j’ai beaucoup d’expérience, donc je remplis aisément cette condition. Mais c’est surréaliste de demander à un professionnel en exercice de solliciter ses anciens employeurs pour attester qu’on a une expérience de l’activité. Sachant que si l’on n’a pas de très bons liens avec l’ancien employeur, cela peut devenir délicat. […] »72 ;

- « cette condition, en tant que nouvelle nommée "Macron", je ne pouvais la prouver que par mon ancien employeur, ce qui a été un problème puisque mon ancien employeur refusait de me donner ces éléments »73 ;

- « Cette dernière condition peut être particulièrement difficile à remplir puisqu’elle nécessite d’être resté en "bons termes" avec son ancien employeur, qui pourrait ralentir la fourniture de cette liste. […] Cela conserve une certaine forme de « cooptation » de l’ancien employeur sur les nouveaux nommés. […] c’est une condition qui ne dépend pas du CPJ [commissaire-priseur judiciaire] et dont l’incertitude de l’obtention est anxiogène lorsque vous vous lancez. Certains CPJ [commissaires-priseurs judiciaires] ont dû faire face à la fermeture de leurs maisons de vente, il était donc impossible pour eux d’obtenir la liste des 50 dernières ventes » (soulignements ajoutés)74.

69. Enfin, plusieurs déclarations recueillies lors de l’instruction font état d’une application arbitraire de certains critères d’adhésion. Ainsi, après avoir reçu des plaintes de la part de commissaires-priseurs judiciaires nouvellement nommés, et s’étant vu refuser l’accès à Interencheres, Me Y... a dénoncé auprès de CPM « […] les soupçons d’application préférentielle de ces critères et le constat de modalités de gouvernance d’Interencheres, qui paraissaient aux yeux de beaucoup comme étant pour le moins perfectibles »75. Dans le même sens, Me A... a souligné qu’« en réalité, ils [les critères d’adhésion] ne sont pas appliqués de manière objective : c’est au cas par cas »76 (soulignement ajouté).

E. DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

70. Les services d’instruction ont sollicité, à titre conservatoire et dans l’attente d'une décision au fond, le prononcé des mesures conservatoires dont l’objectif est de garantir que les conditions d’accès à la plateforme Interencheres soient définies et appliquées de manière transparente, objective et non-discriminatoire.

II. Discussion

A. APPLICABILITE DU DROIT DE L’UNION EUROPEENNE

71. Ainsi que l’expose la Commission dans ses lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »), il ressort du libellé de ces articles, ainsi que de la jurisprudence des juridictions de l’Union, que la démonstration de l’affectation sensible du commerce impose la réunion de trois éléments : l’existence d’un courant d’échanges entre États membres portant sur les produits en cause, l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges et, enfin, le caractère sensible de cette affectation77.

72. L’article 101, paragraphe 1, du TFUE prohibe les accords ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence et qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres. Dans sa communication n° 2004/C 101/07 du 27 avril 2004 portant lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (devenus articles 101 et 102 du TFUE), la Commission européenne rappelle que « les articles 81 et 82 du Traité s’appliquent aux accords horizontaux et verticaux et aux pratiques abusives d’entreprises qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres » (point 1) et que cette affectation actuelle ou potentielle doit être sensible (points 44 et suivants).

73. Au cas d’espèce, il est observé que des plateformes étrangères, par exemple lot-tissimo.com, souhaitent entrer sur les marchés où CPM est présent ou exerce déjà78. En outre, les utilisateurs des plateformes peuvent être établis à l’étranger, du moins pour ce qui concerne les enchérisseurs. Dès lors, le caractère transfrontalier des activités économiques concernées par les pratiques est établi.

74. S’agissant de l’appréciation du caractère sensible de l’affectation, les lignes directrices précitées précisent qu’elle dépend des circonstances de chaque espèce, et notamment de la nature de l'accord ou de la pratique, de la nature des produits concernés et de la position de marché des entreprises en cause (point 45). La Commission estime qu’en principe les accords ne peuvent pas affecter sensiblement le commerce entre États membres lorsque (i) la part de marché totale des parties sur un marché communautaire en cause affecté par l'accord n'excède pas 5 %, et (ii) que le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé dans la Communauté par les entreprises en cause avec les produits concernés par l'accord n'excède pas 40 millions d'euros (point 52). Étant donné la position significative de CPM dans le secteur des prestations de ventes « Live » à destination des opérateurs de ventes aux enchères publiques de biens meubles en France, ces deux seuils sont très largement franchis.

75. Le droit de l’Union est, par conséquent, susceptible d’être applicable aux faits de l’espèce.

B. LE SECTEUR CONCERNE PAR LA SAISINE

76. À titre liminaire, il convient de souligner qu’il résulte de la pratique décisionnelle de l’Autorité et de la jurisprudence de la Cour de justice que lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes ou des pratiques concertées, comme c’est le cas en l’espèce, il n’est pas nécessaire de définir le marché avec précision, dès lors que le secteur a été suffisamment caractérisé pour permettre de qualifier les pratiques observées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en place.

77. Le Tribunal de l’Union européenne a souligné que « l’obligation d’opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l’article [101 TFUE] s’impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun »79.

78. Ainsi, lorsque « les pratiques [...] sont recherchées au titre de la prohibition des ententes », le Conseil, puis l’Autorité, estiment qu’ « il n’est pas nécessaire de définir le marché avec précision, comme en matière d’abus de position dominante, dès lors que le secteur et les marchés ont été suffisamment identifiés pour permettre de qualifier les pratiques qui y ont été constatées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre »80.

79. Les pratiques constatées concernent les prestations de services de ventes « Live » à destination des opérateurs de ventes aux enchères publiques, judiciaires ou volontaires, de biens meubles.

80. Dans la mesure où ces pratiques sont examinées au titre de la prohibition des ententes, il n’est pas nécessaire de définir le marché avec davantage de précision.

C. SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

81. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 462-8 du code de commerce : « [l]’Autorité de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable pour défaut d’intérêt ou de qualité à agir de l’auteur de celle-ci, ou si les faits sont prescrits au sens de l’article L. 462-7, ou si elle estime que les faits invoqués n’entrent pas dans le champ de sa compétence ». Aux termes du deuxième alinéa de ce même article : « [e]lle peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu’elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants ou, pour les saisines reçues en application du II et du IV de l’article L. 462-5, lorsqu’elle ne les considère pas comme une priorité. »

82. Par ailleurs, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, « des mesures conservatoires peuvent être décidées dès lors que les faits dénoncés apparaissent susceptibles, en l'état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du code de commerce, à l'origine directe et certaine d’une atteinte grave et immédiate aux intérêts protégés par l'article L. 464-1 du code de commerce ; (...) la caractérisation d’une telle pratique n’est pas requise à ce stade de la procédure »81.

83. Il résulte de ce qui précède que l’Autorité peut déclarer irrecevable une saisine au fond associée à une demande de mesures conservatoires, si elle estime que les faits dénoncés apparaissent insusceptibles d’entrer dans le champ de sa compétence, c’est-à-dire de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du code de commerce.

1.  SUR LE CONCOURS DE VOLONTES

84. CPM soutient que les décisions prises par ses organes décisionnels étant « unilatérales », puisque n’impliquant pas ses actionnaires, elles ne pourraient être qualifiées de « décisions d’association d’entreprises ». Selon CPM, ce ne serait qu’en cas de convocation et consultation de ses actionnaires que la qualification de décision d’association d’entreprises pourrait être retenue82.

85. Or, s’agissant des décisions d’association d’entreprises, la Cour de justice a jugé, à plusieurs reprises, que « l’article 81 CE [devenu l’article 101 TFUE, note ajoutée] est de nature à appréhender toute forme de coopération et de collusion entre entreprises, y compris au moyen d’une structure collective ou d’un organe commun, telle une association, qui tend à produire les effets que cette disposition vise à réprimer »83. La notion de « décision d’association d’entreprises » a donc été introduite dans l’article 101 TFUE afin d’éviter que « les entreprises puissent échapper aux règles de la concurrence en raison de la seule forme par laquelle elles coordonnent leur comportement » et, ainsi, inclure dans le champ de cette disposition « les formes institutionnalisées de coopération, c’est-à-dire les situations où les opérateurs économiques agissent par l’intermédiaire d’une structure collective ou d’un organe commun »84. Il s’agit donc de vérifier si l’association concernée constitue une « forme institutionnalisée de coordination du comportement » des concurrents concernés85, le critère déterminant étant l’existence d’une « communauté d’intérêts » entre l’association et ses membres86.

86. En droit interne, la Cour de cassation considère que les organismes collectifs, tels que les syndicats, les associations ou les ordres professionnels, représentent la collectivité de leurs membres87. En conséquence, une pratique susceptible d’avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel mise en œuvre par un tel organisme révèle nécessairement une entente entre ses membres, au sens des articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce.

87. En l’espèce, si les orientations stratégiques de CPM sont proposées par le directoire qui les soumet ensuite à l’approbation du conseil de surveillance, les décisions qui en résultent sont l’expression de la volonté de l’ensemble des actionnaires de CPM, au travers du mandat qu’ils donnent à cet organe pour contrôler les décisions stratégiques de l’entreprise prises par son directoire88. Cela a notamment été le cas pour l’ensemble des discussions menées dans le cadre de l’élaboration et de l’adoption des CGI et du Référentiel de la plateforme Interencheres.

88. Contrairement à ce que soutient CPM, il n’est pas exigé, pour caractériser une telle décision d’association d’entreprises, que ses membres aient expressément voté en faveur des stipulations litigieuses, le critère déterminant étant celui de l’existence d’une « collectivité d’intérêt » entre l’organe collectif et ses membres, selon la jurisprudence Mastercard précitée. Or, en l’espèce, comme indiqué supra (voir le paragraphe 37), l’actionnariat de CPM et ses organes de direction sont composés uniquement de commissaires-priseurs judiciaires.

89. L’adoption par CPM du Référentiel précité (résultant du procès-verbal du conseil de surveillance du 18 décembre 201889) est, par conséquent, susceptible de constituer une décision d’association d’entreprises, au sens du droit de la concurrence.

2. SUR LA POSSIBLE RESTRICTION DE CONCURRENCE

90. Au vu de l’expérience acquise par l’Autorité de la concurrence, au fil de la jurisprudence90 et de sa pratique décisionnelle91, des conditions d’adhésion à une structure commune sont, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu de la concurrence92, et constituent par conséquent une restriction de concurrence « par objet », lorsque :

- l’adhésion à cette structure commune constitue une condition d’accès ou confère un avantage concurrentiel déterminant sur le marché ; et

- ces conditions d’adhésion sont définies ou appliquées de façon non objective, non transparente ou discriminatoire.

91. Au cas d’espèce, il y a d’abord lieu de rappeler que le législateur a souhaité, dans le cadre de la loi Macron, à la fois développer l’offre et l’implantation de nouveaux offices de commissaires-priseurs judiciaires afin de renforcer le maillage territorial dans les zones qui en sont actuellement peu dotées, mais aussi fusionner les professions de commissaire-priseur judiciaire et d’huissier de justice au sein d’une profession unique de commissaire de justice.

92. Au regard des éléments réunis par les services d’instruction, il n’est pas exclu que les membres du directoire et du conseil de surveillance de CPM aient cherché à préserver leurs propres activités de ventes aux enchères publiques de biens meubles, et celles des autres actionnaires de CPM, des conséquences de l’arrivée de nouveaux professionnels dans ce secteur.

93. Au cas d’espèce, il appartiendra aux services d’instruction, dans le cadre de la procédure au fond, de vérifier si la pratique mise en œuvre par CPM dans le secteur amont des prestations de services de ventes « Live » aux opérateurs de ventes restreint le jeu de la concurrence dans le secteur aval des ventes aux enchères publiques, volontaires et/ou judiciaires, de biens meubles.

D. SUR LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

94. L’article L. 464-1 du code de commerce dispose que : « L'Autorité de la concurrence peut, à la demande du ministre chargé de l'économie, des personnes mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 462-1 ou des entreprises ou de sa propre initiative et après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du Gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique en cause porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou le cas échéant, à l'entreprise plaignante. Elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence dans l'attente d'une décision au fond ».

95. Pour déterminer si les pratiques en cause justifient le prononcé de mesures conservatoires, il convient d’apprécier le caractère grave et immédiat de l’atteinte portée à l’économie générale, au secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante, les conditions de gravité et d’immédiateté étant cumulatives. En outre, la décision d’accorder des mesures conservatoires ne peut intervenir que s’il existe un lien de causalité direct et certain entre la pratique en cause et l’atteinte grave et immédiate à l’un des intérêts protégés par l’article L. 464-1 du code de commerce.

96. En l’espèce, l’Autorité relève que le CVV a publié, le 28 mars 2022, une étude sur le secteur des ventes aux enchères volontaires de biens meubles, qui montre une progression exponentielle des ventes aux enchères « Live » en 2020 et 2021 en France, ce segment de marché enregistrant une croissance de plus de 500 % au cours de ces deux années93. Compte tenu de cette forte croissance et en l’absence de mesures d’instruction complémentaires, l’Autorité n’est, en conséquence, pas en mesure d’apprécier la gravité de l’atteinte qui résulterait d’une restriction de l’accès à la plateforme Interencheres affectant de nouveaux entrants dans le secteur des ventes aux enchères « Live » de biens meubles.

97. En outre, il n’est pas établi que CPM a refusé l’accès à la plateforme d’Interencheres à des commissaires-priseurs judiciaires nouvellement installés. Même si leur entrée sur cette plateforme a pu être retardée du fait des pratiques de CPM, elle n’a pas été totalement empêchée. Si certains d’entre eux ont prétendu avoir subi des manques à gagner du fait de ces retards, cette circonstance, au demeurant non démontrée, ne peut caractériser, en soi, une atteinte grave. Par conséquent, le prononcé de mesures conservatoires en vue de faire cesser une atteinte résultant d’une restriction d’accès à la plateforme Interencheres n’apparaît pas justifié pour cette catégorie d’acteurs.

98. Par ailleurs, il n’est pas établi que des huissiers de justice, dont la profession sera remplacée par celle de commissaire de justice à compter du 1er juillet 2022, aient exprimé leur volonté d’adhérer à la plateforme Interencheres au cours des deux dernières années, ni qu’un éventuel refus ou retard d’accès serait dirimant pour l’exercice de leur activité future, même à la supposer axée sur les ventes judiciaires, le caractère déterminant de l’accès à la plateforme et l’absence d’alternatives n’étant pas, en l’état, suffisamment démontrés. Par conséquent, le prononcé de mesures conservatoires ne se justifie pas non plus pour cette catégorie d’acteurs, les mesures conservatoires n’ayant pas pour finalité de prévenir une perturbation simplement potentielle du droit de la concurrence.

99. Il découle de ce qui précède qu’il n’existe pas, à ce stade, d’éléments permettant de démontrer que les conditions d’accès à la plateforme Interencheres seraient susceptibles de porter, de manière directe et certaine, une atteinte grave et immédiate à l’un des intérêts protégés par l’article L. 464-1 du code de commerce.

100. En conséquence, il convient de rejeter la demande de mesures conservatoires présentée par les services d’instruction.

DÉCISION

Article 1er : Il y a lieu de poursuivre l’instruction au fond de la saisine enregistrée sous le numéro 21/0078 F.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 21/0079 M est rejetée.

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Le CVV a été créé par la loi n° 2011-850 du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et agit comme une autorité de régulation des ventes volontaires.

3 Article 29 de la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 portant règlementation des ventes volontaires de meubles, dans sa rédaction issue du III de l’article 55 de la loi du 6 août 2015 ; la loi du 20 juillet 2011 précitée a expressément dissocié les activités de ventes judiciaires et volontaires.

4 Avis n° 19-A-17 du 2 décembre 2019 relatif à la liberté d’installation des commissaires-priseurs judiciaires, voir paragraphe 12.

5 Avis n° 16-A-26 du 20 décembre 2016 relatif à la liberté d’installation des commissaires-priseurs judiciaires, voir note de bas de page n° 7 au paragraphe 8.

6 Rapport d’activité 2019 du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, voir page 7.

7 Selon la définition donnée par le CVV, ces ventes sont « totalement dématérialisées, le canal internet étant le seul moyen d’accès à la salle de vente qui est virtuelle ».

8 Délibération n° 2021/02 du 28 avril 2021 portant adoption d’une nouvelle proposition de carte des zones d’installation d’offices, assortie de recommandations sur le rythme de création de nouveaux offices de commissaires-priseurs judiciaires, jointe à l’avis n° 19-A-17 du  2  décembre  2019  précité,  voir  paragraphes 49 à 52.

9      Site      Internet     du     Conseil      des      ventes     volontaires,      accessibles      à     partir      de      l’URL : https://www.conseildesventes.fr/sites/default/files/hi_bilan_economique_france_2021_mars_2022_-

_corrige.pdf.

10 Ibid, page 4.

11 Ibid, page 20.

12 Ibid, page 20.

13 Ibid., page 7.

14 Le 2° de l’article 1er de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaires de justice.

15 IV de l’article 1er de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 précitée.

16 Le 8° de l’article R. 321-21 du code de commerce : « Sont dispensés de la possession du diplôme national en droit prévue au 3° de l'article R. 321-18 : […] 8° Les huissiers de justice ; ».

17 Exigés aux 3°, 4° et 5° de l’article R. 321-18 du code de commerce.

18 Cote 863.

19 Ibid.

20 Cotes 2427 à 2463.

21 Cote 2376.

22 Cote 343.

23 En revanche, la plateforme  lemoniteurlive.com est, quant à elle,  très centrée sur le  marché  national.  Cote 879.

24 Cote 282.

25 Cote 282.

26 Cotes 339, 1786 et 870.

27 Notamment dans les véhicules d’occasion (Alcopa.fr) ou de collections (classicdriver.com), la numismatique (Sixbid et Numisbid) ou encore les montres (chrono24), voir cotes 863 et 864.

28 Sotheby’s, Christie’s et Artcurial ; pour la liste complète, voir cote 1785.

29 Aguttes Online, Sadde Online, EraEnchères, Million via Artprecium, dame Marteau, Rouillac Online, Alcopa Online. Voir cote 337.

30 Cotes 880 et 338.

31 Liveauctionneer.com ; invaluable.com ; thesaleroom.uk ; lot-tissimo.com. Cotes 866 et 1786.

32 Cote 866.

33 Cote 2426.

34 Cotes 2415 à 2425.

35 Cote 1533.

36 Ibid.

37 Cote 1629.

38 Cote 1635.

39 Ibid.

40 Cote 1651.

41 Cotes 1657 à 1678.

42 Cote 1658.

43 Cote 1658.

44 Attestation sur l’honneur individuelle que la structure de vente volontaire est contrôlée par un commissaire-priseur judiciaire, copie du répertoire des 50 dernières ventes judiciaires et volontaires et récapitulatif statistique des ventes volontaires ; extrait de casier judiciaire de la personne habilitée à diriger les ventes et du dirigeant ; attestation d'absence de sanction disciplinaire au cours maximum des 3 années précédentes ; attestations à remplir par l’assureur pour la police d’assurance ; attestation de l’expert-comptable confirmant la présence effective de 2 personnes exerçant à temps plein au siège de l'office ou copies des contrats de travail ou bulletins de salaires pour les salariés ou, à défaut, attestation de la personne exerçant à temps plein au siège de l'office ; attestation de l'expert-comptable du respect des couvertures vendeurs judiciaire et volontaire ; attestation de l’expert-comptable relatif au Contrat de cautionnement garantissant la représentation des fonds détenus pour le compte de tiers.

45 Ibid.

46 Cotes 291 à 321.

47 Cote 278.

48 Cotes 291 à 321 (Référentiel pour les vendeurs de véhicules d’occasion).

49 Cote 278.

50 Cote 304 à 321.

51 Cotes 1802 à 1817.

52 Cotes 304 à 321.

53 Cote 1789.

54 Ibid.

55 Cote 1161.

56 Cotes 1161 et 1162.

57 Cote 1249.

58 Cote 1250.

59 Ibid.

60 Cote 37.

61 Cote 38.

62 Cote 39.

63 Cote 155.

 64 Cote 163.

65 Cote 56.

66 Cote 50

67 Cote 147.

68 Cote 154.

69 Cote 2096.

70 Cote 2096.

71 Cote 51.

72 Cotes 113 et 114.

73 Cote 148.

74 Cote 155.

75 Cote 39.

76 Cote 59.

77 Commission européenne, Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JO C 101 du 27 avril 2004, p. 0081–0096, point 18.

78 Cote 339.

81 Com, 4 octobre 2016, Orange, n° 15-14158.

82 Cote 2882.

83 Cour de justice, arrêts Mastercard/Commission, C-382-12, point 62 ; Nederlandse Vereniging voor de fruit en groentenimporthandel et Frubo/Commission, 71/74, point 30; van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, point 88, ainsi que Eurofer/Commission, C-179/99, point 23.

84 Arrêt du Tribunal, Mastercard / Commission, T-111/08, point 243.

85 Ibid, point 244.

86 Arrêt de la Cour, Mastercard / Commission précité, point 73.

87 Arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2000, Ordre national des pharmaciens, n° 98-12612.

88 Cote 1614. I de l’article 18 des statuts de CPM du 31 mai 2016 : « Le directoire est investi des pouvoirs les plus étendus à l’égard des tiers pour agir en toutes circonstances au nom de la société sous réserve des pouvoirs expressément attribués par la loi au conseil de surveillance et aux assemblées d'actionnaires ».

89 Cote 1251.

90 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 2003, Chambre syndicale des entreprises de déménagements et garde-meubles de France, n° 02/18680.

91 Décisions n° 06-D-29 du 6 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE Les Indépendants dans le secteur de la publicité radiophonique, paragraphe 48, n° 18-D-04 du 20 février 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation de viande en Martinique, paragraphes 80 et suivants, n° 19-D-05 du 28 mars 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Antibes Juan-les-Pins, paragraphes 110 et suivants et n° 19-D-13 du 24 juin 2019, n° 22-D-01 du 13 janvier 2022 et n° 22-D-02 du 13 janvier 2022 relatives à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des huissiers de justice, respectivement paragraphes 63 et suivants, 95 et suivants et 113 et suivants.

92 Arrêt Budapest Bank, précité, point 76.

93 Alors que les ventes volontaires « Live » de biens  meubles s’élevaient en France à 379  millions d’euros en 2019, elles se sont élevées à 1 920 millions d’euros en 2021.

79 Arrêts du Tribunal de l’Union du 19 mars 2003, CMA CGM, T-213/00, point 206 et du 12 septembre 2007, William Prym/Commission, T-30/05, point 86.

80 Décision n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc, paragraphe 28 ; décision n° 10-D-13 du 15 avril 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre, paragraphe 221 ; décision n° 11-D-02 du 26 janvier 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques, paragraphe 364.