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Décisions

Cass. 1re civ., 14 janvier 2003, n° 00-15.275

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lemontey

Agen, 1re ch., du 14 mars 2000

14 mars 2000

Attendu que les époux André X... ont acquis, le 30 juillet 1979, un appartement à Arcachon à l'aide d'un versement comptant de 55 400 francs et d'un emprunt de 221600 francs, pour le remboursement duquel leur fils Francis s'est porté caution ; que, par acte notarié du 2 mai 1981, ils ont consenti à ce dernier une donation préciputaire portant sur la nue-propriété de cet appartement, en précisant à l'acte qu'ils conservaient à leur charge le remboursement de l'emprunt, puis, dans le cadre d'une donation-partage des 26 et 27 décembre 1985, cette donation préciputaire a été transformée en avancement d'hoirie, le donataire prenant à sa charge le remboursement du solde de l'emprunt et la soulte due à ses soeurs étant fixée à 40 000 francs ; qu'exposant qu'il avait été en relations commerciales en 1982 et 1983 avec M. André X..., qui avait été condamné par arrêt du 27 avril 1993 à lui payer la somme de 95 362,15 francs majorée des intérêts légaux à compter du 28 octobre 1991, et qu'il ne parvenait pas à obtenir le remboursement de cette condamnation, M. Pierre Y... a assigné, les 5 et 6 septembre 1996, son débiteur et ses trois enfants en vue de faire déclarer, sur le fondement de l'article 1167 du Code civil, les deux donations susvisées inopposables à son égard ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Agen, 14 mars 2000) de l'avoir débouté de sa demande en déclaration d'inopposabilité de l'acte du 2 mai 1981, alors, selon le moyen, qu'il n'est pas nécessaire, pour que l'action paulienne puisse être exercée, que la créance dont se prévaut le demandeur ait été certaine, ni exigible au moment de l'acte argué de fraude ; qu'il suffit que le principe de la créance ait existé avant la conclusion dudit acte par le débiteur; qu'en constatant que M. Pierre Y... ne rapportait pas le preuve d'une créance certaine, même non liquide, à l'encontre de M. X..., la cour d'appel a violé l'article 1167 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir énoncé à bon droit que le créancier devait justifier d'une créance certaine en son principe au moment de l'acte argué de fraude, la cour d'appel a relevé que la condamnation invoquée du 27 avril 1993 se fondait sur des relations commerciales durant les années 1982 et 1983, pour en déduire exactement, par motifs propres et adoptés, que M. X... ne rapportait pas la preuve d'un principe de créance avant le 2 mai 1981, date de l'acte attaqué, que le moyen manque en fait ;

Sur le second moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que M. Y... fait encore grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande en déclaration d'inopposabilité de l'acte des 26 et 27 décembre 1985, alors, selon le moyen :

1°) que la condition d'antériorité exigée pour l'application de l'article 1167 du Code civil concerne seulement l'existence de la créance et non pas la connaissance par le débiteur des poursuites exercées par le créancier ; qu'en décidant qu'en 1985, André X... n'avait pas conscience d'être débiteur de sommes importantes au profit de Pierre Y..., parce qu'aucune mise en demeure de payer un solde de sommes restant dues ne lui avait été adressée, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 1167 du Code civil ;

2°) que la complicité frauduleuse n'a pas à être établie, si l'acte attaqué est un acte à titre gratuit ; qu'en affirmant qu'il n'y a eu aucune collusion frauduleuse en 1985 entre André X... et ses enfants pour soustraire des biens aux actions en recouvrement de M. Y..., la cour d'appel, qui a ajouté une condition à l'exercice de l'action paulienne, a violé à nouveau l'article 1167 du Code civil ;

3°) que l'action paulienne ne suppose pas la preuve de l'intention de nuire chez le débiteur, mais résulte de la seule connaissance du préjudice qui cause au créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité "qu'en exigeant du créancier qu'il rapporte la preuve que l'acte de donation-partage a été fait par le débiteur dans l'intention de lui nuire, en sachant qu'il occasionnait ainsi un préjudice à son créancier en aggravant son insolvabilité, la cour d'appel a ajouté une condition à l'exercice de l'action et violé l'article 1167 du Code civil ;

4°) que tout jugement doit être motivé, à peine de nullité ; que la cour d'appel s'est bornée à énoncer que M. Pierre Y... ne rapportait pas la preuve de ce que l'acte de donation-partage a été fait par M. André X... dans l'intention de lui nuire, en sachant qu'il occasionnait ainsi un préjudice à son créancier en aggravant son insolvabilité, car le seul bien immeuble appartenant aux époux Z... était l'appartement d'Arcachon, donné à leur fils en 1981, et pour lequel il restait encore en 1985 des charges de remboursement importantes ; qu'en se déterminant par de tels motifs, sans expliquer en quoi M. Pierre Y... n'avait pas rapporté la preuve exigée, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que, d'une part, lorsqu'il s'agit d'un acte à titre onéreux, le créancier qui exerce l'action paulienne doit prouver la complicité de fraude du tiers acquéreur ; qu'ayant relevé que le donataire s'était substitué au donateur pour le remboursement de l'emprunt souscrit pour l'acquisition du bien litigieux, la cour d'appel en a exactement déduit que la donation contestée était un acte à titre onéreux et que la preuve de la complicité du donataire n'était pas rapportée ; que, d'autre part, si, en principe, l'action paulienne n'est pas ouverte aux créanciers postérieurs à l'acte attaqué, il en est différemment, lorsque, par son acte frauduleux, le débiteur a voulu nuire aux intérêts de ses créanciers futurs ; qu'ayant relevé qu'à l'époque de la donation, M. André X... n'avait pas conscience d'être débiteur de M. Pierre Y... qui ne l'a assigné que six ans plus tard, et que cette donation était motivée par le transfert sur le donataire de la charge du remboursement d'un emprunt que le donateur n'était plus en mesure de payer en raison de la modicité de sa retraite, la cour d'appel a, dans l'exercice de son pouvoir souverain, décidé que la donation n'était inspirée par aucune intention de nuire ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision et que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.